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[Fiction Collective] Miderlyr - Saison 2
Yorick26:
≪ Il faudrait plutôt déterminer la suite des événements. ≫
Les regards s'étaient tournés naturellement vers Cheiralba. La vieille femme sentit tout d'un coup son corps prendre conscience de son âge, qui plus est avait été particulièrement meurtri ces dernières heures. L'adrénaline et l'instinct de survie avaient jusqu'à maintenu en arrière la fatigue. Elle pouvait maintenant se reposer et réfléchir. Il y avait des questions qu'elle n'avait pas encore eu le temps de se poser. Ce que lui réservait son avenir en était une.
Les regards posés sur elle en disait long. Ils la considéraient à l'heure actuelle comme leur chef. Après tout, c'était elle qui avait lancé cette investigation dans les souterrains. Elle avait rencontré Alaïa et l'avait engagé. Syl les avait sauvées et les avait rejointes. Hundwiin et Hyldegarde avaient été sauvés sur le chemin. Et maintenant ? Maintenant, elle avait eu sa vengeance. Peut-être aurait-elle pu attendre un peu avant de tuer Sébastide pour lui soutirer des informations, mais elle n'avait pas pu se retenir. Il y avait cette colère, cette rage qu'elle avait enfoui au plus profond d'elle. C'était fait, mais elle regrettait. Elle qui avait passé les trois dernières années à aider les plus nécessiteux, elle avait laissé parler sa haine et ne s'était plus contrôlée. Pour tout dire, elle s'était faite peur.
≪ Je suis désolé. Je ne sais pas quoi faire ensuite. J'imagine que la première chose à faire est de sortir d'ici et de reprendre nos vies. Bien qu'elles ne soient pas très glorieuses, elles étaient tout de même moins dangereuse que ce qui nous est arrivé. Pour ma part, avec la permission d'Alaïa, j'aimerai examiner son bras et m'assurer qu'il n'évolue pas de manière anormale. J'ai vu des choses faites par cet homme qui me donnent le frisson. Je ferais tout pour que cela ne t'arrive pas.
ㅡ Je crois que… que ça va aller. Je ne suis pas sûr de vouloir être l'objet de nouvelles expériences.
ㅡ Nous ne te ferons pas de mal, intervint Syl. Nous sommes responsables de ton état et même si nous sommes venus pour te sauver, nous n'avons pas réussi à te récupérer indemne. Je ne crois pas que des expérimentations fassent partie des intentions de Cheiralba. Il s'agit d'une personne bonne et honnête de ce que j'ai pu en juger.
ㅡ Effectivement, reprit Cheiralba. Si nous ne nous soucions pas de ton sort, nous n'aurions pas tout fait pour te sauver. Tu m'as aidé à arrêter Sébastide et je te suis redevable pour milles raisons. Comme tu peux le voir, je ne suis pas tout à fait humaine non plus. Je crois que tu l'avais compris. Je suis le fruit de Sébastide, tout comme toi. Sauf que je n'ai pas vécu avant de le rencontrer. Je suis née telle qu'il m'a conçu. Et j'ai réussi à me faire une vie loin de son influence ; il n'y a donc aucune raison que tu ne puisses pas faire de même. Il est hors de question de te faire souffrir à nouveau, mais je ne peux pas, après t'avoir arrachée aux mains de Sébastide, m'arrêter à mi-chemin. Je dois garder un oeil sur toi. Au moins pour un temps. Jusqu'à ce que je m'assure que tout aille bien. ≫
Comme pour s'assurer que tout allait le mieux, gênée d'être le nouveau centre de l'attention, Alaïa mobilisa son bras. Les mouvements étaient plus fluides que tout à l'heure à croire que de minute en minute elle réapprenait à s'en servir. La peau restait noire et brillante comme l'obsidienne, mais elle semblait avoir gagné en souplesse. En voyant cela, la vieille femme ne put s'empêcher de sourire. Cela rassura un peu la jeune elfe. Ce fut cette dernière qui reprit la parole :
≪ Vous voyez ? Je me sens mieux de minute en minute. Vos soins sont prodigieux.
ㅡ Je ne suis pas sûr que mes soins soient les seuls responsables de votre guérison aussi rapide. Je crois que cette nouvelle peau que vous avez obtenue possède un certain nombre de vertus. Notamment celle de se régénérer et de cicatriser plus vite que ce que permet une peau d'elfe normale.
ㅡ Avant qu'il ne m'anesthésie, je crois me souvenir qu'il m'avait parlé de cette peau qu'il voulait me greffer. Maintenant qu'on en parle, cela me revient peu à peu. Il a parlé d'une race, qui s'appelle l'Etrobsi. Leur peau est très résistante, mais cela compense un manque de force. Je crois qu'il voulait me rendre invincible… ou quelque chose comme ça.
ㅡ Je n'ai jamais entendu parlé de cette race. admit Cheiralba.
ㅡ Il s'agit d'êtres informes, conscient mais incapables de prendre suffisamment de consistance pour se déplacer correctement ou construire quoi que ce soit. précisa Hyldegarde. ≫
La jeune naine, qui jusque là n'avait rien dit, fut soudain le centre des attentions de tous les protagonistes. Remarquant sa fatale erreur, elle qui voulait en finir le plus vite possible et se faire discrète poussa un long soupir. Elle n'en avait pas envie, mais s'il fallait en passer par là, elle donnerait les explications que les yeux tournés vers elle semblaient réclamer.
≪ Nous avons asservi il y a bien longtemps ce peuple. Vous pouvez me juger s'il vous le souhaitez. J'aurais bien des choses à dire sur vos pratiques, ici même à Miderlyr. Bientôt on apprendra que cette Fracture est entièrement votre faute. ≫
A ces mots, Syl détourna le regard. Elle était partagée entre l'idée qu'elle ait pu contribuer à la catastrophe qui avait sévi il y a trois ans et le fait qu'elle soit obligée de retenir Thargraktrug d'étrangler la naine. Elle fixa son attention sur l'anneau finement gravé qu'elle sortit de sa poche. Elle avait presque failli oublier la mission qu'elle s'était donnée. Peut-être que ce n'était pas de sa faute. Peut-être que cela l'était et peut-être que ce ne serait pas réparable. Elle n'arrivait pas à l'accepter, mais surtout, elle ne pouvait pas rester là sans rien faire alors qu'un autre rituel de grande ampleur se tramait dans les souterrains de la ville.
≪ Nous les avons utilisés pendant des siècles comme protection. Rien ne peut les traverser, rien ne peut les scinder en deux. De leur vivant, ils ont la dureté de la pierre, mais la fluidité de l'eau. Une fois mort, ils se figent ne gardant que la première des propriétés. Parfois, nous en trouvions dans les mines, coincés entre deux rochers comme un filon d'obsidienne. Nous avons eu alors l'idée de les étouffer entre deux plaques de métal. Après avoir donné forme à ces deux plaques de métal pour façonner une fausse armure, il n'y avait plus qu'à attendre trois semaines et trois jours pour révéler l'armure la plus résistante qui soit : un assemblage d'Etrobsis morts.
On n'en trouve plus dans les Terres Bannières à présent. Leur espèce a disparu depuis des générations et leurs armures faites pour un nain ne sont souvent pas assez ajustées pour pouvoir être utilisées à nouveau. Je ne sais pas comment ce savant fou à réussir à s'en procurer un et encore moins il a fait pour tenter de le greffer à votre bras, mais s'il a réussi, c'est à mon sens un véritable don.
ㅡ Un don ? répéta l'elfe.
ㅡ Exactement. C'est cependant qu'il n'ait eu le temps de faire que votre bras. Imaginez vous un peu, recouverte de la tête au pied de cette peau noire. Ni les armes, ni la magie ne pourrait alors vous atteindre. C'est la meilleure des protections. s'enthousiasma la naine.
ㅡ C'est mieux ainsi. reprit Cheiralba. Tant que nous ne connaissons pas les conséquences de ce genre de greffe sur une elfe, il est préférable de ne pas s'emballer. Je crois avoir vu ce que cela donnait sur un humain, et il n'y a rien de bien à en tirer. Et même si, dans le meilleur des cas, une greffe de peau totale prenait, qu'adviendrait-il d'Alaïa ? Elle serait coincée dans une armure. Pourrait-elle encore respirer ? Pourrait-elle encore pratiquer la magie ?
