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[Fiction Collective] Miderlyr - Saison 2

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Great Magician Samyël:
Vespérale
7 jours avant la fin
Quartiers de l’émissaire d’Arézumie
   -Je vais rester tranquille dans mes appartements. Tu peux disposer, je ferai appel à toi si besoin Aarath.
   Un sourire fleurit sur les lèvres du Léonin. Il semblait heureux de pouvoir quitter sa compagnie.
    -Très bien je te laisse dans ce cas.
   Le visage de marbre, Vespérale le regarda quitter les appartements, penchant légèrement la tête sur le côté, comme un oiseau rapace observant une proie. Elle trouva dommage de devoir bientôt le tuer. Elle l’aimait bien.
   Après avoir attendu quelques minutes sans bouger, elle fit mander sa servante Yasmina. La vieille femme fut à la porte une poignée de secondes plus tard.
   -Vous m’avez demandée, Divine ?
   -Oui. Je vais comploter avec la Résistance aujourd’hui.
   La servante n’eut presque aucune réaction, se contentant d’hocher la tête.
   -Puis-je vous aider en quoi que ce soit, Divine ?
   -Oui. Fais mander mon déjeuner. Mais je ne serai plus dans la pièce lorsqu’il arrivera. Tu comprends ?
   -Oui, Divine. Dois-je agir surprise ?
   Vespérale déroula le long tentacule qui lui servait de bras gauche et s’en servit pour se gratter pensivement le menton.
   -Oui. Je pense que cela sera plus crédible. Fais donc.
   -J’agis, Divine.
   Sans un autre mot, la servante s’inclina et referma la porte. Sans se retourner, Vespérale recula jusqu’à s’adosser au mur ouest de sa chambre, là où le soleil de midi entrant par la fenêtre produisait une ombre profonde et dense. Agitant mollement son tentacule, elle usa d’une étincelle de pouvoir pour donner à ses cheveux la même couleur d’ébène impénétrable que sa peau. Puis, elle ferma les yeux et attendit.
   Au bout de quelques minutes, le croisé chargé de lui apporter ses repas frappa à la porte.
   -Votre déjeuner, émissaire.
   Sans attendre sa réponse, ce qu’il faisait à chaque fois pour essayer, en vain, d’ennuyer l’Arézumienne, le soldat ouvrit la porte et pénétra dans la pièce, Yasmina sur ses talons. Le garde fit quelques pas pour déposer un plateau garni de victuailles sur la table basse au milieu de la chambre. Il lui fallut quelques secondes pour constater qu’il ne voyait l’Homoncule nulle part.
   Fronçant les sourcils, il se tourna en tout sens, essayant de la repérer.
   -Madame ?, s’enquit-il à haute voix.
   Puisqu’aucune réponse ne lui parvenait, une appréhension mauvaise commença à s’emparer de lui. Avisant la fenêtre grande ouverte, il s’y dirigea et se pencha. Il faillit s’étrangler en découvrant la corde que Vespérale avait attachée peu avant l’arrivée d’Aarath  à une petite excroissance sous la rambarde et qui pendait dans le vide jusqu’au sol, quelques mètres plus bas.
   -Bordel, jura-t-il entre ses dents.
   Il se retourna vers la servante, qui le regardait avec une expression curieuse.
   -Y a-t-il un problème, monsieur ?
   -Un problème ?, mugit le croisé. Un gros problème ! Cette saleté s’est enfuie !
   La femme porta une main à sa bouche et ses yeux s’écarquillèrent de surprise.
   -Comment ?
   -Par la fenêtre, putain !
   Le garde, paniqué, quitta la pièce en courant, beuglant dans le couloir pour rameuter ses collègues. De nombreux bruits de pas se firent entendre, accompagnés du crissement désagréable des cottes de mailles et d’éclats de voix inquisiteurs.
   Au bout de quelques minutes, Vespérale rouvrit les yeux et relâcha l’enchantement de ses cheveux. Elle se décolla du mur et s’approcha de Yasmina, qui avait retrouvé une expression neutre et plate.
   -Mon plan a marché, commenta Vespérale.
   -Comment aurait-il pu en être autrement, Divine ?, demanda la servante en s’inclinant, la voix tremblante d’admiration.
   -Tu as bien agi.
   Tentant une expérience, Vespérale déroula son tentacule et vint gentiment tapoter l’épaule de sa subalterne. Celle-ci frissonna et un léger sourire fleurit sur ses lèvres. Elle s’inclina derechef.
