Maintenant que le concours à quatre mains (https://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,9668.0.html) est terminé, je vais poster mes textes (tels quels) dans la galerie.
Première manche
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Le temps des murmures
J. Le printemps. La saison du renouveau. Le temps est encore frais, le vent pénétrant, pourtant je goûte avec plaisir mon trajet matinal. Les masses blanches et roses des arbres en fleurs se découpent le long des allées, adoucissant les formes rudes de l’hiver mourant. J’inspire à fond cet air revigorant, et mon pas s’accélère, mon sourire s’étend sur mon visage. J’aime traverser le parc pour aller au labo, cette bouffée d’oxygène avant de retrouver mon bureau me rassérène, et efface une partie du stress dû à l’anticipation de ma journée. Aujourd’hui, pourtant, rien de spécial au programme, mais il faut croire que le monde de la recherche n’aide en rien ceux qui ont tendance à l’anxiété. J’aperçois le grand portail, et au-delà, les bâtiments de l’université. Je savoure ces derniers instants de calme, laissant le murmure du vent me bercer, puis franchis le seuil du campus.
Mon pas s’est accéléré, mon sourire s’est effacé. Je monte les marches qui mènent aux locaux du laboratoire, et machinalement, me dirige vers la salle café, là où je m’attends à retrouver des collègues fraîchement arrivés, prenant un peu de temps avant de réellement démarrer leur journée. Il n’y a pourtant qu’une jeune femme, plongée dans un livre de vulgarisation titré « Bipolarité et schizophrénie : la réalité derrière la fiction », qui, j’imagine, connaissant à la fois l’actualité et l’étudiante, parle du traitement de ces troubles mentaux dans diverses œuvres de fictions parues ces dernières années. Alors que j’entre dans la pièce, elle relève la tête et me sourit, tout en refermant son livre d’un geste machinal.
M. – Salut Margot !
- Bonjour Joël, ça va ce matin ?
Depuis que j’ai commencé ma thèse au labo, je n’ai jamais vu Joël en retard, ni en avance. Ce mec est réglé comme une horloge, et si ça n’était pas si drôle, peut-être que ça me ferait peur. Mais bon, parmi les chercheurs, il reste un des plus accessibles, et j’aime bien discuter avec lui. Parfois, je regrette qu’il ne soit pas mon directeur, mais est-ce-que j’aurais une aussi bonne opinion de lui si je devais directement lui rendre des comptes, avec sa rigidité proverbiale ?
- Très bien, je suis passé par le parc, le vent était vivifiant. Et avec tous ces arbres en fleurs, ça sent le printemps qui approche. J’ai hâte que les beaux jours soient de retour, crois-moi !
C’est fou comme même avec des intellectuels, on n’échappe pas aux banalités des conversations sur la météo. Enfin, c’est une façon comme une autre d’engager le dialogue, après tout.
- Oh, tu sais, je viens en bus, j’ai pas trop l’occasion de sentir le vent, mais ouais, vivement qu’il fasse un peu plus doux. Et si tu fais chauffer de l’eau, mets-en un peu plus, je vais reprendre un thé.
Demande tout à fait rhétorique, il était déjà en train de prendre la bouilloire, et je pense qu’il ne lui serait même pas venu à l’esprit de ne pas la remplir entièrement. D’ailleurs, il me répond par un sourire entendu.
- C’est comme si c’était fait. Au fait, t’as pas oublié qu’on a une réunion dans deux jours ? Il va falloir que tu fasses le point sur l’avancement de ton travail.
Finalement, c’était peut-être mieux de parler météo.
- Ça va, oui, je sais. Je dois voir Arnaud tout à l’heure pour faire le point. D’ailleurs, je crois qu’il est bientôt l’heure, il est temps de s’y mettre.
Aussitôt dit, aussitôt fait, juste le temps de remplir ma tasse, et je me rue dans mon bureau. Si je dois voir mon directeur de thèse, il vaut mieux que je me prépare un peu.
J. Enfin, je retrouve le parc, son calme et sa sérénité. A peine ai-je traversé le portail que je sens à nouveau le vent faire bruisser les branches des arbres autour de moi. Mon regard se perd dans la danse sans fin des rameaux couverts de fleurs roses et blanches, sublimée par la douceur de la lumière du soir en train de tomber. J’en oublie la journée passée, le stress des conflits latents entre collègues, l’horrible chose qui passe pour de la nourriture à la cantine le midi. Ici, seule la caresse du vent m’importe. Son contact m’enivre, j’aime sentir sa pression dans mon dos. J’avance inexorablement vers la sortie, vers mon appartement, mais son chant murmuré à mes oreilles ne me quitte pas, allégeant mon pas et mon esprit.