ㅡ Je vous en prie… Cessez de parler de moi comme si j'étais une nouveauté ou une attraction. Je peinais déjà à m'accepter en tant qu'âme perdue au milieu de ces souterrains, me voilà affublée d'une nouvelle difformité. Vous parlez de moi comme si je n'étais plus une personne mais un enjeu. Vous ne valez pas mieux que ce Sébastide. Pourquoi m'avoir sauvé ? Ne vouliez-vous donc que sauver l'expérience de ce Hordefeu ? s'emporta Alaïa.
ㅡ Si, ça n'avait tenu qu'à moi… répondit discrètement la naine dans sa barbe.
ㅡ Ce n'était pas mon intention. Je te prie de m'excuser. C'est bien toi que nous voulions sauver. Toi, Alaïa. Celle qui m'a amené jusqu'ici et sans qui rien n'aurait été possible.
ㅡ Et celle qui a payé de son corps pour que tu puisses parvenir à tes fins. Si je ne t'avais pas croisé, j'aurais continué à survivre sans rien demander à qui que ce soit. C'est de ta faute ! Tout ça est de ta faute et tu ne t'en sors qu'avec une petite blessure à l'épaule. ≫
Le désespoir et la fatigue, masqué par la colère, se lisaient dans les yeux de la jeune elfe. Elle était fatigué de tout cela. Fatiguée de vivre encore et encore en attendant que le temps fasse son oeuvre. Elle ne pouvait se résoudre à se donner la mort. Ce n'était pas à elle de décider, mais elle attendait que le moment vienne. Au lieu de cela, elle héritait d'une nouvelle difformité qui, potentiellement, repoussait un peu plus son échéance.
Cheiralba s'approcha de la jeune elfe pour tenter de la calmer et de la consoler, mais sa réaction fut vive et haineuse. Elle se dégagea du semblant d'étreinte de la vieille femme et laissa sa colère s'exprimer :
≪ Lâchez-moi, espèce de monstre. Cela aurait dû être vous. Je vous déteste. Je vous hais au plus… Qu'est-ce que … ?≫
Alaïa sentit une brûlure lui remonter progressivement le long de la jambe, suivi rapidement par une sensation d'engourdissement. Elle n'avait ni vu ni senti lorsque la vieille femme avait planté son aiguillon dans son mollet. Lorsqu'elle comprit ce qu'il se passait, la jeune elfe se contenta de dire ≪ Vous m'empoisonnez. ≫. C'était un constat, mais c'était aussi un reproche. Cette phrase signifiait la fin du peu de confiance qui demeurait entre les deux femmes. Alaïa tenta de s'éloigner la femme araignée, mais au bout du second pas, ses jambes se dérobèrent sous elle et elle s'effondra sur le sol. Cheiralba fut assez proche d'elle pour qu'elle ne se brise pas le crâne dans sa chute.
Les deux femmes partagèrent leurs larmes. L'une pleurait de culpabilité, l'autre de rage. Quand la respiration de l'elfe fut plus calme, signe qu'elle s'était endormie, la femme araignée proféra des excuses :
≪ Je suis désolé, Alaïa. Cela te fait encore beaucoup trop à assimiler d'un coup. Même si tu as dormi pendant l'opération, ce n'était pas reposant. Ton corps lutte encore. Ton esprit se retourne contre ce qu'il peut et essaye de comprendre. Je ne peux pas t'en vouloir. A nous aussi il nous faut du temps. ≫
Personne autour d'elles n'osaient dire un mot. Tous avaient l'impression que ce qu'ils pourraient dire dans cette situation serait au mieux gênant, au pire déplacé. Alors ils s'abstinrent.
≪ Syl. Je te la confie. J'aimerai pouvoir l'aider, mais elle a raison. C'est de ma faute si Sébastide lui a fait cela. Je l'ai amené à lui.
ㅡ Tu sais très bien que ce n'est pas de ta faute. Cet homme est le seul responsable de tout ceci. Il est le premier à t'avoir fait souffrir. C'est encore lui qui a capturé Alaïa. C'est encore lui qui a choisit d'expérimenter sur elle. Ne t'inquiète pas, elle comprendra.
ㅡ Pas si je reste avec elle. Peut-être que si je lui laisse le temps, alors oui, elle comprendra. Mais si je reste à ses côtés, à surveiller sa blessure et que tout aille bien, elle ne verra en moins que mon sentiment de culpabilité et, par conséquent, la raison de son handicap. C'est pour ça que je te demande cela. Je sais de quoi cela a l'air. Je donne l'impression de me défausser d'une charge que je ne voudrais pas, alors que c'est le contraire. J'aimerai pouvoir l'aider, mais je crois que le meilleur moyen de lui permettre d'accepter tout cela, c'est d'être aux côtés de quelqu'un qui se soucie d'elle et en qui elle peut avoir confiance. Et je ne corresponds qu'à une seule des deux catégories.
ㅡ Madame, intervint Hundwiin, ne vous inquiétez pas pour elle. Elle saura retomber sur ses pieds. Maintenant que le Portail au fond de la Faille est fermé, Miderlyr devrait reprendre son train de vie habituel.
ㅡ Que dîtes-vous ? tiqua Syl.
ㅡ Ce n'était donc pas seulement sous l'effet du choc et de l'anesthésie. Vous pensez vraiment que la fracture a eu lieu il y a quelques semaines. comprit soudain la vieille femme.
ㅡ Bien sûr que oui. Plusieurs jours après la Fracture, nous avons formé de valeureux guerriers et nous sommes descendus à l'intérieur de la faille afin de détruire la source de tout ces monstres. Je pensais être le seul en avoir réchappé, mais la présence d'Hyldegarde prouve le contraire.
ㅡ Vous faisiez partie des Paladins de la Faille ? précisa Syl.
ㅡ Oh ! Je vois que notre renommée nous précède. Je ne pense pas que notre réputation serait faite avant que j'ai pu remonter à la surface. Surtout en si peu de temps. Mais il faut avouer que mes camarades et moi avons fait quelque chose d'admirable.
ㅡ Je suis désolé, mais je crains que ce que je vais vous annoncer vous choque. De ce qu'on sait, les Paladins de la Faille sont tous morts… il y a plus de quatre ans.
ㅡ C'est impossible. Hyldegarde, dîtes-leur.
ㅡ Hey ! Ne vous servez pas de moi pour raconter vos histoires. Je ne peux pas dire qui a raison, mais l'un se trompe forcément. Il me manque des morceaux de mémoire. Au moins quelques semaines d'après vous, plus de trois ans d'après d'autres. S'il me paraît invraisemblable d'avoir perdu les souvenirs de plusieurs années, ces deux femmes semblent d'accord. Deux avis valent mieux qu'un.
ㅡ Mais mon avis compte. Vous me connaissez, tout de même.
ㅡ Non. ≫
La réponse fut brève, mais elle ébranla le Draconien. Qui devait-il croire ? S'il ne croyait pas en lui, que devait-il croire. Il était complètement perdu.
≪ Mais, je ne comprends pas. Vous y étiez. Je vous ai vue. Il y avait Roland Vonldrann, un de vos congénères. Il y avait Madame d'Euphorie, Byleth Danilys et Wraexius Hex. Je ne me souviens peut-être plus de tous les noms. Mais je suis sûr de vous avoir vue. ≫
Le désarroi qui assaillait Hundwiin était tant palpable qu'il ne vint à personne l'idée de répondre et de lui dire qu'il se trompait. Il saisit sa tête entre ses deux mains massives comme pour l'empêcher d'exploser.
≪ Vous êtes tous fous.
ㅡ Je ne peux que parler pour moi. J'ai perdu la mémoire et peut-être nous sommes nous rencontrés. Je me souviens avoir rejoint d'Euphorie dans cette entreprise insensée qu'est de s'enfoncer dans la Faille afin de… Je ne sais pas ce que nous souhaitions faire, mais nous étions pleines de bonnes intentions. Peut-être que nous avons formé un groupe appelé les Paladins de la Faille. En tout cas, ces dames ont l'air de connaître leur existence. Je ne suis pas folle, je suis amnésique et cela me chagrine bien plus que ce que vous pouvez imaginer. S'il y a quelqu'un qui a l'air de devenir fou, c'est vous.
Imaginons… Nous nous sommes tous les deux approchés de très près de la faille. Nous souffrons tous les deux d'amnésie. Peut-être souffrons-nous des mêmes maux.