   -Vous m’honorez, Divine.
   Expérience concluante, donc, songea l’Homoncule en rétractant son appendice. Elle apprenait beaucoup de choses depuis son arrivée à Miderlyr. Notamment sur cette “loyauté” qui la fascinait. En Arézumie, tout le monde lui obéissait. C’était simplement l’ordre naturel des choses. Elle était une Homoncule, ils n’étaient que de misérables mortels.
   Ici, les choses étaient différentes. Les individus semblaient attendre certaines choses en retours pour leurs services. De la “reconnaissance”, du “respect”. Des notions étranges. N’était-il pas dans la nature des serviteurs de servir ? Cependant, elle avait observé de ses yeux d’oiseaux que les serviteurs les plus dévoués et efficaces étaient ceux que leur maître traitait le mieux.
   Elle s’échinait donc à essayer de se montrer plus… “avenante” ? “Humaine” ? D’étranges notions qui lui semblaient bien futiles. Mais ses récentes expériences avec sa propre suite se montraient concluantes. Ce qui lui donnait matière à réfléchir.
-Je vais faire tuer le lion, reprit-t-elle sur le ton de la conversation.
-Bien, Divine.
-Que penses-tu de cela ?
-Divine ?, s’enquit la servante en penchant la tête, peu habituée à ce qu’on lui demande son avis.
-Je te demande ce que tu en penses.
Yasmina prit une seconde pour y réfléchir.
-Je pense que cela pourrait être dangereux. Il semble être quelqu’un d’important pour la Zandriarchie. Sa mort provoquera certainement une enquête. Et puisqu’il est votre geôlier, les soupçons se porteront rapidement sur vous.
-Oui, j’y ai pensé. C’est très probable. Dis moi, Yasmina. Lorsque je pense à cela, à sa mort, il se passe quelque chose, ici.
Vespérale tapota l’endroit où un coeur se situerait, sur un mortel normalement constitué.
-Qu’est-ce que c’est ?, continua-t-elle en penchant la tête, ses yeux ronds ne cillant pas.
-Peut-être que sa Divine ressent… une émotion ?, tenta prudemment la servante.
-Une émotion ?
Vespérale resta coite un instant.
-Je ne pense pas que je puisse ressentir d’émotion.
-Divine, pardonnez mon affront.
-Non, c’est une notion intéressante. Imaginons que je puisse ressentir des émotions. Laquelle serait-ce ? La joie ?
-Je ne sais pas, Divine. Qu’est-ce que… Qu’est-ce que vous… ressentez ?
Vespérale se retourna et vint s’accouder à la rambarde de la fenêtre. Elle jeta un regard sur la cité qui s’étendait en contrebas, sur la faille béante qui la défigurait.
-Quand mon Père m’a prise dans ses bras j’ai… “ressenti” comme une boule de feu. Une chaleur intense et agréable. La caresse du vent sur le sable du désert.
Un sourire béat et étrange étira ses lèvres, dévoilant sa double rangée de crocs.
-Quand je pense à la mort d’Aarath, je ressens comme une douleur. Une lame sur ma peau. Les crocs d’une vipère dans mes artères.
-Alors je pense que sa Divine ressent de la tristesse.
-Tristesse ? Est-ce lorsque de l’eau sort de vos yeux et que vous vagissez des mots sans cohérence ?
-Oui, Divine. Oserais-je insinuer que sa compagnie ne vous est pas désagréable ?
-Il est un obstacle. Je ne peux pas accomplir pleinement la volonté de mon Père tant qu’il est là à surveiller tous mes faits et gestes. Mais… voir sa queue frétiller lorsqu’il est en colère est amusant. J’aime rire à ses dépens. Sa tête sérieuse qui vire au rouge. Quelle joie.
Ne sachant que dire, Yasmina se contenta de rester silencieuse.
-Merci pour tes précieux conseils, finit par dire Vespérale. Je les garderai à l’esprit.
-Divine, je n’ai rien fait de…
Elle s’interrompit lorsque le tentacule de sa maîtresse fouetta l’air pour venir l’enlacer par la taille pour la projeter violemment dans les bras de l’Homoncule. Celle-ci l’étreignit, essayant d’imiter au mieux la mère qu’elle avait vu enlacer son fils au marché, la veille. Yasmina se raidit, pensant sa dernière heure arrivée, mais sa maîtresse se contenta de lui tapoter le dos, comme à un chien docile.
-Tu peux disposer à présent. Je vais aller comploter avec la Résistance.
-O… Oui, Divine, s’inclina la servante, troublée, avant de sortir en refermant la porte de la chambre derrière elle.


