Alaïa
6 jours avant la fin
Laboratoire de Sébastide
Prise de conscience
“Vous faites maintenant partie des leurs”. Serait ce possible ? Après trois ans dans le sang et la puanteur, c’était la première véritable lueur d’espoir depuis plusieurs années. Mais non, ce n’était pas possible, ce n’était pas… et si ça l’était ? Pour la première fois, je réussissaii à écarter les souvenirs de la torture, les souvenirs de la solitude, pour quelque chose de nouveau, de bon. Après trois ans, le spectre d’Alaïa rejaillissait. Mais cette jeune fille restait morte, rien ne saurait la ramener. Mais quelque chose d’autre pourrait remplacer cette froideur et cette peur constante que j’avais en moi. Une version de moi même qui n’était ni cette jeune fille niaise, ni cette perpétuelle solitaire; une version neuve. Syl et Hyldegarde avaient raison, et peut être que l’heure était venue pour moi de m’ouvrir à nouveau. Et s’ils ne voulaient pas de moi ? S’ils m’abandonnaient ici pour que j’y pourrisse, comme l’avait fait Öh… Non. Ce n’était pas comme ça que je devais penser. Plus maintenant. Plus jamais. Syl avait réussi, pendant un bref moment à me donner le sentiment d’être… acceptée. Je devais me raccrocher à ça, m’y tenir et laisser le reste partir. J’en avais assez de tuer et de me cacher, il fallait à présent me rendre plus utile. Aube ne voyait en moi qu’un joli visage; j’allais devenir plus que cela.
“Syl, ai je commencé, avec une légère appréhension”
Que se passe-t-il, répondit-elle, tournant la tête immédiatement.
Je voulais simplement savoir, que faisais tu avant de nous rejoindre ? Avais tu une raison pour errer dans la Faille ?”
Syl resta un moment sans rien dire, comme si elle pensait à ce qu’elle allait répondre. Elle baissa les yeux quelques instants, puis plongea son regard dans le mien.
“Je faisais partie du Cercle, répondit elle, d’un ton presque froid mais qui se voulait neutre”
Malgré cette intonation, une part de moi fut assez enthousiaste : intégrer cette partie de la résistance me permettrait peut être de développer mes capacités, d’apporter mon aide à la cause tout en restant éloignée d’Aube. Si auparavant je voyais le Cercle comme une cause perdue, désormais je le voyais surtout comme un nouveau départ; l’occasion de repartir sur de nouvelles bases.
“Est ce que tu penses que tu pourrais m’y intégrer ?
-Je… je ne sais pas, répondit elle d’un ton hésitant.”
Une fois encore, elle resta pensive un long moment, avant de répondre :
“C’est d’accord. Mais j’aurais besoin que tu m’obéisses au doigt et à l’oeil, compris ?
Pourquoi, ai je répliqué, surprise de ce changement de ton radical.
Je pense qu’il se trame quelque chose au sein du Cercle. Tu pourrais peut être m’aider, mais il ne faut surtout pas commettre d’imprudence.
Je… je ne comprend pas. Le Cercle combat pour contre la Croisade, pour nous réhabiliter non ? Qu’est ce qu’ils pourraient faire qui aggraverait notre situation ?
Crois moi, il est des choses bien pires que ce que nous vivons en ce moment.
Comme quoi ?
Rien que tu aies envie de voir.”
Sa dernière réponse était plus froide encore que les autres, mais Syl n’avait fait qu’accentuer mon désir de rejoindre le Cercle : si elle devait combattre quelque chose de pire encore que la Croisade, je voulais pouvoir l’aider, je voulais pouvoir me rendre utile.
Après cet échange, un silence de plomb régnait dans la salle. Alors que je réfléchissais à ce que j’allais faire, mes comparses restaient obstinément silencieuses.
“Je veux t’aider, ai je fini par annoncer. Et je ferai tout ce que tu me demanderas.
Entendu, répondit elle.”
Quelques temps après, Cheiralba et le Draconien firent irruption. Je ne pus réprimer un sursaut lorsque je la vis, auquel elle réagit par un regard déçu, presque imperceptible.
“J’ai trouvé ce que je cherchai, annonça-t-elle. Nous pouvons désormai quitter cet endroit.
Mais auparavant, ajouta Hundwiin, nous pouvons profiter d’un instant de répit bien mérité ! Mes compagnons, j’ai arpenté les couloirs sinistres et étroits de cette forteresse, et je vous apporte ces quelques victuailles, afin de reprendre nos forces !”
Sur ce, notre prince sortit quelques aliments du sac en toile de jute qu’il avait apporté : nous avions droit à des tranches de pain endurcies, un peu de fromage, quelques légumes à l’allure douteuse et, miracle, un peu de viande dont je préférai ignorer l’origine, à peine suffisante pour nous tous. Ce repas était mince et semblait de piètre qualité, mais après ce que nous avions vécu, c’était plus que suffisant. Profitant de l’abri que nous offrait le laboratoire de Sébastide, nous décidâmes de ne pas le quitter, et nous dirigeâmes ensemble vers le réfectoire. Nous étions tous assis pendant qu’Hundwiin faisait cuir la viande grâce à un feu qu’il avait créé pour alimenter le four.
Il ramena la viande sur la table, alors que nous étions toutes installées, et nous commençâmes le repas.