M. Eh bien, pas fâchée que cette journée se termine. Entre les plantages de réseau et les temps de chargement, j’ai bien cru que je ne pourrais pas finir mon expérience avant de rentrer ce soir. Au moins, j’ai eu mon bus, et il n’y a pas trop de monde dedans, mais pas moyen de trouver une place assise. Tant pis, je lirai plus tard, en attendant, j’active le mode attente, les yeux rivés sur le paysage qui défile à travers les vitres sales. Ma conversation matinale avec Joël refait surface et mon regard se porte sur les arbres aux branches encore majoritairement dénudées. Leur quasi-immobilité me fait me dire que le fameux vent de ce matin est tombé. De fil en aiguille, je repense à cette fichue réunion. Comme toujours, ça va parler de tout et surtout de rien, et quand viendra mon tour de présenter mon travail, je vais devoir bâcler tout ça parce qu’il sera l’heure de terminer, et personne ne m’écoutera. Mais je suis sûre que si je ne me prépare pas, ils me feront le coup de me faire parler au tout début, et je ne veux vraiment pas me taper la honte devant tout le monde.
J. Allez, je suis presque dans le parc, j’ai vraiment besoin de ça, ce matin. Ces réunions de labo m’ont toujours exaspéré au plus haut point. Personne n’écoute personne, chacun a son petit discours dans son coin, et tout part dans tous les sens alors qu’il faudrait seulement un peu cadrer les choses pour que ça se passe bien. Mes collègues sont tellement désorganisés, je me demande toujours comment ils arrivent à travailler correctement dans ces conditions. Penser à ces réunions a le chic pour assombrir mon humeur, et on dirait que le temps s’est mis au diapason. Le ciel s’est voilé, le vent n’a pas faibli. Je l’entends toujours murmurer sa douce mélodie à mes oreilles, m’apportant le réconfort dont j’avais besoin. Les branches s’agitent, les fleurs dansent, et les pétales volent autour de moi, tels une neige tardive et envoûtante. Je me délecte du spectacle, ralentissant le pas, quand tout à coup, je suis surpris par un léger éclat lumineux qui clignote parmi les pétales. D’où peut-il bien venir ? Qu’est-ce qui pourrait bien refléter la lumière au milieu de ces fragments de plantes ? Je m’arrête et scrute plus attentivement. J’aperçois d’autres reflets, comme si certains des pétales avaient la capacité de renvoyer la lumière. C’est un phénomène tout bonnement ahurissant, mais je n’arrive pourtant pas à mieux voir, et ces lueurs sont insaisissables. Je resterais bien plus longtemps, malheureusement l’heure tourne, et je vais être en retard pour la réunion.
M. Ça y est, nous y sommes. Je suis contente d’être arrivée tôt, j’ai pu avoir une place tranquille, le genre de place où on peut même griffonner en toute impunité, même si, pour le moment, je n’ai qu’une envie, attendre que le temps passe, tout simplement. Les gens entrent petit à petit dans la salle, et s’installent plus ou moins bruyamment. Il y a peu de sièges vides, toujours les mêmes retardataires. C’est alors que je remarque que Joël n’est pas là. Lui, en retard ? J’espère qu’il ne lui est rien arrivé, c’est tellement inhabituel. Il semblerait que je sois la seule que cet événement trouble, il faut croire qu’il a prévenu de son absence et que je ne suis pas au courant. En tout cas, tout le monde est assis, et le chef semble vouloir prendre la parole. Le show va commencer.
