Forums de Puissance-Zelda

Communauté => Créations Artistiques => Littérature, Fictions => Discussion démarrée par: Doutchboune le lundi 16 mars 2020, 14:31:57

Titre: Doutch écrit aussi, un peu... [Textes du Concours à 4 mains]
Posté par: Doutchboune le lundi 16 mars 2020, 14:31:57
Bien le bonjour chères lectrices et chers lecteurs !

J'ai plus l'habitude de prendre le crayon pour gribouiller, mais il m'est parfois arrivé de m'en servir (enfin, soyons honnête, c'était plus souvent un clavier, mais passons...) pour écrire quelques lignes. La première fois, c'était inspirée par un des thèmes du concours d'écriture mené par Prince du Crépuscule (https://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,5489.msg316655.html#msg316655) il y a bientôt dix ans. La deuxième, par les thèmes d'un autre concours d'écriture (https://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,6951.0.html), celui de Brume-Ondeblois.
Puis ensuite, je me suis mise à faire du jeu de rôle dans le jeu World of Warcraft, et avec ma guilde, on alterne entre le RP en jeu, et le RP sur forum. Résultat, j'ai beaucoup plus écrit de textes à partir de ce moment.

Du coup, j'avais il y a longtemps créé le Salon d’Écriture Occasionnelle (https://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,7009.0.html) qui a été utilisé par d'autres que moi, et j'en suis très heureuse ! Mais je me rends compte aussi que j'ai peut-être aujourd'hui matière à faire ma propre galerie de textes, même si elle ne sera pas très fournie.

Je vais y remettre ceux déjà postés dans le salon sus-décrit, plus quelques autres. Ça risque, le plus souvent, être de la fan-fiction Warcraft, puisque la plupart de mes écrits sont inspirés par mes RP de guilde.

N'hésitez pas à y aller de votre petit commentaire, et si besoin de votre petite question, si quelque chose vous interpelle car il vous manque une information, par exemple dans l'univers de Warcraft, pour mieux comprendre certains passages.

Comme on dit, enjoy !
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Doutchboune le lundi 16 mars 2020, 14:33:54
Texte post-apocalypstique répondant aux exigences du 2e thème du concours de Prince du Crépuscule de 2010, à part pour la longueur. La page de journal, en italique, avait été écrite par PdC lui-même.



« Avril 2013, 114 jours P.-A.

Cher journal,

Que sommes-nous devenus… ? Des survivants, des réfugiés ? Ou peut-être des âmes en peine ?
Je ne saurais répondre à ces questions. Ce que je peux constater, c’est ce que j’ai sous les yeux, et ce que j’ai sous les yeux, c’est ce que toute chute occasionne : des débris. Nous avons chu. Et nous gisons, épars, partout où ce krach nous a soufflés.

Comme il avait été prévu par le calendrier maya et certains prophètes, le temps s’est arrêté en cette funeste journée du 21 décembre 2012 que nous nommons Apocalypse. Le chaos s’est déchaîné sur Terre, et nous avons tant perdu que je ne pourrais le décrire. A dire le vrai, ma main en tremble encore. En l’espace de 24 heures, tout s’est écroulé avec une violence inouïe. Fous que nous étions de ne pas croire !
Il y a encore quatre mois de ça, la fin des temps était un sujet de plaisanterie commun, et ceux qui la prédisaient, des illuminés – fous ! –.
Puis, en dépit de toutes les prévisions scientifiques, à minuit frappante, avec la précision exacte d’une machine infernale, tous les volcans sont brusquement entrés en éruption. La Terre, dont les entrailles vomissaient le feu, fut secouée de spasmes incontrôlables, entraînant les eaux démontées à suivre sa fureur aveugle. La mort était partout, absolument partout, terrifiante et implacable. Et, quand les éléments eurent achevé leur œuvre de désolation, quand les flammes s’apaisèrent dans leurs cratères égueulés et que les vagues se retirèrent dans leur nouveau lit, ils nous léguèrent un ciel uniformément gris et opaque. Le soleil dut ramener ses rayons contre lui comme des jupes trop encombrantes, et, lentement, la terre mourut, flétrie par une pollution captive dont les miasmes furent répandus par les destructions de la vindicte naturelle.

Un jour, et tout était fini. Nous ne pouvions qu’assister à notre propre déchéance, muets d’horreur.
Et aujourd’hui, que reste-t-il de la grande, orgueilleuse Humanité ? Rien. Rien que de minuscules dépôts d’une race décimée, brisée. De notre vanité, de notre odieuse technologie et soi-disant supériorité, ne subsiste qu’une honte craintive.
Pour survivre, nous avons dû nous abriter sous terre et construire des villages obscurs, dépouillés d’un quelconque espoir de revenir un jour à la surface. Ceux qui y sont restés – Dieu ait leur âme – ont succombé à l’air vicié qui y stagne, pourri comme une charogne, et leurs os gisent au-dessus de nos têtes. Combien de temps encore devrons-nous nous nourrir de vermine et de tubercules rachitiques ?

Les Hommes, dont la morgue les poussait à croire Dieu dispensable, sinon vide, se sont blottis contre le giron d’une foi superstitieuse. Le mot gloire a été banni de toutes les bouches.
Et moi, j’écris sur des lambeaux de chemise, à la lumière d’une lampe-torche dont les piles seront bientôt vides ; je m’interroge.

Sommes-nous les seuls Hommes à avoir survécu ? D’autres communautés souterraines se sont-elles formées ?

Combien de temps encore… ? »


   Ses doigts, jusque là serrés sur les restes de tissu, se décrispèrent petit à petit. Un survivant. Son regard erra autour d’elle. Nulle autre trace de son passage. De leur passage ? Non. Rien dans cette galerie sombre, faiblement éclairée par sa frontale, ne laissait croire que des Hommes étaient passés, à part cette vieille chemise, parchemin improvisé. D’après la date, cette lettre datait de trente jours, ou bien vingt-huit. Cette réflexion la fit replonger dans la réalité. Sale et soumise à sa nouvelle vie, elle ne pouvait plus se souvenir de la date exacte. Tant de jours identiques s’étaient écoulés depuis sa rencontre avec le Chef. Certes, sans lui, elle serait sûrement morte aujourd’hui, mais cela aurait-il été vraiment pire que cette vie d’esclave ?
Comme beaucoup, au début, elle pensait agir pour son petit groupe de rescapés. Ils s’étaient retrouvés, par hasard, sous un entrepôt en ruines, juste après la Grande Catastrophe. Dans un premier temps, la joie de se retrouver entre êtres humains, l’idée de pouvoir encore parler, communiquer, interagir, les avait rendus presque optimistes face à leur situation désespérée. Mais très vite, le pire de la nature humaine avait repris le dessus. Parce qu’il était le plus fort, parce qu’il criait plus que les autres, le Chef avait commencé à prendre les rênes de leurs vies à tous. Au départ, ça ressemblait à un jeu, et puis, il faut l’avouer, ils étaient tous des gens fatigués, esseulés, alors quand l’un d’entre eux se mit à prendre les décisions, ils se laissèrent faire. Samy faisait partie des ces gens là. Et aujourd’hui, elle se rendait compte, au fond de sa galerie, à rechercher de maigres racines qu’elle ne mangerait peut-être pas, qu’elle oubliait peu à peu qui elle était. On ne l’appelait plus que Samy. Et elle doutait, s’appelait-elle Samuelle, ou Samantha ?
Elle ne se souvenait plus que de Samy, et étrangement, ce sobriquet lui fit remonter un souvenir de son enfance. Elle et sa meilleure amie, deux inséparables, toujours à faire les quatre cents coups. Les autres enfants, toujours cruels, avaient affublée son amie sur surnom Scoubi. Elle se rendit compte qu’elle n’avait jamais su à quel point ceci avait attristé sa camarade. De nouveau ses yeux se posèrent sur la dure réalité de la galerie. De toute façon, elle avait perdu contact avec Scoubi –mais quel était donc son véritable prénom ?- bien avant le désastre qui avait coûté la vie à des milliards d’êtres humains. Ce souvenir d’un passé tellement lointain qu’il en était irréel la troubla. Depuis quand n’avait-elle pas pensé à elle, à sa propre vie, au lieu d’obéir à Chef ?

   Ses yeux, légèrement humides d’émotion, se reposèrent sur le morceau de tissu. Tout à son désespoir, la personne qui avait écrit ses mots paraissait libre. Il y a avait donc d’autres humains qui, malgré les difficiles conditions de vie, avaient gardé une vie décente, ou tout du moins socialement acceptable. Elle mentionnait un village. Quand elle repensa à son lieu de vie, elle senti son cœur palpiter d’une colère sourde, ivre d’un reproche non formulé. Ces autres survivants vivaient dans un lieu qu’ils pouvaient qualifier de village. Sans se créer l’illusion de petites maison troglodytes, elle imaginait tout de même un lieu ordonné, avec des sortes de pièces intimes pour chacun. Pourquoi aucun d’entre eux… Pourquoi Chef n’avait-il jamais pensé à créer ce genre de confort pour eux ? Pourquoi personne n’y avait pensé ? Ils ne faisaient que se blottir les uns contre les autres pour se tenir chaud. Quand ils n’étaient pas envoyés à la recherche de nourriture.
Samy s’agenouilla, et redressa le menton. Elle prit une grande inspiration. Jamais elle ne s’était sentie aussi humaine. Comment avait-elle pu oublier qu’elle l’avait été ? Comment… Par le pouvoir d’un seul homme, qui les avait abaissés à moins que rien, tout juste bons à aller chercher de la nourriture, à être battus quand il était contrarié. Et tout le monde, dans sa faiblesse, dans l’espoir d’avoir un peu de cette nourriture, s’était plié à ses exigences. Après avoir déshumanisé tant de monde, était-il, lui encore humain ? Se gargarisait-il de son pouvoir ? Et après tout, quel était son pouvoir ? Commander une demi-douzaine de pauvres hères, qui assuraient sa survie.
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Doutchboune le lundi 16 mars 2020, 14:36:44
Texte inspiré des thèmes du concours de Brume-Ondeblois, en 2013, demandant de créer puis montrer la chute d'un univers qu'on aurait créé de toute pièce. J'ai condensé les deux en un texte que j'ai pensé un jour retravailler (je reconnais des tournures bien lourdes), mais que je n'ai jamais eu le courage de reprendre :


Un autre monde

   J’aurais aimé vivre dans un autre monde. Le vent soufflait continuellement dans les feuillets de cristal, vitrification aérienne des hautes tours de la ville,  bourdonnant à mes oreilles comme une plainte douloureuse. Ce que la plupart des gens nommait murmure, mais que je percevais comme un bruit, m’avait accompagné depuis ma première seconde, et pourtant jamais je ne m’y étais habitué. J’aurais aimé vivre dans un autre monde. Cette pensée, elle aussi, m’accompagnait depuis aussi longtemps que je puisse me souvenir, et elle le faisait encore aujourd’hui, alors que j’arpentais les longues avenues rectilignes  de la cité. Ses flèches cristallines projetaient leurs ombres, seulement interrompues par les lignes énergétiques courant au centre de la chaussée. A cette heure matinale, la circulation était faible, et le nombre de piétons que je croisai anecdotique. J’aurais aimé vivre dans un autre monde. Peut-être y aurais-je eu un travail intéressant ? Ici, il n’existait pas de travail intéressant, ou, tout du moins, on vous sélectionnait très tôt pour que ne vous fassiez que des choses qui ne vous intéressaient pas. Parfois, certains se plaignaient. Le plus souvent, ils étaient mutés. En tout cas, c’est ce qu’on nous disait, et on ne les revoyait plus. J’aurais aimé vivre dans un autre monde, mais j’étais trop lâche, trop paresseux, ou peut-être trop attaché à la vie pour essayer d’y changer quelque chose. Et puis, existait-il un autre monde ? Le mien se limitait aux frontières de cette ville, à l’extension de ce bruit entêtant. Personne ne pouvait en franchir les limites, nous disait-on, et toute entité extérieure était un ennemi.

    C’est alors que j’aperçus une tache rouge dans le ciel, comme une goutte de peinture sanglante qui serait venue s’écraser sur un couvercle transparent. Le phénomène était nouveau pour moi. Je stoppai ma marche et scrutai le ciel plus attentivement. Une autre tache apparut. Puis une autre. En quelques minutes, ce fut comme si une entité géante et supérieure avait renversé un liquide visqueux sur le ciel. Autour de moi, tout était calme, les rares autres humains présents avaient eu une réaction similaire à la mienne, et sur leurs traits aussi, se lisait l’inquiétude mêlée à l’incompréhension. Un son d’une force exceptionnelle déchira alors mes tympans, et je vis le ciel se briser, mille morceaux translucides volant en éclats. Le dôme protecteur de la ville, dont j’apprenais à l’instant l’existence, venait de céder dans un fracas assourdissant. Oui, je devais vraiment être trop attaché à la vie, car j’eus le réflexe de plonger à l’abri, contrairement, je le sus plus tard, à nombre d’autres personnes témoins de la scène. J’eus aussi de la chance, je dois l’admettre. Une plaque vitrifiée d’au moins une tonne s’écrasa à moins de deux mètres de mon abri précaire, un véhicule garé au bord de la route. Ne pensant plus qu’à ma survie, je partis en courant entre les tours, cherchant un abri fiable. Ce n’est que lorsque je trouvai cet endroit suffisamment sûr que je pris conscience de nouveaux bruits dans mon environnement, et que je me posai la question du pourquoi. Je pris alors le temps de relever les yeux au ciel. Ces sons étaient ceux à la fois de tirs et de destructions. Une myriade d’engins volants lançait sur nos majestueux édifices des traits d’énergie condensée, et une pluie scintillante d’éclats de cristal chatoyait dans le ciel. La crainte de mourir ne l’aurait pas emportée, j’aurais pu trouver ce spectacle magnifique. Nous étions attaqués. Des êtres vivant au-delà de nos frontières étaient donc effectivement des ennemis. Pourquoi, je me demandai si je le saurais un jour. Lorsque je vis des rayons d’énergie fuser du sol, je compris que notre ville était prête à contrer ce genre d’attaque. Ou du moins possédait les infrastructures pour s’en défendre.

    Mais je n’eus pas beaucoup plus le temps de m’appesantir sur cette guerre dont je ne connaissais ni les tenants ni les aboutissants. Près de moi, une onde d’énergie avait touché un de ces petits vaisseaux volants. Je vis une sorte de globe lumineux l’entourer, alors qu’il prenait une trajectoire rectiligne vers le sol. Il se posa sans douceur dans l’allée à côté de mon abri. Pétrifié de terreur à l’idée de me retrouver face à nos ennemis, je restai dans l’ombre, mais rien ne bougea plus. Les bruits des combats semblèrent s’éloigner, et derrière ses sons, je remarquai l’absence singulière mais réjouissante du chant des vitres de cristal. Sans que je n’aie rien eu à faire, mon monde avait changé. Je fus pris d’une impulsion subite et me précipitai vers le vaisseau. A travers la vitre, je vis le pilote, mort. J’ouvrai alors la porte du véhicule, en extrayais le cadavre, et m’installai à sa place. Le tableau de bord paraissait ridiculement simple : deux boutons et un manche. Je pris une profonde inspiration, affirmai ma résolution, et démarrai l’engin. L’attaque alliée n’avait endommagé que le pilote. Après un décollage quelque peu chaotique, je m’envolai vers l’horizon, loin des ruines de ces tours qui avaient accompagné ma vie jusqu’alors.

    Enfin, j’allais vivre dans un autre monde.
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Doutchboune le lundi 16 mars 2020, 14:39:06
Première facfic de WoW, qui raconte la rencontre entre mon personnage principal, ma prêtresse botaniste, et mon deuxième perso RP, ma chamane draenei.



Terres Médianes


   Les éco-dômes. A chacun de ses retours en Outreterre, elle prenait le temps d'aller les explorer. Ils étaient une preuve supplémentaire pour elle que l'Outreterre n'était plus Draenor. Il restait tellement peu des forêts d'antan. Et celles-ci, à Raz-de-Néant, n'avaient plus grand chose à voir avec la végétation d'Ashran*. Elle ferma les yeux, se remémorant son monde disparu. Les odeurs, c'était surtout les odeurs qui lui manquaient. Mais, avec le temps, elle apprenait à apprécier les nouvelles. Draenor n'était plus, l'Outreterre avait pris sa place, et l'Outreterre vivait, elle aussi. De la vie nouvelle, parfois. En tout cas, à part la rumeur d'un spécimen aperçu en Nagrand mais dont l'existence n'avait jamais été prouvée, il n'y avait qu'ici, sous cet éco-dôme, que l'on pouvait trouver des crocilisques, sur ce monde ravagé. Leur cuir était une manne, d'autant plus qu'il était différent de celui que l'on trouvait sur les espèces d'Azeroth. La draenei rouvrit les yeux et les leva vers le ciel. Le dôme luisait, voile rose au dessus de sa tête. Était-il responsable ? Elle hausse les épaules. Peu importait, en fin de compte. Les crocilisques étaient là, leur cuir aussi, et ça, c'était le point intéressant.

   Un craquement non loin la fit s'arrêter net, et se concentrer sur son environnement. Elle cherchait du regard, elle écoutait de toutes ses oreilles. Il y avait quelque chose de gros, à faible distance. Peut-être la créature responsable de la piste qu'elle suivait. Avec maintes précautions, posant ses sabots silencieusement sur le sol du sous-bois, elle avançait dans la direction du bruit. Elle concentrait doucement l'énergie élémentaire au bout de ses doigts, juste assez pour pouvoir frapper en cas de besoin, mais sans pour autant attirer l'attention avec des bruits d'éclairs crépitants. Elle se méfiait surtout des lynx, qui s'étaient installés dans ces nouveaux environnements et qui y pullulaient. Mais la piste n'était pas celle d'un lynx, en fait, ce n'était pas celle d'une créature habituée aux forêts. Cette créature était peut-être plus quelqu'un que quelque chose, et cela rendait la draenei curieuse. Elle restait néanmoins méfiante, sachant pertinemment que cette personne n'était pas forcément amicale. Elle continuait sa progression, lentement, discrètement, remarqua des traces étranges, comme si les plantes avaient été touchées, manipulées, mais sans pour autant avoir été abîmées. Sa curiosité en était décuplée. La terre devenait plus meuble sous ses sabots, elle approchait donc du lac. Bientôt, elle aurait une vue dégagée, et elle serait enfin fixée sur la nature de sa proie.

   Un grand plouf la fit sursauter, et c'est d'un pas plus rapide qu'elle franchit les derniers mètres qui la séparaient de l'espace clair de la berge. Tout près, quelqu'un était tombé dans l'eau. Elle ne vit qu'une masse de cheveux acajou couler, puis revenir à la surface. La personne semblait savoir nager, mais ce serait inutile face aux prédateurs reptiliens de ce lac. D'un regard, la draenei scruta la surface, et décela, comme elle s'y était attendue, les légères ondulations de surface qui trahissaient l'avancée rapide des crocilisques. En quelques bonds, elle fut sur le bord le plus proche de l'être qui semblait un peu perdu. C'était une humaine. Un genou au sol, elle tendit la main le plus loin possible, et dit, d'un commun teinté d'un léger accent des gens de sa race :
- Vite, prenez ma main, ne restez pas dans l'eau, c'est dangereux !
   Pendant ce temps, elle continuait à concentrer son énergie. Il n'était pas question d'avoir recours à la force de la foudre tant que l'humaine était dans l'eau, mais dès qu'elle serait sortie, il faudrait agir. Les crocilisques monteraient sur la berge, elle le savait. Elle sentit alors le contact de la peau contre sa paume, et serra la main. Elle tira de toutes ses forces, hissant la femme sur la berge. Elles basculèrent toutes les deux, la draenei se retrouvant sur son séant, et l'humaine allongée à côté d'elle. Sans même lui jeter un regard, la cornue tendit le bras, et envoya un éclair dans l'eau, puis un autre. Elle scrutait la surface, en alerte, c'était tout juste si elle entendait la femme tousser à côté d'elle. Croyant voir une nouvelle ondulation, elle renvoya une salve, et attendit. Sa respiration était saccadée, mais ses yeux et ses oreilles n'avaient rien perdu de leur concentration. Le lac était redevenu calme. Les reptiles n'avaient pas assez faim pour risquer leurs écailles. Elle se laissa aller à un gros soupir de soulagement.

 
   La femme reprenait ses esprits, et après quelques instants, elle se mit à genou, à côté de sa sauveuse providentielle. Pour quelqu'un qui venait d'être en grand danger, elle paraissait plutôt calme. La draenei se demandait si c'était parce qu'elle avait l'habitude des situations dangereuses, ou si elle était seulement inconsciente. En tout cas, elle était jeune, de ce qu'elle en savait. Elle la regardait, légèrement souriante, mais avec un petit froncement de sourcils qui trahissaient une vague réprobation.
- Merci.
   La jeune femme était à la fois penaude et reconnaissante. Son sourire était sincère, et sa gratitude tout autant.
- Je suis désolée, j'ai été imprudente. Je ne suis pas sûre que je m'en serais sortie si une de ces bêtes m'avait attrapée alors que j'étais dans l'eau. Merci du fond du cœur.
- Oh, mais, c'est normal, je n'allais vous laisser vous faire dévorer devant mes yeux. Mais tout de même, cette zone est dangereuse, que faisiez-vous ici ?
   L'humaine sembla vaguement suspicieuse, et répondit d'un ton un petit peu froid :
- Je sais que vous venez de me sauver la mise, mais... je pourrais vous retourner la question.
   La draenei éclata de rire. Quelques semaines passées en Outreterre, et elle avait déjà oublié à quel point les humains étaient susceptibles. Et méfiants. Elle regarda le visage décontenancé de son interlocutrice, et, avec un sourire franc, reprit la parole :
- Je me nomme Lishaasi, et je suis trappeuse. Ces éco-dômes possèdent une faune toute particulière qui fournit un cuir d'une qualité spéciale. Surtout les crocilisques. A la base, j'étais venue ici pour chasser, mais je suis tombée sur votre piste, qui, je dois dire, m'a beaucoup intriguée... Vous faites quoi, avec les plantes ?
   La femme semblait surprise, mais sa voix s'était radoucie.
- Et bien, je suis botaniste. J'étudie les plantes, les examine, les répertorie. C'est d'ailleurs en voulant en voir une de plus près que je suis tombée à l'eau. Je savais que c'était dangereux, mais je pensais pouvoir l'atteindre.
   Elle marqua une petite pause et ajouta, dans un petit rire :
- Il s'avère que j'avais tort ! Je m'appelle Adelheidy Hamar, je viens d'Azeroth pour étudier ces fabuleuses installations.
   Elle accompagna sa phrase un large geste désignant son environnement, mais aussi le dôme au-dessus d'elles. Lishaasi fit une légère moue.
- Vous savez, ces choses éthériennes ont peut-être ramené la vie ici, mais ça n'a pas grand chose à voir avec les forêts d'antan. Enfin, j'imagine que ça n'enlève pas l'intérêt qu'on pourrait porter aux plantes qui y poussent.
- Je crois que de mon point de vue, rien ne peut enlever de l'intérêt à aucune plante, mais je ne suis pas vraiment représentative de ma race. Non, en fait, c'est surtout parce que chez moi, la terre a été corrompue, et je recherche un moyen de faire renaître la vie dessus. J'ai pensé que ces engins pourraient m'apporter une forme de réponse.
- Oh, vous venez de ces terres du Nord, prises par les... Comment c'était déjà ? Des morts-vivants, je crois.
   Adelheidy ne masqua pas sa surprise.
- Vous connaissez Azeroth ?
- Oui, je connais votre monde, j'y vis, même. Enfin, quand je ne fais pas un petit voyage dans ce qu'est devenu mon ancienne planète. Je loge dans la ville de Hurlevent, mais je me balade beaucoup, j'aime le grand air.
- Et bien, c'est surprenant de vous rencontrer ici, alors ! Je suis originaire du Nord, oui, mais depuis des années, je vis dans le Sud. Ces derniers temps, juste à côté de Hurlevent, d'ailleurs, dans le...
   La draenei redressa la tête, elle avait entendu un bruit. L'enthousiasme de la discussion lui avait fait oublier où elles se trouvaient, la jeune femme et elle. L'air soudain sérieux, elle se releva, et tendit la main pour aider Adelheidy à faire de même.
- Cette conversation est passionnante, mais nous ne devrions pas rester ici. Je connais une clairière bien plus sûre, pas très loin. Je pense que nous ferions mieux de continuer à parler là-bas.
   Une fois debout, l'humaine acquiesça, puis suivit la draenei à travers la végétation de la forêt.
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Doutchboune le lundi 16 mars 2020, 14:41:01
Suite à un concours de nouvelle au sein de notre guilde, j'ai écrit ce texte parlant de la vie quotidienne d'un personnage non joueur inventé pour l'occasion, et qui évolue au sein de notre QG, un bastion militaire.


Allaine

   Quand sa mère lui avait annoncé qu’elle avait trouvé un petit boulot, elle s’était d’abord réjouie, pour leur situation, précaire, il fallait le reconnaître. Quand elle a ensuite dit qu’elle aussi devrait mettre la main à la pâte, elle avait déchanté. S’en était suivi une longue conversation, pour ne pas dire confrontation, sur ses quatorze ans bien entamés, sur sa propension à laisser sa mère faire tout le travail, et que si elle n’était pas contente, les ponts de Hurlevent pourraient peut-être mieux l’héberger, finalement. Aide-lavandière, tu parles d’un métier…
- Allaine, arrête de rêvasser et étends ce linge !
La jeune fille grommela, et reprit sa tâche ingrate. Étendre le linge de sales vieux soldats, dans une horrible bâtisse loin de la ville. Au moins, les ponts des canaux étaient proches du quartier commerçant… Elle poussa un soupir interminable puis croisa le regard consterné de sa mère. Peut-être que, dans le fond, elle aurait bien voulu admettre qu’elles avaient toutes deux besoin de ce travail, que ce ne serait probablement que temporaire, que ce n’était pas si avilissant que ça, mais rien n’y faisait.

   Depuis leur arrivée ce matin, elle avait laissé traîner ses oreilles, plus pour passer le temps que par envie de connaître les lieux et ses habitants. Elle avait compris que plusieurs lavandières s’étaient succédées, que parfois même, ce fut des membres de l’ordre qui avaient effectué cette tâche. C’était  au tour de sa mère de prendre le poste, et à elle de l’assister. Elle poussa un nouveau soupir, encore plus exagéré que le précédent, et vit du coin de l’œil sa mère lever les yeux au ciel. Celle-ci reposa le drap qu’elle portait dans le panier et regarda sa fille avec un regard légèrement contrit.
- Allaine. S’il te plaît. On ne va pas revenir sur la nécessité d’être ici, non ?
   L’adolescente se tourna vivement, faisant voler sa longue tresse de cheveux clairs.
- Pffff, c’est nul ici, y a rien, et en plus, j’ai… euh… j’ai la peau des mains toute abimée, à cause des draps mouillés !
   Dos à sa mère, elle ne vit pas le léger sourire qui anima ses lèvres. Et aucune ironie ne perçait quand elle lui répondit d’une voix douce.
- Ma chérie… Je sais ! Il y a du travail de reprisage, tu pourrais le faire. Comme ça, tu pourrais rester assise, en plein air, sans te mouiller les mains ni te fatiguer le dos.
   Les épaules d’Allaine s’affaissèrent, et son air était loin d’être réjoui quand elle se retourna lentement. Elle faillit pousser un troisième soupir, mais se retint au dernier moment. Elle ne se départit pas de sa moue boudeuse alors qu’elle hochait la tête pour accepter la tâche qu’on venait de lui confier.