Vespérale
7 jours avant la fin
Dans une cellule obscure.

   Jaillissant de l’ombre, Vespérale observa la silhouette piteuse et pathétique de l’homme attaché au mur par des chaînes épaisses. La salle était exiguë et puait la saleté, le sang et l’humidité. Le Résistant pendait au bout de ses entraves comme une poupée de chiffon. Entièrement nu, son corps était zébré de plaies effroyables, la plupart de ses ongles avaient été arrachés et certaines parties de son anatomie avaient été brûlées au fer rouge.
   -Joaquim ? appela doucement Vespérale de sa tendre voix chantante.
   L’homme eut un soubresaut avant de redresser péniblement le cou. Un énorme hématome masquait son oeil gauche mais son oeil droit brilla d’une légère lueur d’espoir en apercevant la silhouette insolite de sa visiteuse.
   -Vous… souffla-t-il. Vous êtes venue… argh… Venue me sauver ?
   -Te sauver ?
   Vespérale pencha la tête sur le côté. L’idée ne lui avait pas traversé l’esprit.
   -Non point. J’ai besoin de savoir ce que tu as dit aux inquisiteurs.
   -Q… Quoi ?
   Hébété par la douleur et par les nombreuses sessions de torture qu’il avait récemment subies, l’homme peinait à trouver un sens à ses mots.
-J’ai besoin de savoir ce que tu as dit aux inquisiteurs, répéta l’Homoncule.
Ses yeux d’oiseau ne cillaient pas en l’observant et cela le fit frissonner.
-Faites moi sortir de là et… et je vous dirais tout ce que vous voulez… savoir.
-Je préférerai que tu me le dises maintenant.
Un petit rire douloureux franchit les lèvres du Résistant. Malgré leurs quelques échanges précédents, il ne parvenait toujours pas à comprendre cette étrange femme.
-Et moi je préférerai… sortir d’ici… Avant qu’ils ne reviennent finir le boulot.
-D’accord. J’aurai essayé la diplomatie.
Sans plus attendre, Vespérale déroula son long tentacule à la vitesse de l’éclair pour venir saisir l’homme à la gorge. L’appendice se contracta violemment jusqu’à produire un léger craquement, faisant suffoquer Joaquim. Ses yeux se révulsèrent alors que la fourrure qui couvrait le tentacule se teintait de pourpre. Fermant les paupières, Vespérale siphonna les souvenirs récents de son contact. Elle vécut comme il l’avait fait la torture, à la fois physique et mentale, que lui avait fait subir les bourreaux de la Croisade. Elle n’eut pas à remonter bien loin pour l’entendre révéler l’emplacement du QG de sa cellule de résistants.
Ayant obtenu l’information qu’elle désirait, elle le lâcha. Joaquim s’effondra en avant, la tête pendant dans le vide, de la bave s’écoulant des commissures de ses lèvres. Il ne respirait presque plus.
-Merci, lui dit Vespérale.
Elle lui tapota maladroitement l’épaule de la pointe de son tentacule, ce qui ne provoqua aucune réaction.
Expérience non concluante.


Vespérale
6 jours avant la fin
Dans le QG d’Aube l’Aveugle.

≪ Tout cela est fort généreux, fit Aube prudemment après un instant de silence. Mais qu’est-ce que votre ≪ Maître ≫ désire en retour ?
ㅡ Le succès de votre entreprise, répondit Vespérale du tac au tac, sans sourciller. Il partage votre vision et souhaite vous voir réussir. Oh et, j’ai failli oublier, une petite condition préalable.
ㅡ Laquelle ?
ㅡ Trois fois rien, vraiment. Il faudrait que vous assassiniez un Croisé pour moi. Son nom est Aarath et vous ne pouvez pas le manquer, il ressemble à un gros chat tout mignon ! ≫

    Vespérale rit. Elle s’était imaginée Aarath sur le dos, ses grosses pattes en l’air, et elle lui caressant son gros ventre tout doux.