Le calme vient tout juste de tomber sur notre assemblée que la porte s’ouvre à nouveau, sur un Joël passablement essoufflé qui s’excuse platement de son retard. Je le vois scruter la salle à la recherche d’une place où s’installer, et se diriger vers moi. Après tout, il y a une chaise libre, et on s’entend plutôt bien, lui et moi. La réunion reprend son cours, les brouhahas cessent, et notre cher directeur prend la parole. Je l’écoute d’une oreille distraite quand mon nouveau voisin m’interpelle discrètement d’une légère tape sur le bras. Il a l’air ailleurs, et, chose surprenante, de totalement se désintéresser de la réunion. Je l’interroge du regard, curieuse, et, à voix basse, il commence à me parler de trucs étranges qu’il aurait vu dans le parc ce matin. Genre il aurait vu des morceaux de miroir voleter au milieu des pétales de fleurs. Honnêtement, ce ne serait pas lui, j’éclaterais de rire, réunion ou pas, mais il a beau avoir de l’humour, je ne le vois pas faire ce genre de blague. Je me contente de hausser un sourcil, en lui demandant en rigolant ce qu’il a mangé ce matin. Je n’en saurai pas plus, je crois que nous nous sommes un peu fait remarquer, et qu’il est temps de se replonger dans la réunion, surtout qu’il semblerait que ça va bientôt être mon tour, joie…
J. Quelle journée, j’ai repensé à ces lueurs sans arrêt, et je presse le pas pour rejoindre le parc. Le ciel est devenu menaçant, j’espère tout de même ne pas me faire rincer par une averse, mais qu’importe, je suis trop curieux de voir si les éclats sont toujours là. Alors que je franchis le portail d’entrée, mes yeux se portent vers l’allée bordée d’arbres en fleurs, de moins en moins garnis sous l’effet du vent. Vent qui a considérablement forci, je le sens me pousser dans le dos, et chanter à mes oreilles. Ça en devient entêtant, j’ai l’impression que si j’arrivais à mieux me concentrer, je pourrais discerner des mots parmi les murmures, mais mon attention est retenue ailleurs. Parmi les pétales virevoltent de nombreux éclats, certains de taille considérable. Je m’approche, je cherche à distinguer ce qu’ils sont. C’est vraiment surprenant, presque hallucinant, ils ressemblent à des fragments de miroir, mais souples, et tellement légers qu’ils virevoltent dans le vent comme des plumes de duvet. Mais ce qui m’émerveille le plus, c’est ce qu’ils reflètent. Je n’y vois pas le ciel gris qui me surplombe, ni les superbes couronnes des arbres ornés de fleurs, non, mais ils me montrent des paysages, un ciel bleu parfois, rose ailleurs. J’y perçois des arbres, des gens, et j’ai l’impression que le vent cherche à me raconter ce que je vois.
M. Mais qu’est-ce qu’il fabrique ? On avait rendez-vous à dix heures ce matin pour bosser sur ce fichu logiciel, et il a déjà un quart d’heure de retard. Je vais finir par m’inquiéter, à force, ça ne lui ressemble tellement pas. Déjà cette histoire bizarre de reflets et de vent, hier… J’espère qu’il n’est pas malade, ou qu’il ne s’est pas mis à prendre des trucs. Ah, ben voilà, enfin, il m’appelle !
- Allo, Joël ?
- Margot, tu es là super !
Il semble surexcité, lui qui a tendance à parler vite habituellement a réussi à accélérer son débit.
- On avait rendez-vous, qu’est-ce que t…
- Il faut que tu viennes tout de suite, c’est incroyable !
- Mais et notre…
- Viens vite, je ne sais pas combien de temps ça peut encore durer, c’est tellement extraordinaire, il faut absolument que tu voies ça.
- Tu es où, de quoi tu parles ?
- Au parc, tu sais, le truc dont je t’avais parlé à la réunion, allez viens vite, il ne faut pas rater ça !
Avant même que j’ai pu en placer une, il a raccroché. Je regarde mon téléphone fixement pendant quelques secondes, abasourdie. Mais quelle mouche l’a piqué ? Je crois qu’il va falloir que j’y aille pour savoir ce qu’il se passe, de toute façon, ne serait-ce que pour lui dire de venir m’aider comme il l’avait promis. Je passe mon écharpe et mon manteau, et sors du bâtiment pour me diriger vers le parc d’un pas rapide. Le pire c’est que mon inquiétude est presque effacée par ma curiosité. Je vais peut-être enfin comprendre de quoi il me parle depuis hier.
J. Ils sont tellement nombreux, le vent tellement enivrant, tous ces miroitements, impossible d’en détacher le regard. Toutefois, je suis interrompu dans ma contemplation quand je remarque que Margot se tient juste à côté de moi, le regard interrogatif, presque suspicieux. Je laisse mon esprit se détacher de l’objet de mon attention, et me tourne vers elle en souriant.
- Ah, Margot, tu as fait vite, parfait.
Elle semble sceptique.
- Salut Joël, tu es sûr que tout va bien ? On avait rendez-vous ce matin, c’est pas dans tes habitudes d’être en retard, et encore moins de poser des lapins.
- Tout va bien, c’est juste que… tu ne trouves pas ça magnifique ? Fascinant ? Intriguant ?
A son air ahuri, je devine qu’elle ne sait pas de quoi je parle. Pourtant nous nous trouvons au milieu de centaines de scintillements lumineux, et dont l’éclat est comme porté par le vent qui agite ses cheveux.
- Et bien, la brise fait voleter quelques pétales de fleur, oui, mais je ne vois rien de bien exceptionnel.
C’est à moi d’avoir un air ahuri.
- Comment peux-tu ne pas les voir ?