   Les différentes affaires à repriser avaient été mises dans un petit panier, dans lequel elle ajouta le matériel de couture. Après avoir regardé le tout d’un air passablement dégoûté, elle le mit sous son bras et partit chercher un coin tranquille, loin du regard de sa mère, où elle pourrait travailler en paix. Elle avisa un mur de la bâtisse, ensoleillé, mais sur lequel quelques arbres projetaient une ombre synonyme de confort. Son regard se porta à peine sur les drôles de sacs remplis de paille montés sur des bouts de bois alors qu’elle choisit une place qu’elle considérait adéquate.
L’aiguille était bien en main, le fil passé dans le chas, et les trous se refermaient à un rythme tranquille. Quand même, atterrir dans ce trou, sans même un copain pour apprécier de petites pauses. Bon, elle devait bien admettre que l’odeur d’ici était plus agréable que celle de l’eau des canaux, mais le calme… Oh, ce que c’était calme. Elle était sur le point de soupirer à nouveau quand un vacarme se fit entendre.
Une voix autoritaire la fit sursauter, puis un grand bruit de casseroles qu’on entrechoque retentit. Levant les yeux, elle vit arriver des hommes et des femmes armés sur le terrain devant elle. Elle faillit se lever, mais vit très vite que personne ne l’avait remarquée. Elle posa alors son ouvrage, et regarda la scène.

   Un homme, grand et viril, semblait commander les autres. Se cheveux longs attachés en queue de cheval dansaient au rythme de ses gestes. Sa voix résonnait, forte, donnant des ordres martiaux. Du moins, le supposait-elle. Et les hommes et les femmes face à lui de lui obéir, faisant de grands gestes qui se voulaient coordonnés. Le spectacle était fascinant.Tout était si viril. Elle entrouvrit le col de sa robe. Elle n’avait pas imaginé que la journée puisse être si chaude, surtout à l’ombre. Un instant, elle pensa à son ouvrage, mais ses yeux ne pouvaient se détacher de la danse de ces hommes.
Eux aussi devaient avoir chaud, car leur instructeur leur ordonna d’ôter une partie de leur armure, avant de leur imposer de nouveaux mouvements. Oui, cette journée était caniculaire, comment expliquer sinon que certains aient totalement dénudé leur torse ? Et qu’ils transpiraient autant sous l’effort. Toute cette sueur. Ces gouttes qui glissaient sur la peau, sous laquelle de puissants muscles bougeaient au rythme de leurs contractions. Elle ouvrit son col un peu plus, décidément, qu’il faisait chaud. Elle en avait le souffle court.

   Absorbée comme elle l’était par les mouvements de va et vient des hommes, elle sursauta quand un grand coup de sifflet retentit. Le colosse viril venait de sonner la fin de l’exercice. La troupe rassembla ses affaires et partit en ordre dispersé. Allaine frissonna. Une légère brise était venue lui chatouiller le cou, et elle referma vivement son col. L’air pensif, un petit sourire aux lèvres, elle reprit son ouvrage.

   Finalement, il n’était peut-être pas si mal, ce travail.
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Doutchboune le lundi 16 mars 2020, 14:42:59
Petit texte pour un public averti (mais pas de souci, c'est nettement moins explicite qu'une fic yaoi de Krystal !), dont je ne donne pas le contexte car, justement, je l'ai écrit pour qu'il puisse se passer de contexte et laisser libre cours à l'imagination sur qui peuvent bien être les personnages.


Une nuit


     Elle attendait dans sa chambre, nerveuse. Elle portait une simple robe blanche en laine, confortable et rassurante, mais la douceur du tissu ne suffisait pas à diminuer son anxiété. Immanquablement, ses ongles rejoignaient ses dents, jusqu’à les quitter quand elle se serrait les mains. Avait-elle fait le bon choix ? Avait-elle eu raison de céder à ce désir qui couvait en elle depuis de longs mois, maintenant ? La sensation de chaleur qui envahissait son corps lui clamait que oui, et qu’elle n’avait que trop tardé, mais quelque part, son puissant sens des réalités lui lançait des reproches constants. Les conséquences allaient être ingérables, les retombées, si quelqu’un apprenait ce qui allait se passer ici ce soir, seraient probablement catastrophiques, pour elle et surtout pour son image.

     Il n’était pas trop tard pour reculer. Elle pouvait ne pas ouvrir la porte, feignant le sommeil. Elle pouvait avancer un malentendu, pour renvoyer son invité poliment, mais là aussi, elle craignait les conséquences, dans ce cas, beaucoup plus personnelles. Certes, pas de problème d’autorité, pas de bruits de couloir et autres ragots, mais ça aurait voulu dire la fin de cette relation piquante qui épiçait ses journées, l’abandon de cette occasion d’enfin remplir une partie du vide affectif qui la rongeait depuis tant de temps. Et plus prosaïquement, elle ne voyait pas comment elle pourrait gérer la frustration que le rejet de son désir immédiat engendrerait. Malgré la peur, malgré les doutes, tout son corps brûlait et palpitait d’envie longtemps inassouvie, et c’était alors qu’elle se laissait aller à cette sensation que l’on frappa doucement à la porte.

     Elle sursauta, et la panique refit surface, mais ce fut d’une voix douce qu’elle invita la personne derrière le battant à entrer. Elle sentait son cœur accélérer au fur et à mesure que la porte s’ouvrait doucement, et qu’il apparaissait. Il entra dans la chambre sans un mot, mais avec un sourire charmeur, qu’elle trouva un brin crispé, à moins qu’elle se fasse des idées. Il était toujours aussi beau. D’aussi loin qu’elle se souvenait, elle l’avait toujours trouvé agréable à regarder, mais elle n’avait jamais imaginé, jusqu’à peu, qu’il pourrait y avoir plus que de la contemplation entre eux. Cette pensée lui arracha un sourire, et elle leva les yeux vers son visage. Il venait de se retourner, après avoir refermé la porte en silence. Leurs regards se croisèrent alors qu’elle ouvrait la bouche, voulant parler mais ne sachant pas quoi dire. Elle n’eut pas à s’en soucier. Elle y vit un désir au moins égal au sien, mais aussi une étincelle de crainte, de retenue, qui la surprit chez cet homme habituellement si sûr de lui. Il y eut quelques secondes où le temps fut suspendu, puis il tendit la main et vint caresser sa joue, s’attardant sur la ligne de son menton. Irrésistiblement, leurs lèvres se rapprochèrent, et au moment où elles se rejoignirent, ce fut comme si les digues d’un barrage avaient cédé.

     Sans retenue, elle jeta ses bras autour du cou de l’homme qu’elle avait tant désiré, projetant son corps contre le sien. Ses doigts s’enfoncèrent dans ses cheveux, serrant plus intimement sa bouche contre la sienne. Ses mains à lui vinrent se plaquer contre son dos, l’étreignant avec force et passion. Leur baiser dura longtemps, temps pendant lequel leurs mains continuèrent leurs découvertes respectives. Elle explora les lignes de son dos, caressant chaque muscle de ses mains douces. Il parcourut ses courbes, dessinant les arrondis de ses hanches, de sa taille, de sa poitrine. De leurs gestes exploratoires, ils passèrent petit à petit sous les couches de tissu qui les couvraient encore, et le contact de leurs peaux fit monter leur excitation d’un cran.

     Leurs bouches se séparèrent, un instant, le temps pour leurs yeux de se rencontrer à nouveau. Ils ne montraient plus aucune crainte, plus aucun doute, seulement la flamme ardente d’un désir qui ne demandait qu’à être consumé. Sans la quitter des yeux, il la prit délicatement dans ses bras, la menant jusque sur le lit, non loin de là. Tout en le regardant, elle en profita pour déboutonner sa chemise, et défaire son pantalon. Une fois étendue sur les draps, elle entreprit de lui ôter ses vêtements alors qu’il remontait une main délicate depuis sa cheville jusqu’en haut de sa cuisse, soulevant sa robe par la même occasion. Puis, comme si le calme et la douceur avait trop durés, elle passa le bras derrière son cou et le plaqua contre elle, et l’embrassa langoureusement en lui mordillant les lèvres. La réponse ne se fit pas attendre, et il glissa ses mains le long de son corps, le dévoilant au fur et à mesure que la robe remontait. Leurs bouches se séparèrent le temps de laisser passer le vêtement, mais se retrouvèrent très vite. Totalement dévêtus, enlacés sur le lit, ils laissèrent libre cours à leurs envies si longtemps réfrénées et ce n’est que tard dans la nuit qu’ils s’assoupirent, l’un contre l’autre, épuisés mais heureux, flottants dans une bulle de félicité.

 

     Elle se réveilla en sursaut, et un coup d’œil par la fenêtre lui apprit que la nuit était bien avancée. La lune était basse dans le ciel, et inondait la chambre de sa lumière pâle. La jeune femme se mit assise contre la tête du lit, les bras autour des genoux. Son regard se posa sur l’homme à ses côtés, et elle sourit doucement. Elle savait que rien au monde ne lui ferait regretter cette nuit, même si le spectre des conséquences se faisait de plus en plus tangible. Là, maintenant, elle se disait qu’elle devait le réveiller, pour qu’il ait le temps de partir rejoindre ses appartements sans que personne ne puisse soupçonner qu’il avait passé la nuit avec elle, mais son sommeil serein l’en empêchait. Elle qui aurait parié qu’il aurait profité de son assoupissement pour partir sans bruit, elle était agréablement surprise de s’être trompée. D’un geste tendre, elle écarta une mèche de cheveux de son front, ce qui le fit frémir.

     Elle soupira. Les choses allaient être plus compliquées maintenant. Elle ne savait même pas ce qu’elle souhaitait réellement. Était-ce seulement l’assouvissement d’un désir ? La connivence de deux adultes enclins à passer du bon temps ensemble ? Y avait-il quelque chose de plus concret entre eux ? Désirait-elle aller plus loin ? Ce n’était pour le moment pas envisageable, pas dans leur situation professionnelle actuelle. Pour le moment, pour le reste du monde, rien ne s’était passé cette nuit et personne ne devait en douter. Elle hésita à le réveiller, pour lui demander son avis sur la question, mais se ravisa. Ce n’était peut-être pas le plus sage, ou le plus avisé, mais elle ferait comme ils avaient toujours fait, s’observer et agir quand ils atteignaient un point de rupture.

     Elle jeta un dernier regard à la fenêtre. La lune avait plongé vers l’horizon. D’un geste doux, elle réveilla son amant.
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Doutchboune le lundi 16 mars 2020, 14:54:21
Là, c'est ma plus grande production. Très ancrée dans le monde de Warcraft, elle a pour but initial de justifier le pseudo de ma voleuse. Je me suis laissée un peu débordée par mon histoire et ait fini avec 11 pages Word... Comme pour tous les textes, si vous avez des questions sur l'univers, hésitez pas à les poser !

Remplir le Vide

   La journée va être magnifique. A travers les rideaux diaphanes de la fenêtre de ma chambre, la lumière annonce un ciel sans nuage. Je m’étire doucement, j’aime ce moment de calme, le matin, pendant lequel je peux organiser mon emploi du temps. Pas que je sois surchargée de travail, mon métier, si on peut taxer mes activités de métier, offre de nombreuses possibilités de temps libre, mais j’aime savoir à l’avance de quoi ma journée sera faite. D’ailleurs, je vais tout de même vérifier que je n’ai pas eu de nouvelle commande dans ma boite aux lettres, sait-on jamais, il y a parfois des urgences.
     Je sors de mon petit appartement, attrapant un croissant légèrement rassi au passage, et jette un œil dans la boite. Parfait. Aucun nouveau message. Donc pour aujourd’hui, rien d’autre qu’une missive à livrer, et un colis à récupérer, et je serai libre comme l’air. Libre d’aller à la réunion, et ça, rien ne peut me rendre plus enthousiaste. Je dois admettre qu’au départ, c’était uniquement pour faire plaisir à Faelos que j’y suis allée. Qu’est-ce qu’une voleuse des rues pouvait bien faire avec des mages et des érudits ? Mais ce petit malin de mage a insisté, et je ne peux rien refuser à mon meilleur ami. Et maintenant, je ne regrette pas. En plus de passer du temps avec lui, j’y ai appris deux-trois trucs bien utiles dans mon métier. Savoir se fondre dans les ombres quand on doit récupérer une commande, ça facilite bien les choses, croyez-moi !
     Mes pas se dirigent vers le quartier des nobles, c’est là que se trouvent et ma commande et le destinataire de mon message. Il est rare que Zelanis fasse appel à moi. Il faut dire que son organisation compte nombre de membres plus compétents que ma personne, mais certains clients savent qui ils sont, et éviteraient le messager s’ils le voyaient. Il faut reconnaître que certains messages des employés de Zelanis sont quelque peu expéditifs, je peux comprendre qu’on fasse le maximum pour éviter de les recevoir ! Quoi qu’il en soit, moi, je me contente de remettre un parchemin scellé au client, et c’est tout. J’ai tout à fait l’apparence de celle qui peut livrer un message anodin contre quelques pièces, et c’est même comme ça que j’ai commencé à gagner ma vie.
  Le trajet qui mène à mon objectif me fait passer devant l’établissement où travaille et loge ma mère. à cette heure-ci, tout est calme, les personnes qui fréquentent ce genre de maison viennent plutôt la nuit, et le matin, les employés dorment, le plus souvent. Il y a par contre de l’activité dans les rues, et j’entends comme toujours des remarques à mon passage, beaucoup impliquant le métier de ma mère, parfois spéculant sur mon inconnu de père. Un jour, je chercherai peut-être qui il est. Je suis certaine que maman le sait, même si elle l’a toujours démenti. J’aime imaginer que c’est un vraiment gros poisson, que le scandale éclabousserait toute la haute société, mais pour être franche, je n’ai aucune idée de qui mon géniteur peut être, et je n’ai pas envie de chercher, pour le moment. C’est plus drôle comme ça, la vérité serait sûrement trop décevante.
  J’arrive enfin à destination. La demeure de mon client est imposante, son luxe ostentatoire, trait on ne peut plus banal chez ceux de mon peuple, surtout s’ils sont nobles. C’est sans grande difficulté que je mène ma tâche à bien. Je joue mon rôle à la perfection, et l’elfe me glisse même quelques pièces de cuivre pour ma course. Je souris, feint la gratitude, sans bien sûr évoquer la somme donnée par mon employeur pour ce travail. Ce notable s’en doutera bien assez vite, une fois qu’il aura lu la missive et vu de qui elle émane. Je ne m’éternise pas, il est temps d’aller récupérer la commande. Par chance, l’appartement de la dame à qui elle appartient est à trois rues de là où je me trouve.
  Et la chance, décidément, est avec moi. Par cette journée magnifique, les fenêtres sont grandes ouvertes, mais la façade du bâtiment reste dans l’ombre. Avec ce que j’ai appris lors des petites réunions du groupe de Faelos, il m’est honteusement aisé d’entrer dans la pièce au premier étage, de prendre la bague que je suis venue chercher, et de repartir par le même chemin, sans un bruit, totalement cachée dans l’ombre. Une fois à quelques rues du lieu de mon larcin, je regarde mon butin. Une bague sans grande valeur, pour une commande de l’ordre de la vengeance sentimentale. Je me garde bien de mettre les pieds dans les gros coups, je ne voudrais pas empiéter sur les plates-bandes de Zelanis. Je n’ai aucunement l’intention de rejoindre son organisation, et je ne veux pas qu’il pense que j’essaye de le doubler sur quoi que ce soit. J’ai beau savoir me cacher dans les ombres, je ne serai jamais assez douée pour m’éviter une dague entre les omoplates !

  Il est presque midi. Je prends, discrètement évidemment, un pain de manne sur l’étal d’un boulanger, et rejoins mon quartier. Au passage, je livre ma commande à l’amoureux jaloux, et avec l’argent gagné, je m’achète du poisson fumé et un peu de beurre. Ma journée de travail est terminée, et c’est d’un pas léger que je vais m’installer dans un parc, sous un arbre, pour déjeuner de truite fumée sur du pain beurré. Je savoure tout autant la nourriture que cet instant de quiétude. Et puis, j’anticipe mon après-midi. Je souris en pensant au visage de mon meilleur ami, qui, je le sais, s’illuminera de la même manière quand il me verra. Il est une des rares personnes à m’avoir prise la main dans le sac, ou plutôt, dans la poche, et contre toute attente, il en est sorti une histoire d’amitié intense. Qui aurait pu croire que ce fils de petite noblesse, mage et érudit, deviendrait aussi proche d’une fille des rues ?
  Je compte les minutes qui me séparent de la réunion. Je finis mon pain, me lève, et m’étire. Il est temps de retrouver Faelos. Je cours presque pour rejoindre notre lieu de rendez-vous, et quand j’aperçois sa silhouette au loin, mon sourire s’élargit bien malgré moi. Il m’aperçoit à son tour et me fait un grand signe de la main, et quand nous nous rejoignons enfin, il me serre dans ses bras.
- Hé, bonjour ma grande ! La matinée a été bonne ?
Il aime me taquiner sur ma taille. Au moins, être petite est un avantage dans mon domaine d’activité.
- La routine, et toi ?
- Pareil, la routine.
  Et nous éclatons de rire. Il faut dire que, quoi que nous ayons fait de notre journée, notre premier échange reste toujours le même. Puis nous nous mettons en route pour rejoindre le salon où se tient notre petite réunion d’érudits. Nous nous racontons notre matinée, et nous rions beaucoup en imaginant la tête du noble au moment où il aura lu la lettre. Arrivé devant la porte de la maison où nous nous rendons, nous saluons l’elfe qui monte la garde. Je pense qu’il ne me laisserait pas passer si j’étais seule, mais je suis avec Faelos, nous entrons donc sans souci.
  Le magistère Umbric est déjà là, et devise avec certains de ses apprentis. C’est un elfe hautain, terriblement arrogant, mais quel noble de Lune d’Argent ne l’est pas ? J’aime beaucoup la pièce où nos regroupements ont lieu. Elle est grande, mais les recoins formés par les bibliothèques la rendent intime. Parfois, le magistère, ou un autre mage de talent, fait une sorte de conférence, d’autres fois, chacun est libre d’étudier et de converser avec les autres, dans le seul but d’enrichir ses connaissances. Les gens arrivent petit à petit et la salle se remplit. Personne ne semble vouloir prendre la parole, alors je propose à Faelos de continuer à étudier un livre que nous avions commencé à lire ensemble. Évidemment, il comprend bien plus vite que moi, mais quand il s’agit de passer à la pratique, je ne suis pas si mauvaise que ça.
  Nous nous asseyons dans un recoin, sur un tas de coussins moelleux, et commençons à deviser. Autour de nous, le son des conversations forme un bruit de fond qui, paradoxalement, nourrit notre attitude studieuse. Mon ami et moi sommes comme dans une bulle, et c’est tout juste si je perçois que les voix autour de moi sont anxieuses et qu’une certaine tension règne dans la pièce. Je n’y fais pas attention, sûrement encore une bataille d’égo entre savants. Je pointe du doigt une phrase du livre, portant sur la capacité à se fondre dans les ombres, et ses dangers.
- Tiens, dis-moi, tu en penses quoi ? Où est la limite ?
Mon ami ouvre la bouche pour me répondre quand une voix forte se fait entendre, derrière la porte d’entrée de la salle, et nous pétrifie.

- Que personne ne sorte !
    Les chevaliers de sang. J’avais entendu dire que les recherches du magistère n’étaient pas très bien vues, mais je ne m’attendais pas à une descente des autorités en pleine réunion. Je m’accroche à Faelos, prise de panique. Je vois l’angoisse dans ses yeux, mais aussi la colère. Il me murmure à l’oreille.
- Reste cachée, ils ne savent pas que tu es là.
- Mais, je…
- Chut, tu es douée pour ça.
Ma voix tremble autant que mes mains.
- Et toi ?
Il se veut rassurant, mais son sourire est crispé.
- Ne t’inquiète pas. Échappe leur.
Il rive ses yeux dans les miens.
- Pour moi.
    Puis il m’embrasse sur le front, et me repousse contre le mur, avant de rejoindre les autres au centre de la salle. J’ai les yeux brouillés de larmes, j’ai peur. Mais je reste cachée dans l’ombre, comme je sais si bien faire. Pendant ce temps, les voix autoritaires des chevaliers de sang résonnent.
- Restez calmes et il ne sera fait de mal à personne.
  J’entends les mages s’indigner, niant vertueusement toute activité illégale. C’est tout juste si les elfes en armes ne leur rient pas au nez.
- Nous nous avions prévenus : plus de magie du Vide dans la ville. Magistère Umbric, sur ordre du Grand Magistère Rommath, vous et vos disciples êtes déclarés bannis de Lune d’argent. Veuillez nous suivre jusqu’aux portes de la ville sans résistance.
  Je n’en crois pas mes oreilles. Je n’imaginais pas une seconde que ces recherches pourraient avoir de telles conséquences. Mais je n’ai pas le temps d’y réfléchir plus longtemps. Le ton monte, les mages n’ont pas l’air décidés à obéir. Je ne pense qu’à rester cachée, quand je reconnais la voix qui s’adresse aux chevaliers de sang avec véhémence. Non ! Je ne peux m’empêcher de me pencher pour voir la scène, juste au moment où cet idiot de Faelos tend son bras vers l’avant pour repousser les soldats d’élite. Par miracle, je me retiens de crier, mais ce qui arrive sous mes yeux était inévitable. L’un des chevaliers, sans hésiter une seconde, jette un puissant sort de Lumière sur mon ami, qui est projeté au sol, inconscient. Le silence se fait et je me force à retourner me cacher. J’entends de nouveau les voix autoritaires dire aux mages de le porter, et de les suivre sans résistance. Après cette démonstration de force, ils obéissent. J’aurais fait pareil à leur place.
  Je reste immobile dans les ombres, et mes talents me dissimulent à la vue des elfes recherchant des mages encore présents. Les larmes coulent sur mes joues et je reste encore immobile de longues minutes après le départ des chevaliers. Cette attente est un supplice. Faelos, mon ami, comment vas-tu ? J’ai peur. Peur de le perdre. Je ne veux même pas penser à ce que peut signifier son bannissement. Quand je n’en peux plus d’attendre, je sors, me fondant dans les ombres. Qui sait, ils ont peut-être posté un garde pour surveiller la porte ?

  Une fois à quelques rues de la salle de réunion, je profite d’une fontaine pour me passer de l’eau sur le visage et reprendre contenance. J’inspire, j’expire. Le tout maintenant est de se fondre dans la foule, et de retrouver mon cher mage. Un rapide regard alentour me fait comprendre que ça ne sera pas compliqué. La procession de mages bannis encadrés de chevaliers de sang a attiré les badauds, et avant même de les voir, j’entends les huées. Mon cœur se serre. Comment peut-on traiter ses semblables de la sorte ?
  Je me faufile entre les gens, encore un atout à ma petite taille, jusqu’à apercevoir le groupe qui avance, résigné. Deux des mages en supportent un troisième. Mon pauvre Faelos, tu n’as toujours pas repris connaissance. Je me retiens de pleurer, j’ai peur que la foule trouve ça suspect. Quand je les vois aussi hostiles envers des gens qu’ils ne connaissent même pas, et dont ils n’ont qu’une vague idée du crime, mes mâchoires se crispent. Je les trouve encore plus arrogants et méprisants que d’habitude, et j’en viens à moi-même les mépriser. Je regarde encore une fois le corps inerte de mon ami, je cherche un moyen de pouvoir le rejoindre. Une idée fait son chemin dans mon esprit : je dois sortir de la ville avant les bannis, avant que la garde soit renforcée. Cette résolution libère en moi une vague de calme qui me submerge. Je m’éloigne de la foule et estime le temps qu’il me reste. Je décide de repasser par mon appartement. Qui sait si je ne passerai pas plusieurs nuits à la belle étoile ? Un manteau ne sera pas du luxe, non plus que quelques provisions. J’avance d’un pas rapide, un air affairé sur le visage. Tous les badauds ont les yeux fixés sur le malheureux évènement, mais je ne tiens pas à me faire remarquer. J’entre chez moi, attrape ma besace, y met le nécessaire en froissant les quelques vieux papiers qu’elle contient, ajoute une paire de couteaux pour avoir de quoi me défendre à l’extérieur et je ressors presque aussitôt. Ce n’est pas le moment de s’attarder sur des détails qui pourraient me retarder ou pire, me faire flancher. Je presse le pas vers les portes de la ville. Les bannis et leur escorte en sont encore assez loin, mais je sens les gardes comme fébriles. Ça me facilitera la tâche.
  Plutôt que de me faire discrète au risque de me faire prendre, j’opte pour l’innocence. Je prends mon air le plus candide, et me dirige vers la sortie de la cité. L’un des garde m’interpelle, et de ma voix la plus juvénile, j’annonce que je vais cueillir des plantes pour les préparations médicales de ma mère. Ma réponse laisse le premier suspicieux, mais son collègue rit, avant de lui dire de me laisser passer, tout en me recommandant la prudence face aux bêtes sauvages. Je jure de ne pas m’éloigner des murs de la ville, et sort d’un pas sautillant. J’attends d’être assez loin pour m’éclipser, et trouver un lieu d’observation adéquat. Une fois installée, je tente de me calmer. Je me demande vraiment comment ces gardes n’ont pas pu entendre mon cœur. Il battait si fort que j’ai cru qu’il allait bondir hors de ma poitrine. Les minutes passent, et avec l’attente, la peur revient. Mon meilleur ami est souffrant et je ne peux pas être à ses côtés. Enfin le groupe du magistère Umbric apparaît, et son escorte s’arrête à la porte, formant une haie elfique serrée, pour bien lui signifier qu’il n’y a pas de retour possible.