ㅡ Je ne suis pas amnésique. ≫
Hyldegarde ne répondit pas. Elle s'était déjà beaucoup trop impliqué dans cette discussion. S'en suivit alors un silence assez pesant où tout le monde assimilait les dernières informations. Cheiralba fut la première à rompre le calme apparant en se levant. Elle commença par ajuster comme elle put sa tenue. Elle était déchirée à de multiples endroits et il en manquait une grande partie. Elle essaya encore quelques instants de faire bonne figure, mais même ses talents de tisseuse ne parvinrent qu'à raccommoder quelques accrocs ici et là. Alors qu'elle secrétait quelques fils de soie nécessaires à son travail, Syl ouvrit la porte aux confidences.
≪ Vous vous souveniez de lui ?
ㅡ Absolument pas. J'étais trop petite, répondit la femme araignée sans demander de qui elle voulait bien parler. Je ne l'ai pas vraiment connu, mais mes parents… mes parents adoptifs étaient honnêtes avec moi et m'ont expliqué que j'étais le fruit d'une expérience, d'une commande. Je sais que cela peut paraître froid et impersonnel, mais je vous jure qu'ils m'aimaient. Ils m'aimaient comme un membre de leur famille. J'aurais dû mourir avec eux. Je… J'arpentais les rues de la basse-ville à la recherche d'indices sur l'assassinat de la fille de la famille Valérianne lorsque la Fracture est survenue. Depuis je me suis cachée. Comme une lâche. Je n'ai ni trouvé son assassin, ni pu venir en aide à ma famille. Je les ai abandonné.
ㅡ Ne vous en voulez pas. Nous nous sommes tous retrouvés à devoir faire des choix où il n'y avait aucun bon choix. C'est dans les pires moments que l'on fait face aux pires dilemmes.
ㅡ C'est gentil de vouloir me réconforter Syl. Je… J'aurais… Je vais bientôt mourir. Le temps s'écoule plus vite pour moi que pour vous. Je ne dois pas être plus âgée que vous deux, mesdemoiselles. Et pourtant, vous me voyez-là, devant vous comme une vieille femme usée. Si je survis encore un ou deux ans, j'aurais de la chance. Et qu'ai-je accompli pendant ces trois ans ? J'ai tenté de soigner de pauvres âmes qui ont dû succomber quelques instants plus tard.
ㅡ Vous avez arrêté cet homme fou. ≫
C'était Hundwiin qui avait interrompu la conversation. Il n'osait pas lever la tête, mais avait pensé pendant quelques secondes à autre chose.
≪ J'ai arrêté Sébastide. C'est vrai, répéta Cheiralba.
ㅡ Ce n'est pas une mince chose, confirma Syl. Ce n'était pas qu'une vengeance personnelle. C'était un monstre et vous avez bien fait. Repensez à l'homme que vous avez promis de sauver. Certes vous ne pouviez rien faire pour lui, mais combien d'autres seraient tomber entre ses griffes. Rien que parmi nous, il y en a deux qui vous doivent la vie. ≫
La vieille femme se mit à réfléchir. Peut-être avaient-ils raison après tout. Mais cela ne suffisait pas à la consoler. Il fallait qu'elle en fasse plus. Elle avait une dette envers sa famille, et elle… Sa décision était prise. Cela faisait un moment qu'elle gardait cette idée en tête, mais il fallait qu'elle le vérifie. Remotivée, elle tira d'un coup sec sur ses vêtements, se détourna de ses camarades et déclara :
≪ Je reviens. Syl, encore une fois, je vous confie Alaïa. Je sais que je me répète, mais je tiens à elle. Sans elle, je n'aurais pas pu donner un sens à ma vie. Je vais fouiller le laboratoire et je préfère ne plus être là lorsqu'elle se réveillera. Sébastide a eu depuis la Fracture plusieurs laboratoires. Il y a forcément quelqu'un derrière tout ça. D'où vient le matériel ? Comment cela a pu être construit ? Quelqu'un devait le financer et je veux savoir qui. Lui aussi mérite de mourir. Ce sera ma nouvelle quête.
ㅡ Je viens avec vous, s'empressa de dire Hundwiin derrière elle ≫
Yorick26:
Cheiralba et Hundwiin
Vétéran
Jour 6 avant la fin
Dans le bureau de Sébastide Hordefeu
Le carnet brûlant
Cela faisait maintenant plus d'une heure que Cheiralba et Hundwiin fouillaient dans le bureau de Sébastide Hordefeu. Ils avaient trouvé un petit local dans une pièce reculée évidemment désorganisée. Des dossiers s'empilaient par terre formant des tours à l'équilibre précaire, certains s'étaient déjà renversées. Peut-être que les différentes explosions de Syl avaient leur part de responsabilité. Toujours est-il que ce désordre ne facilitait pas la tâche : impossible de savoir où commencer à chercher.
≪ Ce serait tout de même plus aisé si on savait au moins ce qu'on cherche. se plaignit le draconien.
ㅡ Je vous l'ai déjà dit. Tout ce qui peut nous mettre sur la piste d'un commanditaire.
ㅡ Cela aurait été plus simple s'il avait rangé tout cela. C'est une espèce de foutoir. Comment pouvait-il s'y retrouver là dedans ?
ㅡ Pouvait-on s'attendre à mieux de la part de ce savant fou…
ㅡ Est-on sûr qu'il y ait un commanditaire, au moins ?
ㅡ Comment le saurais-je ? Je pense que c'est le cas. Il y a forcément un financement quelque part.
ㅡ Pourquoi cherchons-nous quelque chose qui n'existe peut-être pas ? Nous pourrions tout simplement partir et reprendre nos vies.
ㅡ Moi, peut-être. Même si j'ai envie de faire plus. Vous, cela me semble compromis.
ㅡ J'oubliais que vous êtes intimement persuadée que nous avons fait un bon dans le temps et que l'histoire a basculé dans je ne sais quelle frénésie.
ㅡ Il n'y a qu'en rejoignant la surface que nous n'aurions une réponse, mais si vous êtes ici à chercher dans ces papiers, au lieu de remonter, c'est que vous avez peur d'avoir tort et de découvrir la vérité. Il le faudra bien, même si elle ne vous plaît pas.
ㅡ Vous viendriez avec moi ?
ㅡ Pas sans une bonne raison. Si je ne trouve pas de raison de remonter, je ne le ferai pas. Je ne risquerai pas ma vie là-haut. Je vivais déjà recluse avant la Faille, je n'irai pas dans la cité juste pour me prouver que j'ai raison.
ㅡ Que ferez-vous alors, si vous ne trouvez rien ?
ㅡ Je ne sais pas. J'imagine, que je reprendrais mes soins clandestins. Même si Sébastide Hordefeu est hors d'état de nuire, j'aurais de quoi faire. Peut-être même pourrais-je utiliser son matériel... ≫
Le Draconien n'osa rien dire de plus et reprit ses recherches. Peut-être que la vieille femme avait raison. Il aurait pu partir vers la surface pour prouver qu'il avait raison et ensuite prouver sa valeur, retrouver son royaume. Et glorifier ses compagnons de route. S'il ne l'avait pas encore fait c'est que le doute s'était immiscé. Il était le seul à ne pas croire en cette perte de mémoire. Et si … ? Chaque remise en question lui était inconcevable. Qu'était-il devenu de son royaume ? Il n'osait pas le demander à Cheiralba de peur d'entendre une réponse qui ne lui conviendrait pas. Si elle n'avait rien dit sur le peuple des Draconiens, peut-être n'y avait-il rien à dire ou alors la réponse était-elle si terrible qu'elle n'avait pas osé le lui dire pour le ménager.
Auparavant, il ne se serait jamais laissé aller ainsi. Il savait ce qu'il avait vécu et pourtant il se laissait se mettre en doute par des inconnus. Peut-être avait-il sous-estimé la fatigue qu'il éprouvait… Après tout, il revenait d'une dure épreuve. Héroïque même et il en était ressorti… Peut-être pas indemne, mais il avait survécu. Il avait peut-être dormi pendant plusieurs années, comme tombé dans un état de sauvegarde et de préservation avant d'être retrouvé par ses hommes du laboratoire. Mais si tel était le cas, cela voudrait dire qu'elles avaient raison. C'était inconcevable. Et Hyldegarde…
Hundwiin se rendit compte que cela faisait plusieurs minutes qu'il ne cherchait plus et qu'il était perdu dans ses pensées. Délaissant la pile de papiers sur lesquels étaient griffonnés des textes illisibles aux côtés de dessins qu'il pensait être des schémas anatomiques, il reporta son attention sur le prochain objet. Il s'agissait d'un petit cahier comme il n'y en avait plusieurs autres dans la salle à ceci près que celui-ci se trouvait près du Draconien. Ce dernier le saisit sans ménagement au risque d'écorcher la couverture de cuir avec ses griffes, puis sous l'effet de la surprise le lâcha précipitamment. Le bruit de sa chute ne fut pas impressionnant, mais suffit à attirer l'attention de Cheiralba qui, devant le visage surpris du Draconien, ne put s'empêcher de demander :
≪ Quelque chose ne va pas ?