M. Et voilà qu’il se met à sauter partout en faisant de grands gestes avec ses bras. Il délire complètement, on dirait, qu’est-ce que je peux faire pour l’aider à sortir de son trip ? J’ai beau lui dire qu’il n’y a pas plus de reflets dans l’air que dans le fin fond d’une cave obscure, il ne s’arrête pas. Et le voilà qui jubile, poing fermé, clamant que ça y est, il en a attrapé un. Je fais quoi maintenant ? Je vais entrer dans son jeu, peut-être que ça le calmera, et qu’il m’écoutera ensuite. De mon air le plus tranquille, j’attends de voir ce qu’il a au creux de la main, prête à broder sur ce qu’il voudra entendre.
Oh mon dieu ! Qu’est-ce que c’est que ce truc ? On dirait un morceau de miroir, ou de fenêtre, vu que je ne me vois pas dedans. Et c’est quoi de ce vent ? C’est impossible que le temps ait changé si vite. Je regarde fixement l’éclat, et sens mes jambes trembler. J’ai l’impression que le souffle m’enserre, me ligote. J’ai l’impression qu’un chœur maudit chante à mes oreilles. Rien de tout cela n’est normal, au secours !! Je lève les yeux vers mon collègue, mais tout ce que je vois, c’est son sourire réjoui. Il est au comble de l’excitation.
- Regarde, j’en ai eu un ! Ça y est j’ai réussi à en attraper un !
Comment peut-il trouver ça merveilleux ?
J. Enfin ! J’en tiens un. Il chatoie dans la paume de ma main, je peux le regarder de plus près, savoir ce que c’est, ce qu’il me montre. Je vois une allée, je vois des arbres, mais il fait grand soleil, une légère brise agite les feuilles des arbres. Je vois des bancs sous les arbres. Cette allée, c’est celle du parc, je la reconnais et pourtant… Pourtant les choses y sont différentes, les bancs ne sont pas les mêmes, et quand des gens entrent dans le champ de vision, je comprends pourquoi. Leur tenue ne laisse planer aucun doute, ce que je vois, c’est ce même parc, mais en 1930 ! Je lève les yeux sur Margot, et lui annonce la nouvelle. Pourtant, elle ne semble pas ravie de l’apprendre, et son teint est d’une pâleur marmoréenne. Un instant, je me demande si elle est malade, et suis à deux doigts de lui dire de rentrer chez elle se reposer, mais mon regard est attiré vers un autre miroitement. D’un geste, je m’empare du fragment et plonge mon regard dans son reflet. Ce que je vois me fait rire. Qui se souvenait qu’une telle horreur avait orné cette allée ? Indubitablement, c’était les années 70, il n’y avait que cette époque pour oser des sculptures pareilles. J’en fais la remarque à Margot, je la sens me tenir le bras. Elle doit sûrement essayer de regarder par-dessus mon épaule.
M. Je le secoue comme un prunier, mais rien n’y fait, il continue à regarder béatement dans le creux de sa main. Je détourne le regard, je ne veux surtout pas voir ça, on dirait un de ces trucs qui rendent fou, comme dans les séries télé. Je finis par le lâcher, de toute façon, on dirait qu’il ne me voit même plus, même s’il me parle de temps en temps. Je le vois courir, sauter, attraper ses fragments, les observer et recommencer. Le vent souffle, tournoie autour de moi, son bruit assourdissant occulte tout le reste, c’est comme s’il était entré dans ma tête. Je plaque les mains sur mes oreilles, mais rien à faire, ça ne s’arrête pas. Je ne le supporte plus, désolée Joël, mais je ne peux rien pour toi. Il faut que ça cesse. Je rentre chez moi.
J. Ils m’ont poussé vers la sortie et fermé la grille. J’ai beau leur demander de m’ouvrir, rien à faire, ils m’ont laissé planté là, les mains agrippées aux barreaux. Le vent a cessé, et je ne vois plus d’éclats danser au loin. Je finis par me résigner, ils reviendront sûrement demain. En attendant, j’en ai plein les poches, je vais pouvoir les étudier ce soir, tranquillement, chez moi. En tout cas, ils continuent de me raconter des choses, si seulement je pouvais comprendre ces murmures.
Quelle déception. Malgré tout ce qu’ils tentent de me dire, il n’y a plus rien dans mes poches, seulement une poignée de pétales de fleurs. Je les ai étalés sur mon bureau et je les regarde, qui sait, peut-être qu’ils se retransformeront. Et si ce n’est pas le cas, j’irai en chercher à nouveau demain. Je suis sûr que c’est ce qu’ils cherchent à me dire.
M. J’ai peur. Dès que je suis sortie du parc, le vent est tombé, mais j’ai continué à entendre comme des murmures lointains. Je n’aime pas ça. Entendre des voix, c’est être fou, non ? Au moins, ils ont fini par cesser, une fois dans mon appartement. Je n’ose plus sortir, et si ça recommençait ?