  Je suis trop loin pour bien distinguer ce qu’il se passe au sein du groupe, encore plus pour entendre quoi que ce soit, mais je ronge mon frein. Il est plus sage de suivre les mages, et de les rejoindre plus tard, lorsqu’ils auront décidé de bivouaquer. Il n’y a pas grand monde qui puisse me surprendre, mais je reste tout de même discrète, progressant en cachette au rythme des érudits traumatisés qui s’éloignent de la capitale. À un premier carrefour, quelques elfes du groupe semblent discuter vivement avec les autres, et ils prennent alors un chemin différent. Je ne m’en préoccupe pas plus et continue de suivre ceux qui s’occupent de Faelos. Lorsqu’ils s’arrêtent enfin, je me montre et les approche. Évidemment, leur première réaction est de se mettre en position de défense, alors je m’arrête, les mains en évidence. Autant les grands mages ne m’ont sûrement jamais remarquée, autant j’ai déjà discuté avec certains des moins réputés d’entre eux, il y en aura bien un qui me reconnaîtra.
- Sythel ? Mais…
Felldrin, forcément. Je remarque l’incrédulité dans sa voix.
- Mais que fais-tu là ? Pourquoi ne pas être restée en ville ?
C’est à mon tour d’être incrédule. Je le regarde, les yeux ronds, puis je tends le bras vers la forme inerte du corps de Faelos, au sol.
- Il est blessé ! Cet idiot est blessé, je ne pouvais pas le laisser. C’est mon ami.
Je sens les larmes remplir mes yeux, une boule remonter dans ma gorge.
- Peut-être même mon seul véritable ami, et tu me demandes pourquoi je suis là ? Qu’est-ce que j’en ai à faire de rester à Lune d’Argent s’il n’y est pas ?
  C’est peut-être injuste de ma part de m’en prendre à lui, mais toute la tension des dernières heures trouve enfin un exutoire, et je ne me rends même pas compte que je crie. Une fois mon sac vidé sur Felldrin, je me dirige vers Faelos et m’assieds à côté de lui. Je regarde son visage, je lui passe doucement la main dans les cheveux. Pour le moment, je ne souhaite qu’une chose, être avec lui, et qu’il le sache. Je prononce son nom doucement, plusieurs fois. Je sens qu’on me regarde, mais je n’y prête pas attention.
  Le temps s’écoule et je ne m’en rends pas compte. Mon ami ne réagit pas, pas même un frémissement au son de ma voix. Je sens alors une main se poser doucement sur mon épaule. Je me tourne et vois une mage qui me regarde d’un air grave. La peur revient m’envahir, je sais que je n’ai pas envie d’entendre ce que cette elfe vient me dire.
- Sythel, tu devrais aller manger, ou te reposer. Le sort qu’il a reçu était puissant, et il n’est pas près de se réveiller. S’il se réveille un jour.
Je la regarde d’un air ahuri, du moins, c’est ce que je suppose à son regard.
- Laisse le pour le moment, il reste de l’espoir, mais il a besoin de repos. Et toi aussi.
  Elle se relève en me prenant la main, m’incitant à la suivre. Ce que je fais. Elle a raison sur un point, je suis épuisée. Je sors machinalement mon manteau de ma besace, m’enroule dedans, et le sommeil vient me prendre avec une facilité inattendue.

  Le lendemain ne m’apporte aucune bonne nouvelle. Faelos reste inconscient, mais il semble stable, calme. J’espère qu’il pense à moi, que ça l’aide. Les membres de notre groupe de vagabonds sont un peu désorientés, mais tout le monde se serre les coudes. Le magistère Umbric prend la parole en début d’après-midi. Il nous tient un discours un peu pontifiant sur la nécessité d’avancer dans notre recherche. Que si nous avons travaillé tout ce temps, c’est pour trouver un moyen de défendre notre terre natale.  Que ce n’est pas parce que des idiots sans vision nous ont chassé de la ville que nous n’allons pas revenir triomphants en leur montrant que nous avions raison. Il termine sa diatribe en expliquant qu’il a une piste, et qu’il pense pouvoir trouver un moyen d’accélérer notre accès à ce pouvoir phénoménal.
  Même si je ne me sens pas directement concernée, ses paroles me réconfortent. J’avais peur de me retrouver entourée de gens gémissants, regrettant leurs maisons cossues et leurs balais enchantés, mais je me rends compte à ce moment que le groupe que je fréquentais depuis quelques mois était composé de gens vraiment déterminés, et pas d’érudits dilettantes en manque de sensations fortes. Je reprends espoir pour mon ami, au sein d’un tel groupe, personne ne le laissera tomber. Je reste toute la journée à ses côtés, guettant le moindre frémissement. Ce mouvement tant attendu arrive enfin, à la tombée de la nuit. Il entrouvre les yeux et sa main serre mollement la mienne. Les larmes me montent aux yeux, je me retiens de le serrer dans mes bras. Son regard croise le mien, et je le vois sourire. Je lui souris en retour, et il fait un effort considérable pour prononcer un mot.
- routine…
Dans un sanglot, je lui réponds, comme toujours.
- Pareil, la routine.
Mais ses lèvres se tordent et son sourire devient rictus. Je l’entends murmurer mais je ne comprends pas ce qu’il dit. Sa main serre la mienne violemment, parcourue de spasmes.
- Fael, Fael, reste avec moi, s’il te plaît.
  Je remarque seulement qu’Aellina, la mage qui m’avait sortie de ma torpeur la veille, est aussi présente. Elle a l’air troublée, et pose la main sur le front de mon ami, tout en prononçant une incantation de sa voix douce. Je ne comprends pas le sens de ses paroles, mais Faelos semble s’apaiser, et replonge dans le sommeil. Je regarde l’elfe sans cesser de serrer la main de mon ami. Je la vois chercher ses mots.
- Je suis désolée, j’ai dû le forcer à se rendormir. Il est encore trop tôt pour un diagnostic fiable, mais à ce que je viens de voir, il semblerait que son esprit ait été touché par la violente attaque du chevalier de sang.
  Son ton est calme, mais je sens une colère contenue derrière ses paroles. Et je la partage. Cette agression était totalement disproportionnée face à la piètre menace que le jeune mage représentait. Les soldats étaient prêts à tuer les nôtres sans hésiter, pour une broutille. Tuer un elfe, un des leurs, comme ça, de sang-froid. Le regard que nous échangeons Aellina et moi en dit plus long qu’un discours. Je comprends enfin quelque chose qui m’avait échappé. Ces mages, ces érudits, étaient prêts à subir le bannissement pour leurs convictions. Mais pas la violence, ni surtout l’humiliation publique que Rommath et ses partisans leur ont fait subir. Mon ressentiment envers le Grand Magistère, ses gardes, et tout le peuple de Lune d’Argent qui les a soutenus augmente. Non seulement je les méprise, mais maintenant, je les hais. Je tourne la tête vers mon cher mage, et écarte une mèche de cheveux de son front.
- Ils paieront pour ça. Tous. Je te le promets.

- Méfie-toi des promesses, certaines sont difficiles à tenir.
  La voix apaisante de la mage me fait sursauter. J’avais parlé tout haut sans le vouloir. Elle continue.
- Je comprends ton point de vue, mais je ne suis pas certaine que la vengeance soit la meilleure solution. Revenir leur clouer le bec avec un pouvoir dont ils n’auraient jamais rêvé, voilà ce que j’envisage comme revanche.
Son regard se pose sur Faelos, et son visage se fait grave.
- Nous allons faire notre possible pour que notre chien fou se rétablisse, mais tant que nous errerons dans ces bois, nous manquerons de moyens. J’espère que le magistère trouvera vite ce qu’il cherche, que nous puissions sérieusement nous occuper de lui.
Puisque la vie de mon ami dépend de la réussite de notre expédition forcée, il est temps pour moi de me ressaisir et de participer à l’effort de groupe.
- Que puis-je faire pour vous aider ? Je ne suis pas vraiment une érudite, et encore moins douée pour la magie…
- Mais à ce que j’ai compris, tu es agile et débrouillarde. Je suis sûre que tu pourras participer à la bonne marche de notre campement. S’occuper du feu, de trouver de la nourriture. Les pains invoqués peuvent nous dépanner, mais nous aurons vite besoin de vrais aliments et surtout de mana. Et je te conseille aussi de continuer à étudier, tu étais plutôt douée, en tout cas, Faelos ne tarissait pas d’éloges sur toi.
  Il fait sombre et j’espère que la pénombre est suffisante pour cacher le rouge qui me monte aux joues. Même inconscient, cette espèce de petit malin est capable de me troubler. Je hoche la tête à l’intention d’Aellina. Oui, ce genre de tâche est dans mes cordes, et vu la situation, je me sentirai mieux à arpenter les bois plutôt que de veiller mon ami. Même si ça me fait mal de m’éloigner de lui, il ne faut pas que je sombre dans la mélancolie.

  Les jours passent et la routine s’installe dans notre groupe. Je m’occupe d’aller chercher du gibier, de cueillir des plantes et de remplir des outres d’eau fraîche pour que nous subsistions. Heureusement, les bois des Chants Éternels regorgent de magie, et je n’ai aucune difficulté à trouver des sources de mana pour assouvir nos besoins. J’aperçois tout de même parfois un déshérité au loin, et je frissonne. J’espère ne jamais finir comme lui, alors je redouble d’effort dans ma tâche. Nous sommes malgré tout nombreux, et le régime paraît bien frugal à nombre de nobles peu habitués à se serrer la ceinture. Mais la plupart sont bien trop absorbés par leur quête pour vraiment s’en rendre compte.
  Quand je ne suis pas dans les bois, je passe une partie de mon temps à approfondir mes connaissances et ma maîtrise de l’ombre. Je sais de mieux en mieux disparaître à la vue des gens, et j’en retire une grande satisfaction. Le reste du temps, je veille Faelos. Son état ne s’améliore pas. Il a parfois des moments de lucidité, et nous échangeons des paroles rassurantes, mais invariablement, il se met à délirer, et Aellina est forcée de le faire replonger dans le sommeil. Pendant ces phases de repos, il est généralement serein, bien qu’il fasse de temps à autre des cauchemars. Du moins, c’est ainsi que j’interprète ses froncements de sourcils, ses mouvements spasmodiques et ses gémissements. Quand ça lui arrive, je sens la panique monter en moi, telle une bête grouillante remontant mes entrailles. J’ai hâte qu’on puisse le soigner. Je ne veux pas perdre espoir, et je me raccroche au souvenir de son sourire.
  Nous suivons le magistère, selon les indications des notes qu’il a pu emmener avec lui. Après quelques jours de marche, le paysage change radicalement. Les arbres, jusqu’à maintenant luxuriants deviennent tortueux, et plus nous approchons, et plus je remarque la présence de pustules luisant sur leur écorce. Il fait de plus en plus sombre, et Umbric nous dit de faire attention, surtout à ceux qui s’aventurent en dehors de notre groupe. Je savais que la Troisième Guerre avait fait beaucoup de dégâts mais je ne l’avais jamais vu de mes propres yeux. Il nous rappelle que ces terres sont hantées, et que les morts-vivants n’auront qu’une envie, nous dévorer dès qu’ils nous verront.
  Je ne suis pas rassurée, mais ça sera l’occasion de me perfectionner dans l’utilisation de mes couteaux et de tester ma capacité à me fondre dans les ombres. Toutefois, nous nous éloignons toujours du campement en groupe, et jamais très loin. Les récoltes sont maigres, et la faim se fait vite sentir au sein des bannis. C’est surtout le manque de magie qui commence à peser sur les mages, même s’ils sont encore loin de craindre pour leur vie. Quant à moi, cet environnement sombre n’améliore pas mon moral. Mon meilleur ami ne va pas bien, et il devient de plus en plus difficile de le maintenir serein. J’essaye d’être optimiste mais c’est difficile. Alors, je passe en revue les visages des chevaliers de sang de l’escorte, puis pense très fort à Rommath. J’imagine le jour improbable où je les ferai payer pour leurs actes. Je suis toujours aussi choquée d’avoir vu que ces elfes gonflés d’arrogance n’ont eu aucun scrupule à envoyer certains des leurs à une mort lente pour une simple divergence d’opinion.

  Nous nous arrêtons dans une ruine que le magistère appelle le Sanctum de la Lune. Il semble plus concentré que d’habitude, et nous explique qu’il y a dans ce lieu des indices qui nous mèneront plus loin dans notre quête. Cela signifie que nous allons probablement rester ici quelques jours, ce qui nous met à tous du baume au cœur. Certes, ce n’est pas un lieu très accueillant, mais au moins, il y a des murs, parfois même des toits, et prendre le temps de nous reposer nous fera du bien. Nous trouvons une pièce abritée où nous étendons Faelos le plus confortablement possible. J’espère du fond du cœur que quelques jours sans avancer lui feront du bien. Je ne participe pas à l’étude des rémanences magiques, évidemment, mais j’essaye de suivre l’avancement des recherches des mages. Le magistère Umbric semble satisfait des expérimentations menées ici, et ne manque pas une occasion de dire du mal de Rommath et de sa vision étriquée de la magie. Je caresse l’espoir qu’il nous annonce qu’ils ont enfin obtenu ce qu’ils cherchaient mais malheureusement, le verdict finit par tomber. Nous devons reprendre la route, pour un lieu nommé le Domaine d’Andilien, où il pense pouvoir trouver des connaissances qui nous permettront de grandes avancées.
  Le voir aussi confiant tempère mon angoisse. Mes espoirs ne sont restés que des espoirs. Mon meilleur ami ne va pas mieux. Je dirais même que son état empire. Ses moments de lucidité se font de plus en plus rares, et ses cauchemars de plus en plus violents. Je n’ose pas demander à Aellina ce qu’elle en pense, j’ai trop peur de sa réponse. Le regard qu’elle pose sur lui suffit à me serrer le cœur. Je refuse d’envisager qu’il ne guérisse pas, alors je redouble d’ardeur au travail. Nous reprenons la route, et plus nous progressons dans la forêt maudite, plus je me sens oppressée. Ce n’est que l’effet du vent, ou de mon imagination, mais les arbres alentours semblent murmurer, se mettant au diapason de mon esprit chagrin.
  Je vois bien que tout le monde est inquiet pour Faelos, mais nous sommes tous impuissant. Alors que nous avançons vers notre destination, mon ami a une crise soudaine. Elle est tellement violente qu’il tombe de son brancard. Je suis incapable de retenir mon cri, et je me précipite pour l’aider. Je cherche à le calmer, mais il se débat de toutes ses forces. Ses yeux sont fermés, ses poings crispés et il marmonne des choses que je ne comprends pas. Je lui parle, mais je le sens hors d’atteinte, je n’arrive même pas à attraper sa main tellement elle bouge. Je devine la présence d’Aellina et je me demande pourquoi elle ne fait rien. Sauf que quand je la regarde, je vois bien qu’elle fait tout son possible, sans succès. Je vois des larmes perler au coin de ses yeux, et la panique me gagne. J’ai peur, je pense que je n’ai jamais eu aussi peur de toute ma vie. Je crois que je crie, que j’appelle mon ami, mon cher ami, de toutes mes forces. Pendant des secondes qui me paraissent des heures, il se contorsionne, gémit et murmure. Je lui dis que je suis là, avec lui, qu’il ne craint rien, mais j’ai l’impression qu’il ne m’entend pas. Et soudainement, tout son corps se tend, puis retombe, inerte, sur le sol. Mon premier réflexe est de saisir son visage entre mes mains. Mes larmes coulent et inondent sa figure. Je colle mon front au sien, et lui dit que je l’aime, qu’il faut qu’il tienne, que je ne peux pas vivre sans lui. Pourquoi ne m’en suis-je pas rendue compte plus tôt ? Mon corps est secoué de sanglots, et mon amour ne réagit pas.
  Des mains très douces me touchent les épaules, puis viennent délicatement me faire lâcher son visage. Je me redresse et regarde Aellina. Ses joues sont ruisselantes de larmes. J’essaye de déglutir, mais il y a comme une boule gigantesque dans ma gorge. La mage me regarde, elle cherche à me parler, mais les mots ne franchissent pas ses lèvres. Soudainement, elle me serre dans ses bras, et dans un souffle, elle me dit que c’est fini, qu’elle est désolée, tellement désolée. Au moment où je réalise ce que signifient ces mots, j’ai l’impression qu’on a ôté un partie de moi. Il y a un vide béant à la place mon cœur, et je me sens tomber dedans comme dans un abîme sans fin. Aellina me parle, je n’entends que des murmures sans signification. Et puis, plus rien.

  Quand je me réveille, je suis allongée dans une pièce abritée. Je cligne plusieurs fois des yeux, m’habituant à la pénombre, essayant de comprendre où je suis, et pourquoi j’y suis.  Au moment où je m’assieds, une elfe rentre dans la pièce et s’adresse à moi d’une voix pleine de compassion.
- Ah, tu es réveillée. Tu devrais rejoindre les autres.
  Aellina. Le souvenir de la terrible crise de Faelos resurgit dans ma mémoire, et le manque en moi se fait ressentir avec une violence telle que je me plie en deux, prise de hoquets. Non, ce ne peut pas être vrai. Il n’est pas mort, ce n’est pas possible. La mage vient me prendre par les épaules et cherche à me réconforter. Sa présence me calme un peu, et je me relève, chancelante. Nous sortons de la pièce, et je vois qu’un campement durable a été établi dans une nouvelle ruine. D’un air hagard, je regarde sans les voir les elfes à l’air grave. Beaucoup me regardent avec tristesse et compassion. Felldrin vient vers moi et me sourit doucement.
- Je suis désolé, Sythel. Nous savons tous que vous étiez très proches, Faelos et toi. Si tu as besoin de quoi que ce soit, nous sommes là.
Je lui rends son sourire avec difficulté. Je me sens perdue, sans rien à me raccrocher. Du regard je cherche le corps de mon ami. Qu’ont-ils fait de son corps ?
- Où est-il ?
Les mots ont du mal à sortir, j’ai l’impression de croasser. L’elfe m’indique l’intérieur d’une ruine, un peu à l’écart.
- Il est là-bas. Nous n’allions pas lui rendre un dernier hommage sans toi. Nous l’incinérerons ce soir.
Je le regarde en fronçant les sourcils. Il doit interpréter mon geste comme une incompréhension car il continue.
- Aucun autre rituel n’est envisageable. Personne ne veut laisser son corps à la merci des malédictions de la région.
Je hoche la tête, et me contente d’une phrase en guise de réponse.
- Je vais le voir.

  Et j’avance d’un pas décidé vers les restes du bâtiment que Felldrin m’a montré, écartant le mage d’un geste inconscient. Il me laisse passer sans rien dire, tout comme le reste du groupe. J’entends quelques sanglots, mais je ne m’arrête pas. J’entre dans la pièce qui sert de morgue provisoire et vois mon ami. La boule que j’ai dans la gorge enfle à nouveau. Il gît sur le sol, pâle, tellement pâle. Aucun mouvement ne l’agite, aucun souffle ne soulève sa poitrine. Dans un état second, je m’assieds à côté de lui, et lui prends la main. Elle est si froide. Jamais il n’a eu les mains aussi froides. Et je reste là, mes doigts crispés sur les siens, à regarder le mur en face de moi. J’aimerais profiter de ces instants pour me remémorer les bons moments, mais rien ne vient, seulement le néant. Puis quelqu’un entre et me dit qu’il est temps. Je déglutis et me lève, incapable de fixer mon regard sur quoi que ce soit, je sors rejoindre les autres en me sentant comme une marionnette animée par une force inconnue.
  Nous nous plaçons tous devant le bûcher improvisé, et la cérémonie commence. Je me laisse porter par les voix, les chants. Je suis totalement immobile. Je regarde une dernière fois le visage de celui que j’aime et qui ne l’a jamais su. La sensation de creux grandit. Des flammes entrent dans mon champs de vision, et je suis comme hypnotisée. Plus je les regarde danser, et plus le vide en moi prend de la place. Ça en devient douloureux, je souffre mais je ne bouge pas un cil. Dans le feu m’apparaissent alors des visages. Des elfes en armure rouge et or, des elfes en train de huer, d’insulter, des elfes qui méprisent les leurs. Puis des traits bien particuliers. Un elfe d’une arrogance sans limite, sur lequel je peux poser un nom. Rommath. Mes poings se crispent, mes dents se serrent. La vague de haine qui me submerge soulage la sensation de vide. Je n’ai qu’une envie, tous les retrouver, et les tuer. Leur enlever la vie comme ils ont enlevé tout ce qui faisait la mienne. Je souffre, et je sais que c’est cette souffrance qui me donnera la force de continuer. Je l’avais promis à Faelos : ils paieront.
  Les flammes deviennent braises, et les braises cendres. Ça fait longtemps que les elfes du groupe se sont éloignés du bûcher funéraire quand je reprends conscience du temps qui passe, et de la réalité. Mes projets concernant ces monstres de Lune d’Argent nécessitent que je devienne encore plus douée que les meilleurs agents de Zelanis. Pour cela, il faut que je franchisse un pas de plus dans l’utilisation des talents que le Vide peut m’offrir. Je vais m’entretenir avec les mages, afin qu’ils m’enseignent comment améliorer ma maîtrise des ombres. La plupart sont plongés dans les recherches dirigées par Umbric, mais je trouve assez vite des personnes prêtes à m’enseigner des techniques plus approfondies. La mort de mon ami a ébranlé tout le monde, et je ne suis pas la seule chez qui le ressentiment pour les habitants de Lune d’Argent a grandi.

  La découverte de l’étape suivante par le magistère prend quelques jours, que je mets à profit pour me perfectionner, décimant la faune locale. Je ne me cache même pas derrière l’excuse de la purification de ces êtres corrompus, je sais que je ne veux qu’améliorer mes compétences d’assassin. Avant, je me hérissais à l’idée de tuer, aujourd’hui, je ne m’embarrasse plus de telles considérations. Quand je reviens au campement, je vois tout de même un soupçon de reproche dans les yeux d’Aellina, mais je ne m’en préoccupe pas. Nous repartons vers notre but, qui est proche, selon notre guide. La fameuse chose qu’il recherchait depuis tout ce temps, une faille, serait à la Flèche d’Aubétoile, à quelques jours de marche d’ici. J’ai hâte d’y être. Tout ce qui pourra me rendre plus forte est bon à prendre. Je continue à m’entraîner pendant le trajet, que ce soit en discutant de la théorie avec les érudits, ou en affinant ma pratique aux dépends du gibier environnant.
  Un soir, au bivouac, alors que le sommeil gagne peu à peu les membres de notre groupe, je suis assise près du feu, jouant machinalement avec de vieux papier sur lesquels j’avais pris des notes et qui traînaient dans ma besace. Je les plie, les déplie, et teste ma dextérité en réalisant des formes de plus en plus complexes, de plus en plus vite. Je remarque à peine qu’Aellina et Felldrin ont cessé de parler pour me regarder faire.
- Sythel ?
J’arrête mes pliages, et je secoue doucement la tête de gauche à droite. Ma voix est calme, posée, implacable.
- Il n’y a plus de Sythel. Elle a disparu. Ce qui reste ne peut plus répondre à ce nom.
Je fais tourner un oiseau en papier entre mes doigts. Le nom de cet art ancestral, ramené par un de ces mystérieux pandarens errants, il y a si longtemps, me revient. Je le trouve approprié. Je lève les yeux vers les deux elfes en face de moi.
- Il ne reste qu’Origami, capable de se plier à tout pour atteindre son but.
Aellina semble peinée, mais renonce finalement à me dire ce qu’elle avait sur le cœur. Je vois que Felldrin a posé la main sur son bras, comme pour la réconforter. Je m’adoucis un peu, ces gens ont toujours été avec moi ces dernières semaines, je n’ai aucune raison de les rejeter.
- Ne vous inquiétez pas pour moi, s’il vous plaît. Je m’en sortirai et vous devez prendre soin de vous. La faille est proche, il sera bientôt l’heure de rentrer triomphants à Lune d’Argent.
  Je suis sûre qu’ils ne sont pas dupes, mais ils feignent de croire que cette victoire m’importe autant qu’à eux. Nous discutons encore quelques temps de ce que nous allons trouver, et de comment nous profiterons de ce nouveau pouvoir pour protéger la cité et améliorer la vie de notre peuple. Puis nous finissons par céder au sommeil et allons nous coucher.

  Nous marchons encore quelques jours dans la forêt hostile. Je passe beaucoup de temps à chasser. Les murmures du vent dans les arbres sont de plus en plus entêtants, mais j’arrive à les ignorer. Ils passent à travers moi sans que j’y fasse attention, tant je suis concentrée sur mon apprentissage. Et puis un matin, nous arrivons dans une vaste clairière au centre de laquelle se dresse une tour majestueuse. Nous sommes enfin à la Flèche d’Aubétoile. Le magistère Umbric est au comble de l’excitation, parle de grandeur, de puissance. Il touche à son but, et son enthousiasme est contagieux. Nous allons enfin obtenir ce pourquoi nous errons depuis tout ce temps. La promesse qui nous a été faite est là, à notre portée.
  Je suis avide de cette puissance, j’en ai besoin pour être capable de mener ma tâche à bien. Je regarde faire les mages alors qu’ils cherchent le passage. Quand l’un d’eux pousse un cri de triomphe, j’accours. Ils se mettent à plusieurs pour faire apparaître une sorte de portail violacé. L’effort qu’ils fournissent est grand, mais ça en vaut la peine. Je regarde mes compagnons de route, et vois leurs visages exaltés. Certains montrent pourtant quelques signes de peur. Il faut dire que la force inconnue qui émane de cette faille a de quoi faire dresser les cheveux sur la tête. Malgré son sourire, je vois bien qu’Aellina se tord les mains. Si seulement elle avait eu accès à ce pouvoir pour soigner Faelos. Avant de nous permettre de traverser, Umbric nous fait ses dernières recommandations. De ne pas avoir peur, et surtout, de ne pas se laisser submerger par ce que nous pourrions entendre. Il nous met en garde sur la capacité du Vide à nous tromper, et nous rappelle que nous sommes là pour absorber sa puissance, et non lui obéir.1
  Nous traversons le portail à la suite du magistère, et nous nous retrouvons sur un autre monde. Tout est sombre, la lumière, dorée chez nous, est ici d’un mauve foncé, et je sens un frisson remonter le long de ma colonne vertébrale. Mais les mages sont déjà affairés, car pas très loin de là se trouve une sorte de boite en lévitation. Elle luit elle aussi de cet éclat mauve, et je me demande si c’est l’objet qu’ils cherchaient depuis tout ce temps. Il faut croire que oui, car Umbric nous dit de nous tenir prêts. Il va ouvrir la boite, et libérer son pouvoir pour que nous l’absorbions. Je suis un peu crispée, mais je suis prête. Depuis des jours j’ai soif de cette puissance, il est normal d’avoir le trac au moment crucial, non ?