ㅡ Non, ce n'est rien. J'ai été surpris. Ce cahier est bouillant.
ㅡ Voyons voir cela. ≫
La femme araignée rangea ce qu'elle était en train de lire de manière à pouvoir reprendre sa lecture là où elle en était facilement, puis se rapprocha du dit-cahier. Lorsqu'elle voulu s'en saisir à son tour, elle se ravisa. Il émanait effectivement une chaleur torride à l'approche du cahier si bien qu'elle était sûre de s'infliger des blessures profondes si elle allait juqu'au bout de son geste. Au lieu de cela, elle regarda attentivement l'ouvrage remarquant que les feuilles empilées sous lui ne prenaient pas feu.
≪ J'imagine que vous n'aviez pas senti cette chaleur avant de vous saisir de ce cahier ?
ㅡ Je ne sais pas vraiment. Je n'y ai pas fait très attention, je l'ai pris machinalement et ce n'est qu'après que j'ai senti une impression de chaleur. Il n'est pas fréquent que je ressente une telle impression en dehors de chez nous. Notre peau est particulièrement résistante.
ㅡ Je sais. C'est pour ça que je suis d'autant plus surprise qu'avec une telle chaleur que cette salle n'ait pas pris feu avant. De la magie très probablement. Ce qui voudrait dire que ce livre est protégé et, par conséquent, il a quelque chose à cacher.
ㅡ Vous voulez que j'appelle la magicienne ?
ㅡ Je ne sais pas. Vous pouvez le manipuler ?
ㅡ J'ai dit qu'il était bouillant, mais en vérité, il est tout juste chaud. Pratiquement tiède. ≫
Cheiralba sourit. Hundwiin faisait preuve d'un orgueil si mal caché que c'en était presque ridicule, mais la vieille femme s'abstint de relever. Elle savait que la peau des Draconiens était effectivement résistante et peut-être que Hordefeu n'avait absolument pas prévu qu'un membre de cette espèce puisse avoir un intérêt à lire le contenu de ce cahier. Une chance pour elle, bien que Syl aurait pu aisément rompre le sort.
Sans que la femme araignée ait à en dire d'avantage, Hundwiin ouvrir le livre en son milieu à une page prise au hasard. Le Draconien n'avait pas pris la peine de reprendre le cahier entre ses mains, probablement pour que Cheiralba puisse lire, elle aussi, mais aussi parce que tenir l'ouvrage n'était peut-être pas si indolore que ça.
≪ Bravo, Hundwiin ! Cela a l'air d'être exactement ce que nous cherchions. Tournez la page pour voir. Regardez… Les pages suivent le même schéma. On retrouve ici le montant… C'est quand même incroyable que même les chiffres sont pratiquement illisibles. En bas nous avons la signature… Elles sont toutes différentes ce qui voudrait dire qu'il doit s'agir du commanditaire. Tournez encore la page s'il vous plaît. Ah… Attendez revenez en arrière. Regardez. Mais oui, on dirait que c'est exactement le même texte sur ce passage-là. Difficile d'en être sûr. Il écrivait vraiment comme un cochon… Pardon je m'emporte. ≫
Le Draconien, alors qu'il suivait les ordres en tournant dans un sens ou dans un autre les pages, n'osait rien dire. Ce n'était pas son histoire qui se jouait là et il n'avait pas vu encore la vieille femme dans un état si euphorique. On aurait presque dit qu'elle avait rajeuni de quelques années si cela était possible.
≪ Franchement, Hundwiin ! Je pense que nous l'avons. Nous avons le livre qui nous intéresse. A en croire les dates que nous voyons en bas de chaque page, il a exercé pendant des années. Si ça se trouve, en cherchant un peu, nous trouverions le contrat qui me concerne.
ㅡ Vous voulez qu'on le cherche ?
ㅡ Je… L'idée est tentante, je dois l'admettre, mais non. Je ne suis plus là pour me venger. J'ai eu ma vengeance, je suis là pour venger Alaïa. Je la vengerai et je vengerai toutes ses autres victimes dont vous faites partie avec Hyldegarde. Pour cela il me faut détruire l'homme qui lui a permis de vivre ses dernières années et de continuer ses travaux. Regardons ce qu'il y a à la dernière page.
ㅡ Vide, dit le Draconien après s'être exécuté.
ㅡ Revenons en arrière et regardons la dernière page remplie. Cela devrait être son dernier contrat. ≫
Arrivé à la dernière page qui n'était pas blanche, les deux acolytes se penchèrent au-dessus du cahier.
≪ Honnêtement, depuis le début je n'arrive pas à relire ses pattes de mouche.
ㅡ Moi non plus. Mais ce n'est pas ce qui nous intéresse… Regardez la date. Il s'agit du dernier contrat et pourtant la date indique 1291. Cela fait donc plus d'un an qu'il travaille sur le même projet… Et regardez le montant. Il est exorbitant par rapport aux autres contrats. Voilà qui est rassurant.
ㅡ Rassurant ?
ㅡ Il n'y a donc qu'une seule cible à atteindre. Imaginez s'il y avait plusieurs commanditaires. Cela aurait été une chasse à l'homme qui m'aurait découragé. Maintenant, je n'ai qu'un homme à chercher. Un homme que je crois connaître.
ㅡ S. de Lomband…
ㅡ Saron de Lombard, si je me souviens bien. La dernière fois que je l'ai connu, ce n'était qu'un petit marchand de seconde zone qui arpentait le Grand Hall. Il a contacté à plusieurs reprises notre famille pour obtenir notre tissu en l'échange de… services qui déplairent à mon père. Ce fut une colère mémorable. ≫
Le sourire qui s'était dessiné sur le visage de Cheiralba à l'évocation de ce souvenir s'effaça aussitôt.
≪ Je n'ai jamais su quels étaient ces dits services. Tout ce que je sais, c'est qui ne voulait pas que le nom de notre famille soit associé à ce genre de pratique. C'était un marchand sans importance et cette histoire fut vite oubliée.
J'imagine que, vue la somme versée pour les expériences de Hordefeu, il a su profiter de la situation et faire fortune.
ㅡ On sait donc que c'est un simple homme riche.
ㅡ Absolument pas. D'une part, ce n'est pas un homme riche, mais un homme très très riche. Et par conséquent, un homme aussi fortuné ne peut pas être aussi simple. En tout cas pas simple d'accès. Il y aura forcément une garde personnelle pour protéger sa personne. Surtout en ces temps difficiles. Enfin dans l'hypothèse où les temps sont difficiles…
ㅡ Je n'ose même plus vous contredire. répondit Hundwinn piqué par la remarque de la femme araignée. Ce n'est pour autant pas que je vous crois. Tout ce que je vois pour l'instant est plus logique dans votre conception des choses, mais vous pourriez me raconter n'importe quoi à propos de ce Saron de Lomband.
ㅡ Lombard.
ㅡ Saron de Lombard. Je ne le connais pas, mais je ne suis qu'un étranger à cette ville. J'avais de toute façon d'autres projets que de vous accompagner dans cette guérilla.
ㅡ Vraiment ? Vous avez pris une décision ?
ㅡ Il faut tout d'abord que je remonte à la surface. Et ensuite, je dois annoncer que nous avons réussi à endiguer le flot des monstres sortant de cette faille. Ensuite, une fois que notre équipe aura eu son moment de gloire, je repartirai pour mon royaume.
ㅡ Je n'essaierai pas de vous avertir à quel point votre projet me semble difficile à effectuer. Rejoignons les autres, ensuite nous remonterons à la surface ensemble. Si jamais vous souhaitez alors mon aide, je vous la proposerai sûrement. ≫
Cap:
On remercie Yorick très fort qui a quasi tout fait :oups:
Syl
6 jours avant la fin
Salle d'opération de Sébastide Hordefeu
Reprendre confiance
J'étais assise à même le sol froid, le dos plaqué contre le mur. J'avais les yeux fermés, la tête relevée contre le mur. Maintenant que je m'étais arrêtée, toute la fatigue accumulée de ces dernières heures me tombait dessus. Je pouvais sentir mon épaule irradier sourdement de douleur. Fort heureusement, ma blessure avait été raccommodée immédiatement par Cheiralba... Et la magie de Thargraktrug était très sûrement à l'oeuvre.