A. Trois jours. Ça fait trois jours que Margot n’a pas donné de nouvelles. Je comprends qu’on ait besoin de faire des petites pauses de temps en temps pendant une thèse, mais la moindre des choses serait de prévenir. Surtout qu’on devait terminer une expérience importante, et qu’elle m’a laissé tomber, ce n’est vraiment pas professionnel. Elle va m’entendre le jour où elle reviendra. Et Joël qui disparait lui aussi, c’est à n’y rien comprendre. Ce n’est vraiment pas le moment de céder à je ne sais quelle crise de la quarantaine, alors qu’on est en plein dans les dossiers d’évaluation. Enfin, résultat, c’est pour qui le travail supplémentaire ? C’est pour Arnaud. Je t’en ficherais des collègues pareils, on ne peut vraiment pas leur faire confiance.
J'enchaine avec mon texte pour la 2e manche du concours, qui devait raconter celui de Neyrin. mais d'un autre point de vue, et à la première personne. Autant j'avais pas de souci avec la 2e condition, j'écris souvent à la première personne, autant j'avais tellement aimé le texte sur lequel je devais m'appuyer que j'avais très peur de ne pas réussir à lui rendre hommage. Quoiqu'il en soit, je vous conseille d'aller le lire avant de lire le mien, c'est le texte nommé Le Judas qui est dispo dans ce message du topic du concours (https://forums.puissance-zelda.com/index.php/topic,9668.msg584104.html#msg584104). Pour ma part, le gros reproche que je ferais à mon texte, c'est qu'il ne peut pas être lu sans avoir lu celui de Neyrin. En tout cas, je pense qu'il est difficilement compréhensible sans le support de l'autre écrit...
Deuxième manche
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Émanation
Depuis combien de temps suis-je ici ? Des jours ? Des semaines ? Des mois ? Je n’en ai aucune idée, les débuts de mon existence ont été si confus, si décousus que je ne peux pas estimer leur durée. Tout ce que je sais, c’est que je suis née ici, dans cet appartement, un soir où l’émanation qu’Elle produisait était telle que j’ai pris conscience de moi-même. Ce n’était qu’une étincelle, une sensation étrange mêlant désir, peur et rejet. Je ressentais le vide soudain autour de moi, l’air faussement calme du lieu qui venait de vivre une bouffée intense d’émotions explosives dont les résidus d’ondes marquaient encore les murs autrement immaculés, mais qui avaient été comme annihilées par cette puissante émotion qui m’avait fait naître. Et puis, avec le retour du calme, j’ai perdu le contact. Je ne sais pas combien de temps il s’est écoulé avant mon apparition suivante, tout ce que je peux dire, c’est qu’il fallait qu’Elle laisse échapper ce qui bouillait en elle. Petit à petit, je m’éveillais de plus en plus facilement, saisissant chaque bribe d’émotion qu’Elle laissait filer par tout ce qui était Elle. De chaque sensation qui s’échappait des pores de Sa peau je me servais pour persister, jusqu’à ce que je sois, tout simplement.
Je mis un certain temps à L’apprivoiser, à m’apprivoiser. A apprécier les variations de ce qu’Elle ressentait, cette force brute qui faisait que j’étais moi, ici, enfermée entre ces murs, pourtant libre de tout éprouver, libre de savourer chaque sensation qui La traversait, de la plus noire à la plus lumineuse, parfois étrangement liées en une sorte de danse mortelle. Je ne sais pas si Elle a conscience de ma présence, si Elle a perçu ma naissance, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’Elle me ressent forcément, vu la force qu’Elle me transmet. Tout ce dont Elle me nourrit irradie de moi, et se répercute contre les murs, se réverbère au contact des dalles froides du carrelage. Elle ne peut pas y être indifférente, même si je n’ai aucun moyen tangible de le savoir. Moi-même, je ne suis pas tangible, après tout. Au fil des jours, j’ai compris ce sentiment de vide qu’Elle véhiculait. Il était à la fois un objet de peur et une bouée à laquelle Elle se raccrochait, désespérément. Un désespoir à la fois craint et recherché. Cette confusion était ma vie, le mouvement qui régissait mon existence, et j’étais vouée à y réagir, absorbant et rayonnant ce qu’Elle ressentait, ne subsistant qu’à travers la restitution de Son état émotionnel.