  Ce qui m’arrive alors est abominable. Au moment où le pouvoir est libéré, je puise dedans. Tout d’abord, je sens la force couler dans mes veines, et nourrir mon besoin de vengeance. Pour la première fois depuis des jours, je me sens bien, entière. Mais très vite, je suis envahie par une sorte de cri. Mais un cri tangible, qui s’insinue dans tout mon corps. J’entends des voix qui hurlent, des gémissements de douleur, des cris de souffrance. Et au travers de tout ça, des murmures, des murmures incessants. Je veux me plaquer les mains sur les oreilles pour que ce bruit cesse mais je ne sais même pas si je suis capable de bouger. Je lutte de toute mon âme pour repousser les voix. Je n’ai plus aucune notion du temps, je sais seulement que si elles me submergent, je sombrerai, et jamais je ne pourrai venger Faelos. Alors je me bats, je me repasse les visages des elfes que j’ai promis de tuer pour raffermir ma détermination. C’est efficace, mais mon esprit finit par s’épuiser. J’atteins mes dernières forces quand soudain, les voix se taisent. Brutalement, je sens que je tombe au sol. La douleur physique me fait étrangement du bien. Depuis que la boite avait été ouverte, j’avais perdu tout contact avec mon corps, et je suis incapable de dire combien de temps ça avait duré.
  Je suis exténuée. Je reste prostrée au sol, à tenter de retrouver mon souffle. Puis j’entends des voix, non plus des murmures, mais une voix féminine, qui discute avec quelqu’un dont la voix m’est familière, mais pourtant différente. J’ouvre les yeux et me redresse. Umbric parle avec une haute-elfe, mais je ne sais pas si la lumière de cet endroit me joue des tours, car le magistère a la peau violacée. Alors que je reprends mes esprits, je vois que la plupart des bannis font de même. Et comme le magistère, leur teint a changé. Je regarde mes bras et comme j’aurais dû m’y attendre, ma carnation n’est plus la même, mes cheveux ne sont plus de ce châtain clair qui dorait au soleil, mais d’un bleu-violet profond. Mon attention se reporte sur Umbric et l’elfe qui l’accompagne. Il a attendu que nous ayons tous repris connaissance pour prendre la parole.
- Mes amis, tout d’abord laissez-moi vous présenter Alleria Coursevent, dont vous avez certainement déjà entendu le nom.
  Effectivement, je suis étonnée de me retrouver en si célèbre compagnie, et les hoquets de surprise autour de moi indiquent que je ne suis pas la seule. Je reste coite et écoute la suite du discours.
- Je tiens à m’excuser auprès de vous, j’étais certain d’être capable de maîtriser ce pouvoir mais sans son intervention, nous serions tous aujourd’hui soit morts, soit des pions au service des Puissances du Vide. Dame Coursevent sait contrôler cette force, et elle accepte de nous enseigner comment.
Il laisse alors la parole à l’elfe. Je suis encore sous le choc de ce que mon esprit a subi, écouter monopolise toute mon énergie.
- Oui, je peux vous apprendre à faire taire les murmures. À faire en sorte que les ombres vous servent, plutôt que ce soit vous qui les serviez. Ça demandera des efforts, et de la discipline, mais si vous êtes arrivés jusqu’ici, c’est que vous en êtes capables.
Le magistère reprend la parole, du ton déterminé de celui qui a pris une décision importante.
- Lune d’Argent nous a tourné le dos. Aujourd’hui, nous avons vécu une nouvelle naissance, il est donc temps pour nous de suivre un nouveau chemin. Il est temps de donner notre loyauté à Alleria, et donc… à l’Alliance.

  Cette annonce me laisse de marbre. Peut importe l’Alliance, ou la Horde, tant que je peux mener ma tâche à bien. J’éprouve mon nouveau pouvoir au bout de mes doigts. Je sens une nouvelle puissance couler dans mes veines, mais quand je la sollicite, j’entends comme des murmures dans les recoins de ma tête. Bien, je vois où est le danger, j’apprendrai à fermer mon esprit pour tirer un maximum de bénéfices de cette énergie. Je parcours les autres du regard. Je me rends compte que nous sommes moins nombreux que lorsque nous sommes entrés dans la faille. Une partie d’entre nous n’a pas résisté, et ce constat ravive ma souffrance. Cette douleur est mon moteur, et si une larme coule sur mes joues quand je me rends compte qu’Aellina est au nombre des disparus, ce n’est qu’une pierre de plus qui s’ajoute au mur de ma détermination.
  L’apprentissage et la maîtrise de notre nouveau don nous prennent quelques semaines, mais enfin, les murmures ne me perturbent plus. Les rares fois où je les entends, je ne les écoute pas. Le jeu en valait la chandelle, je ne me suis jamais sentie aussi forte, aussi puissante. Alleria nous dit alors qu’il est temps d’aller à Hurlevent, pour prêter allégeance au roi des humains, et de fait, à l’Alliance. S’il faut en passer par là pour être libre d’arpenter Azeroth, ma foi, pourquoi pas. Elle ouvre un portail, et nous nous retrouvons devant une petite maison entourée de verdure. Je suis distraitement la cérémonie un peu pompeuse pendant laquelle Umbric se plie servilement devant les dirigeants de l’Alliance. Il faut reconnaître une chose, son échec à maîtriser seul le Vide l’a rendu moins arrogant.
  Une fois nos serments faits, nous sommes libres d’aller dans la ville comme n’importe lequel de ses citoyens. Je me dirige vers l’ouest, et me retrouve en haut d’une falaise qui surplombe le port. L’air marin gonfle mes poumons, et le vent fait voler mes cheveux. Je regarde l’horizon, ma tâche ne fait que commencer, et j’ai hâte de m’y mettre.

  Adieu, Sin’doreis. J’ai une promesse à tenir.

   1 NdlA : j'ai pris quelques libertés avec le scénario en jeu de recrutement des elfes du vide. De toute façon, tout le monde sait que d'un point de vue lore, les elfes du vide ne sont qu'une grosse blagounette de Blibli, donc ça n'a pas vraiment d'importance, non ?
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Doutchboune le lundi 16 mars 2020, 15:00:22
Ce texte a pour vocation, au sein de mon groupe RP, de faire un rappel sur une menace qui plane sur mon personnage, et qui avait été résolue il y a déjà un bout de temps, mais qui, semble-t-il peut rebondir à tout moment.

Pendant ce temps

   La pièce était sombre, mais un peu partout étaient disposés comme négligemment des cubes desquels émanait une lueur violette. La seule véritable source de lumière provenait d’un étrange dispositif en anneau, qui crépitait d’énergie arcanique, du moins, c’est ce que supposait l’homme qui venait d’entrer dans la salle. Avec le temps, il s’était habitué à l’atmosphère de cet endroit, mais les premières fois, il avait senti tous les poils de son corps se hérisser. Il avança d’un pas sûr jusque devant le grand portail, et attendit en silence que la communication s’établisse. Il connaissait assez bien son employeur pour savoir qu’il n’avait pas intérêt à montrer la moindre faiblesse, aussi resta-t-il de marbre quand l’énergie afflua dans le dispositif et qu’une image holographique de son interlocuteur apparut. Ce dernier prit la parole avec une voix dont les échos semblaient se perdre dans le lointain.

- Bonsoir, cher collaborateur. Quelles sont les nouvelles pour que vous demandiez une entrevue avant la date prévue ? Mon temps est précieux, faites vite.
   L’homme se racla la gorge, et mit toute l’assurance dont il était capable dans sa réponse, même s’il savait qu’elle déplairait.
- Bonsoir, Prince-Nexus. Il s’est passé énormément de choses depuis notre dernier entretien, et je crains que ce rapport soit plus complexe que les précédents. Je serai bref, néanmoins.
   Il inspira, remettant ses pensées en ordre. Il s’était préparé, mais un faux-pas pouvait toujours arriver.
- Lors de notre dernière rencontre, je vous signalais que l’individu sous surveillance était en préparatif de déménagement. Comme toujours avec cette personne, la surveillance est très délicate, d’autant plus avec les événements politiques qui sont survenus sur notre planète. J’ai pu assez facilement tracer ses mouvements et suivre son ordre qui est parti s’installer dans le Nord du continent, même s’il est devenu très délicat d’installer un mouchard dans leur nouveau bastion. La sécurité au sein du groupe a fortement augmenté, en réponse à leur installation dans un milieu hostile, mais j’ai pu suivre de loin notre sujet, comme convenu.

   Il marqua une légère pause. Son interlocuteur restait de marbre, si tant est qu’on puisse suivre les expressions d’un être fait d’énergie.
- Il y a eu quelques complications lorsque le sujet a participé à la bataille pour la reprise de Lordaeron, j’ai craint de le perdre, mais il s’en est sorti. En revanche, conséquence de cet acte de guerre, le sujet a ensuite passé beaucoup de temps hors de son bastion, et j’ai dû le faire suivre par des moyens plus traditionnels, ce qui s’est avéré difficile tant le groupe était sur ses gardes. Je n’ai cependant pas remarqué de comportement suspect pendant cette période. La seule véritable chose dérangeante a été le rapprochement de notre sujet avec un individu capable de détecter notre mouchard avec plus d’aisance que la plupart des autres, et notre incapacité à limiter ce rapprochement.
   L’image du Prince-Nexus sembla froncer les sourcils ou l’équivalent. Mais il resta coi, attendant la fin du rapport. L’homme face à lui luttait pour garder contenance. Il espérait que l’odeur de transpiration qui émanait de lui n’était pas transmise par la projection.
- J’ai reprogrammé le mouchard de leur bastion pour qu’il reste à plus grande distance qu’avant, afin d’éviter tout risque, entrainant malheureusement une perte d’information que j’ai estimée moins grave que de se faire découvrir. J’ai donc compris trop tard que leur ordre partait en camp d’entrainement dans la nature, dans une des îles de l’archipel où ils avaient séjourné auparavant. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé pendant cette quinzaine de jours, mes efforts de recherche pour les retrouver ayant été vains.
   Il ne put s’empêcher de parler plus vite, malgré ses efforts pour se calmer. Il sentait la sueur perler sur son front. Le pire était encore à rapporter.
- Heureusement, le sujet est revenu à son bastion, certes blessé mais en vie. Il semblerait néanmoins qu’il ait profité de ce temps hors de vue pour encore plus se rapprocher de l’individu problématique. J’ai craint un moment qu’il apprenne à repérer lui-même le Vide et les Ombres, mais il ne semble pas enclin à suivre cette voie, en tout cas pour le moment. Mais ce n’est pas pour cette raison que j’ai tenu à vous faire mon rapport en avance, Prince-Nexus. Le véritable problème, c’est que j’ai perdu contact avec le mouchard.

   L’image de l’étherien se raidit, on pouvait sentir une certaine tension monter dans la pièce. L’homme s’empêcha de regarder vers les cubes violets, et resta droit pour terminer son rapport.
- Il y a eu un événement étrange, après quelques jours où tout le personnel du bastion semblait anormalement sur les nerfs. J’ai subitement perdu le contact, mais j’ai eu le temps de percevoir comme une puissante poussée ténébreuse juste avant la coupure. Il se peut que quelque chose ait surpassé notre contrôle sur la créature. J’ai pensé que vous deviez être prévenu le plus vite possible.
   Il se tut, attendant droit comme un i, les mains dans le dos, la réaction de son employeur. Celui-ci semblait plongé dans une grande réflexion. Il prit finalement la parole, après quelques minutes de silence.
- Oui, vous avez bien fait de me prévenir. Il se passe bien des choses sur Azeroth à l’heure actuelle, mais je suis surpris que des répercussions aient eu lieu en cet endroit éloigné.
   L’homme fut soulagé d’apprendre qu’il n’avait pas dérangé son employeur pour rien, et sut ne montrer aucune réaction quant aux connaissances qu’il pouvait avoir des événements survenus sur la planète.
- Je compte sur votre ingéniosité, mais il faut que nous gardions impérativement un œil sur le sujet. Puisqu’il est exclu de faire usage d’un nouveau mouchard pour le moment, je laisse libre cours à vos compétences pour la mise en place de la surveillance. Si un nouvel événement de même ampleur devait se reproduire, contactez-moi immédiatement.
- Oui, Prince-Nexus.

   L’homme salua l’image, qui disparut sans attendre. Il se détendit, et sentit le bout de ses mains trembler. Les choses s’étaient plutôt bien passées, il s’était attendu à pire. Du moins, jusqu’à la sentence finale. Il resta là, plongé dans ses pensées. Il fallait trouver un moyen d’espionner le sujet, sans se faire remarquer, mais il avait l’impression que cela dépassait ses compétences. Néanmoins, il était inconcevable qu’il n’obéisse pas à son employeur. Petit à petit, une idée audacieuse germa dans son esprit.
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Doutchboune le samedi 13 juin 2020, 11:49:20
A ceux qui auraient voulu lire un nouveau texte, ne soyez pas trop déçus. Mon inspiration étant au point mort, je n'ai rien écrit de nouveau. Par contre j'ai eu envie d'écrire, et du coup, j'ai décidé de retravailler un des textes que j'ai déjà posté ici. Je laisse l'ancienne version plus haut, parce que ça ferait moche d'avoir un post vide en plein milieu...

Bref, j'ai réécrit des passages du texte intitulé Une nuit, pour le rendre plus fluide, principalement. Il est encore loin d'être parfait, mais je le préfère comme ça. Il reste assez explicite dans son implicite, mais comme avant, c'est ultra soft par rapport à une fic yaoi de Krys.
En fait, certaines choses sont compliquées pour moi, car même si j'ai une situation et des personnages bien précis en tête, je veux que ce texte reste libre quand à l'interprétation de son contexte. Mais du coup, ça me bloque un peu dans certaines descriptions (par exemple, dans mon histoire perso, l'homme est borgne, ce qui empêche pas mal de tournures de phrases de description de regards plus génériques : je ne peux pas dire "ses yeux").

Une nuit (v2)

   Elle attendait dans sa chambre, fébrile. Elle portait une simple robe blanche en laine, confortable et rassurante, mais la douceur du tissu ne suffisait pas à diminuer son anxiété. Immanquablement, ses ongles rejoignaient ses dents, puis les quittaient quand elle recommençait à se tordre les mains nerveusement. Avait-elle fait le bon choix ? Avait-elle eu raison de céder à ce désir qui couvait en elle depuis de longs mois, maintenant ? La sensation de chaleur qui envahissait son corps lui clamait que oui, et qu’elle n’avait que trop tardé, mais quelque part, son puissant sens des réalités lui lançait des reproches constants. Les conséquences allaient être ingérables, les retombées, si quelqu’un apprenait ce qui allait se passer ici ce soir, seraient probablement catastrophiques, pour elle et surtout pour son image.
   Il n’était pas trop tard pour reculer. Elle pouvait ne pas ouvrir la porte, feignant le sommeil. Elle pouvait avancer un malentendu pour renvoyer son invité poliment, mais là aussi, elle craignait les conséquences, dans ce cas, beaucoup plus personnelles. Certes, pas de problème d’autorité, pas de bruits de couloir et autres ragots, mais ça aurait signifié mettre un terme à cette relation piquante qui épiçait ses journées, l’abandon de cette occasion d’enfin remplir une partie du vide affectif qui la rongeait depuis tant de temps. Et plus prosaïquement, elle ne voyait pas comment elle pourrait gérer la frustration que le rejet de son désir immédiat engendrerait. Malgré la peur, malgré les doutes, tout son corps brûlait et palpitait d’envie longtemps inassouvie, et elle était en proie à cette sensation quand on frappa doucement à la porte.
   Elle sursauta, et la panique refit surface, mais ce fut d’une voix douce qu’elle invita la personne derrière le battant à entrer. Elle sentait son cœur accélérer au fur et à mesure que la porte s’ouvrait doucement, et qu’il apparaissait. Il entra dans la chambre sans un mot, mais avec un sourire charmeur, qu’elle trouva un brin crispé. Il était toujours aussi beau. D’aussi loin qu’elle se souvenait, elle l’avait toujours trouvé agréable à regarder, mais elle n’avait jamais imaginé, jusqu’à peu, qu’elle souhaiterait aller plus loin que contempler son avantageuse anatomie. Cette pensée lui arracha un sourire, et elle leva les yeux vers son visage. Il venait de se tourner vers elle après avoir refermé la porte en silence. Leurs regards se croisèrent au moment où elle entrouvrait la bouche, hésitant à parler de peur que les mots viennent gâcher cette entrevue. Ses lèvres se refermèrent aussitôt. Elle vit chez lui un désir au moins égal au sien, mais également une étincelle de crainte, de retenue, qui la surprit chez cet homme habituellement si sûr de lui. Il y eut quelques secondes où le temps fut suspendu, puis il tendit la main et vint caresser sa joue, s’attardant sur la ligne de son menton. Irrésistiblement, leurs lèvres se rapprochèrent, et au moment où elles se rejoignirent, ce fut comme si les digues d’un barrage avaient cédé.

   Sans retenue, elle jeta ses bras autour du cou de celui qu’elle avait tant désiré, projetant son corps contre le sien. Ses doigts s’enfoncèrent dans ses cheveux, serrant plus intimement sa bouche contre la sienne. Les mains de l’homme vinrent se plaquer contre le dos de la jeune femme, l’étreignant avec force et passion. Leur baiser dura longtemps, laissant à leurs doigts le temps de découvrir le corps de l’autre. Elle explora les lignes de son dos, caressant chaque muscle de ses mains douces. Il parcourut ses courbes, dessinant les arrondis de ses hanches, de sa taille, de sa poitrine. Par leurs gestes exploratoires, ils défirent progressivement les liens de leurs vêtements, leurs mains glissèrent par-dessous les couches de tissu, et quand leurs peaux entrèrent en contact, leur excitation monta d’un cran.
   Leurs bouches se séparèrent, un instant, le temps pour leurs yeux de se rencontrer à nouveau. Ils ne montraient plus aucune crainte, plus aucun doute, seulement la flamme ardente d’un désir qui ne demandait qu’à être consumé. Sans la quitter des yeux, il la prit délicatement dans ses bras, la menant jusque sur le lit, non loin de là. Elle se laissa porter, son regard rivé dans celui de l’homme, les bras entourant délicatement son cou. Il l’allongea avec douceur et, une fois étendue sur les draps, elle entreprit de lui ôter ses vêtements alors qu’il caressait sa jambe d’une main délicate, depuis sa cheville jusqu’en haut de sa cuisse, soulevant sa robe par la même occasion. Puis, comme si le calme et la douceur avait trop durés, elle passa le bras derrière son cou, le plaqua contre elle, et l’embrassa langoureusement en lui mordillant les lèvres. La réponse ne se fit pas attendre. Il glissa ses mains le long de son corps, le dévoilant au fur et à mesure que la robe remontait. Leurs bouches se séparèrent le temps de laisser passer le vêtement, mais se retrouvèrent très vite. Totalement dévêtus, enlacés sur le lit, ils laissèrent libre cours à leurs envies si longtemps réfrénées et ce n’est que tard dans la nuit qu’ils s’assoupirent, l’un contre l’autre, épuisés mais heureux, flottants dans une bulle de félicité.

   Elle se réveilla en sursaut, et un coup d’œil par la fenêtre lui apprit que la nuit était bien avancée. La lune était basse dans le ciel, et inondait la chambre de sa lumière pâle. La jeune femme se mit assise contre la tête du lit, les bras autour des genoux. Son regard se posa sur l’homme à ses côtés, et elle sourit doucement. Elle savait que rien au monde ne lui ferait regretter cette nuit, même si le spectre des conséquences se faisait de plus en plus tangible. Là, maintenant, elle se disait qu’elle devait le réveiller, pour qu’il ait le temps de partir rejoindre ses appartements sans que personne ne puisse soupçonner qu’il avait passé la nuit avec elle, mais le voir dormir sereinement l’en empêchait. Elle qui aurait parié qu’il aurait profité de son sommeil pour partir sans bruit, elle était agréablement surprise de s’être trompée. D’un geste tendre, elle écarta une mèche de cheveux de son front, ce qui le fit frémir.
   Elle soupira. Les choses allaient être plus compliquées maintenant. Elle ne savait même pas ce qu’elle souhaitait réellement. Était-ce seulement l’assouvissement d’un désir ? La connivence de deux adultes enclins à passer du bon temps ensemble ? Y avait-il quelque chose de plus concret entre eux ? Désirait-elle aller plus loin ? Ce n’était pour le moment pas envisageable, pas dans leur situation professionnelle actuelle. Pour le moment, pour le reste du monde, rien ne s’était passé cette nuit et personne ne devait en douter. Elle hésita à le réveiller pour lui demander son avis sur la question, mais se ravisa. Ce n’était peut-être pas le plus sage, ou le plus avisé, mais elle ferait comme ils avaient toujours fait, s’observer et n’agir que quand ils atteignaient un point de rupture.
   Elle jeta un dernier regard à la fenêtre. La lune avait plongé vers l’horizon. D’un geste doux, elle réveilla son amant.
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Doutchboune le dimanche 05 juillet 2020, 16:07:47
Voili-voilou,j 'arrive avec un nouveau texte. Pour le coup, il s'agit de la novélisation d'une soirée de roleplay avec un compagnon de guilde de WoW. J'ai repris les dialogues qu'on avait eus et j'en ai fait ce texte. Je le posterai en plusieurs fois, car il est un peu long.

La Fête du Feu
partie 1

   Elle venait de laisser Savera partir vers la Cathédrale, et se tourna vers les canaux. Tant de souvenirs lui revenaient en tête. Certains de son adolescence, quand elle suivait ses cours auprès de l’Eglise de la Lumière, d’autres plus récents, lors de ses visites en ville quand elle habitait encore à la Garnison du Ruisseau de l’ouest. Ses pas résonnaient à peine sur les pavés, et la chaleur de cette douce soirée d’été était propice à la flânerie. Elle arpenta les rues comme au hasard, mais reproduisant machinalement d’anciens trajets maintes fois parcourus. Elle profitait de ces quelques heures de civilisation qui lui restaient avant de repartir pour le Nord, et leur fort militaire des Maleterres.

   Pour rien au monde elle ne voulait quitter sa position d’officier au sein de son ordre, et abandonner la cause qui était si chère à son cœur, malgré tout, elle reconnaissait aimer cette ville du Sud, si agréable à vivre. Elle déambulait au bord de l’eau, et plus elle s’éloignait du quartier de la Cathédrale, plus le monde emplissait les rues. Sortant de ses rêveries, elle tendit l’oreille, et lui parvinrent les bruits de la fête. Elle sourit. Quoi de mieux que des festivités pour profiter de cette soirée ? Et puis, quelque part au fond d’elle, une petite voix lui rappelait que le médecin leur avait dit qu’il irait y faire un tour. Sans s’en rendre compte, elle pressa un peu le pas, attirée par la musique et les lumières comme un papillon par une lanterne. La foule devenait de plus en plus dense, et elle dut jouer des épaules pour atteindre le premier rang des spectateurs.

   Sur la place, des saltimbanques tenaient un concert, au milieu de nombreux flambeaux, et juste devant l’énorme bûcher symbole de la Fête du Feu, celle qui célébrait une semaine durant le solstice et le passage à l’été. Emportée par le rythme, elle souriait, les pieds marquant la cadence sur les pavés. Elle balaya la foule du regard et vit Solÿn, mais elle préféra ne pas aller le déranger. La chanson venait de se terminer, et le passé de barde de leur médecin le rattrapa, d’une certaine manière. D’un pas confiant, il s’était approché de la troupe, et serrait les mains des artistes, visiblement d’anciennes connaissances. Elle se détourna du groupe de saltimbanques quand des gens commencèrent à entamer un jeu avec des flammes juste à côté d’elle. Elle s’écarta de quelques pas, et regarda les lumières danser tandis que les joueurs lançaient les torches dans les réceptacles prévus à cet effet.

   - Dame Hamar, je ne vous avais pas vue.
   Elle sursauta. A côté d’elle se tenait l’homme qu’elle avait repéré quelques minutes plus tôt. Perdue dans la contemplation des flammes, elle ne l’avait pas entendu arriver.

   - Votre promenade le long des canaux est déjà terminée ?

   Elle sourit à l’ancien barde. N’était-elle pas venue ici dans l’intention de le trouver ?

   - Eh bien, j’ai fait un long tour, tranquillement, et finalement, les bruits de la fête m’ont attirée. Ça change de voir toute cette foule, dit-elle en balayant du regard les gens attroupés sur la place.
   - Effectivement, je goûte le moment, répondit-il alors que la musique reprenait sur un morceau gai et dansant.

   Le rythme était entrainant, elle se laissa aller à balancer les épaules et marquer le tempo du pied. A côté d’elle, Solÿn avait un air nostalgique, l’œil dans le vague. Il reprit la parole, sur un ton qui confirmait son attitude.

   - Je ne pensais pas que cette ville me manquerait autant.

   Cette phrase fit étrangement écho aux pensées que la jeune femme avait eues le long des quais. D’une voix douce, elle dit :
   - Moi non plus. A moins que ce ne soit seulement la civilisation. Mais, il est vrai que j’ai passé de bons moments ici, et de moins bons aussi. (Elle soupira) J’y ai passé du temps.
   - Nous nous sommes peut-être croisés à l’époque sans le savoir, avança-t-il.

   Elle se tourna légèrement vers lui, et le regarda en coin, en souriant. Il était plus âgé, mais comme elle, la Troisième Guerre l’avait amené à quitter les Royaumes du Nord pour rejoindre cette agréable cité du Sud. A l’époque, elle était encore une enfant vivant avec ses parents. Dans l’impossibilité de retourner aux environs d’Andorhal après les ravages de la guerre, ils s’établirent à Comté-du-Lac, à quelques lieues de la capitale, le village d’origine de son père. Mais très vite, ce dernier, persuadé qu’elle avait un don avec la Lumière, l’avait envoyée faire ses études à la Cathédrale de Hurlevent, et elle avait alors découvert cette charmante cité.

   - Je ne sais pas, répondit-elle, vous trainiez souvent dans les coins de la Cathédrale ?
   Il haussa les épaules d’un geste désinvolte.
   - J’ai écumé chaque quartier en long et en large et j’ai dû me rendre à la Cathédrale plusieurs fois pour mes classes, dit-il d’une voix chargée de souvenirs.
   - J’y ai étudié moi aussi, dit-elle, il serait étonnant qu’on ne se soit pas rencontrés au détour d’un couloir, un jour.
   - C’est possible, je ne faisais pas trop attention aux petites filles, à l’époque. Et d’autant moins que mes classes n’étaient pas mixtes. De plus, le Frère Anton sortait volontiers son martinet si nous louchions de trop du côté des filles, ajouta-t-il en souriant.
   - Oui, c’est vrai, vous deviez évoluer à des niveaux supérieurs au miens, admit-elle. Et puis, à cause de la mort de ma mère, je n’étais plus en ville à cet âge critique où on commence à s’intéresser aux relations plus intimes. J’étais retournée à Comté-du-Lac, où il n’y avait pas de prêtre pour veiller à la non-mixité des échanges.

   La jeune femme eut un sourire nostalgique alors que la vision fugace des greniers à foin du village où elle avait passé son adolescence s’imposa dans son esprit. Sa vie était bien moins compliquée à cette époque. Comme en écho à ce souvenir fugitif, Solÿn lui dit :
   - La vie devait être plus simple, à Comté-du-Lac.
   Les images du souvenir planaient encore dans la tête d’Adelheidy, et c’est spontanément qu’elle énuméra son ancien quotidien.
   - La boutique, les copains, les plantes… et les gnolls, oui ! acheva-t-elle dans un sourire.
   - Et les cochons ? demanda-t-il.

   Les cochons… oui, elle se souvenait maintenant des porcs se promenant en liberté aux alentours du village. De braves bêtes placides auxquelles on ne faisait vite plus attention. Contrairement à la harde de l’ancienne garnison. Elle sourit à l’homme à côté d’elle, le regardant droit dans son œil encore valide.

   - Les cochons aussi, oui, dit-elle d’une voix enjouée. Mais ils étaient moins dangereux que ceux notre ancien enclos. J’en tremble encore, rien que d’y penser !
   - Je me doute, s’exclama-t-il en lui rendant son sourire. Un jour, nous saurons ce que dame Frérindis leur fait dès le plus jeune âge pour qu’ils soient si terrifiants.
   - Oh non, dit-elle en écarquillant les yeux, simulant l’effroi. Je ne veux plus rien savoir de ces bêtes maintenant que nous nous en sommes débarrassés.