Autour de moi, tout était calme. Cheiralba et le draconien, Hudwiin je crois, étaient partis fouiller le bureau du chirurgien. La vieille femme voulait en savoir plus sur lui et sur qui pouvait être derrière toutes ses recherches. S'il y avait quelqu'un, c'était forcément quelqu'un de très riche. Donc de très puissant. Sa quête de vengeance venait de prendre un sacré virage.
Et avec elle, le draconien. Quel étrange personnage. Persuadé que la Faille s'était ouverte récemment et surtout, de l'avoir refermé. J'eus un petit sourire triste. S'il savait que je, non, nous, avons passé presque trois ans à l'étudier pour savoir d'où venait son aura, sa puissance et les abominations qui pouvaient en sortir. Il allait être déçu lorsqu'il remonterait à la surface.
A côté, je pouvais entendre le souffle d'Alaïa. Endormie par une toxine de la femme araignée, elle dormait paisiblement. Je désaprouvais le geste de Cheiralba. La panique et le désespoir de l'elfe étaient compréhensibles, et la trahison de la piqûre la rendrait encore plus dure à raisonner à son réveil. Elle commençait à s'agiter, son réveil ne tarderait pas.
Hyldegarde s'était prostrée à côté d'elle, la tête entre ses mains. J'avais essayé de discuter un peu avec elle, d'en savoir plus sur ce qu'elle avait fait dans la Faille et sa présence dans le laboratoire. Mais les réponses laconiques et taciturnes de la naine m'avait rapidement découragée. Je la laissais donc veiller l'elfe tandis que je reprennais quelques forces pour la suite.
Suite qui s'annonçait au moins tout aussi chargée. Avant ma rencontre dans les égouts avec ces deux femmes, j'avais pour objectif de comprendre ce que voulait faire Alkebath. Et l'en empêcher si cela pouvait présenter un risque pour le monde. Il avait soif de pouvoir, ça se sentait, et l'influence qu'avait eu Imielda sur lui était considérable. Hors de question qu'il reproduise un rituel de la même envergure. Peu importe ce qu'il pouvait bien vouloir invoquer. Ou produire. Et puis, qui pouvait prévoir l'influence de la Faille dans ce genre de magie ? C'était prendre un risque trop grand pour la ville. Rien ne...
ㅡ Je crois qu'elle se réveille...
La voix rauque de la naine venait de briser le silence. La respiration de l'elfe s'était accélérée, devenant moins régulière. Et je pouvais l'entendre s'agiter.
Il me fallu quelques clignements de paupière pour me réhabituer à la luminosité de la pièce. Je pris le temps de me lever tranquillement, ménageant mon épaule, avant de m'approcher d'Alaïa.
Le temps que j'arrive à sa hauteur, elle avait ouvert les yeux, avant de les refermer aussitôt. Il y avait définitivement trop de lumière dans cette pièce. L'elfe passait maintenant sa main gauche devant ses yeux, les frottant doucement.
ㅡ Comment te sens tu Alaïa ?
Elle ne répondit pas immédiatement. Elle entreprit tout d'abord de se relever, s'aidant tout naturellement de son nouveau bras. Une fois qu'elle fut assise, elle tourna la tête vers moi pour plonger ses yeux dans les miens avant de me répondre :
ㅡ Aussi bien que quelqu'un qui vient de se faire empoisonner lâchement après être devenue une monstruosité.
Son ton était sec et froid. Glacial même. Il n'appelait aucune réponse. Mais j'allais devoir lui en fournir une.
ㅡ Alaïa je...
J'eu un instant d'hésitation. Qu'Alaïa attrapa.
ㅡ Cela ne m'importe pas. Ce ne sont plus mes histoires. J'ai assez donné. J'ai été trop gentille, encore une fois. Je voulais juste aider et voilà le résultat. Je suis devenue... Un monstre.
Sa voix se brisa sur ce dernier mot. Mais elle gardait son air droit et fier. Les larmes avaient assez coulé.
ㅡ Ton apparence ne change en rien ce que tu es vraiment.
ㅡ Épargne-moi ta philosophie à deux sous, veux-tu ? Je ne veux pas des conseils d'une parfaite petite magicienne à la vie facile.
Elle détourna la tête, fixant son regard sur son bras droit. Je jetai un coup d'oeil à Hyldegarde. Elle regardait la scène, l'air un peu absent. Elle ne serait ni une aide, ni un soutien. Il faudrait se débrouiller seule.
ㅡ Peu importe la vie que tu penses que j'ai eu Alaïa. Non, ne m'interromps pas s'il te plait. Laisse-moi parler. Je ne te connais pas beaucoup. Je ne connais rien de ton passé à vrai dire. Tout ce que je sais de toi, c'est que tu es quelqu'un de bien. Tu as accepté d'aider un vieille femme qui en avait besoin. Alors que, depuis la Faille, nous ne vivons que pour nous-même et pour notre survie. Même avant, nous étions un peuple égoïste. Tu savais qu'il y aurait des risques en l'aidant. Il y en a toujours depuis la Fracture. Et malgré les mises en garde répétées, tu as choisi de continuer. Ce n'est pas ce que j'appelle être un monstre. Tu es sûrement la plus humaine d'entre nous. Enfin, la plus elfe, mais tu vois ce que je veux dire.
ㅡ Je…
ㅡ Je n'ai toujours pas fini. Tu es celle qui a le plus souffert aujourd'hui, donc tu as le droit de plaindre. Tu as le droit de critiquer ton sort, mais tu n'as pas le droit de dire que tu es un monstre. Tu n'as pas le droit de te dénigrer. Je maintiens ce que j'ai dit. Tu n'es pas un monstre. Tu juges ton bras à son apparence. Qui sait ce qu'il est capable de faire ? Ce que tu es capable de faire ? Ce n'est pas ton bras qui te définit. Alors oui, les enfants te regarderont bizarrement dans la rue, et les Croisés risquent de ne pas trop apprécier... Tu n'en seras pas plus ou pas moins différente d'un nain, d'un humain, d'un draconien ou même d'une femme araignée.
Je sais ce que tu vas dire. Que c'est facile pour moi de dire ça. Que je parle sans savoir. Sans connaître. Que personne ne peut te comprendre. Sache que mon passé n'est pas aussi lisse et lumineux que tu ne le penses. J'ai, moi aussi, ma part d'ombre, ma monstruosité ou mon démon, peu importe comment tu l'appelles. Il m'a fallu beaucoup de temps pour l'accepter. Pour simplement tolérer sa présence. Je regrette presque d'avoir perdu autant de temps à lutter. Je réalise doucement tout ce que nous sommes capables d'accomplir. Et je ne parle pas de Cheiralba, qui a dû naître, vivre et grandir. Elle a dû se construire. Toi, tu sais qui tu étais sans ce bras. Tu sais qui tu étais avant.
Je m'étais un peu laissée emporter. La dernière partie de mon discours n'était pas complètement destinée à Alaïa. Je me retrouvais dans ce que renvoyait l'elfe. J'avais l'impression de me voir, des années en arrière, juste après cette nuit tragique. Des années… et même quelques jours auparavant. Ma lutte contre ma singularité, contre Thargraktrug, n'était terminée que depuis quelques heures. Mais j'avais vécu bien des années au cours desquelles je me détestais au plus haut point. Et je ne souhaitais pas qu'elle traverse la même chose.
Alaïa ne répondit pas. Elle n'avait pas bougé depuis que j'avais commencé à parler. Je laissais passer quelques instants avant de me redresser.
ㅡ Prends le temps qu'il te faut.
Hyldegarde avait relevé la tête et me fixait, les yeux brillant d'une étrange lueur. Je soutiens son regard quelques secondes, avant de me détourner, un étrange frisson me parcourant l'échine. Je repris alors ma place, contre le mur.
Le silence s'installa. Alaïa toujours perdue dans ses pensées. Hyldegarde toujours prise dans mutisme. A moins qu'elle ne respectait le besoin de tranquillité de la jeune elfe.
ㅡ Pourquoi êtes-vous encore là ?