Cette nuit-là, j’étais comme engourdie. De toute la journée, Elle n’avait pratiquement rien émis, seule une rumeur sourde et lasse m’avait permis de rester éveillée. J’étais prise dans une sorte de langueur, à me demander si j’allais, une fois encore, perdre conscience pour ne revenir que plus tard, sans savoir si des heures, des jours ou des semaines s’étaient écoulés. La sensation perdura quand tout à coup, une vague interrogative teintée d’inquiétude vint percuter ma léthargie. Au fur et à mesure que cette vague prenait de l’ampleur, je saisis Son mouvement. C’est à peine si je perçus le léger frisson de froid alors que ce dernier s’insinuait en Elle au contact de la plante de Ses pieds avec le carrelage glacé. De toutes les sensations qui emplissait la pièce, la curiosité dominait, et j’étais impatiente d’en savoir plus. Je ne pouvais m’attendre à ce qui vint me frapper ensuite.
J’avais ressenti un changement, comme si Son environnement venait de brutalement basculer, comme si Elle venait de découvrir quelque chose d’inattendu. La surprise et la stupeur me submergèrent, me paralysant le temps d’un instant suspendu. Puis je ressentis la faim, la faim insatiable, la faim dévorante, celle qui consume au lieu de sauver, celle qui détruit au lieu de secourir. Tel un ogre de conte de fées, elle envahit tout l’espace, s’insinuant dans chaque recoin de l’appartement, dévorant toute autre sensation sur son passage. Je me mis à paniquer. J’eus peur de disparaître, de me faire avaler par cette faim vorace et de ne plus jamais rien ressentir d’autre. La terreur effaça tout. Brusquement, la sensation cessa, et il ne resta que les résidus tremblants de ma peur.
Je ne sais pas, et je pense que je ne saurai jamais si cette peur était la mienne ou la Sienne. Sûrement un mélange des deux. Je La sentis ondoyer sous ses sensations, oscillant entre panique et dégoût, comme si tout son être ne cherchait qu’à expulser ce qui venait de le traverser avec une violence soudaine. Moi-même je n’étais que tremblements et spasmes, une suite de contractions douloureuses, brutales jusqu’à ce que le nœud se défasse subitement. La douleur reflua, la terreur se mua en angoisse sourde qui m’enveloppa tel un manteau inconfortable, mais je réussis à nouveau à m’ouvrir sur mon environnement. Je La sentis elle aussi s’apaiser, en quelque sorte, même si sa peur latente envahissait tout l’espace comme une brume rampante sur les eaux troubles d’un marais fétide. Malgré tout, la tension était palpable. Je n’avais encore jamais ressenti une telle émotion, c’était comme si chaque vibration de mon être était prête à se briser, à exploser, et pourtant, j’étais comme en sourdine, comme si chaque sensation attendait son heure, tapie quelque part au fond de moi. Elle s’était déplacée, variation subtile dans l’espace clos de l’appartement, et ce qu’Elle y faisait lui servait de diversion afin de calmer le flot d’émotions qui l’assaillaient. Je profitais moi aussi de cette fausse tranquillité pour adoucir mes tensions. Soudain, tout en elle se tendit, comme en réponse à un vent de tristesse qui venait de naître non loin de nous.
La déferlante d’effroi qui m’assaillit me prit totalement par surprise. Panique, terreur, je fus paralysée, incapable de rien d’autre que de subir, craignant encore une fois de disparaitre sous la force qui tentait de me balayer. C’est cette crainte de mourir qui me sauva. L’instinct de survie me guida, je me forçai à assouplir mes ondes, à desserrer leur amplitude. La peur était toujours là, mais elle ne me paralysait plus. Je m’ouvris de nouveau à l’espace vibrant de l’appartement. Une sensation lourde comme du plomb pesa sur moi, lentement, et c’est à peine si je ressentis de nouveau le froid du carrelage s’insinuer entre les bribes de mes émotions. La chape qui s’était abattue sur moi devenait de plus en plus oppressante. Je me sentis me comprimer, je vis mon espace vital se réduire, et à chaque fois que la panique que cette sensation induisait lançait une de ses piques, la prison autour de mon être se resserrait. Je pulsais, luttant contre son emprise, mais chaque battement semblait uniquement refermer le piège dans lequel je m’étais enfermée. Totalement désemparée, je perdis le contrôle et me laissai éclater, à peine consciente des risques que mon existence encourait en retournant toute cette pression contre la force qui m’oppressait.
Le vide. La prison avait disparu, mais il ne restait que le vide, béant. Un gouffre sans fond, abyssal. Je me sentis chuter, et pourtant je n’avais pas peur. Ce flottement était comme salvateur, après l’oppression que j’avais vécue, après la compression que j’avais subie. Tout n’était plus qu’espace, liberté, et je faillis bien disparaître à jamais. Ce fut Elle qui me permit de me raccrocher à l’existence. Elle ne cessa pas d’émettre, au contraire. Sa peur laissait délicatement place au désarroi. Je pouvais ressentir Son angoisse, Sa confusion. Elle me transmit Son oppression, mais étrangement je ne m’y sentis pas piégée. A cette moindre intensité, ces sensations me rappelaient que j’étais vivante, et que je devais ma vie à l’émanation de Ses émotions. A travers la masse des ondes que nous partagions, je laissais filtrer ma gratitude, sentiment puissant bien qu’incongru dans le déferlement de sentiments négatifs qui agitaient cette soirée.