   Elle était totalement plongée dans l’ambiance festive qui régnait dans la cité, entraînée par le rythme de la musique, peut-être aussi légèrement détendue par le porto qu’elle avait bu à l’auberge. Spontanément, mimant la terreur qu’elle ressentait face aux suidés, elle serra l’avant-bras de Solÿn, qui ne fit rien pour l’en empêcher. Lui aussi se laissait porter par l’ivresse des festivités, et la jeune femme, après avoir desserré son étreinte, laissa sa main posée là où elle était. Ce n’était pas vraiment sage, mais elle se laissa aller à ses envies, laissant de côté implications et conséquences.

   - Qui sait, vu la ténacité de leur éleveuse, elle viendra peut-être nous rendre visite un de ces jours, avança-t-il.
   - Je ne sais pas ce que je redoute le plus, ajouta-t-elle en se mordant la lèvre, elle, ou ses bêtes…
   - Et pourtant, les cochons ne peuvent pas vous tirer dessus au fusil, rétorqua-t-il.

   Le souvenir cuisant de la balle qu’elle s’était prise quelques jours plus tôt refit surface. Elle grimaça avant de sourire à nouveau, le médecin avait soigné la plaie avec professionnalisme, même si le choix qu’elle avait fait de boire sa gnôle pour atténuer la douleur de l’intervention n’avait peut-être pas été judicieux… Mais entre ça et avoir mal… En tout cas, les brumes de l’alcool avaient joué leur rôle dans la conversation qu’ils eurent ensuite, et elle en était ressortie avec de nouvelles interrogations quant à la façon dont elle envisageait sa relation avec lui. Cependant, pour ce soir, elle avait décidé d’abandonner les soucis et impératifs de sa position hiérarchique.

   - Vous avez peut-être raison, dit-elle en plissant légèrement les yeux. Se faire tirer dessus au fusil, c’est vraiment désagréable.
   Elle marqua une petite pause, levant un doigt comme pour interrompre son interlocuteur avant même qu’il ne parle.
   - Et non. Je ne veux pas me faire blesser à nouveau pour pouvoir vous voir à l’infirmerie ! s’exclama-t-elle, amusée.
   - Quelqu’un de plus retors que moi pourrait le penser, pourtant, rétorqua-t-il.
   - Avouez que c’est ce que vous vouliez dire !
   - Moi ? Je suis l’innocence même, dit-il en posant une main sur sa poitrine et en la regardant avec un air excessivement étonné.

   Elle leva les yeux au ciel, exagérant volontairement le geste. Ce petit jeu théâtral durait depuis longtemps entre eux, et elle y prenait encore plus plaisir ce soir, profitant de cette soirée hors de leur cadre habituel pour le pousser un peu plus loin. Il la regarda en souriant, et continua :
   - Mais je constate simplement que je vous y croise beaucoup. Ça doit être la preuve que je fais du bon travail : vous ne vous en plaignez jamais.
   - J’avoue, en tant que médecin, je n’ai aucun reproche à vous faire. A part, peut-être, le choix de votre anti-douleur, ajouta-t-elle après un court silence.
   - Je le reconnais, admit-il, j’ai tendance à faire mon travail avec ce que j’ai sous la main.

   Sur la scène, le groupe de saltimbanques acheva le morceau qu’il était en train de jouer, et enchaîna sur une musique plus douce. Solÿn se tourna alors vers le grand bûcher, phare lumineux sur la place, avec un air pensif. Adelheidy continua de regarder son visage à la lueur des flammes, s’attardant sur ses traits de bel hidalgo.

   - Parce que vous avez toujours de cette chose sur vous ? demanda-t-elle en riant.
   - Et bien oui, j’en ai toujours une flasque sur moi, répondit-il sur un ton offusqué. Plus pour longtemps, d’ailleurs.
   - Vous avez décidé de le jeter ? se réjouit-elle.
   - Bien tenté, souffla-t-il, mais c’est juste qu’il ne me reste plus qu’une bouteille de côté. La prochaine sera la dernière.
   - Je vais devoir être prudente, alors, dit-elle en riant chaleureusement, pressant un peu plus fort sa main contre son bras.
   - Je ne compte pas la dilapider, je vous rassure. Après tout, il n’y en aura plus jamais ensuite, ajouta-t-il sur un ton fataliste.
   - Il ne faut pas dire ça, le rassura-t-elle, peut-être que quelqu’un aura le malheur de retrouver la recette.

   Il ne répondit pas. Il fixait le feu d’un air songeur, et la jeune femme se détourna finalement de son visage pour à son tour diriger son regard vers le bûcher. Les flammes dansaient devant ses yeux dans des mouvements hypnotiques, renforcés par la langueur de la musique. Elle continua néanmoins de vouloir le rassurer. D’une voix douce, elle ajouta :
   - J’ai bien fini par retrouver des graines de lys de Stratholme…
   - Sans doute, oui.

   Sa voix était lointaine, elle se demandait s’il avait vraiment entendu sa réponse. Quelques secondes de silence s’écoulèrent, avant qu’il ne reprenne la parole, sans quitter le brasier de son œil valide, le reflet des flammes ondulant sur sa pupille.

   - Pardonnez-moi si la question vous semble un peu abrupte, mais avez-vous déjà pensé à l’avenir ?

Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Anju le lundi 06 juillet 2020, 19:32:57
J'adore ton texte ! ^^ C'est chouette de voir tout ce que tu t'imagines à partir d'une séance de roleplay ! J'aime beaucoup ton style. Tu n'écris peut-être pas souvent, mais en tout cas tu écris bien. J'ai lu toute ta galerie même si c'est la première fois que je commente. ^^

Même si on ne connaît pas tes personnages, on arrive à les imaginer grâce à toutes les petites allusions à la jeunesse de tes personnages que tu as glissés dans ton texte. ^^ On ressent la nostalgie de tes personnages, et bien que leur relation semble assez ambiguë, on sent qu'ils tiennent l'un à l'autre. Tu décris bien la scène, avec plein de petits détails qui rendent le tout plus réaliste.

Sinon, comme je ne connais pas bien cet univers, je me demandais quelle était la part d'imaginaire dans ton texte. Est-ce que tu as romancé une discussion qui s'était passé dans les mêmes conditions, ou est-ce que tu as presque tout imaginé à partir de quelques éléments, par exemple ?

J'ai bien envie de connaître la suite de ton histoire. Elle est déjà écrite ou c'est en cours ?
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Doutchboune le lundi 06 juillet 2020, 20:11:41
Merci déjà pour ton commentaire, il me fait très plaisir. Surtout si on retrouve ce que tu as dit sur les personnages, qui ont, effectivement, une relation ambiguë.

Pour ce texte, je me suis basée sur les échanges en jeu de nos deux personnages, et j'ai inséré du texte entre les dialogues en utilisant le point de vue du mien (Adelheidy, donc^^), pour enrichir un peu le texte. Sachant que pour tout ce qui est dit, c'est basé sur le passé du personnage, son caractère, ou ce qu'il ressent à ce moment. C'est un peu décrit en jeu avec les emotes, j'ai juste approfondi pour en faire un texte qu'un extérieur peut lire. Et en quelque sorte, un compte rendu amélioré de la soirée. Après, je préfère me baser sur des vrais échanges, parce que je ne veux pas faire jouer les personnages qui ne sont pas les miens.

Voici par exemple un extrait du log en jeu :
(https://i.imgur.com/UAtK4oe.jpg)

Sinon, oui, le texte est terminé, mais il est un peu long, donc je pense le poster en quatre fois, même si la coupure du milieu fera un peu artificielle je pense (pas facile de trouver un bon moment pour couper...). Il faut dire qu'on a bien dû jouer plus de 2h30 d'affilée ce soir-là (et comme en plus on a débuté en fin de soirée pour cette interaction là, on s'est couchés un peu tard xD mais ce fut une très bonne soirée RP donc je ne regrette rien !)
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Anju le lundi 06 juillet 2020, 21:29:01
D'accord, merci de m'avoir expliqué. :miou: Je n'osais pas trop développer, parce que je ne savais pas ce que tu avais écrit et ce qui est tiré de ta séance RP. En tout cas, comme je l'ai dit, on ne devinerait pas que ça vient de RP. On n'est pas perdus, tu expliques tout sans trop en faire, et les dialogues s'insèrent très bien dans ton texte. Bon boulot, j'ai bien envie de lire la suite ! ^^
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Doutchboune le mardi 07 juillet 2020, 20:16:46
Et voici la suite !

La Fête du Feu
partie 2

  La question la prit un peu au dépourvu. A vrai dire, ce soir, elle était plutôt d’humeur à ne même pas penser au lendemain, mais l’expression du médecin l’incita à répondre. Sa voix était douce, calme, presque rêveuse, quand elle prit la parole.

   - L’avenir ? Oui, j’y pense tout le temps, j’imagine le Nord à nouveau vert. Nos efforts récompensés, de nouveau des villages sur nos terres.
   - C’est une image apaisante, dit-il.
   - C’est ce pourquoi je me bats, rétorqua-t-elle sur un ton d’évidence.
   - Je vous envie quelque part.

   Sa voix semblait porter un lourd fardeau de regrets, et c’est avec une pointe de compassion qu’elle lui demanda :

   - Pourquoi donc ? Vous n’imaginez pas l’avenir ?
   - J’aimerais pouvoir espérer la même chose pour Alterac, répondit-il.

   Pendant un instant, elle pensa au royaume déchu, à sa sombre réputation, et se demanda si l’on pouvait sincèrement regretter cet endroit. Puis elle se dit qu’elle était probablement injuste, elle ne connaissait pas grand-chose d’Alterac, finalement, à part ce que l’Histoire en avait retenu. Mais elle savait une chose, ses terres n’avaient pas été polluées par le Fléau, en tout cas nettement moins que les Maleterres.

   - Et bien… hésita-t-elle, au moins, les sols n’y sont pas corrompus.
   - Mais la région n’a aucun espoir, lâcha-t-il. Qu’il s’agisse des ogres, des Réprouvés ou même du Syndicat, les trois factions ont achevé de détruire le peu qu’il subsistait de nous sur place.
   - Il faudra reconstruire depuis la base, dit-elle d’une voix apaisante, c’est peut-être l’occasion d’assainir la zone.

   Elle souriait doucement, les yeux toujours rivés sur le feu quand un mouvement de foule la bouscula, lui faisant perdre l’équilibre. Elle s’appuya contre Solÿn pour ne pas tomber, mais lorsqu’elle se redressa, elle ne s’éloigna pas, restant en contact avec l’homme à côté d’elle. Elle s’excusa, machinalement, et il lui répondit que ce n’était rien, d’un air absent, comme s’il n’avait même pas remarqué l’incident. Il poursuivit son discours, suivant le fil de sa pensée.

   - Je ne vois juste pas qui pourrait redonner à ce pays un semblant d’éclat. Le peuple originel a été tantôt massacré, tantôt dispersé aux quatre vents.

   Adelheidy haussa les épaules. Elle n’avait évidemment pas la réponse, et le désarroi du barde l’attristait. Elle souhaitait lui remonter le moral, lui redonner espoir.

   - Peut-être faut-il lui donner un nouvel éclat, plutôt que d’en rechercher un ancien, proposa-t-elle.

   Il eut un rire amer, qui la troubla. Elle ne le pensait pas si désabusé, même si elle savait qu’il n’était pas du genre à se livrer, habituellement. Il enchaîna.

   - Regardez les difficultés que les Fils du Nord rencontrent pour reconstruire une nation à l’héritage aussi fort.
   - Je ne me fais pas d’illusions, répondit-elle en secouant doucement la tête, ce qu’on reconstruit dans le nord sera différent de ce qu’était le Nord avant. Notre héritage servira à bâtir nos fondations, mais les choses ne seront jamais pareilles qu’avant.
   - Sans aucun doute, dit-il, et sa voix se chargea d’émotion contenue. Mais il reste en moi quelque chose de cet enfant qui a vu son monde s’écrouler et qui voudrait désespérément le voir revenir.

   La jeune femme fut profondément touchée par cet aveu. Pas tant parce qu’il montrait à quel point le royaume disparu de Solÿn lui manquait, mais surtout car elle y perçut de la sincérité. Et la sincérité n’était vraiment pas habituelle chez cet homme. Elle sentit sa respiration s’accélérer alors qu’il tourna son visage vers le sien. Son œil brillait, et d’une voix émue, il lui souffla :

   - J’imagine que vous comprenez.

   Elle sourit, d’un sourire à la fois triste et plein de compassion. Dans sa tête défilaient des images de la petite ville qu’elle considérait comme son foyer. Les rues, les jardins, l’effervescence des jours de marché. Puis venait l’Andorhal qu’elle avait vue après la guerre, quand une nouvelle bataille avait fait rage entre l’Alliance et les Réprouvés. Elle était au front, et elle avait assisté avec horreur aux actes de la Reine Banshee, qui n’avait pas hésité à utiliser ses Val’kyrs pour relever les morts en poupées décérébrées et les faire attaquer leurs anciens compagnons. Elle détourna le regard, en proie à une émotion intense. Elle murmura :

   - Je le ressens à chaque fois que je pose les yeux sur Andorhal. Surtout après ce que j’y ai vécu…

   Elle ne put dire un mot de plus, mais pendant un court instant, elle serra le bras du médecin, là où sa main était toujours posée. Son regard revint croiser celui de l’homme à côté d’elle, et elle le regardait avec intensité. Il lui sourit alors, et dit sur un ton d’excuses :

   - Navré, je n’aurais pas dû ruiner l’ambiance ainsi.
   - Ne soyez pas navré, loin de là.

   Leur échange de regard se prolongea en silence. Autour d’eux, les artistes commençaient à ranger leurs instruments, la foule se dispersait progressivement alors que la fête touchait à sa fin, mais il restait toujours quelques badauds pour discuter à la lueur des flambeaux. Adelheidy était restée appuyée contre le barde, dont elle appréciait le contact. Tout en elle criait l’envie de se rapprocher encore plus, d’étreindre cet homme qui avait su la toucher. Les flammes dansaient sur leurs visages, jouant avec leurs traits dans un étrange et joli ballet. Il rompit le silence.

   - J’ai toujours aimé ces veillées au flambeau. L’artiste en moi a tendance à dire qu’ils mettent en valeur tout ce qu’ils éclairent et…

   Il n’eut pas l’occasion de finir sa phrase. D’un mouvement rapide, elle posa ses lèvres sur celles de l’altéran, les pressant avec force. Puis, tout aussi vite, elle se recula. Elle le regarda, un peu interdite. Il semblait surpris, mais pas contrarié. Elle avait répondu à une impulsion, et réalisait seulement ce qu’elle venait de faire.

   - C’était… inattendu, dit-il étonné.
   - Je… bredouilla-t-elle. Pour moi aussi.

   Il se rapprocha alors d’elle, et vint placer sa main dans la sienne, avant de tourner son regard à nouveau vers le brasier. Il lui susurra :

   - Chut. Profitons un peu de l’instant.

   Obéissant à sa proposition, elle posa sa tête sur son épaule, les yeux dans le vague, dirigés vers le feu qui crépitait devant eux. Elle le sentit se détendre et caressa doucement sa main avec son pouce. Avec tendresse, il déposa un baiser léger sur le haut de sa tête, et elle ferma les yeux, le corps parcouru par un frisson. Elle savourait le moment, sans penser aux conséquences et aux implications de son geste, quand il se racla la gorge. Elle se tourna vers lui, souriante.

   - Avant d’être ainsi grossièrement interrompu, je disais… reprit-il d’une voix charmeuse, que la lumière des flambeaux embellit tout ce qu’elle touche.

   Il plongea son œil dans les siens.

   - Vous… tu es très belle ce soir, Adelheidy.

   Les joues de la jeune femme rosir légèrement, et sa voix trahissait sa timidité.

   - Et v… tu n’es pas mal non plus, un peu tout le temps.

   Le barde répondit à la flatterie en lissant ses moustaches avec sa main libre, arborant un visage fier, ce qui fit rire la prêtresse.

   - Vil flatteur, dit-elle avec un large sourire.
   - Je suis démasqué, admit-il sans sourciller.
   - Combien de fois l’ai-je déjà dit ? ajouta-t-elle sur un ton tragique. Un millier ?
   - Je doute que cela soit quantifiable.
   - J’avoue, concéda-t-elle, on finit par ne même plus prendre la peine de compter.
   - Mais comme le dit la morale : « Le vil flatteur ne vit qu’au dépend de celle qui l’écoute. Cette leçon vaut bien un baiser, sans doute. »

   A peine eut-il finit de parler qu’il se pencha, et vola à son tour un baiser à l’humaine. Loin de le repousser, elle savoura cet échange, et le fit durer. Après un long moment, leurs bouches se séparèrent. Ils se regardèrent, les yeux brillants, et il finit par briser le silence, parlant avec un sourire plein de dents, comme il aimait tant en faire.

   - Moi qui pensait que le bûcher était le point le plus chaud de la soirée.

   Elle sourit. Elle le reconnaissait bien là, et elle sentit une onde de chaleur parcourir son corps. Malgré tout, elle aimait leurs petites joutes verbales, cette façon qu’il avait de la titiller. Dommage que le plus souvent, il soit incapable de s’arrêter à temps. Mais ce soir, elle comptait bien jouer, elle aussi. Dans cette ambiance festive, loin du Beffroi, main dans la main, elle n’avait aucune raison de se retenir. Sa voix était clairement amusée quand elle lui répondit.

   - Il semblerait que tu te sois trompé.
   - Hmm pour ce genre de situations, j’accepterai d’avoir faux sur toute la ligne, reconnut-il beau prince.
   - C’est bon à savoir, se réjouit-elle.

   Tendrement, il passa un bras derrière le dos d’Adelheidy, en faisant bien attention d’éviter son épaule meurtrie. La blessure guérissait, mais elle était encore récente. Autour d’eux, les rues étaient redevenues calmes. La jeune femme se blottit tout contre le médecin en soupirant.

   - Et voilà arrivé ce moment fatidique…
   - Celui où tu dégaines l’épée d’Aurys et me décapites pour manquement protocolaire envers mon officier supérieur ? proposa-t-il faussement inquiet.
   - Je ne pensais pas à ça, mais oui, c’est possible ! répondit-elle en riant.
   - Zut, je savais que j’aurais dû lire les petits caractères, ajouta-t-il l’œil espiègle.

   Malgré tout, elle s’assombrit un peu. Elle n’en avait pas envie, mais il fallait bien penser aux jours à venir. Sa voix laissait transparaître ses préoccupations.

   - Non, celui où la raison nous implore d’aller dormir, alors qu’on ne veut que prolonger l’instant à l’infini. Ça va être un peu compliqué, non ?
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Anju le mercredi 08 juillet 2020, 01:51:20
Cette histoire est en très bonne voie, après les anecdotes sur leur jeunesse, ils enchaînent avec des événements qui donnent une idée de l'état de leur monde actuel. On a besoin de connaître l'univers pour comprendre certaines choses, mais ça reste de l'ordre des détails et ça ne change pas la compréhension de l'échange entre tes personnages.

On dirait que leur relation est définitivement plus qu'amicale.  :oups:

En tout cas, c'est bien intéressant, plus ça avance, et plus j'ai envie de lire la suite. ^^
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Doutchboune le mercredi 08 juillet 2020, 09:32:03
Pour leur monde, il est assez effectivement difficile de redonner tout le contexte, déjà car l'univers est pré-existant et très développé, et ensuite parce que ce récit ne s'y prête pas. Après, j'ai tout de même essayé, sans non plus faire de leçon d'histoire, de décrire les situations pour qu'on puisse avoir une idée globale de ce contexte, même si on n'en comprend pas tout. Car oui, ce n'est finalement pas très important de connaitre la trahison de Perenolde, ou les tenants et aboutissants du Fléau, à partir du moment où on comprend que ça a eu un gros impact sur leurs vies, et donc sur leurs décisions de cette soirée. Bon, après, ok, c'est tout de même mieux d'avoir une idée du lore, que ce soit celui de Warcraft ou celui de notre guilde, mais j'ai un peu essayé de faire pour que ce soit lisible sans.

Et oui, il semblerait qu'ils soient devenus finalement plus qu'amis (c'est pas pour rien que cette soirée RP me tient à cœur, et que j'ai tenu à la retranscrire, ce qu'il s'y est passé est vraiment une étape dans le développement de nos persos respectifs... et ça aurait pu se passer tout autrement !). Mais comme le dit la phrase finale de cette partie, ça ne va peut-être pas être simple.

En tout cas merci, ça me fait vraiment plaisir d'avoir un retour  :miou:
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Anju le jeudi 09 juillet 2020, 12:04:39
Merci, c'est toujours intéressant de savoir comment un texte a été écrit, dans quelles circonstances etc. C'est gentil de me répondre. Je trouve que tu as bien dosé la mise en place de l'univers. On n'a pas besoin de savoir ce qu'est le Fléau, du moment qu'on comprend que c'est une menace importante (comme le fléau Ganon). Ça fait longtemps que vous jouez ces deux personnages ?
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Doutchboune le jeudi 09 juillet 2020, 13:10:10
Ça fait bien longtemps qu'on joue ces personnages. Le mien a été créé il y a un peu plus de 7 ans, et le sien, je ne sais pas exactement, mais un peu plus (ptet un ou deux ans). Et ils se connaissent depuis 7 ans, puisque j'ai créé mon perso dans l'objectif de rentrer dans cette guilde. Mais bon, du coup, la suite !

La Fête du Feu
partie 3

   Il la regarda tendrement, ce qui eut pour effet de faire refluer ses soucis. Sur un ton amusé, il lui répondit :

   - Eh bien, je ne pense pas prendre Kothran et Lomah comme modèles, mais je dirais que s’ils ont réussi… Et puis, tu es plus fine que Lomah, et moi plus subtil que Kothran, tu ne crois pas ?
   - Encore à manquer de respect à tes supérieurs, s’esclaffa-t-elle !
   - Evite juste de te faire rajeunir dans un corps de seize ans. Ou d’exploser dans ta chambre du Beffroi.

   Adelheidy rit à l’évocation des mésaventures de leur ancienne Chambellane, expériences qu’elle ne comptait vraiment pas vivre un jour.

   - Je n’y tiens absolument pas, tu peux d’ores et déjà être rassuré.
   - Je t’en saurai gré. Je doute que l’expérience soit plaisante, remarqua-t-il.
   - Je ne veux jamais savoir ! dit-elle avec véhémence.
   - Nous sommes bien d’accord, alors, conclut-il.

   C’était étrange de repenser à ces événements qui avaient eu lieu des années auparavant, dans leur ancienne place forte, à quelques encablures de la cité où ils se trouvaient actuellement. Aujourd’hui, Lomah avait quitté leurs rangs pour vivre des jours heureux dans son manoir familial, à deux quartiers d’ici. Les événements qui avaient amené leur officier à changer de corps avaient été tragiques, cependant, ce soir, elle préféra en rire. Elle lui dit donc, l’air faussement soucieux :

   - Mais qui sait… peut-être pour faire enlever ces vilaines cicatrices…

   Elle regarda vers son épaule, où la balle l’avait touchée quelques soirs plus tôt. Masquée sous le bandage s’y trouvait une imposante cicatrice, souvenir permanent de l’épieu maudit qu’elle avait reçu dans la forêt drustvari. A l’époque, déjà, c’était l’homme contre lequel elle était appuyée qui l’avait veillée et soignée. Se doutait-il à ce moment-là qu’ils s’embrasseraient à la lueur du grand brasier de la fête du Feu ?

   - Les tiennes ne te barrent pas le visage, mais au moins, elles te donnent un peu de caractère, dit-il en touchant machinalement le bandeau qui cachait son œil mort. Il ne faut pas oublier que même si tu t’occupes de l’intendance, tu es une féroce guerrière de l’Ost Pourpre avant tout.
   - Hé, on est tous sensés savoir se battre, non ? rétorqua-t-elle. Et éventuellement pouvoir se prendre des épieux par surprise dans la forêt drustvari…
   - Exactement. Savera te dirait que les cicatrices sont les médailles des vrais guerriers, ou quelque chose de très martial dans le genre, dit-il sur un ton affecté.
   - Mouais, hésita-t-elle, ce n’est pas toujours esthétique quand même. Toutes ces robes que je ne peux plus mettre ! acheva-t-elle sur un ton évaporé pas très convaincant.
   - Ça ne t’a pas empêchée d’être une fantastique gourgandine sur scène.

La flatterie libéra en elle une bouffé de chaleur. Il fallait bien reconnaître qu’elle avait adoré interpréter le rôle de Béatrice dans la pièce qu’ils avaient jouée quelques semaines plus tôt, à Boralus. Et que la robe qu’elle avait portée pour l’occasion ne couvrait pas grand-chose. Un peu gênée à ce souvenir, elle opta pour la technique qu’utilisait le plus souvent l’homme en face d’elle dans de telles situation : l’exagération.

   - C’était le rôle de ma vie !
   - Ou peu s’en faut, sourit-il, à ceci près que Daïne aurait pu te faire avaler tes dents si on l’avait laissée faire.

   Solÿn se mit à rire, et elle se remémora la séance de répétition, où la naine, tellement investie dans son rôle, avait manqué d’insulter et frapper sa supérieure quand elle avait découvert que le personnage joué par cette dernière était une traîtresse qui souhaitait apporter la ruine au royaume dirigé par le protagoniste qu’elle interprétait. La jeune femme rit à son tour, et sa voix en portait encore les échos quand elle parla.

   - J’avoue, j’ai eu un peu peur à la répétition, dit-elle en serrant la main du barde un peu plus fort.
   - J’aurais fait rempart de mon corps frêle, affirma-t-il, vantard.

   Elle posa la tête dans le creux de son cou, y déposant un baiser au passage. Elle imagina la scène, et ne vit qu’une réponse possible.

   - Ça aurait été une mort valeureuse.
   - Bon, d’accord, je l’aurais laissé faire, admit-il. Puis je t’aurais rafistolée, comme à chaque fois.

   Il la regarda avec son air le plus angélique. Décidément, il ne pouvait pas s’en empêcher. Mais elle savait que c’était une des choses qui lui plaisait chez lui. Il était parfois très agaçant, mais au moins, il ne passait pas son temps à débiter d’ennuyeuses platitudes. Néanmoins, elle ne pouvait laisser passer ça impunément, et lui donna un petit coup dans le ventre en riant.

   - Hé, ce n’est pas ma faute, s’offusqua-t-il : elle a un gros marteau.
   - Tu-es-im-po-ssible, dit-elle en secouant la tête.
   - Mais je te fais rire en l’étant, répondit-il d’un air faussement contrit, alors pourquoi m’arrêter ?

   Elle le regarda intensément, toujours souriante. Sa voix devint aussi douce qu’une caresse.

   - T’ai-je demandé d’arrêter ?
   - Hé bien… non, répondit-il sur le même ton.

   Elle passa alors une main derrière sa tête, et s’approcha doucement, pour l’embrasser à nouveau. Il lui rendit son baiser avec tendresse. Une sensation de douceur et de bien être envahit la jeune femme, et quand leurs lèvres se séparèrent, elle se sentait comme sur un petit nuage. Contre elle, l’homme soupira.

   - Je risque d’avoir du mal à m’en passer.