La voix d'Alaïa était chargé de tristesse.
ㅡ Pourquoi ne pas être parties avec Cheiralba ?
ㅡ Je n'allais tout de même pas te laisser toute seule, même sous bonne garde d'Hyldegarde. En plus, j'avais promis à cette vieille folle de prendre soin de toi.
ㅡ Je doute qu'elle s'en soucie.
Je n'avais pas spécialement envie de prendre la défense de Cheiralba. Elle s'était comporté de manière égoïste. Plutôt que d'affronter ses problèmes, elle les avait mis en pause pour laisser aux autres le soin de s'en occuper en son absence. Je m'étais également imposé une mission, et je l'avais depuis trop longtemps négligée. Le poids de ma tâche revient se poser sur mes épaules déjà bien assez endolories. Je soupirais. Pourquoi étais-je encore là ? Parce que tu es trop bonne. Cette pensée résonna dans ma tête sans arriver à savoir si elle venait de moi ou de Thargraktrug. Il y avait dans ces quelques mots un aveu de faiblesse que je balayais d'un coup de main imaginaire. Je venais de donner une leçon à Alaïa sur la nécessité de s'accepter tel que l'on est. Dans son intégralité. Je venais d'accepter au prix de nombreux efforts la présence d'un démon en moi, ce n'était pas pour détester la seconde moitié de mon être. Celle qui me définissait le plus, d'autant plus.
≪ Bien sûr qu'elle se soucie de toi. Même si je n'approuve pas ce qu'elle a fait, je sais qu'elle se soucie de toi. Elle a tout fait pour te sauver. Si pour toi ce bras fais de toi un monstre, ce qui est faux, je le répéterai autant de fois qu'il le faut, pour elle c'est un échec. Elle n'a pas réussi à te sauver. Elle t'a mis en danger et tu es celle qui en a payé le prix le plus fort. Tu n'as pas besoin de lui rappeler à quelle point elle est responsable. Elle le sait.
Moi aussi, je me soucie de toi. Même si Cheiralba a une vendetta à mener, même si j'ai des recherches à approfondir, nous ne t'abandonnerons jamais. Nous sommes des camarades. Des compagnons.
ㅡ Des compagnons… reprirent ensemble Hyldegarde et Alaïa. ≫
La naine, qui jusque là restait plongée dans son mutisme, réagit au mot "compagnon". Les yeux dans le vague, elle semblait plonger dans des souvenirs insondables. Alaïa avait le même regard. Pour elles deux, la notion de compagnon, d'amitié de fortune évoquait un passé qui semblait douloureux.
≪ Parfois, il vaut mieux être seule. J'avais des compagnons… Je veux dire. Nous avons vécu certaines choses dans cette Faille. Je ne me souviens pas. Je ne me souviens pas de tout en tout cas, mais des bribes me reviennent. De chacune d'elles je retire l'impression de perdre un être cher. Les aventures que nous vivons créent un lien entre nous et des fois il devient si fort que lorsqu'il se brise, les deux extrémités ne s'en tirent pas indemnes. A votre regard, je vois que vous comprenez ce que je veux dire. ≫
Depuis qu'elle était sortie de sa cellule, la naine n'avait pas souvent parlé aussi longtemps. Etait-ce la rareté de ses paroles ou le fait qu'elles trouvent particulièrement écho dans le passé de la jeune elfe qui faisait que cette dernière était particulièrement attentive et réceptive ? J'allais intervenir pour la contredire et rappeler que les compagnons étaient des appuis et des aides sans quoi les grandes entreprises ne sont pas pas possibles, lorsque Hyldegarde reprit la parole :
≪ Ne regrettez jamais d'avoir eu des compagnons, Mademoiselle Alaïa. Même si, comme vous, j'en ai souffert, je ne dois pas le regretter. Si ma mémoire était encore valide, je pourrais vous expliquer plus vivement de la nécessité d'avoir des compagnons. Hélas, les choses sont ce qu'elles sont. Je vous ai parlé de bribes de souvenir tout à l'heure. En vérité, elles concernent principalement une personne. Une personne que je refuse d'apprécier. Dans tous mes souvenirs, elle reste ma principale rivale, bien qu'elle ne représente qu'une menace symbolique. Je me souviens bien du mépris que je ressens envers cette personne. Enfin je devrais dire, que je ressentais. Quand je pense maintenant à elle, c'est une tristesse que je n'explique pas qui m'envahit. Une tristesse en désaccord avec tout ce que je sais de notre relation.
Je n'y vois qu'une explication. Mes souvenirs effacés cachent la source de ce paradoxe. Qu'avons-nous vécu pour créer un tel bouleversement dans mes sentiments ? Je ne saurais vous le dire et ce n'est pas faute d'essayer de me souvenir. Je suis à la recherche d'un morceau de mon passé depuis mon réveil dans cette cellule. Mais il y a eu quelque chose qui a créé un lien entre elle et moi. Quelque chose qui est passé outre notre inimitié. La plus simple des explications est ce besoin de faire d'elle un compagnon.
Je sens bien que mes explications ne sont pas claires. Même pour moi, j'ai du mal à y croire et à les comprendre. Je ne suis sûr de rien. Je ne vis qu'avec des suppositions. Mais vous, Mademoiselle Alaïa… vous qui avez encore accès à votre passé. Ne craignez pas la main qu'on vous tend. Vous en avez besoin. Il est vrai que si le lien se brise, vous souffrirez. Cependant, cela sera pire si vous restez seule. Même si cette femme araignée a des méthodes douteuses et honteuses, elle veut votre bien. Et, Mademoiselle la magicienne, ici présente, est restée à vos côtés. Cela me semble être deux personnes en qui vous pouvez faire confiance pour vous porter et vous soutenir. Et j'imagine sans mal que, que vous décidiez de suivre l'une ou l'autre si jamais leurs chemins se séparent, vous saurez vous montrer indispensable. Que vous le vouliez ou non, vous faites maintenant partie des leurs. ≫
Lancée comme elle l'était, je m'attendais à ce qu'Hyldegarde continue encore un peu, mais elle n'en fit rien. Ce n'était pas important. Elle avait dit ce qu'il fallait dire. Je n'aurais pas utilisé les mêmes mots, mais sa sincérité était plus efficace que n'importe quelle tournure de phrase. Même si je trouvais que certains passages étaient confus, la longue tirade de la naine semblait trouver écho avec Alaïa.
La jeune elfe regarda vers moi en quête d'une réponse. Cela se lisait dans ses yeux, mais je ne me souvenais pas qu'une question ait été posée. Dans le doute, je me contentai d'acquiescer de la tête et de sourire. Cela semblait suffire à Alaïa qui, à son tour, se mit à sourire. Un sourire discret, mais un sourire quand même qui faisait plaisir à voir.
Yorick26:
Cheiralba et Hundwiin
Vétéran
Jour 6 avant la fin
Dans les couloirs du laboratoire
Du fromage et du pain
≪ Vous pensez que la jeune elfe vous pardonnera ?
ㅡ Pourquoi prenez-vous la peine de préciser à chaque fois qu'elle est jeune. Il n'y a qu'une elfe dans notre groupe disparate, il n'y a donc pas de confusion possible avec quelqu'un d'autre. A chaque fois que vous prenez la peine de préciser "jeune", je me sens encore plus vieille que je ne le suis. Et c'est déjà beaucoup.
ㅡ Pardon, je ne voulais pas… ce n'est pas du tout ce que je voulais dire. C'est que je n'ai pas encore bien retenu comment elle s'appelait et que…
ㅡ Ne vous excusez pas. Nous sommes tous fatigués… Nous avons fait une longue route jusqu'à ce laboratoire, sans prendre le temps de dormir ou de manger. Vous, vous sortez à peine d'une anesthésie dont les effets peinent à se dissiper, quant à Alaïa…
ㅡ L'elfe…
ㅡ Même si elle sort elle aussi de deux anesthésies également, je l'imagine également épuisée. Comment pourrait-il en être autrement ? Capturée, torturée, mutilée… trahie par moi.
ㅡ Vous ne l'avez pas trahie, vous avez pensé à son bien être.
ㅡ Si je n'avais pensé qu'à son bien être, je ne l'aurais pas prise par surprise. J'aurais pris le temps de lui expliquer et… et d'affronter son regard.