Je m’étais habituée à la peur qui imprégnait maintenant tout mon environnement. Je me sentais frémir sous la force de ses vibrations omniprésentes, mais ce n’était plus qu’un bruit de fond, une litanie qui troublait la surface des eaux qui m’entouraient. La confusion était alors beaucoup plus évidente, et je me laissai emporter par le tourbillon désordonné de ces sensations disparates. Un nouveau frémissement me traversa alors qu’Elle laissa échapper, en plus de sa peur, une vague d’appréhension. Je m’ouvris alors plus amplement aux émotions qui émanaient des limites de l’appartement, et ce que j’y découvris me stupéfia.
J’y perçus de la joie, une joie simple et innocente, légère comme le vol d’une plume dans la brise de printemps, douce comme le souvenir d’un enfant. Le contraste me prit par surprise, un sentiment de béatitude m’envahit et je me sentis flotter… Jusqu’à ce qu’une sensation presque tangible vienne me toucher brutalement. C’était une caresse, un contact, riche en perceptions physiques que mes souvenirs interprétaient comme agréables et pourtant… pourtant, ils me faisaient mal, comme si chaque attouchement arrachait une partie de mon être. Comme si l’on venait d’extirper de ma substance toute cette joie que je venais d’éprouver, arrachant au passage toute trace de cette tendre innocence qui avait semblé m’appartenir.
Subitement, tout ne devint qu’effroi. La peur prit tout l’espace, et je ne pus rien ressentir d’autre. Elle irradiait, avec une telle brillance, une telle présence que rien d’autre ne subsistait. J’entrai en résonance, je n’étais plus qu’angoisse, à peine consciente à la frange de mes perceptions que je ne faisais qu’entretenir la sienne, dans un tourbillon de terreur qui nous engloutit toutes les deux. Un contact doux et chaud me fit sortir de la spirale et je pus sentir qu’Elle s’était réfugiée dans un abri, recouvrant ses émanations d’un voile qui les étouffaient légèrement. Ma peur se dissocia de la Sienne. C’était comme si une part de la pression qui persistait cette nuit s’était évaporée, expulsée par je ne sais quelle soupape invisible. J’étais de nouveau moi, recevant Ses émotions, m’en nourrissant. Sa peur était toujours là, tout comme Sa confusion, je les ressentais comme une onde qui passait à travers moi et pourtant, je n’avais plus peur. Je saisis alors un des fondements de cette peur qui nous avait englouties, ce sentiment profond de culpabilité qui La hantait et avait resurgi au gré des forces qui avaient joué cette nuit. M’être enfin détachée d’Elle affina ma perception, discernant à présent ce qui m’avait échappé jusque-là. Je perçus l’importance de Sa fatigue, puissant catalyseur de sensations négatives, et surpris la naissance de la colère, comme une boule serrée qui enflait, enflait encore, repoussant le reste vers l’extérieur, chassant l’angoisse, la culpabilité.
Je la sentis évacuer progressivement toutes ces émotions qui la paralysaient. La peur, la terreur se délayaient en filaments vibratoires dans l’air oppressé de l’appartement, laissant place à une étrange mais puissante détermination. Je me sentais regonflée à bloc, gagnée par la volonté de fer qui avait surpassé les craintes. Si Sa peur existait encore, je ne la percevais plus. J’étais portée par Son souffle, par la tension que seule une résolution sans faille et une profonde colère pouvaient apporter. Je me sentais me contracter et me dilater au rythme de Sa respiration, détachée et pourtant subjuguée par ce qu’Elle vivait.
Enfin. Enfin, la libération. Ce fut une explosion, une de celles qui suit une contraction trop intense, quand plus aucune borne ne peut rien contenir. La peur, la colère, la fatigue, tout vola en éclats, éclaboussant les murs de résidus émotionnels dont les vibrations devaient longtemps perdurer. L’atmosphère oppressée de l’appartement se détendit brutalement, alors que les dernières traces de ce qu’elle avait si puissamment ressenti s’évanouissaient doucement dans le calme retrouvé. Je me laissai aller, plongeant avec délice et soulagement dans cette même langueur qui m’avait inquiétée quelques heures auparavant. Jamais je n’avais vécu tant d’émotions en si peu de temps, et même si c’était l’essence même de mon existence, pour une fois, je n’espérais qu’une chose : que ce calme léthargique se prolonge jusqu’à ce toute trace de cette nuit se soit dissipée dans le néant.