≪ Mais j’exige que sa mort soit sans douleur, reprit-elle aussitôt, son éclat de rire envolé. Je l’aime bien. ≫

    À la vérité, elle n’avait aucune intention de les laisser réussir. Elle avait repensé aux mots plein de sagesse de Yasmina et était d’accord avec cette dernière. Non seulement il serait difficile d’éviter les soupçons, et cela produirait tout un tas de complications qu’elle préférait éviter, mais en plus, elle ne pourrait plus s’amuser à le rendre furieux.
Non, non, non. Vespérale avait pris sa décision.
    Aarath était à elle et à elle seule. Il était son gros chat tout mignon.
    Bien sûr, demander à la Résistance d’essayer de l'assassiner faisait partie de son nouveau plan. Elle s’arrangerait d’être là pour le sauver. Ainsi, la Croisade aurait une nouvelle provocation de la Résistance contre laquelle réagir, et les Résistants seraient sûrement paniqués d’avoir raté une tentative d’assassinat sur un haut dignitaire. Tout cela arrangerait bien ses affaires.

ㅡ Attendez un instant, intervint le duc de Prestor en levant les mains. Tout cela va un peu trop vite. Vous voulez que nous assassinions un inquisiteur ? Et contre quoi ? De belles paroles ?

    Vespérale tourna ses yeux d’oiseau vers lui.

ㅡ Vous savez qui je représente, duc. Mais je peux comprendre votre réticence. Permettez moi d’élaborer un peu plus en détails ce que vous rapporterez cette… collaboration.

    Elle leva son bras humain, paume tendue vers le plafond et une petite sphère d’énergie pourpre s’y matérialisa, flottant à quelques centimètres de sa peau. Dans ses tréfonds brumeux apparut l’image claire d’une grande bâtisse, au style Miderlyrien.

ㅡ Nous avons fait l'acquisition de ce manoir dans la Haute-Ville par l’entremise d’un prête-nom local, expliqua Vespérale. Ses caves sont reliées au réseau de souterrains dans lequel nous nous trouvons. Cela vous permettra d’y entrer et sortir à votre guise, sans attirer d’attentions mal venues. Elle est à vous. Nous y avons également fait entreposer plusieurs coffres remplis d’or et de gemmes, pour vos frais divers. Enfin, je me tiendrai personnellement à votre disposition pour vous apporter mon assistance dans toutes vos entreprises plus… mystiques.

    Son exposé terminé, Vespérale referma le poing, dissipant son illusion. Il y eut un léger silence médusé avant que le duc ne se raclât la gorge pour prendre la parole.

 ㅡ Qui… Qui voulez-vous que nous tuions, exactement ?

Yorick26:
Pleureur
Citoyen
7 jours avant la fin
Un chambre à l'auberge de la Porte d'or
Du jus sur la chaire des dindes
Pleureur trempa sa plume dans l'encrier une nouvelle fois. La nouvelle page blanche qui restait posée devant lui était un défi. A combien de reprise devrait-il s'y prendre avant d'arriver à la bonne formulation ? Il était impérieux de choisir les mots qui resteraient sans ambiguïté pour le destinataire sans pour autant révéler ses intentions à quiconque d'étranger qui serait amener à intercepter le message. Mais ce n'était pas tant le problème. Il savait ce qu'il avait à dire et il savait comment le dire. Le problème venait d'ailleurs.
Cette belle soirée ne l'aidait pas à se concentrer. L'homme d'une quarantaine d'années n'était pas habitué à cette chambre d'auberge pour écrire les messages qui concernaient ses petites affaires. Il avait coutume d'être dans son bureau dans lequel reposait tout le matériel nécessaire afin de pouvoir écrire dans les meilleures conditions. Dans cette pièce, il y avait un lit simple, quoique procurant exceptionnellement une nuit de bonne qualité, une chaise et une table sur laquelle l'aubergiste avait fait installer un petit bouquet de fleurs blanches des champs dans une chope de bière en guise de vase. Des meubles qui auraient suffit à n'importe qui pour rédiger cette lettre, mais pour Pleureur, il ne s'agissait que d'un handicap. Dans son bureau, il aurait pu s'installer à son pupitre et rédiger en lettres calligraphiées sa missive sans craindre qu'une larme ne tombe sur le papier et ne fasse couler l'encre. Et à en juger le nombre de feuilles froissées au pied de la chaise, l'homme brun avait déjà fait plus d'une douzaine de tentatives. A chaque fois qu'il se mettait à écrire, il y avait toujours un moment où, pour vérifier qu'il n'avait pas oublié un mot, pour recharger sa plume en encre, pour telle ou telle raison, il se penchait légèrement et laissait perler une larme qui ruisselait sur sa joue déjà humide et finissait par s'écraser sur la feuille.