   La main toujours posée sur sa nuque, elle s’écarta de son visage, et appuya son front contre sa poitrine. Dans un murmure, elle répondit :

   - Je crois que moi aussi.

   Il lui caressait doucement les cheveux, et tous les deux savouraient ce moment de tendresse. Elle ne voulait pas encore penser aux futures complications, seulement profiter de cette soirée.

   - Mais nous n’en sommes pas encore à devoir nous en passer, non ? dit-elle avec une pointe d’inquiétude dans la voix.
   - Sainte Mamie de la Lumière, non, s’exclama-t-il. Je suis altéran, pas fou. Je garderai ce souvenir précieusement dans ma mémoire, cette nuit quand je grelotterai de froid sur la chaise promise par la Connétable.

   Fidèle à lui-même, il accompagna cette déclaration de grands gestes dramatiques. Adelheidy sourit, secouant la tête, attendrie. C’était vraiment un cabotin de première, pensa-t-elle, mais elle ne s’en offusqua pas, au contraire. Ce soir, elle pouvait être un peu elle-même, et non pas l’Intendante qui devait garder une certaine distance avec ses troupes. Elle lui répondit sur un ton outré.

   - Si toute cette soirée n’avait pour but que de trouver un lit pour cette nuit, je suis très offensée !

   Elle rit alors de bon cœur, et il la regarda comme si sa remarque l’avait choqué. C’était d’ailleurs peut-être un peu le cas, mais elle n’était pas mécontente de son effet. Il prit un ton scandalisé.

   - Comment ? Adelheidy Hamar, tu es une vraie friponne !

   La jeune femme ouvrit de grands yeux innocents, battant légèrement des cils.

   - Développe, s’il te plaît, demanda-t-elle impérieusement.
   - Et la tradition dans tout ça ? Je dois d’abord aller demander ta main à ton père aux Carmines, lui proposer un prix honnête et légèrement surévalué, trinquer avec lui à notre bonheur puis t’emmener sur mon cheval fringant jusqu’au prêtre…

   Spontanément, elle éclata de rire. Elle ne souhaitait pour le moment que profiter de la nuit, et imaginer déjà officialiser quelque chose lui semblait ridicule. Elle se fit tout de même à ce moment la réflexion qu’ils n’étaient pas issus du même monde. Il venait de la noblesse, et dans la noblesse, les filles ne connaissaient pas leurs premiers émois dans une grange à foin à la fin de l’adolescence. Evidemment, même à la campagne, il fallait rester discret, on n’était pas sensé batifoler avant d’officialiser, mais personne n’était dupe, et il n’était pas rare qu’une grossesse soit la cause d’une union plutôt que sa conséquence. Mais pour lui, il semblait inimaginable qu’elle puisse déjà avoir une certaine expérience dans le domaine, même si, il fallait bien l’avouer, les occasions avaient été extrêmement rares depuis son entrée dans l’Ost. Il continua d’ailleurs sur sa lancée.

   - Je ne voudrais pas qu’on m’accuse d’avilir une femme aussi honnête et droite.
   - Je dois être trop pragmatique, assena-t-elle. Une chambre d’auberge, loin du Beffroi, c’est une occasion qui ne se présentera pas de sitôt.

   Elle le vit s’étrangler, et s’en amusa intérieurement. C’était un plaisir de lui damer un peu le pion, lui qui était toujours si sûr de lui. Ravie de son effet, elle ajouta :

   - Je sais que je ne t’arrive pas à la cheville, mais je pense que tu surestimes mon innocence. Cela étant, je peux partager mon lit uniquement pour dormir, si tu préfères.
   - Je comprends mieux les allusions à la gourgandine, maintenant, répondit-il, comme choqué.

   Adelheidy haussa les épaules. Elle continua sur son avantage, choisissant ses termes avec soin, pour jouer sur cette dualité entre son éducation et son mode de vie.

   - Je ne voudrais pas choquer ta morale.
   - Ma quoi ? fit-il, conscient qu’elle savait parfaitement qu’il n’en avait pas. Pardon, un insecte a bourdonné dans mes oreilles.

   Sa réaction la fit rire. Il y avait longtemps qu’elle ne s’était pas sentie aussi bien, à pouvoir converser sans arrière-pensée hiérarchique, à pouvoir dire ce qu’elle avait envie de dire, et non pas ce qu’elle devait dire. Il la regarda de nouveau de son air de tragédien.

   - Mais bon, s’il faut en arriver à de telles extrémités pour avoir le droit de profiter d’un lit plutôt que d’une chaise… dit-il avant de passer le revers de sa main sur son front dans un geste théâtral, je suivrai les ordres de ma supérieure.
   - Je savais que c’était l’unique but de cette soirée, soupira-t-elle en souriant.
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Anju le vendredi 10 juillet 2020, 01:50:55
On en apprend toujours plus sur eux ! Ils semblent aimer évoquer leur passé commun. Ils sont mignons, leur échange m'a fait sourire. On sent qu'ils se connaissent depuis longtemps et qu'ils s'aiment beaucoup.  :^^:

Si j'ai bien suivi, la prochaine partie sera la fin ? Je me demande comment ils vont se quitter.
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Doutchboune le vendredi 10 juillet 2020, 09:31:32
Tu as bien suivi, la prochaine partie sera la fin. D'ailleurs, je vais la poster tout de suite, ça sera fait  :miou:

Pour la relation entre ces deux personnages, c'est plus complexe que ça. Là, ils sont dans des conditions inhabituelles (loin de leur bastion militaire, ambiance festive, tout ça tout ça...). Mais si on doit résumer, Adel a toujours trouvé Solÿn mignon, par contre, on lui a toujours dit qu'il était gay (et il ne cachait pas apprécier les hommes). Par contre, il a toujours été un cabotin, à surjouer de ses charmes, à flatter les femmes avec outrance. D'ailleurs au début, il ne s'intéressait pas spécialement à Adel, ne voyant en elle qu'une jeune recrue de plus. Par contre, il a très vite trouvé amusant de la taquiner avec des petites remarques à la limite de l'insolence, surtout quand elle a commencé à monter en grade. Et elle le tolérait, parce que, persuadée qu'il ne pouvait pas s'intéresser aux femmes, il n'y avait rien d'autre qu'une sorte de jeu agaçant. Enfin, elle le tolérait... plus d'une fois elle l'a remis à sa place, surtout une fois qu'elle est devenue sa supérieure hiérarchique, d'autant plus qu'à cause de sa jeunesse, elle se force à prendre de la distance avec les hommes de troupe de la guilde, pour gagner en autorité.

Sauf qu'en fait, Solÿn est plutôt bi, en tout cas, même s'il a plus souvent eu des relations avec des hommes, il n'a rien contre les femmes non plus (si on me laisse passer l'expression), et lui, de son côté a commencé à tomber amoureux, mettant un certain temps à se l'avouer, mais en tout cas sans qu'Adel ait le moindre soupçon. Elle de son côté aimait bien le mater, parce qu'il est quand même vachement beau, et se disait que c'était juste le plaisir des yeux, vu que pour elle, il ne s'intéressait qu'aux hommes.
A côté de ça, lui est quand même quelqu'un de très égoïste, qui va le plus souvent agir dans son intérêt propre, quitte à disparaitre parfois (et lui attirer des ennuis, c'est celui avec un poignard dans le ventre (https://i.imgur.com/kBzQVew.jpg) sur un des dessins de ma galerie). Pour beaucoup de choses, il n'est pas digne de confiance, et plus d'une fois Adel a dû prendre des sanctions contre lui. Et très souvent, elle s'est énervée contre lui à cause de ses impertinences, qu'il sait doser pour ne pas franchir la limite (mais tout juste).
Mais il y a quelques mois, Adel a pu se rendre compte qu'il pouvait s'intéresser aux femmes, même si elle ne voulait pas y croire, pensant qu'il la faisait encore marcher. Mais du coup, elle a commencé à cogiter, à se demander pourquoi elle le matait tant que ça, pourquoi elle se sentait toujours obligée de répondre à ses piques, tout en se disant qu'il ne cherchait qu'à jouer avec elle. Lui de son côté, vu son genre secret et réticent à se livrer, n'allait pas non plus se déclarer, même si sa façon de lui parler avait évolué.

Progressivement, suite à des échanges de plus en plus ambigus, Adel a fini par accepter qu'elle désirait cet homme, mais même lors de cette soirée à la Fête du Feu, elle ne sait pas vraiment où elle a envie que ça la mène. Elle est juste sûre qu'elle a envie de tout ce qu'elle dévoile dans ce texte. Lui de son côté (mais Adel ne le sait pas, même si moi je le sais en "meta" comme on dit pour les choses qu'on sait sur les personnages des autres, mais que nos propres personnages ignorent), est plutôt dans l'optique d'une union durable, bien qu'il sache qu'avec ses soucis persos et sa morale élastique, ça ne sera pas forcément possible.

Bon, ça fait un peu long, mais leur relation est complexe, et même ensemble, ça risque de ne pas être de tout repos, surtout une fois retrouvée la routine de la vie militaire, avec les considérations hiérarchiques, et conflits que ça pourra entrainer...

Mais bon, suite et fin, j'ai promis  :miou:

La Fête du Feu
partie 4

   Elle se laissa aller contre lui, et la lueur mouvante des flammes autour d’eux faisait danser les ombres sur leurs visages. Après un moment de silence, il reprit la parole, comme s’il exprimait à haute voix la suite de ses pensées.

   - Je crois que la décision d’Aurys aura été déterminante.

   Elle sortit de sa rêverie, et chercha quelques secondes de quoi il voulait parler. Mais elle n’eut pas à réfléchir longtemps, le fait que ce soit leur chef qui ait tranché en défaveur de Solÿn pour savoir qui dormirait sur une chaise dans le couloir faute d’avoir réservé le bon nombre de chambres s’imposa vite à son esprit.

   - De t’avoir attribué la chaise ? avança-t-elle. Oui, on peut dire ça.
   - Je note qu’il faudra symboliquement l’inviter -ainsi que la chaise- pour le mariage, déclara-t-il. Je prends la chaise comme témoin si ça te va, ajouta-t-il très vite, je te laisse la Connétable.
   - Je crois qu’on a un peu de temps avant de se poser ce genre de ques…

   Elle fut interrompue par le rire étouffé de Solÿn, et haussa un sourcil, intriguée. La voix entrecoupée de rires, il s’expliqua.

   - Désolé, je viens d’essayer de l’imaginer en demoiselle d’honneur, à attendre de recevoir le bouquet.

   Adelheidy rit à son tour. Il était vrai que l’image prêtait à sourire. La scène était fort peu probable, connaissant le passé d’Aurys, mais ça n’avait pas d’importance. Leurs rires cessèrent, et un nouveau moment de silence passa, chacun perdu dans ses pensées, goûtant la soirée. Mais l’heure tournait, et il fallait bien qu’à un moment, elle se termine. La jeune femme se tourna vers le médecin, et le regarda tendrement.

   - Allez, je crois qu’il est temps de retrouver cette auberge, et le lit qui va avec, dit-elle doucement.
   - J’ai bien fait de prendre des chambres confortables, alors, remarqua-t-il.
   - Et si tu veux seulement dormir, ce n’est vraiment pas un problème, ajouta-t-elle avec gentillesse.

   Elle posa un baiser rapide sur ses lèvres, elle mourait d’envie d’aller plus loin, mais elle ne voulait pas le forcer. Il lui remit en place une mèche de cheveux rebelle, avant de lui murmurer.

   - Ne nous mettons pas de pression.

    Elle acquiesça, résignée à faire des concessions malgré son désir. Elle lui serra la main plus fort quelques secondes, et commença à marcher en direction de l’auberge.

   - Allons dormir, alors.

   Ils marchèrent dans les rues de la capitale à pas lents, comme pour prolonger cette soirée le plus longtemps possible. Leurs mains ne se séparèrent pas, et la jeune femme eut même l’impression que le barde se laissait guider. Elle ne pensait pas encore aux conséquences, refusant de sacrifier son bien-être, mais il finit par rompre le silence.

   - Et, hum, comment va-t-on justifier ma présence dans ta chambre, demain matin ?
   - Tu veux vraiment dormir sur cette chaise ? demanda-t-elle en retour.
   - Quelle question ! s’exclama-t-il. Je me disais juste qu’on pourrait accorder nos violons maintenant.

   Il n’avait pas tort, autant régler ces détails pendant le trajet. Elle réfléchit à une raison crédible et qui ne soit pas inconvenante, mais elle ne trouva rien de bien évident.

   - Si tu te réveilles plus tôt et retournes sur la chaise avant que les autres se lèvent ? proposa-t-elle.
   - Me réveiller plus tôt que Balthamus ou Savera ? fit-il, dubitatif. Je ne suis qu’un homme, tu sais.
   - Pas faux, concéda-t-elle.
   - Sinon, il suffit de dire que ta chambre possède une chaise ou un fauteuil plus confortable, donc tu m’as gentiment proposé de dormir dessus ? avança-t-il à son tour.
   - Je dirai que j’ai eu pitié en te voyant grelottant, plié sur ta chaise, ajouta-t-elle.
   - Parfait. Ta grande bonté, ça ne surprendra personne, dit-il sérieusement.

   Elle haussa les épaules. Elle était quelqu’un d’altruiste, elle ne pouvait le nier, mais elle doutait quand même que ce soit suffisant pour faire passer l’idée qu’elle ait accepté le médecin dans sa chambre pour la nuit. Elle ne put s’empêcher d’ajouter :

   - Ça aurait été plus crédible si tu avais été une plante, mais bon…
   - Certes.

   Lui non plus n’était pas entièrement satisfait du plan, et il continuait à chercher une autre solution. Ils avaient atteint la porte de l’auberge, devant laquelle ils s’arrêtèrent. Elle soupira.

   - Je ne vois pas mieux, de toute façon. C’est ça ou sortir par la fenêtre, et revenir au petit-déjeuner en disant que tu as trouvé un ancien ami pour te loger, dit-elle alors que l’idée venait de germer dans son esprit.
   - J’allais le dire, rétorqua-t-il, ayant visiblement eu la même pensée qu’elle. Mais mes talents de monte en l’air sont sans doute un peu rouillés. Quoique… depuis ce voyage au manoir de Sangre…

   Il toussa, un peu gêné. Visiblement, il ne tenait pas à discuter de ce qu’avait été cette formation qu’il était allé suivre dans la demeure de leur ancienne Chambellane. Cela importait peu à Adelheidy, de toute manière, focalisée sur la soirée.

   - On verra dans quelle forme tu seras demain matin, le provoqua-t-elle en riant.
   - C’est un défi ?

Elle rit à sa réponse, les yeux brillants. Elle savait qu’il ne pourrait pas résister à sa petite bravade. Elle fit semblant de n’avoir pas fait exprès.

   - Si tu veux.
   - Tu devrais le savoir, si on m’attaque par l’égo, je ne réponds plus de rien. Connétable ou pas, crâna-t-il.
   - Comment oublier ça ? admit-elle en secouant la tête.
   - En montant à l’étage, peut-être ? proposa-t-il, un large sourire sur le visage.
   - Ah, bonne suggestion, répondit-elle.

   Après une grande inspiration, elle franchit le seuil de l’établissement, tenant toujours l’homme par la main. Ils montèrent les marches le plus silencieusement possible, et traversèrent le couloir sur la pointe des pieds alors qu’ils passaient devant les portes des chambres de leurs compagnons. Au passage, Adelheidy jeta un regard entendu vers cette fameuse chaise, et Solÿn lui fit un grand geste de dénégation. Il était hors de question qu’il passe la nuit sur ce meuble inconfortable. Dans un souffle, elle lui murmura :

   - Elle n’est pas si mal.

   Puis elle alla à la porte de sa chambre, l’ouvrit et entra en silence. Derrière elle, le médecin regardait la chaise avec compassion.

   - La pauvre, elle va se sentir bien seule, marmonna-t-il entre ses dents.

   Il hésita un instant sur le seuil, réalisant que ce pas compterait sûrement beaucoup plus que bien d’autres. Il inspira un grand coup. Sa décision était prise, il entra à son tour, et referma délicatement la porte. Il se retourna vers la jeune femme qui lui sourit doucement. Lentement, tout en tendresse, elle s’approcha de lui et glissa ses bras autour de son cou, puis vint poser ses lèvres contre les siennes. Le baiser était doux, sensuel. Il l’enlaça, les mains posées sur sa taille.

   Lorsque leurs bouches se séparèrent, elle s’écarta un peu de lui, le regardant intensément. Son cœur battait la chamade, et elle refrénait son envie d’étreindre cet homme avec passion. Sa voix laissait entendre une pointe de résignation quand elle reprit la parole.

   - Il est temps de dormir, maintenant.

   Mais ils restèrent encore un moment debout, enlacés. Ils savouraient ce moment, ultime hésitation avant de décider de ce que serait faite cette nuit. Il se pencha finalement sur elle, et l’embrassa tendrement, tout en l’entrainant délicatement vers le lit. Elle sentit une bouffée de chaleur l’envahir, se laissant guider jusqu’à la couche en resserrant son étreinte.
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Anju le vendredi 10 juillet 2020, 16:08:13
J'ai beaucoup aimé lire cette histoire, je trouve que tu as bien adapté cette discussion entre vos deux personnages. Merci pour toutes ces précisions sur leur histoire commune. Je serais curieux de savoir comment leur relation va évoluer, par la suite, et s'ils vont réussir à garder cette nuit secrète. Merci pour ce texte, j'espère en lire un autre de ta part bientôt !  :miou:
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Doutchboune le vendredi 10 juillet 2020, 16:35:13
Merci de ton retour, il me fait très plaisir.

Pour ce qui est de savoir ce que va devenir leur relation, moi aussi je suis curieuse  :8):  Mais c'est tout frais, alors on verra bien. Et pour le moment, ils se sont pas fait gauler, mais c'est pas dit que ça n'arrive pas, plus tard.  :R
Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Doutchboune le lundi 31 août 2020, 18:05:24
Allez, je me relance, et je poste ici trois petits textes, qui racontent des tranches de vie de ma prêtresse de WoW, avant qu'elle n'entre dans sa guilde actuelle (et qui traite de ce qu'on peut appeler, dans le jargon, son background). Le recueil s'appelle Une vie simple.


***

Prise de conscience


   Une herbe verte et tendre. Un petit chien joyeux qui se précipite vers elle. Un homme de grande taille accoudé sur une barrière. Un bruit de sabots tranquilles sur les pavés. Des voix fortes et enjouées. Et surtout, son rire. Ce dernier illuminait cette superbe journée, et agrandissait les sourires sur les lèvres des adultes. Tout autour d’elle était immense, la cariole et le cheval de papa et maman, les haies fleuries qui bordaient l’immense route pavée, les maisons coquettes de la rue. Et elle roulait dans l’herbe fraiche, jouant avec la boule de poils ambulante. Et elle riait.

   Le souvenir disparut aussi vite qu’il était apparu. La jeune fille, à peine sortie de l’adolescence, se tenait en dehors de la tente médicale, à l’arrière des combats. Elle était venue prendre une pause, au milieu de l’afflux continu des blessés qui arrivaient du front. La bataille pour déloger le Fléau des ruines de la ville faisait rage, et même si l’Alliance gagnait du terrain, ses armées était fortement éprouvées.
   Elle n’avait jamais vraiment repensé aux Royaumes du Nord depuis qu’elle s’était retrouvée à vivre dans le Sud, aux Carmines. Elle était encore jeune quand ils avaient quitté ces terres, et depuis les horreurs de la Troisième Guerre, sa mère était restée mutique sur leur ancien royaume. Les souvenirs de cette ancienne vie étaient restés enfouis au fond d’elle, à tel point qu’elle pensait les avoir à jamais oubliés. Quand les images de cette bourgade pleine de vie firent surface dans son esprit, elle sentit comme une sorte de rage monter en elle. Une onde la parcourut, crispant chacun de ses muscles, des épaules jusqu’à la dernière phalange, des mâchoires aux bouts des orteils. Ses yeux se mirent à piquer, et elle les ferma avec force, laissant s’écouler des larmes de colère.
   Elle resta ainsi plusieurs minutes, envahie par la prise de conscience de ce qu’avait été réellement sa perte, lors de la chute de Lordaeron, alors qu’elle et sa famille étaient en voyage en pays hurleventin. Elle rouvrit les yeux et balaya de nouveau la ville du regard. Elle la revit telle qu’elle avait été, reconstruisant les ruines à l’aide de ses souvenirs enfantins. Une résolution nouvelle grandit en elle. Elle ne pouvait plus seulement rester à l’arrière pour soigner les blessés. Elle avait besoin d’aider au front. De détruire elle-même cette engeance morte-vivante qui avait ravagé son ancienne vie. Une flamme brûlait dans son regard, et quand elle desserra les poings, elle put voir les marques profondes que ses ongles avaient imprimés dans ses paumes.

   Elle avait dépassé son temps réglementaire de pause. Pourtant, quand elle fit demi-tour pour retourner dans la tente de l’hôpital de campagne, elle ne se dirigea pas directement vers son poste, mais alla d’un pas déterminé vers les bureaux de ses supérieurs. Elle prit une profonde inspiration avant d’entrer quand on l’y invita. Sa timidité naturelle s’était effacée devant sa résolution. Avec un regard droit et franc, toujours habité de cette lueur flamboyante, elle avisa son chef de son souhait d’aller se battre sur le front. Face à elle, le médecin se frotta le menton, observant la jeune fille, prenant son temps pour répondre à sa demande. Elle ne sut jamais ce qui avait fait pencher la balance en sa faveur. Avait-elle réussi à le convaincre ? Partageait-il ce besoin de destruction ? Pensait-il qu’une infirmière aussi instable n’avait pas sa place dans son hôpital ? Tout ce qu’elle savait, c’est qu’il avait accepté.
   Elle partit le lendemain, avec une petite troupe d’infanterie, le long des routes défoncées de l’ancienne ville, pour rejoindre la bataille. L’ampleur des dégâts, anciens comme récents, ne fit qu’attiser sa rage, et elle sentait la force de la Lumière se concentrer en elle. Elle serrait les dents, écoutant ses camarades, mais ne parlant pas. Bientôt, ils entendirent les bruits et les cris, les chocs et les lamentations. Des gradés les orientèrent vers les endroits nécessitant des troupes fraiches, et elle découvrit la réalité du front. Tout était oppressant, angoissant, tous les sens étaient assaillis par la peur et le chaos et pourtant, l’armée conservait ordre et discipline. Elle se dirigea vers la zone qui lui était assignée, et elle vit ses premiers morts-vivants.
   Sans réfléchir, elle concentra la Lumière, et la projeta sur une des créatures en face d’elle, au-delà des combattants qui se battaient au corps à corps. L’éclair lumineux embrasa le ciel, puis la goule qui était la cible. Elle avait maintes fois soigné en faisant appel à ses dons, mais, malgré une connaissance théorique de la chose, jamais elle n’avait blessé avec. Elle évacua toute sa rage en brûlant le maximum d’ennemis à sa portée, et quand la colère fut retombée, elle prit le temps de jeter un regard circulaire sur le champ de bataille. Partout les armes s’entrechoquaient, les corps s’entassaient, et très vite, elle se rendit compte que ses efforts pour éliminer leurs adversaires n’étaient qu’un énorme gâchis d’énergie. Là où les soldats tuaient trois goules, elle n’en égratignait qu’une. Mais ce fut la vue de camarades blessés sur le champ de bataille qui lui fit reprendre conscience qu’elle serait bien plus utile en reprenant le rôle qui était le sien dans cette campagne.
   Elle consacra le reste de la bataille à protéger et soigner les siens. La tâche était épuisante, et devoir choisir qui aurait la priorité lui demandait concentration et pragmatisme. Elle s’en acquitta sans hésitations, plongée dans l’urgence de la situation. A bout de forces, elle finit par se reculer, laissant la place à des troupes plus fraîches. Dans la zone de repos, un peu en retrait de la ligne de front, elle prit le temps de réfléchir à la bataille. Elle était parfaitement consciente de l’influence de sa rage et de l’adrénaline pendant le combat, néanmoins, elle ne pouvait nier avoir eu l’impression d’être à sa place, plus encore que dans l’hôpital. Devoir prendre des décisions difficiles, parfois de vie ou de mort, dans l’urgence ne l’avait pas paralysée, même si c’était éprouvant. Cependant, elle était épuisée, et elle se laissa aller à somnoler.

   L’annonce de la victoire la réveilla, et elle se redressa, l’esprit encore embrumé. Elle remarqua très vite que malgré ce succès, personne ne semblait réjoui. Evidemment, tout le monde était épuisé, mais gagner une bataille apportait toujours un regain d’énergie aux hommes de troupe. Elle tendit l’oreille et comprit que, alors que l’Alliance attaquait par l’Ouest, les Réprouvés faisaient de même depuis l’Est. Et maintenant que le Fléau était éliminé, les deux armées se retrouvaient face à face. Chacune était dans un grand état d’épuisement, et pour le moment, elles se regardaient en chien de faïence de chaque côté de l’ancienne ligne de front. Les humains et leurs alliés étaient conscients que leurs ennemis avaient bien moins besoin de repos qu’eux, et n’osaient pas croire en une trêve, même le temps de replacer les troupes.
   Les hommes n’eurent pas vraiment le temps de souffler, et les combats reprirent de plus belle. L’ennemi était différent, plus organisé, mais les pertes qu’il avait subies l’avait fortement affaibli. La jeune prêtresse resta pourtant en retrait. Elle était vidée de toutes ses forces, et elle savait qu’il ne servirait à rien qu’elle s’avance au combat tant qu’elle n’avait pas récupéré un peu d’énergie. Depuis la zone de repos, elle entendait les bruits des combats, les cris et les fracas des armes. Elle était attentive aux ordres des officiers, et suivait de loin le cours de la bataille. En elle, elle sentait l’espoir gonfler. Leurs troupes gagnaient du terrain, et la victoire était à leur portée.

   Un frisson glacé parcourut soudainement l’armée alliée. Chaque homme se figea le temps d’une interminable seconde, quand apparurent, au-dessus de la zone de combat, de grandes créatures ailées. Elle en avait une connaissance théorique, d’après ses cours à la Cathédrale. Ses yeux s’agrandirent d’effroi. Personne n’était jamais vraiment prêt à faire face aux Val’kyr de Sylvanas. Et sous le regard horrifié des survivants, les corps de leurs compagnons tombés au combat se relevèrent, transformés en goules décérébrées, et se jetèrent sur leurs anciens camarades, déchirant leurs chairs avec leurs griffes et leurs crocs.
   La bataille connut un tournant, et devint débâcle. Le commandement ordonna la retraite, laissant derrière eux morts et mourants, abandonnant la ville à l’engeance Réprouvée. La jeune fille était sous le choc. Elle n’était pas prête à voir une telle horreur, mais qui l’était ? Elle se replia avec le reste de l’armée, les larmes aux yeux. Tout en elle se révulsait. Elle avait toujours considéré les Réprouvés comme des ennemis, et parmi les plus retors et les moins honorables. Mais elle croyait naïvement qu’ils respectaient le libre arbitre, qu’ils ne feraient pas ce qu’ils avaient reproché au Roi-Liche. Elle venait d’être témoin du contraire, et elle en conçut une haine plus forte que tout ce qu’elle avait pu ressentir jusqu’à aujourd’hui.