ㅡ Ne soyez pas si sévère envers vous-même. Vous l'avez sauvé. C'est ce qui compte. Vous vous êtes proposée pour la soutenir et elle vous a rejeté et malgré tout vous avez continué à vouloir la soutenir avec vos moyens. Des moyens… bon… D'autres auraient peut-être mieux convenus, mais… ≫
Hundwiin s'immobilisa et sa phrase resta en suspens. Cheiralba le regarda alors… Depuis qu'elle l'avait délogé de son brancard, il avait une allure plus noble. Son dos découplé lui donnait lui donnait un air plus vigoureux et fier. Loin de s'intéresser à la vieille femme, il regardait plus loin dans le couloir quelque chose accroché sur le mur. La femme araignée pesta intérieurement contre sa myopie et se rapprocha.
≪ J'essayais de retenir le chemin pour sortir d'ici. Cette carte est faite à la main et en mauvais état, mais elle peut nous être utile.
ㅡ Vous plaisantez j'espère. Nous n'allons tout de même pas être précautionneux On prend cette carte avec nous. Vous pouvez la retenir si cela vous chante, mais nous n'allons pas la laisser là. Je doute qu'elle serve à Hordefeu. ≫
Avant qu'Hundwiin ait eu le temps de la rejoindre, la femme araignée avait saisi de part et d'autre le cadre accroché au mur, le souleva pour le désinsérer et le jeta par terre, ce qui fit hoqueter le draconien. Avec des mouvements prudents et du bout de la chaussure, elle chassa des gros morceaux de verre puis ramassa la carte qui s'en sortait presque indemne. Le Draconien avait raison, elle était en mauvais état, mais restait très lisible. Elle offrait une parfaite compréhension de la disposition du laboratoire, mais donnait surtout un plan des alentours et des meilleurs moyens de rejoindre la surface. Un atout majeur pour ce qu'elle avait à faire.
La vieille femme plia la carte en quatre pour qu'elle soit plus facile à la lire et fit demi-tour pour rejoindre Hundwiin qui n'avait en définitive pas bouger pendant tout ce temps. Arrivée à son niveau, ce dernier se pencha pour mieux observer la carte. Il avait certes une bonne vue, c'était toujours plus facile à voir lorsqu'il avait l'objet sous les yeux. Cependant, il fut surpris que Cheiralba ne s'arrêta pas pour lui montrer la carte. Au lieu de ça, elle continua son chemin sans lever la tête. Puis voyant qu'elle n'était pas suivie, elle se retourna et pointa du bout du doigt un endroit particulier sur la carte :
≪ Vous venez ? J'ai trouvé la cantine du laboratoire. Je doute qu'il y ait un grand cellier rempli de victuailles, mais cela fera du bien à tout le monde si on arrive avec un peu de pain et du fromage. Même si vous me dites que vous n'avez pas faim, je ne vous croirai pas.
ㅡ Vous plaisantez ? Je pourrais manger l'intégralité de deux ou trois banquets à moi tout seul. Et je ne vous parle pas de vos repas de pacotille. Je vous parle de vrais festins avec…
ㅡ Laissez-en tout de même pour tout le monde. J'ai dit "pain et fromage", pas des daurades farcies ou que sais-je encore…
ㅡ On se contentera d'un repas frugal alors. Et promis, j'essaierai de me retenir. ≫
Great Magician Samyël:
Antiva
6 jours avant la fin.
Repaire de Résistance d’Aube l’Aveugle
Le chapitre tant attendu (Il paraît).
-Antiva ! Antiva !
La Chasse-Fortune fut tirée d’un sommeil sans rêve par Jérôme, la jeune estafette qui la secouait doucement par l’épaule. Dans l’obscurité du dortoir, elle ne voyait que le blanc de ses yeux écarquillés.
-Aube vous demande. Plusieurs chefs de cellule sont arrivés pour une réunion, et le boss voudrait que vous y participiez.
Antiva cligna plusieurs fois des yeux, essayant de chasser la fatigue et de comprendre les mots qui sortaient de la bouche de son interlocuteur. Elle grogna vaguement quelque chose, qui sembla suffisant pour le jeune homme. Il hocha la tête.
-Je vous attends dehors.
A pas feutrés pour ne pas réveiller les autres Résistants encore endormis, l’estafette s’éclipsa. La Chasse-Fortune, récemment convertie Résistante à son corps défendant, resta un instant à contempler le plafond bas et craquelé d’où s’échappaient de grosses gouttes d’eau, qui s’écrasaient sur le sol dans un “plic-ploc” agaçant. Elle était allongée sur une paillasse inconfortable mais avait connu bien pire. L’odeur cependant était assez désagréable. Une odeur d’humidité et de moisissure, typique des égouts sous-terrain, mélangée au remugle des corps sales et entassés.
“Aller hop, hop, debout, chère Antiva ! Une belle journée nous attend.” éclata soudain la voix dans sa tête, la faisant sursauter.
Sa main tâtonna instinctivement à côté d’elle jusqu’à trouver son cimeterre, qu’elle serra contre elle. Un frisson la parcourut. Ce n’était pas un rêve.
“Un rêve éveillé, peut-être.” fut-elle taquinée.
-Je deviens folle, murmura-t-elle dans le noir.
“Oh non. Non, non. Tu es parfaitement saine d’esprit. Ce qui tient du miracle quand je… eurgh… vois ce qu’a été ta vie jusqu’ici. Tout à fait effrayant. Bravo !”
La Chasse-Fortune prit une grande inspiration et résolut d’enfin faire face.
“Oui ! Enfin !” la voix dans sa tête semblait extatique, et sonnait comme celle d’une petite fille trépignante à qui on offrait enfin le jouet tant attendu.
-Qu’est-ce qu’il m’arrive ? chuchota Antiva, après avoir jeté un coup d’oeil autour d’elle pour s’assurer que personne n’était réveillé pour l’entendre.
“Absolument rien ! Tu es parfaite comme tu es, ma chérie. Simplement, hmm… disons que toucher la tiare à mains nues n’était peut-être pas la meilleure idée que tu aies eues jusqu’ici.” un ricanement mutin lui arracha une grimace.
-Qu’est-ce que tu me veux ?
“Moi ? Oh, pas grand chose. Je m’ennuyais depuis tellement longtemps dans cette triste tiare. Je veux seulement m’amuser. Vivre ta vie, pour un temps.”
La Chasse-Fortune leva une main pour se masser la naissance du nez, sentant une migraine poindre.
-Comment je me débarrasse de toi ?
“Te débarrasser de moi ? Oh, Antiva. Ma chérie, tu me blesses. Je pensais que nous avions quelque chose, toi et moi.”
-Quelque chose ? Je n’ai jamais demandé à t’avoir dans ma tête et je…
Des souvenirs de la veille, lorsque le contrôle de son corps lui avait été douloureusement ravi, lui remonta en mémoire.
“Tout cela ne dépend que de toi.” souffla la voix, sur un ton cajoleur. “Si tu es une gentille fille, je n’aurais plus besoin d’avoir recours à ce petit artifice. Si tu es une mauvaise fille, en revanche…” La voix laissa planer un petit silence pour appuyer sa menace, avant de reprendre sur un ton plus enjoué. “Enfin, pour te répondre, je crains hélas que tu es coincée avec moi pour… hmm… le reste de tes jours.”
Antiva grogna de dépit en se redressant.
-Il doit forcément y avoir un moyen, murmura-t-elle.
“Oh oui, bien sûr. Lorsque tu mourras, je serais happée à nouveau dans la tiare. Et crois-en mon expérience, c’est un procédé absolument affreux. Essayons de délayer cela le plus longtemps possible, veux-tu ?”
-Mourir n’est pas vraiment dans mes plans.
“Oui ! Tout à fait.” Antiva pouvait presque entendre la voix désincarnée frapper dans ses mains comme une fillette.
-Bon, soit, concéda la Chasse-Fortune en se mettant debout après avoir enfilé ses vêtements. Il semblerait que je n’ai pas trop le choix, pour l’instant.
“Ouip !”
-Comment je t’appelle ? Sanderline ?
“Oh ! Par les Sables, non ! Non, non, non ! Rien que de repenser à ce dégoûtant vieillard… bouargh.”
-Ce n’est pas toi, Sanderline ? Pourtant ta couronne maudite porte ce nom.
“Sanderline était mon dernier “hôte”, si j’ose dire. Une expérience tout à fait déplaisante. Tu es on ne peut plus agréable à parasiter, ma chérie. Quoiqu’il en soit tu peux m’appeler… hmm… pourquoi pas Maîtresse ?”