Cette belle soirée ne l'aidait pas à se concentrer. Ce n'était d'ailleurs pas une si belle soirée que cela. Certes, c'était le crépuscule et le soleil couchant se reflétant sur les pierres pavant les rues de Miderlyr donnait à la ville des airs romantiques, mais c'était également l'heure où les habitants sortent pour s'adonner à des activités douteuses que la pénombre facilite ou rentrent chez eux après une journée chargée d'un travail éreintant. Toute une populace accompagnée d'un remue-ménage sonore composé de claquements de portes, d'éclat de voix et d'autres bruits de projections émétiques à l'oreille. Il n'y avait pas d'heure pour boire et pour dégobiller à la porte d'une auberge dans cette ville. Encore une fois, ce n'est pas dans son bureau qu'il aurait à subir cette nuisance sonore. Tout d'abord sa fenêtre avait été renforcé par magie pour l'isoler des bruits extérieurs. Un privilège qu'il avait acquis en échange d'un bon nombre de services, mais il ne regrettait pas son investissement. D'une part le prix à payer n'avait pas été si coûteux que cela ; son métier consistait principalement à rendre des services après tout. D'autre part, le plaisir qu'il tirait du calme que cela lui prodiguait était sans valeur. 

Pleureur finit enfin d'écrire sa lettre. Il la scella avec un morceau de cire rouge qu'il fit fondre. Il n'avait pas besoin d'y appliquer un quelconque poinçon. Son correspondant saurait très bien à qui il aurait à faire. Avant de la transmettre au messager qui l'attendait devant la porte de la chambre, il prit d'abord la peine de se rendre présentable et se saisit d'un bout de tissu du linge de lit pour s'essuyer le visage. Ses joues seront trempées dans quelques minutes, mais au moins, elles seront sèches pendant quelques instants. Puis, avant d'ouvrir la porte, il ramassa tous les brouillons qu'il avait jetés par terre pour les fourrer dans une des grandes poches internes de sa pelisse. Il n'y avait évidemment pas de cheminé dans la chambre, mais il y en avait une dans l'auberge de la taverne. Il n'aurait qu'à les y jeter avant de partir pour couvrir ses traces.
Lorsqu'il fut enfin prêt, il frappa à la porte de sa propre chambre. Une à deux secondes plus tard, elle s'entrouvrit laissant passer une main gantée. L'homme de l'autre côté du mur ne dit pas un mot. Il savait ce qu'il avait à faire. Il avait juste besoin qu'on lui fournisse le message et le destinataire.

≪ A la Volière. Pour ce soir. Un homme roux à la barbe fournie, portant un gambison à six boucles. A la question "Quelles sont les spécialités de l'établissement ?", il vous répondra "Le patron arrose régulièrement de jus la chaire de ses dindes." ≫

Il n'avait pas besoin d'en dire plus. Le messager attendit d'éventuelles indications supplémentaires, puis s'en alla. Pleureur alla alors s'asseoir sur le lit. En définitive, il s'était essuyé le visage pour rien. Non seulement son interlocuteur avait fait preuve de professionnalisme et n'avait pas montré son visage, mais en plus ses joues étaient déjà humides. Il ne prit cependant pas la peine de les sécher à nouveau. Il ne quitterait pas tout de suite la chambre et lorsqu'il était seul, il laissait ses larmes couler.