   Lors de leur fuite, elle traversa à nouveau les quartiers de son enfance. Un son lointain lui rappela les jappements du petit chien. La gorge serrée, elle se fit une promesse. Elle ne laisserait pas ce crime impuni. Les morts-vivants, Fléau ou Réprouvés, tous devaient payer pour ce qu’ils avaient fait à ces terres qui avait un jour été son foyer. Ce jour-là, elle sut qu’elle donnerait sa vie pour atteindre ce but.

***

Départ


   Un rayon de lumière se détachait dans la pénombre de la grange, dévoilant un essaim de poussière qui dansait dans la chaleur estivale alors que la jeune fille se redressait. Les joues encore rouges sous ses taches de rousseur, elle semblait reprendre son souffle. A côté d’elle, le garçon était étendu, comme savourant un moment de béatitude. Ses boucles blondes se confondaient avec la paille sur laquelle sa tête reposait, et ses yeux contemplaient les vieilles poutres qui soutenaient le toit du bâtiment. De son côté l’adolescente réajusta sa robe, puis entreprit d’enlever le plus gros du foin de ses cheveux acajou. Elle observait le blondinet avec un sourire, mais son regard était presque réprobateur.

   - Tu devrais ranger tout ça, Will, avant que quelqu’un te surprenne !

   Son ton se situait quelque part entre l’amusement et le reproche. Il lui répondit d’une voix languide, se redressant sur les coudes.

   - Ça sert à quoi que tu te démènes autant si je ne peux pas plus en profiter ?

   Le regard qu’elle lui jeta valait plus qu’un long discours, et dans un grommellement, il porta les mains à sa ceinture et reboucla son pantalon. Puis il se mit assis, et reboutonna sa chemise, après en avoir secoué les pans pour enlever l’herbe séchée qui s’y était accrochée. La jeune fille se mit à genoux, à côté de lui, et retira un brin de paille de ses cheveux. Malgré le ton employé auparavant, elle lui souriait tendrement. Elle s’attardait sur son visage rond et ses yeux bleus.

   - Il fallait bien que je te laisse un souvenir impérissable, finit-elle par annoncer. Mais ça n’empêche pas qu’il vaut mieux éviter de se faire surprendre, je n’ai pas envie de me disputer avec mon père la veille du départ !

   Il lui posa une main sur le bras et déposa un baiser sur sa joue. Il se redressa, et fit la moue, la regardant d’un air triste.

   - Tu vas terriblement me manquer.

   Elle éclata d’un rire argentin, avant de le regarder en haussant les sourcils.

   - Tu parles ! Tu vas aller te consoler dans les bras de Mayleen, oui. Je ne me fais pas de souci pour toi.
   - N’empêche que tu vas quand même me manquer, répondit-il sur un ton buté. C’est pas pareil avec elle. Il marqua une pause. Tu pars tôt, demain ?

   Elle continuait à ôter le foin de leurs cheveux, machinalement. Son regard se perdit dans le vague, et sa voix était devenue lointaine.

   - Oui, je suis attendue avant midi à la Cathédrale. Et il y a quand même une bonne distance à parcourir. J’aurai juste le temps de prendre un petit déjeuner avant de partir.
   - Qu’est-ce qui a pris à ton père ? Te faire reprendre des études à ton âge ? Tu devrais plutôt commencer à penser à te caser, je suis sûr que tu peux te trouver un bon petit mari au village.

   Elle leva les yeux au ciel. Un mari ? Et puis quoi encore, elle n’avait même pas seize ans. Ce n’était pas parce qu’elle vivait dans un village rural qu’elle allait se plier à toutes leurs traditions. Avant de se retrouver ici, elle avait vécu en tant que commerçante nomade, avec sa famille, et dans ce genre de métier, on ne se casait pas à seize ans ! Mais comment pouvait-il le comprendre ? Elle soupira, avant de lui exposer sa situation.

   - Avec la mort de maman, j’ai dû interrompre mes études, bien à contrecœur, mais papa avait besoin de moi pour tenir la boutique. Il s’en est toujours voulu de m’avoir détourné de ce qu’il pense être ma voie, alors, maintenant que les affaires sont ralenties, et qu’il peut y arriver seul, il me redonne cette chance de persévérer. Elle secoua la tête. Depuis le Cataclysme, et la misère qu’il a engendrée, les clients se font plus rares.
   - Et tu préfères aller suivre des cours à la Cathédrale plutôt que de rester tranquillement ici ? A profiter du foin ?

   Il commença à lui caresser le bras, mais quand sa main s’approcha de sa poitrine, elle la repoussa d’une claque. Elle ne lui souriait plus, et son regard était redevenu lourd de reproches.

   - Oui, je préfère essayer de faire quelque chose de ma vie, et ne pas m’enterrer dans un village de campagne sans pouvoir rien apporter à personne. Qui sait, peut-être que je reviendrai vivre ici une fois que j’aurai obtenu mon diplôme de médecin ? Si ça arrive, je ne suis pas certaine de venir te soigner le jour où tu seras malade !

   Elle se leva dans un mouvement souple, et détourna le regard vers l’échelle qui allait lui servir à redescendre. Elle avait voulu passer un dernier bon moment avant de retrouver la rigueur de l’Eglise, et il était en train de tout gâcher. Elle décida de partir avant de regretter sa décision. Elle venait de poser le pied sur le premier barreau quand il se décida à parler.

   - Allez, Adel, boude pas ! Je voulais pas te vexer, c’est juste que j‘aurais bien aimé que tu restes, c’est tout. En vrai, j’espère que tu y arriveras, et que tu seras contente de ta vie, c’est ça le principal.

   Elle le toisa du regard. Il était toujours nonchalamment assis dans le foin, ses boucles blondes cascadant sur son front. Il était mignon, et il avait bon fond, elle en était persuadée. Ses dernières paroles la firent sourire, mais elle sentit comme une boule se coincer dans sa gorge. Malgré son envie d’aller étudier et sa détermination, quitter cette vie tranquille à Comté-du-Lac n’était pas si facile. Elle tâcha de masquer son émotion quand elle lui répondit.

   - Merci, Will. Moi aussi, je l’espère.


***

Tournée hivernale


   En haut, en bas, en haut, en bas. Avec une précision de métronome, l’aiguille montait et descendait à travers l’étoffe épaisse. La jeune fille qui la manipulait était plongée dans une intense concentration. Elle aimait coudre de la sorte, ça lui permettait de vider son esprit et d’en écarter les soucis. Elle avait maintenant accepté depuis un certain temps que ses anciennes aspirations devaient être vue à la baisse, et y penser ne la remplissait plus d’amertume, seulement d’un léger vague à l’âme. Le doux parfum de fleur des bougies qu’elle avait allumées dans la pièce renforçait cette impression de cocon qu’elle s’était créée.

   - Ah, Adel, tu es là ! Oh pardon, je te dérange…

   La voix grave et enjouée de l’homme l’avait fait sursauter. Elle avait failli se piquer avec son aiguille, et elle se tournait maintenant vers lui, les sourcils froncés.

   - Papa ! Je t’ai déjà dit de ne pas me surprendre comme ça quand je couds. Si je rate mes points, la robe sera invendable.

   Son père lui accorda un sourire penaud, le ton dramatique de sa fille n’en demandait pas moins. Elle était à un âge où il était normal qu’elle cherche à s’affirmer, mais il avait du mal à ne plus voir en elle la petite fille enjouée qu’il aimait tant. Pourtant, elle avait été obligée de grandir encore plus vite depuis deux ans. Comme toujours quand il repensait à la mort de sa femme, il ressentait ce remord d’avoir empêché sa fille de suivre sa propre voie. Sa petite fille, si empathique, si douce, si prompte à manipuler la Lumière, l’avoir obligée à interrompre ses études pour qu’elle vienne l’aider à tenir la boutique… Mais il n’avait pas eu le choix, seul, il ne pouvait plus faire de tournées à travers les différents villages de la région, il n’avait plus de vêtements à vendre, seulement des fournitures, et sans l’argent de ces ventes, il n’avait pas de quoi lui payer ses études.
   La robe qu’elle était en train de coudre ferait partie du lot qu’ils espéraient écouler lors de leur prochaine tournée qui commencerait le lendemain. Le cœur de l’hiver n’était pas la saison la plus agréable pour voyager, mais c’était une des plus propices pour aller vendre des habits dans les hameaux et fermes isolées de la région. Il soupira, avant de s’adresser à sa fille du ton le plus doux qu’il pouvait.

   - Excuse-moi, ma grande, je ne voulais pas te faire peur. Je venais juste voir où tu en étais dans les préparatifs, mais il semble que tu avances bien. Ce sera prêt pour demain ?

   Elle leva les yeux au ciel, l’air exaspéré. Sa voix l’était tout autant quand elle lui répondit.

   - Évidemment que ce sera prêt à temps. Sauf si tu continues à me retarder en me faisant manquer mes points.

   Mais très vite, son regard s’adoucit, et elle sourit doucement à son père. Ses yeux s’attardèrent ensuite sur la robe qu’elle tenait sur ses genoux. La laine épaisse était douce, et son contact lui rappelait comme toujours sa mère. Ce modèle était son favori, et le premier qu’elle avait appris à sa fille. Adelheidy sentit monter en elle une bouffée de nostalgie, et sa vue se voila. Le deuxième anniversaire de sa mort était passé depuis peu, et y penser était douloureux. Elle secoua la tête, ce n’était pas le moment de s’apitoyer sur son sort, il fallait finir cette robe avant ce soir. Elle et son père avaient repris leurs vies en main, et la boutique tournait bien, c’était le principal. Il lui restait à progresser dans la confection de vêtements, à apprendre de nouveaux patrons, car même si les modèles qu’elle savait faire étaient du genre pratiques et virtuellement indémodables, elle était consciente qu’ajouter des pièces plus travaillées à son catalogue serait apprécié des clients. Et qui sait, peut-être un jour irait-elle vendre ses créations à la capitale ? Elle se retourna finalement vers son père pour lui parler d’une voix affectueuse.

   - Je ne devrais pas être si nerveuse, mais il y a cette robe à finir, les sacs à préparer, l’appartement à ranger. J’aime beaucoup ces tournées, mais être plus d’un mois sur la route, ça demande tellement de préparation…
   - Tu sais, ma chérie, je fais ça depuis très longtemps, tu devrais me faire un peu confiance, dit-il sur un ton légèrement peiné. Ta mère gérait une grosse partie de l’organisation, mais je sais quand même comment faire. Et tu es là pour m’aider, tu as hérité de son sens de la logistique, donc tout va bien se passer. Comme la dernière fois.

   Il s’approcha d’elle et lui posa une main sur l’épaule. Elle tourna la tête vers lui, et posa sa main sur la sienne. Elle avait retrouvé un sourire plus franc, et elle lui parla, les yeux pétillants.

   - On va assurer, papa ! La meilleure tournée qu’on ait jamais faite ! Il faut juste que je termine cette robe, et j’irai m’occuper des bagages.
   - D’accord, je te laisse alors. Je vais aller vérifier les attaches de notre chariot, et brosser notre jument. A plus tard.

   Il lui posa un baiser sur la tête, qu’elle fit mine de repousser, mais son sourire montrait qu’elle appréciait cette marque d’affection malgré tout. Il sortit de la pièce en refermant la porte doucement, et elle resta de longues minutes à contempler le panneau de bois, les yeux dans le vague. Depuis la mort de sa mère, elle et son père se soutenaient mutuellement. Chacun avait dû faire de nombreuses concessions, mais par amour pour l’autre, ils les supportaient avec facilité. Tant pis si elle ne devenait pas médecin comme il l’avait toujours souhaité, elle serait une formidable couturière à la place. Et puis, rien ne l’empêchait de travailler ce qu’elle avait commencé à apprendre lors de son passage à la Cathédrale. A la campagne, même quelques sorts de soin de base pouvaient aider les gens, et si elle s’entrainait, peut-être pourrait-elle tout de même soigner ceux qui en avaient besoin, à l’occasion.
   Son attention se tourna de nouveau sur la robe qu’elle était en train de confectionner. Elle avait presque terminé, mais il lui restait à faire tout de même quelques finitions. Tout en pensant à la liste des bagages, elle plongea à nouveau l’aiguille à travers l’épais tissu de laine, cousant avec précision les derniers rubans de son ouvrage.


Titre: Doutch écrit aussi, un peu...
Posté par: Doutchboune le samedi 05 septembre 2020, 12:39:32
Et un texte non wowien pour une fois.

Marche vespérale


   Le bitume sous ses pieds reflétait les couleurs vibrantes des enseignes de la rue. L’humidité de cette pluie fine et dense nimbait tout d’un halo lumineux changeant au rythme des images qui se succédaient sur les écrans alentours. Capuche rabattue jusqu’au bas de son front, tête engoncée dans ses épaules, elle marchait d’un pas rapide, les yeux dirigés vers le sol mais le regard perdu dans ses pensées. Les gouttes d’eau ruisselaient sur son visage, mais son chaud manteau la maintenait au sec. Machinalement, ses pas la menaient en direction de son appartement, pourtant, au fond d’elle, elle n’avait aucune envie de rentrer. Retrouver la solitude de son studio, vivre sa routine, sans espoir d’en changer. Était-ce la fatigue ? Le temps ? Y avait-il une raison plus profonde ? Quelle qu’en soit la cause, elle était d’humeur morose, comme si rien ne pouvait relever les coins de ses lèvres et effacer cette moue mélancolique qui la suivait depuis des heures. La réflexion lui fit froncer les sourcils. Des heures ? Des jours, plutôt… Il y avait eu des intermèdes, des moments de sourire, des ilots de joie mais tous ces instants étaient si sporadiques, si brefs qu’ils ne faisaient que renforcer cette impression de solitude, comme des fenêtres sur un bonheur que jamais elle ne pourrait atteindre, et qui faisait finalement mal quand elle y repensait.

   La boule dans sa gorge enflait, elle avait envie de partir, marcher au hasard, vers une destination inconnue, mais ses pas étaient vissés à leur trajet habituel. Profondément en elle se trouvait ce désir de tout bousculer, d’enfin crier que rien, ou presque, de ce qu’elle vivait ne lui convenait, et qu’elle allait enfin retourner la table pour laisser s’exprimer ce qu’elle ressentait. Cette force était pourtant contenue, comme enserrée dans sa cage thoracique, emprisonnée sans espoir de sortie. Son esprit rationnel avait très vite pris le relais, n’apaisant en rien le sentiment d’oppression, au contraire. Il lui rappelait des évidences, qu’elle pouvait toujours marcher au hasard, mais pour aller où ? Que ferait-elle quand elle aurait froid, faim et sommeil ? Où trouverait-elle de quoi remplir son compte en banque ? Ces pensées étaient douloureuses, comme si une chape inamovible pesait sur ses épaules. Il était impossible de s’extraire de la réalité, il fallait vivre dans ce monde, avec ses contraintes aussi absurdes et inévitables qu’elles soient. Oppression interne, oppression externe… Sa respiration se faisait courte, difficile, la boule dans sa gorge de plus en plus enflée, l’humidité lui monta aux yeux. Battant des cils, elle redressa le menton et balaya son environnement du regard.

   Elle regardait la rue qui l’entourait comme si elle la voyait pour la première fois. Ses yeux passaient d’une enseigne à l’autre, d’un écran d’affichage aux phares des voitures qui circulaient sous la bruine. Elle discernait les silhouettes des gens qui s’affairaient autour d’elle, vivant leur vie de leur côté. Elle se demandait quels étaient leurs soucis, si sous leurs masques de normalité, eux aussi vivaient de vraies tempêtes mentales, ou s’ils traversaient l’existence sans jamais se poser de telles questions. Les nombreuses lumières jouaient sur ses perceptions, accentuant parfois les profils, émoussant parfois les angles, rendant flous certains mouvements. Tout était irréel, comme si elle avait été posée là, au centre d’une pièce close où un univers factice était projeté sur les murs. Pourtant, ses pieds continuaient leur inexorable progression vers leur but initial, sans qu’elle eût l’impression de pouvoir y remédier. Qu’est-ce qui était le plus vain ? Ce monde qui l’entourait, ou son désir d’y échapper ? Le profond soupir qu’elle poussa fut sa réponse. Bien malgré elle, elle se résigna à nouveau. Il n’y avait pas le choix, il fallait accepter, et supporter.

   Elle laissa dériver ses pensées le reste du trajet, sur ses activités de la journée, son travail, ses loisirs. Elle tenta de se projeter dans une future activité créatrice, mais ces crises avaient en général pour conséquence de tarir son imagination. Finalement, sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte, elle avait atteint la porte de son appartement. Une fois à l’intérieur, elle ôta son manteau dégoulinant de pluie, posa son sac et prit une grande inspiration en regardant son lieu de vie. Son petit cocon, là où elle était à l’abri de toutes ces agressions extérieures, là où elle pouvait laisser son esprit penser à ce qu’elle aimait vraiment et qui était à cent lieues de ce que le monde extérieur exigeait. Elle esquissa un sourire triste, se dirigeant comme toujours vers son ordinateur, ultime bouée de sauvetage après sa bibliothèque. Ce soir, elle se coucherait tôt. Elle savait l’influence de la fatigue sur son humeur, et que dormir suffisamment était une clé pour retrouver le moral. Le moral, ou peut-être seulement la force d’affronter le monde dans lequel elle vivait et qui lui correspondait si peu. Demain, elle irait mieux. Il ne pouvait en être autrement.
Titre: Doutch écrit aussi, un peu... [Texte : Marche vespérale]
Posté par: Doutchboune le dimanche 23 mai 2021, 19:10:26
Maintenant que le concours à quatre mains (https://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,9668.0.html) est terminé, je vais poster mes textes (tels quels) dans la galerie.

Première manche
*
Le temps des murmures


  J. Le printemps. La saison du renouveau. Le temps est encore frais, le vent pénétrant, pourtant je goûte avec plaisir mon trajet matinal. Les masses blanches et roses des arbres en fleurs se découpent le long des allées, adoucissant les formes rudes de l’hiver mourant. J’inspire à fond cet air revigorant, et mon pas s’accélère, mon sourire s’étend sur mon visage. J’aime traverser le parc pour aller au labo, cette bouffée d’oxygène avant de retrouver mon bureau me rassérène, et efface une partie du stress dû à l’anticipation de ma journée. Aujourd’hui, pourtant, rien de spécial au programme, mais il faut croire que le monde de la recherche n’aide en rien ceux qui ont tendance à l’anxiété. J’aperçois le grand portail, et au-delà, les bâtiments de l’université. Je savoure ces derniers instants de calme, laissant le murmure du vent me bercer, puis franchis le seuil du campus.
   Mon pas s’est accéléré, mon sourire s’est effacé. Je monte les marches qui mènent aux locaux du laboratoire, et machinalement, me dirige vers la salle café, là où je m’attends à retrouver des collègues fraîchement arrivés, prenant un peu de temps avant de réellement démarrer leur journée. Il n’y a pourtant qu’une jeune femme, plongée dans un livre de vulgarisation titré « Bipolarité et schizophrénie : la réalité derrière la fiction », qui, j’imagine, connaissant à la fois l’actualité et l’étudiante, parle du traitement de ces troubles mentaux dans diverses œuvres de fictions parues ces dernières années. Alors que j’entre dans la pièce, elle relève la tête et me sourit, tout en refermant son livre d’un geste machinal.
   M. – Salut Margot !
   - Bonjour Joël, ça va ce matin ?
   Depuis que j’ai commencé ma thèse au labo, je n’ai jamais vu Joël en retard, ni en avance. Ce mec est réglé comme une horloge, et si ça n’était pas si drôle, peut-être que ça me ferait peur. Mais bon, parmi les chercheurs, il reste un des plus accessibles, et j’aime bien discuter avec lui. Parfois, je regrette qu’il ne soit pas mon directeur, mais est-ce-que j’aurais une aussi bonne opinion de lui si je devais directement lui rendre des comptes, avec sa rigidité proverbiale ?
   - Très bien, je suis passé par le parc, le vent était vivifiant. Et avec tous ces arbres en fleurs, ça sent le printemps qui approche. J’ai hâte que les beaux jours soient de retour, crois-moi !
   C’est fou comme même avec des intellectuels, on n’échappe pas aux banalités des conversations sur la météo. Enfin, c’est une façon comme une autre d’engager le dialogue, après tout.
   - Oh, tu sais, je viens en bus, j’ai pas trop l’occasion de sentir le vent, mais ouais, vivement qu’il fasse un peu plus doux. Et si tu fais chauffer de l’eau, mets-en un peu plus, je vais reprendre un thé.
   Demande tout à fait rhétorique, il était déjà en train de prendre la bouilloire, et je pense qu’il ne lui serait même pas venu à l’esprit de ne pas la remplir entièrement. D’ailleurs, il me répond par un sourire entendu.
   - C’est comme si c’était fait. Au fait, t’as pas oublié qu’on a une réunion dans deux jours ? Il va falloir que tu fasses le point sur l’avancement de ton travail.
   Finalement, c’était peut-être mieux de parler météo.
   - Ça va, oui, je sais. Je dois voir Arnaud tout à l’heure pour faire le point. D’ailleurs, je crois qu’il est bientôt l’heure, il est temps de s’y mettre.
Aussitôt dit, aussitôt fait, juste le temps de remplir ma tasse, et je me rue dans mon bureau. Si je dois voir mon directeur de thèse, il vaut mieux que je me prépare un peu.
 
   J. Enfin, je retrouve le parc, son calme et sa sérénité. A peine ai-je traversé le portail que je sens à nouveau le vent faire bruisser les branches des arbres autour de moi. Mon regard se perd dans la danse sans fin des rameaux couverts de fleurs roses et blanches, sublimée par la douceur de la lumière du soir en train de tomber. J’en oublie la journée passée, le stress des conflits latents entre collègues, l’horrible chose qui passe pour de la nourriture à la cantine le midi. Ici, seule la caresse du vent m’importe. Son contact m’enivre, j’aime sentir sa pression dans mon dos. J’avance inexorablement vers la sortie, vers mon appartement, mais son chant murmuré à mes oreilles ne me quitte pas, allégeant mon pas et mon esprit.
   M. Eh bien, pas fâchée que cette journée se termine. Entre les plantages de réseau et les temps de chargement, j’ai bien cru que je ne pourrais pas finir mon expérience avant de rentrer ce soir. Au moins, j’ai eu mon bus, et il n’y a pas trop de monde dedans, mais pas moyen de trouver une place assise. Tant pis, je lirai plus tard, en attendant, j’active le mode attente, les yeux rivés sur le paysage qui défile à travers les vitres sales. Ma conversation matinale avec Joël refait surface et mon regard se porte sur les arbres aux branches encore majoritairement dénudées. Leur quasi-immobilité me fait me dire que le fameux vent de ce matin est tombé. De fil en aiguille, je repense à cette fichue réunion. Comme toujours, ça va parler de tout et surtout de rien, et quand viendra mon tour de présenter mon travail, je vais devoir bâcler tout ça parce qu’il sera l’heure de terminer, et personne ne m’écoutera. Mais je suis sûre que si je ne me prépare pas, ils me feront le coup de me faire parler au tout début, et je ne veux vraiment pas me taper la honte devant tout le monde.
 
   J. Allez, je suis presque dans le parc, j’ai vraiment besoin de ça, ce matin. Ces réunions de labo m’ont toujours exaspéré au plus haut point. Personne n’écoute personne, chacun a son petit discours dans son coin, et tout part dans tous les sens alors qu’il faudrait seulement un peu cadrer les choses pour que ça se passe bien. Mes collègues sont tellement désorganisés, je me demande toujours comment ils arrivent à travailler correctement dans ces conditions. Penser à ces réunions a le chic pour assombrir mon humeur, et on dirait que le temps s’est mis au diapason. Le ciel s’est voilé, le vent n’a pas faibli. Je l’entends toujours murmurer sa douce mélodie à mes oreilles, m’apportant le réconfort dont j’avais besoin. Les branches s’agitent, les fleurs dansent, et les pétales volent autour de moi, tels une neige tardive et envoûtante. Je me délecte du spectacle, ralentissant le pas, quand tout à coup, je suis surpris par un léger éclat lumineux qui clignote parmi les pétales. D’où peut-il bien venir ? Qu’est-ce qui pourrait bien refléter la lumière au milieu de ces fragments de plantes ? Je m’arrête et scrute plus attentivement. J’aperçois d’autres reflets, comme si certains des pétales avaient la capacité de renvoyer la lumière. C’est un phénomène tout bonnement ahurissant, mais je n’arrive pourtant pas à mieux voir, et ces lueurs sont insaisissables. Je resterais bien plus longtemps, malheureusement l’heure tourne, et je vais être en retard pour la réunion.
   M. Ça y est, nous y sommes. Je suis contente d’être arrivée tôt, j’ai pu avoir une place tranquille, le genre de place où on peut même griffonner en toute impunité, même si, pour le moment, je n’ai qu’une envie, attendre que le temps passe, tout simplement. Les gens entrent petit à petit dans la salle, et s’installent plus ou moins bruyamment. Il y a peu de sièges vides, toujours les mêmes retardataires. C’est alors que je remarque que Joël n’est pas là. Lui, en retard ? J’espère qu’il ne lui est rien arrivé, c’est tellement inhabituel. Il semblerait que je sois la seule que cet événement trouble, il faut croire qu’il a prévenu de son absence et que je ne suis pas au courant. En tout cas, tout le monde est assis, et le chef semble vouloir prendre la parole. Le show va commencer.
   Le calme vient tout juste de tomber sur notre assemblée que la porte s’ouvre à nouveau, sur un Joël passablement essoufflé qui s’excuse platement de son retard. Je le vois scruter la salle à la recherche d’une place où s’installer, et se diriger vers moi. Après tout, il y a une chaise libre, et on s’entend plutôt bien, lui et moi. La réunion reprend son cours, les brouhahas cessent, et notre cher directeur prend la parole. Je l’écoute d’une oreille distraite quand mon nouveau voisin m’interpelle discrètement d’une légère tape sur le bras. Il a l’air ailleurs, et, chose surprenante, de totalement se désintéresser de la réunion. Je l’interroge du regard, curieuse, et, à voix basse, il commence à me parler de trucs étranges qu’il aurait vu dans le parc ce matin. Genre il aurait vu des morceaux de miroir voleter au milieu des pétales de fleurs. Honnêtement, ce ne serait pas lui, j’éclaterais de rire, réunion ou pas, mais il a beau avoir de l’humour, je ne le vois pas faire ce genre de blague. Je me contente de hausser un sourcil, en lui demandant en rigolant ce qu’il a mangé ce matin. Je n’en saurai pas plus, je crois que nous nous sommes un peu fait remarquer, et qu’il est temps de se replonger dans la réunion, surtout qu’il semblerait que ça va bientôt être mon tour, joie…
   J. Quelle journée, j’ai repensé à ces lueurs sans arrêt, et je presse le pas pour rejoindre le parc. Le ciel est devenu menaçant, j’espère tout de même ne pas me faire rincer par une averse, mais qu’importe, je suis trop curieux de voir si les éclats sont toujours là. Alors que je franchis le portail d’entrée, mes yeux se portent vers l’allée bordée d’arbres en fleurs, de moins en moins garnis sous l’effet du vent. Vent qui a considérablement forci, je le sens me pousser dans le dos, et chanter à mes oreilles. Ça en devient entêtant, j’ai l’impression que si j’arrivais à mieux me concentrer, je pourrais discerner des mots parmi les murmures, mais mon attention est retenue ailleurs. Parmi les pétales virevoltent de nombreux éclats, certains de taille considérable. Je m’approche, je cherche à distinguer ce qu’ils sont. C’est vraiment surprenant, presque hallucinant, ils ressemblent à des fragments de miroir, mais souples, et tellement légers qu’ils virevoltent dans le vent comme des plumes de duvet. Mais ce qui m’émerveille le plus, c’est ce qu’ils reflètent. Je n’y vois pas le ciel gris qui me surplombe, ni les superbes couronnes des arbres ornés de fleurs, non, mais ils me montrent des paysages, un ciel bleu parfois, rose ailleurs. J’y perçois des arbres, des gens, et j’ai l’impression que le vent cherche à me raconter ce que je vois.
 