-Oublie ça, grogna Antiva en ouvrant la porte.
“Ma Reine ?”
-Pire.
“Quelle rabat-joie. Yashajshkath suffira.”
-Yachache-quoi ?
“Vous autres sudistes… eurgh. Appelle moi Yash, et n’en parlons plus.“
-Ah, vous êtes prête !
Jérôme, qui l’attendait dans le couloir, interrompit leur conversation.
-Parfait. Suivez-moi, je vous prie.
Antiva lui emboîta silencieusement le pas, ne sachant trop à quoi s’attendre. Sa vie avait pris une drôle de tournure, et si abruptement. Tout était encore un peu flou. Autours d’elle, les Résistants s’activaient le long des couloirs étroits et humides de leur repaire secret, quelque part dans les anciens réseaux d'égout sous la ville. Certains lui lançaient des oeillades méfiantes, d’autres des regards plein d’espérance. Elle-même ne savait pas trop ce qu’elle allait bien pouvoir faire dans cette machine. Elle n’avait aucune allégeance envers qui que ce fût qu’elle-même. La seule raison pour laquelle elle était encore là était le caprice de Yashachekya…
“Yashajshkath. Et ce n’était pas un caprice.”
Ignorant la voix, Antiva se fit la réflexion qu’elle se sentait comme une feuille ballottée par le vent. Elle ne se sentait plus maîtresse de son destin.
Jérôme l’introduisit dans la pièce où hier à peine elle avait remis la tiare à la naine Aube. Cette même tiare qui était toujours posée en évidence sur la table où elle l’avait vue pour la dernière fois. Plusieurs personnes tenaient une conversation tout autours. Il y avait Aube, bien sûr, mais également un homme grand et blond, bien habillé avec un visage taillé à la serpe et des yeux bleus perçants. Ses beaux atours et la belle rapière qui pendait à sa ceinture le peignaient comme un noble.
Il y avait également un elfe, d’un âge vénérable, comme en témoignait son visage fripé. Il portait une longue robe académique et se reposait sur un long bâton de bois tordu. Un mage, probablement. Il y avait d’autres personnes, toutes arborant des airs soucieux et graves mais rien ne les faisait sortir du lot.
Seule Aube adressa un petit signe de tête à Antiva lorsqu’elle entra. Ce qui était étrange, étant donné sa cécité.
-Ainsi donc tu as trouvé ta chimère, disait l’homme en se frottant le menton, d’un ton prudent.
-Oui, répondit la Naine. Grâce à Antiva, ici présente.
Le noble lui adressa à peine un regard en coin et sembla aussitôt l’oublier.
-Et alors ? Explique nous comment ta babiole va nous aider à renverser la Croisade.
Un sourire contrit fleurit sur les lèvres de l’Aveugle alors qu’elle posait une main sur la couronne.
-Elle ne nous aidera en rien, je le crains, duc Prestor. Elle n’a aucun pouvoir.
Une vague de murmures parcourut l’assemblée.
“Je te l’avais dit. Ce n’est qu’une couronne moche. Le pouvoir, c’est moi.”
Une goutte de sueur perla à la tempe d’Antiva et elle se tourna furtivement de droite et de gauche, prise d’une paranoïa soudaine. Et si quelqu’un pouvait entendre la voix dans sa tête ?
“Rassure toi, ma chérie. Je ne suis qu’à toi.” Yash éclata d’un rire mutin, ce qui ne fit rien pour rassurer la Chasse-Fortune.
-Explique toi, reprit le duc Prestor à qui la moutarde semblait monter au nez. Trois ans que nous te déléguons des ressources et des hommes pour chasser ta baleine blanche. Et tout ça pour… rien ?
Le vieil elfe, qui était jusque là resté silencieux, leva la main pour réclamer le silence.
-Nous ne pouvions pas le prévoir, commença-t-il d’une voix chevrotante. La tiare est peut-être dénuée de pouvoir, mais cela n’a pas toujours été le cas. De nombreux écrits attestent de ses capacités, dont le journal de Sanderline lui-même ! Nous ne savons pas ce qu’il s’est passé.
Le duc souffla par le nez et s’empara de la tiare, l’observant sous toutes les coutures.
-Sommes-nous certains qu’il s’agisse bien de la relique ? Se pourrait-il que votre voleuse ait rapporté une imitation ?
-Impossible, fit Aube en secouant la tête. Toutes les sources convergeaient. Cette couronne est la Tiare de Sanderline. Aucun doute n’est possible.
L’elfe passe une main au-dessus de la relique et celle-ci luisit d’une légère lueur bleutée l’espace de quelques secondes.
-Quelques résidus d’énergie s’y attardent encore, voyez.
-C’est une déception, je vous l'accorde, reprit la Naine. Mais ce n’est cependant pas la raison pour laquelle j’ai convoqué ce conseil.
Elle prit une grande inspiration.
-Nous sommes compromis. Un de nos hommes a craqué sous la torture.
“Oh-oh.”
La nouvelle ne provoqua qu’un silence pesant. Tout le monde savait ce que cela voulait dire.
-Que savait-il ? demanda le duc en serrant les poings.
-Je ne sais pas exactement. La localisation de ce repaire, c’est certain. Pour le reste, nous devons envisager le pire.
Prestor se passa une main dans les cheveux, fermant les yeux en soupirant.
-D’abord le fruit de trois ans d’effort réduit à néant, et maintenant, ça. Est-ce que cette journée peut devenir plus noire, encore ?
-Peut-être suis-je en mesure de l’illuminer, duc.
Toutes les personnes présentes se tournèrent vers l’entrée, vers cette nouvelle voix qui venait de s’élever. C’était une femme comme Antiva n’en avait jamais vue. Sa peau était d’un noir profond, que la caresse des torches teintait de bleu. Ses longs cheveux blancs voletaient sobrement derrière elle, comme portés par une brise invisible. C’était ses yeux, cependant, qui firent reculer Antiva et lui firent porter la main à son cimeterre, instinctivement. Ils étaient parfaitement rond et ne semblaient jamais ciller, lui évoquant le regard d’un oiseau rapace. En outre, son bras gauche n’avait rien d’humain. Il s’agissait d’un tentacule long et duveteux, qui s’enroulait paresseusement autours de la taille fine de sa robe élégante mauve et noire.
“Méfie-toi d’elle.” chuchota Yash dans son esprit, d’une voix étrangement sobre et sérieuse.
Aube l’Aveugle leva les mains pour intimer le calme aux Résistants qui faisaient mine de dégainer leurs épées.
-Et vous êtes ? demanda-t-elle calmement.
-Je la connais, grogna le duc d’une voix mauvaise. C’est une ambassadrice, de l’Arézumie.
-Oui, c’est exact, hocha la nouvelle arrivante. Mon nom est Vespérale.
Elle se fendit d’un sourire qui dévoila sa double rangée de crocs et qui fit se dresser les poils sur la nuque d’Antiva.
-Qu’est-ce que vous fichez ici, s’enquit Prestor sans lâcher la poignée de sa rapière. Et comment diable avez-vous réussi à vous infiltrer ?
-Je ne suis que l’humble servante de mon Maître, déclara l’Homoncule en faisant une petite révérence. Je vous apporte sa volonté. Il désire vous apporter son soutien dans votre entreprise.
Elle se redressa, ses yeux d’oiseau se fixant sur Aube.
-Des fonds, des informations, un nouveau lieu pour votre… “repaire”.
A mesure qu’elle énumérait, elle comptait en même temps sur sa main humaine.
-Et, peut-être ce qui vous intéressa le plus, de quoi remplacer votre couronne par quelque chose de plus… “concret”.
-Tout cela est fort généreux, fit Aube prudemment après un instant de silence. Mais qu’est-ce que votre “Maître” désire en retour ?
-Le succès de votre entreprise, répondit l’Homoncule du tac au tac, sans sourciller. Il partage votre vision et souhaite vous voir réussir. Oh et, j’ai failli oublier, une petite condition préalable.
-Laquelle ?
-Trois fois rien, vraiment. Il faudrait que vous assassiniez un Croisé pour moi. Son nom est Aarath et vous ne pouvez pas le manquer, il ressemble à un gros chat tout mignon !
Vespérale fut pris d’un petit rire, qui provoquait un contraste effrayant entre sa voix douce et ses crocs terrifiants. De plus, même en riant, ses yeux ne bougeaient pas.
-Mais j’exige que sa mort soit sans douleur. Je l’aime bien.
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