Ça fait une éternité que je n'ai pas posté ici. Bon faut dire aussi que je n'ai pas écrit grand chose depuis un an, ou alors des petits posts RP pour ma guilde, mais qui ne sont pas vraiment des histoires qu'on peut montrer indépendamment. Du coup, j'ai ressorti un truc plus ancien.
C'est un topic RP du forum de ma guilde, commencé en 2019, et terminé en 2020. Je ne suis pas seule à l'écriture, il y a un autre joueur avec qui mon personnage échange, mais c'est tout de même moi qui écrit le plus, et qui mène le RP. J'aime assez bien ce texte, après, il est un peu long, j'en ai donc fait un gdoc, en précisant au fil du texte qui en est l'auteur.
Pour le contexte, mon personnage, une chamane draenei, membre du même ordre militaire que ma prêtresse botaniste que vous avez croisés plus tôt dans mes textes, a ressenti un appel des Seigneurs Élémentaires de son monde d'origine, et décide finalement, après plusieurs années, d'y répondre. La situation RP de la guilde à ce moment fait qu'elle n'est pas autorisée par la chef à partir seule, et le récit débute alors qu'elle cherche un compagnon de route.
Élémentaire, ma chère chamane (https://docs.google.com/document/d/1OKcyxMHWykfgse2HQ4M_MCX2LCsq8mem0qMsDibvEn0/edit?usp=sharing)
clic sur le titre pour lire le texte
Et bon, parce que c'est un peu rude de juste balancer un lien, je vais mettre quelques extraits dans le post !
Elle faisait la moue quand elle entra dans la salle commune, mais en levant les yeux, un sourire lui fendit le visage. Voilà ! A une table était assis l'elfe taciturne capable de se transformer en boule de plumes. Elle avait souvent travaillé avec lui dans des missions d'infiltration, et elle s'entendait bien avec lui, globalement. Et puis, elle savait qu'il pouvait être discret, ce qui est un net avantage quand on part en petit groupe.
D'un pas alerte et avec un sourire enjoué, elle s'assit en face du druide, et lui parla d'une voix enthousiaste.
- Bonjour Vlazen ! Ça vous dirait de faire un petit voyage à l'autre bout de l'univers ?
Elle prit une dernière grande inspiration, et s'élança à grand pas vers le cercle de pierres. Elle sentait les énergies élémentaires lui tourner autour, l'ausculter, la détailler. Elle s'obligea à ne pas les rejeter, malgré la force de l'intrusion. Après tout, elle se dirigeait vers leur siège, il était normal qu'elles se renseignent. Lishaasi restait silencieuse, ignorant Choupi, même si en elle, elle était rassurée par la présence de la sélénienne. Au fur et à mesure que ses pas se rapprochaient du trône, elle pouvait apercevoir de plus en plus de choses qui s'agitaient autour, jusqu'à distinguer quatre immenses élémentaires, ordonnés en arc-de-cercle, à la limite du cercle intérieur.
Ils l'attendaient.
Elle fit un signe à Choupinélune pour qu'elle reste en dehors du cercle, puis elle avança jusqu'au centre. Là, elle inclina la tête, et dit d'une voix claire.
- Seigneurs, me voici. Je réponds à votre appel.
La grosse chouette avait réagi comme la chamane espérait. Elle l’avait souvent vue voleter de la sorte, mais rarement à des moments opportuns, elle était donc soulagée qu’elle l’ait fait à temps. Le sol ondula sous ses pieds, et elle vit l’élémentaire géant tituber, mais cela ne suffit pas à le faire tomber. Cependant, avant qu’elle ait le temps de pester, des racines sortirent du sol et vinrent entraver les pieds de leur adversaire. Elles n’eurent pas la force de le retenir, mais l’effort qu’il dût faire pour s’en dépêtrer, couplé aux effets du séisme eut raison de son équilibre. Dans un fracas à faire trembler la planète, il s’effondra devant elles.
Évidemment, il était loin d’être vaincu, mais le temps qu’il se relève, elles avaient le temps de l’affaiblir. Le bouclier de foudre lui posait problème, elle ne pouvait pas utiliser ses éclairs pour le toucher, ils seraient absorbés avant d’atteindre le cœur de l’élémentaire. Il fallait qu’elle annule le vent qui tournoyait autour de lui, mais combien de temps pourrait-elle tenir ? Et comment le frapper en même temps ? Elle commença à paniquer quand elle reprit conscience d’où elle se trouvait, et de ce qu’elle avait affronté jusque-là.