   M. Mais qu’est-ce qu’il fabrique ? On avait rendez-vous à dix heures ce matin pour bosser sur ce fichu logiciel, et il a déjà un quart d’heure de retard. Je vais finir par m’inquiéter, à force, ça ne lui ressemble tellement pas. Déjà cette histoire bizarre de reflets et de vent, hier… J’espère qu’il n’est pas malade, ou qu’il ne s’est pas mis à prendre des trucs. Ah, ben voilà, enfin, il m’appelle !
   - Allo, Joël ?
   - Margot, tu es là super !
   Il semble surexcité, lui qui a tendance à parler vite habituellement a réussi à accélérer son débit.
   - On avait rendez-vous, qu’est-ce que t…
   - Il faut que tu viennes tout de suite, c’est incroyable !
   - Mais et notre…
   - Viens vite, je ne sais pas combien de temps ça peut encore durer, c’est tellement extraordinaire, il faut absolument que tu voies ça.
   - Tu es où, de quoi tu parles ?
   - Au parc, tu sais, le truc dont je t’avais parlé à la réunion, allez viens vite, il ne faut pas rater ça !
   Avant même que j’ai pu en placer une, il a raccroché. Je regarde mon téléphone fixement pendant quelques secondes, abasourdie. Mais quelle mouche l’a piqué ? Je crois qu’il va falloir que j’y aille pour savoir ce qu’il se passe, de toute façon, ne serait-ce que pour lui dire de venir m’aider comme il l’avait promis. Je passe mon écharpe et mon manteau, et sors du bâtiment pour me diriger vers le parc d’un pas rapide. Le pire c’est que mon inquiétude est presque effacée par ma curiosité. Je vais peut-être enfin comprendre de quoi il me parle depuis hier.
   J. Ils sont tellement nombreux, le vent tellement enivrant, tous ces miroitements, impossible d’en détacher le regard. Toutefois, je suis interrompu dans ma contemplation quand je remarque que Margot se tient juste à côté de moi, le regard interrogatif, presque suspicieux. Je laisse mon esprit se détacher de l’objet de mon attention, et me tourne vers elle en souriant.
   - Ah, Margot, tu as fait vite, parfait.
   Elle semble sceptique.
   - Salut Joël, tu es sûr que tout va bien ? On avait rendez-vous ce matin, c’est pas dans tes habitudes d’être en retard, et encore moins de poser des lapins.
   - Tout va bien, c’est juste que… tu ne trouves pas ça magnifique ? Fascinant ? Intriguant ?
   A son air ahuri, je devine qu’elle ne sait pas de quoi je parle. Pourtant nous nous trouvons au milieu de centaines de scintillements lumineux, et dont l’éclat est comme porté par le vent qui agite ses cheveux.
   - Et bien, la brise fait voleter quelques pétales de fleur, oui, mais je ne vois rien de bien exceptionnel.
   C’est à moi d’avoir un air ahuri.
   - Comment peux-tu ne pas les voir ?
   M. Et voilà qu’il se met à sauter partout en faisant de grands gestes avec ses bras. Il délire complètement, on dirait, qu’est-ce que je peux faire pour l’aider à sortir de son trip ? J’ai beau lui dire qu’il n’y a pas plus de reflets dans l’air que dans le fin fond d’une cave obscure, il ne s’arrête pas. Et le voilà qui jubile, poing fermé, clamant que ça y est, il en a attrapé un. Je fais quoi maintenant ? Je vais entrer dans son jeu, peut-être que ça le calmera, et qu’il m’écoutera ensuite. De mon air le plus tranquille, j’attends de voir ce qu’il a au creux de la main, prête à broder sur ce qu’il voudra entendre.
   Oh mon dieu ! Qu’est-ce que c’est que ce truc ? On dirait un morceau de miroir, ou de fenêtre, vu que je ne me vois pas dedans. Et c’est quoi de ce vent ? C’est impossible que le temps ait changé si vite. Je regarde fixement l’éclat, et sens mes jambes trembler. J’ai l’impression que le souffle m’enserre, me ligote. J’ai l’impression qu’un chœur maudit chante à mes oreilles. Rien de tout cela n’est normal, au secours !! Je lève les yeux vers mon collègue, mais tout ce que je vois, c’est son sourire réjoui. Il est au comble de l’excitation.
   - Regarde, j’en ai eu un ! Ça y est j’ai réussi à en attraper un !
   Comment peut-il trouver ça merveilleux ?
   J. Enfin ! J’en tiens un. Il chatoie dans la paume de ma main, je peux le regarder de plus près, savoir ce que c’est, ce qu’il me montre. Je vois une allée, je vois des arbres, mais il fait grand soleil, une légère brise agite les feuilles des arbres. Je vois des bancs sous les arbres. Cette allée, c’est celle du parc, je la reconnais et pourtant… Pourtant les choses y sont différentes, les bancs ne sont pas les mêmes, et quand des gens entrent dans le champ de vision, je comprends pourquoi. Leur tenue ne laisse planer aucun doute, ce que je vois, c’est ce même parc, mais en 1930 ! Je lève les yeux sur Margot, et lui annonce la nouvelle. Pourtant, elle ne semble pas ravie de l’apprendre, et son teint est d’une pâleur marmoréenne. Un instant, je me demande si elle est malade, et suis à deux doigts de lui dire de rentrer chez elle se reposer, mais mon regard est attiré vers un autre miroitement. D’un geste, je m’empare du fragment et plonge mon regard dans son reflet. Ce que je vois me fait rire. Qui se souvenait qu’une telle horreur avait orné cette allée ? Indubitablement, c’était les années 70, il n’y avait que cette époque pour oser des sculptures pareilles. J’en fais la remarque à Margot, je la sens me tenir le bras. Elle doit sûrement essayer de regarder par-dessus mon épaule.
   M. Je le secoue comme un prunier, mais rien n’y fait, il continue à regarder béatement dans le creux de sa main. Je détourne le regard, je ne veux surtout pas voir ça, on dirait un de ces trucs qui rendent fou, comme dans les séries télé. Je finis par le lâcher, de toute façon, on dirait qu’il ne me voit même plus, même s’il me parle de temps en temps. Je le vois courir, sauter, attraper ses fragments, les observer et recommencer. Le vent souffle, tournoie autour de moi, son bruit assourdissant occulte tout le reste, c’est comme s’il était entré dans ma tête. Je plaque les mains sur mes oreilles, mais rien à faire, ça ne s’arrête pas. Je ne le supporte plus, désolée Joël, mais je ne peux rien pour toi. Il faut que ça cesse. Je rentre chez moi.
   J. Ils m’ont poussé vers la sortie et fermé la grille. J’ai beau leur demander de m’ouvrir, rien à faire, ils m’ont laissé planté là, les mains agrippées aux barreaux. Le vent a cessé, et je ne vois plus d’éclats danser au loin. Je finis par me résigner, ils reviendront sûrement demain. En attendant, j’en ai plein les poches, je vais pouvoir les étudier ce soir, tranquillement, chez moi. En tout cas, ils continuent de me raconter des choses, si seulement je pouvais comprendre ces murmures.
 
   Quelle déception. Malgré tout ce qu’ils tentent de me dire, il n’y a plus rien dans mes poches, seulement une poignée de pétales de fleurs. Je les ai étalés sur mon bureau et je les regarde, qui sait, peut-être qu’ils se retransformeront. Et si ce n’est pas le cas, j’irai en chercher à nouveau demain. Je suis sûr que c’est ce qu’ils cherchent à me dire.
   M. J’ai peur. Dès que je suis sortie du parc, le vent est tombé, mais j’ai continué à entendre comme des murmures lointains. Je n’aime pas ça. Entendre des voix, c’est être fou, non ? Au moins, ils ont fini par cesser, une fois dans mon appartement. Je n’ose plus sortir, et si ça recommençait ?
 
   A. Trois jours. Ça fait trois jours que Margot n’a pas donné de nouvelles. Je comprends qu’on ait besoin de faire des petites pauses de temps en temps pendant une thèse, mais la moindre des choses serait de prévenir. Surtout qu’on devait terminer une expérience importante, et qu’elle m’a laissé tomber, ce n’est vraiment pas professionnel. Elle va m’entendre le jour où elle reviendra. Et Joël qui disparait lui aussi, c’est à n’y rien comprendre. Ce n’est vraiment pas le moment de céder à je ne sais quelle crise de la quarantaine, alors qu’on est en plein dans les dossiers d’évaluation. Enfin, résultat, c’est pour qui le travail supplémentaire ? C’est pour Arnaud. Je t’en ficherais des collègues pareils, on ne peut vraiment pas leur faire confiance.
Titre: Doutch écrit aussi, un peu... [Textes du Concours à 4 mains]
Posté par: Doutchboune le dimanche 23 mai 2021, 21:34:24
J'enchaine avec mon texte pour la 2e manche du concours, qui devait raconter celui de Neyrin. mais d'un autre point de vue, et à la première personne. Autant j'avais pas de souci avec la 2e condition, j'écris souvent à la première personne, autant j'avais tellement aimé le texte sur lequel je devais m'appuyer que j'avais très peur de ne pas réussir à lui rendre hommage. Quoiqu'il en soit, je vous conseille d'aller le lire avant de lire le mien, c'est le texte nommé Le Judas qui est dispo dans ce message du topic du concours (https://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,9668.msg584104.html#msg584104). Pour ma part, le gros reproche que je ferais à mon texte, c'est qu'il ne peut pas être lu sans avoir lu celui de Neyrin. En tout cas, je pense qu'il est difficilement compréhensible sans le support de l'autre écrit...


Deuxième manche
*
Émanation


 
   Depuis combien de temps suis-je ici ? Des jours ? Des semaines ? Des mois ? Je n’en ai aucune idée, les débuts de mon existence ont été si confus, si décousus que je ne peux pas estimer leur durée. Tout ce que je sais, c’est que je suis née ici, dans cet appartement, un soir où l’émanation qu’Elle produisait était telle que j’ai pris conscience de moi-même. Ce n’était qu’une étincelle, une sensation étrange mêlant désir, peur et rejet. Je ressentais le vide soudain autour de moi, l’air faussement calme du lieu qui venait de vivre une bouffée intense d’émotions explosives dont les résidus d’ondes marquaient encore les murs autrement immaculés, mais qui avaient été comme annihilées par cette puissante émotion qui m’avait fait naître. Et puis, avec le retour du calme, j’ai perdu le contact. Je ne sais pas combien de temps il s’est écoulé avant mon apparition suivante, tout ce que je peux dire, c’est qu’il fallait qu’Elle laisse échapper ce qui bouillait en elle. Petit à petit, je m’éveillais de plus en plus facilement, saisissant chaque bribe d’émotion qu’Elle laissait filer par tout ce qui était Elle. De chaque sensation qui s’échappait des pores de Sa peau je me servais pour persister, jusqu’à ce que je sois, tout simplement.
   Je mis un certain temps à L’apprivoiser, à m’apprivoiser. A apprécier les variations de ce qu’Elle ressentait, cette force brute qui faisait que j’étais moi, ici, enfermée entre ces murs, pourtant libre de tout éprouver, libre de savourer chaque sensation qui La traversait, de la plus noire à la plus lumineuse, parfois étrangement liées en une sorte de danse mortelle. Je ne sais pas si Elle a conscience de ma présence, si Elle a perçu ma naissance, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’Elle me ressent forcément, vu la force qu’Elle me transmet. Tout ce dont Elle me nourrit irradie de moi, et se répercute contre les murs, se réverbère au contact des dalles froides du carrelage. Elle ne peut pas y être indifférente, même si je n’ai aucun moyen tangible de le savoir. Moi-même, je ne suis pas tangible, après tout. Au fil des jours, j’ai compris ce sentiment de vide qu’Elle véhiculait. Il était à la fois un objet de peur et une bouée à laquelle Elle se raccrochait, désespérément. Un désespoir à la fois craint et recherché. Cette confusion était ma vie, le mouvement qui régissait mon existence, et j’étais vouée à y réagir, absorbant et rayonnant ce qu’Elle ressentait, ne subsistant qu’à travers la restitution de Son état émotionnel.
 
   Cette nuit-là, j’étais comme engourdie. De toute la journée, Elle n’avait pratiquement rien émis, seule une rumeur sourde et lasse m’avait permis de rester éveillée. J’étais prise dans une sorte de langueur, à me demander si j’allais, une fois encore, perdre conscience pour ne revenir que plus tard, sans savoir si des heures, des jours ou des semaines s’étaient écoulés. La sensation perdura quand tout à coup, une vague interrogative teintée d’inquiétude vint percuter ma léthargie. Au fur et à mesure que cette vague prenait de l’ampleur, je saisis Son mouvement. C’est à peine si je perçus le léger frisson de froid alors que ce dernier s’insinuait en Elle au contact de la plante de Ses pieds avec le carrelage glacé. De toutes les sensations qui emplissait la pièce, la curiosité dominait, et j’étais impatiente d’en savoir plus. Je ne pouvais m’attendre à ce qui vint me frapper ensuite.
   J’avais ressenti un changement, comme si Son environnement venait de brutalement basculer, comme si Elle venait de découvrir quelque chose d’inattendu. La surprise et la stupeur me submergèrent, me paralysant le temps d’un instant suspendu. Puis je ressentis la faim, la faim insatiable, la faim dévorante, celle qui consume au lieu de sauver, celle qui détruit au lieu de secourir. Tel un ogre de conte de fées, elle envahit tout l’espace, s’insinuant dans chaque recoin de l’appartement, dévorant toute autre sensation sur son passage. Je me mis à paniquer. J’eus peur de disparaître, de me faire avaler par cette faim vorace et de ne plus jamais rien ressentir d’autre. La terreur effaça tout. Brusquement, la sensation cessa, et il ne resta que les résidus tremblants de ma peur.
   Je ne sais pas, et je pense que je ne saurai jamais si cette peur était la mienne ou la Sienne. Sûrement un mélange des deux. Je La sentis ondoyer sous ses sensations, oscillant entre panique et dégoût, comme si tout son être ne cherchait qu’à expulser ce qui venait de le traverser avec une violence soudaine. Moi-même je n’étais que tremblements et spasmes, une suite de contractions douloureuses, brutales jusqu’à ce que le nœud se défasse subitement. La douleur reflua, la terreur se mua en angoisse sourde qui m’enveloppa tel un manteau inconfortable, mais je réussis à nouveau à m’ouvrir sur mon environnement. Je La sentis elle aussi s’apaiser, en quelque sorte, même si sa peur latente envahissait tout l’espace comme une brume rampante sur les eaux troubles d’un marais fétide. Malgré tout, la tension était palpable. Je n’avais encore jamais ressenti une telle émotion, c’était comme si chaque vibration de mon être était prête à se briser, à exploser, et pourtant, j’étais comme en sourdine, comme si chaque sensation attendait son heure, tapie quelque part au fond de moi. Elle s’était déplacée, variation subtile dans l’espace clos de l’appartement, et ce qu’Elle y faisait lui servait de diversion afin de calmer le flot d’émotions qui l’assaillaient. Je profitais moi aussi de cette fausse tranquillité pour adoucir mes tensions. Soudain, tout en elle se tendit, comme en réponse à un vent de tristesse qui venait de naître non loin de nous.
 
   La déferlante d’effroi qui m’assaillit me prit totalement par surprise. Panique, terreur, je fus paralysée, incapable de rien d’autre que de subir, craignant encore une fois de disparaitre sous la force qui tentait de me balayer. C’est cette crainte de mourir qui me sauva. L’instinct de survie me guida, je me forçai à assouplir mes ondes, à desserrer leur amplitude. La peur était toujours là, mais elle ne me paralysait plus. Je m’ouvris de nouveau à l’espace vibrant de l’appartement. Une sensation lourde comme du plomb pesa sur moi, lentement, et c’est à peine si je ressentis de nouveau le froid du carrelage s’insinuer entre les bribes de mes émotions. La chape qui s’était abattue sur moi devenait de plus en plus oppressante. Je me sentis me comprimer, je vis mon espace vital se réduire, et à chaque fois que la panique que cette sensation induisait lançait une de ses piques, la prison autour de mon être se resserrait. Je pulsais, luttant contre son emprise, mais chaque battement semblait uniquement refermer le piège dans lequel je m’étais enfermée. Totalement désemparée, je perdis le contrôle et me laissai éclater, à peine consciente des risques que mon existence encourait en retournant toute cette pression contre la force qui m’oppressait.
   Le vide. La prison avait disparu, mais il ne restait que le vide, béant. Un gouffre sans fond, abyssal. Je me sentis chuter, et pourtant je n’avais pas peur. Ce flottement était comme salvateur, après l’oppression que j’avais vécue, après la compression que j’avais subie. Tout n’était plus qu’espace, liberté, et je faillis bien disparaître à jamais. Ce fut Elle qui me permit de me raccrocher à l’existence. Elle ne cessa pas d’émettre, au contraire. Sa peur laissait délicatement place au désarroi. Je pouvais ressentir Son angoisse, Sa confusion. Elle me transmit Son oppression, mais étrangement je ne m’y sentis pas piégée. A cette moindre intensité, ces sensations me rappelaient que j’étais vivante, et que je devais ma vie à l’émanation de Ses émotions. A travers la masse des ondes que nous partagions, je laissais filtrer ma gratitude, sentiment puissant bien qu’incongru dans le déferlement de sentiments négatifs qui agitaient cette soirée.
 
   Je m’étais habituée à la peur qui imprégnait maintenant tout mon environnement. Je me sentais frémir sous la force de ses vibrations omniprésentes, mais ce n’était plus qu’un bruit de fond, une litanie qui troublait la surface des eaux qui m’entouraient. La confusion était alors beaucoup plus évidente, et je me laissai emporter par le tourbillon désordonné de ces sensations disparates. Un nouveau frémissement me traversa alors qu’Elle laissa échapper, en plus de sa peur, une vague d’appréhension. Je m’ouvris alors plus amplement aux émotions qui émanaient des limites de l’appartement, et ce que j’y découvris me stupéfia.
  J’y perçus de la joie, une joie simple et innocente, légère comme le vol d’une plume dans la brise de printemps, douce comme le souvenir d’un enfant. Le contraste me prit par surprise, un sentiment de béatitude m’envahit et je me sentis flotter… Jusqu’à ce qu’une sensation presque tangible vienne me toucher brutalement. C’était une caresse, un contact, riche en perceptions physiques que mes souvenirs interprétaient comme agréables et pourtant… pourtant, ils me faisaient mal, comme si chaque attouchement arrachait une partie de mon être. Comme si l’on venait d’extirper de ma substance toute cette joie que je venais d’éprouver, arrachant au passage toute trace de cette tendre innocence qui avait semblé m’appartenir.
 
   Subitement, tout ne devint qu’effroi. La peur prit tout l’espace, et je ne pus rien ressentir d’autre. Elle irradiait, avec une telle brillance, une telle présence que rien d’autre ne subsistait. J’entrai en résonance, je n’étais plus qu’angoisse, à peine consciente à la frange de mes perceptions que je ne faisais qu’entretenir la sienne, dans un tourbillon de terreur qui nous engloutit toutes les deux. Un contact doux et chaud me fit sortir de la spirale et je pus sentir qu’Elle s’était réfugiée dans un abri, recouvrant ses émanations d’un voile qui les étouffaient légèrement. Ma peur se dissocia de la Sienne. C’était comme si une part de la pression qui persistait cette nuit s’était évaporée, expulsée par je ne sais quelle soupape invisible. J’étais de nouveau moi, recevant Ses émotions, m’en nourrissant. Sa peur était toujours là, tout comme Sa confusion, je les ressentais comme une onde qui passait à travers moi et pourtant, je n’avais plus peur. Je saisis alors un des fondements de cette peur qui nous avait englouties, ce sentiment profond de culpabilité qui La hantait et avait resurgi au gré des forces qui avaient joué cette nuit. M’être enfin détachée d’Elle affina ma perception, discernant à présent ce qui m’avait échappé jusque-là. Je perçus l’importance de Sa fatigue, puissant catalyseur de sensations négatives, et surpris la naissance de la colère, comme une boule serrée qui enflait, enflait encore, repoussant le reste vers l’extérieur, chassant l’angoisse, la culpabilité.
   Je la sentis évacuer progressivement toutes ces émotions qui la paralysaient. La peur, la terreur se délayaient en filaments vibratoires dans l’air oppressé de l’appartement, laissant place à une étrange mais puissante détermination. Je me sentais regonflée à bloc, gagnée par la volonté de fer qui avait surpassé les craintes. Si Sa peur existait encore, je ne la percevais plus. J’étais portée par Son souffle, par la tension que seule une résolution sans faille et une profonde colère pouvaient apporter. Je me sentais me contracter et me dilater au rythme de Sa respiration, détachée et pourtant subjuguée par ce qu’Elle vivait.
 
   Enfin. Enfin, la libération. Ce fut une explosion, une de celles qui suit une contraction trop intense, quand plus aucune borne ne peut rien contenir. La peur, la colère, la fatigue, tout vola en éclats, éclaboussant les murs de résidus émotionnels dont les vibrations devaient longtemps perdurer. L’atmosphère oppressée de l’appartement se détendit brutalement, alors que les dernières traces de ce qu’elle avait si puissamment ressenti s’évanouissaient doucement dans le calme retrouvé. Je me laissai aller, plongeant avec délice et soulagement dans cette même langueur qui m’avait inquiétée quelques heures auparavant. Jamais je n’avais vécu tant d’émotions en si peu de temps, et même si c’était l’essence même de mon existence, pour une fois, je n’espérais qu’une chose : que ce calme léthargique se prolonge jusqu’à ce toute trace de cette nuit se soit dissipée dans le néant.
Titre: Doutch écrit aussi, un peu... [Textes du Concours à 4 mains]
Posté par: Doutchboune le jeudi 02 juin 2022, 15:01:26
Ça fait une éternité que je n'ai pas posté ici. Bon faut dire aussi que je n'ai pas écrit grand chose depuis un an, ou alors des petits posts RP pour ma guilde, mais qui ne sont pas vraiment des histoires qu'on peut montrer indépendamment. Du coup, j'ai ressorti un truc plus ancien.

C'est un topic RP du forum de ma guilde, commencé en 2019, et terminé en 2020. Je ne suis pas seule à l'écriture, il y a un autre joueur avec qui mon personnage échange, mais c'est tout de même moi qui écrit le plus, et qui mène le RP. J'aime assez bien ce texte, après, il est un peu long, j'en ai donc fait un gdoc, en précisant au fil du texte qui en est l'auteur.

Pour le contexte, mon personnage, une chamane draenei, membre du même ordre militaire que ma prêtresse botaniste que vous avez croisés plus tôt dans mes textes, a ressenti un appel des Seigneurs Élémentaires de son monde d'origine, et décide finalement, après plusieurs années, d'y répondre. La situation RP de la guilde à ce moment fait qu'elle n'est pas autorisée par la chef à partir seule, et le récit débute alors qu'elle cherche un compagnon de route.

Élémentaire, ma chère chamane (https://docs.google.com/document/d/1OKcyxMHWykfgse2HQ4M_MCX2LCsq8mem0qMsDibvEn0/edit?usp=sharing)
clic sur le titre pour lire le texte

Et bon, parce que c'est un peu rude de juste balancer un lien, je vais mettre quelques extraits dans le post !

Citer
Elle faisait la moue quand elle entra dans la salle commune, mais en levant les yeux, un sourire lui fendit le visage. Voilà ! A une table était assis l'elfe taciturne capable de se transformer en boule de plumes. Elle avait souvent travaillé avec lui dans des missions d'infiltration, et elle s'entendait bien avec lui, globalement. Et puis, elle savait qu'il pouvait être discret, ce qui est un net avantage quand on part en petit groupe.

D'un pas alerte et avec un sourire enjoué, elle s'assit en face du druide, et lui parla d'une voix enthousiaste.
- Bonjour Vlazen ! Ça vous dirait de faire un petit voyage à l'autre bout de l'univers ?

Citer
Elle prit une dernière grande inspiration, et s'élança à grand pas vers le cercle de pierres. Elle sentait les énergies élémentaires lui tourner autour, l'ausculter, la détailler. Elle s'obligea à ne pas les rejeter, malgré la force de l'intrusion. Après tout, elle se dirigeait vers leur siège, il était normal qu'elles se renseignent. Lishaasi restait silencieuse, ignorant Choupi, même si en elle, elle était rassurée par la présence de la sélénienne. Au fur et à mesure que ses pas se rapprochaient du trône, elle pouvait apercevoir de plus en plus de choses qui s'agitaient autour, jusqu'à distinguer quatre immenses élémentaires, ordonnés en arc-de-cercle, à la limite du cercle intérieur.

Ils l'attendaient.

Elle fit un signe à Choupinélune pour qu'elle reste en dehors du cercle, puis elle avança jusqu'au centre. Là, elle inclina la tête, et dit d'une voix claire.

- Seigneurs, me voici. Je réponds à votre appel.

Citer
La grosse chouette avait réagi comme la chamane espérait. Elle l’avait souvent vue voleter de la sorte, mais rarement à des moments opportuns, elle était donc soulagée qu’elle l’ait fait à temps. Le sol ondula sous ses pieds, et elle vit l’élémentaire géant tituber, mais cela ne suffit pas à le faire tomber. Cependant, avant qu’elle ait le temps de pester, des racines sortirent du sol et vinrent entraver les pieds de leur adversaire. Elles n’eurent pas la force de le retenir, mais l’effort qu’il dût faire pour s’en dépêtrer, couplé aux effets du séisme eut raison de son équilibre. Dans un fracas à faire trembler la planète, il s’effondra devant elles.

Évidemment, il était loin d’être vaincu, mais le temps qu’il se relève, elles avaient le temps de l’affaiblir. Le bouclier de foudre lui posait problème, elle ne pouvait pas utiliser ses éclairs pour le toucher, ils seraient absorbés avant d’atteindre le cœur de l’élémentaire. Il fallait qu’elle annule le vent qui tournoyait autour de lui, mais combien de temps pourrait-elle tenir ? Et comment le frapper en même temps ? Elle commença à paniquer quand elle reprit conscience d’où elle se trouvait, et de ce qu’elle avait affronté jusque-là.