Et puisque j'alimente une galerie, pourquoi pas l'autre ?
La lumière chaude et tamisée enrobait la salle dans un cocon de miel. Les murs carmins, doux de leur tapisserie, ajoutaient à l'effet soyeux. Des rangées de sièges s'étalaient, tout aussi carmins. Peut-être même sang.
Sur les bords des escaliers qui desservaient les rangées, de petites lumières blanches, fines et discrètes permettaient de voir où les pieds se posaient. On descendait lentement, caressant à peine de la pulpe des doigts la douceur des fauteuils épais. Une fois installé, on contemplait d'un regard presque fanatique les amples rideaux d'or, brodés, le velours précieux qui les constituaient et on s'extasiait de cette richesse non-dissimulée.
On respirait avec bonheur l'odeur de vieillesse du bâtiment, le bois usé et rongé, les tissus parfumés par les années et, un peu perdu dans cette immense pièce, on attendait.
Enfin, quelques grattements s'étaient faits entendre. Des bruits d'instruments, de cordes frottées sans repos, de cuivres soufflés sans pitié, et de caisses battues sans remords. Le brouhaha enflait, prenait possession de l'impressionnant plafond couvert de peintures victoriennes, on échauffait autant esprits et voix que les instruments, futurs acteurs principaux des actes.
Les lourds rideaux couverts de broderies et d'or tremblaient à peine, au fil des courants d'air créés par les par les divas et les musiciens.
Puis, d'un accord tacite, le silence s'était fait. Chacun s'était mis d'accord pour que la pièce pu commencer, on prenait la position la plus à l'aise et on fixait d'un regard avide les tentures qui couvraient la scène, pudique.
Les basses enflaient, les cordes criaient, les cuivres gémissaient et c'était parti.
Plusieurs heures de délice, autant auditif que visuel, commençaient, et personne ne loupait le moindre détail. On prenait d'élégantes loupes, on les posaient sur des nez poudrés, et on scrutait les costumes, leur détails, et le niveau de finition. Puis, de guerre lasse de ne rien trouver digne d'intérêt, on fermaient les yeux, juste de quoi se concentrer pour écouter, et on partait dans des limbes collantes et veloutées.
Les actes terminés, on peinait à ouvrir les paupières, fatigué par le son et les émotions suscités pendant la pièce. Mais déjà l'odeur de bois était devenue oppressante et lourde, alors avide d'air frais, on se hâtait vers la sortie.
À l'air libre, on prenait conscience du moment passé, et détendu, voir euphorique, on engageait le pas sur le chemin du retour.