Vaati the Wind Mage:
Alaïa
6 jours avant la fin
Laboratoire de Sébastide
Prise de conscience

“Vous faites maintenant partie des leurs”. Serait ce possible ? Après trois ans dans le sang et la puanteur, c’était la première véritable lueur d’espoir depuis plusieurs années. Mais non, ce n’était pas possible, ce n’était pas… et si ça l’était ? Pour la première fois, je réussissaii à écarter les souvenirs de la torture, les souvenirs de la solitude, pour quelque chose de nouveau, de bon. Après trois ans, le spectre d’Alaïa rejaillissait. Mais cette jeune fille restait morte, rien ne saurait la ramener. Mais quelque chose d’autre pourrait remplacer cette froideur et cette peur constante que j’avais en moi. Une version de moi même qui n’était ni cette jeune fille niaise, ni cette perpétuelle solitaire; une version neuve. Syl et Hyldegarde avaient raison, et peut être que l’heure était venue pour moi de m’ouvrir à nouveau. Et s’ils ne voulaient pas de moi ? S’ils m’abandonnaient ici pour que j’y pourrisse, comme l’avait fait Öh… Non. Ce n’était pas comme ça que je devais penser. Plus maintenant. Plus jamais. Syl avait réussi, pendant un bref moment à me donner le sentiment d’être… acceptée. Je devais me raccrocher à ça, m’y tenir et laisser le reste partir. J’en avais assez de tuer et de me cacher, il fallait à présent me rendre plus utile. Aube ne voyait en moi qu’un joli visage; j’allais devenir plus que cela.
“Syl, ai je commencé, avec une légère appréhension”
Que se passe-t-il, répondit-elle, tournant la tête immédiatement.
Je voulais simplement savoir, que faisais tu avant de nous rejoindre ? Avais tu une raison pour errer dans la Faille ?”

Syl resta un moment sans rien dire, comme si elle pensait à ce qu’elle allait répondre. Elle baissa les yeux quelques instants, puis plongea son regard dans le mien.
“Je faisais partie du Cercle, répondit elle, d’un ton presque froid mais qui se voulait neutre”

Malgré cette intonation, une part de moi fut assez enthousiaste : intégrer cette partie de la résistance me permettrait peut être de développer mes capacités, d’apporter mon aide à la cause tout en restant éloignée d’Aube. Si auparavant je voyais le Cercle comme une cause perdue, désormais je le voyais surtout comme un nouveau départ; l’occasion de repartir sur de nouvelles bases.
“Est ce que tu penses que tu pourrais m’y intégrer ?
-Je… je ne sais pas, répondit elle d’un ton hésitant.”

Une fois encore, elle resta pensive un long moment, avant de répondre :
“C’est d’accord. Mais j’aurais besoin que tu m’obéisses au doigt et à l’oeil, compris ?
Pourquoi, ai je répliqué, surprise de ce changement de ton radical.
Je pense qu’il se trame quelque chose au sein du Cercle. Tu pourrais peut être m’aider, mais il ne faut surtout pas commettre d’imprudence.
Je… je ne comprend pas. Le Cercle combat pour contre la Croisade, pour nous réhabiliter non ? Qu’est ce qu’ils pourraient faire qui aggraverait notre situation ?
Crois moi, il est des choses bien pires que ce que nous vivons en ce moment.
Comme quoi ?
Rien que tu aies envie de voir.”

Sa dernière réponse était plus froide encore que les autres, mais Syl n’avait fait qu’accentuer mon désir de rejoindre le Cercle : si elle devait combattre quelque chose de pire encore que la Croisade, je voulais pouvoir l’aider, je voulais pouvoir me rendre utile.
Après cet échange, un silence de plomb régnait dans la salle. Alors que je réfléchissais à ce que j’allais faire, mes comparses restaient obstinément silencieuses.
“Je veux t’aider, ai je fini par annoncer. Et je ferai tout ce que tu me demanderas.
Entendu, répondit elle.”

Quelques temps après, Cheiralba et le Draconien firent irruption. Je ne pus réprimer un sursaut lorsque je la vis, auquel elle réagit par un regard déçu, presque imperceptible.
“J’ai trouvé ce que je cherchai, annonça-t-elle. Nous pouvons désormai quitter cet endroit.
Mais auparavant, ajouta Hundwiin, nous pouvons profiter d’un instant de répit bien mérité ! Mes compagnons, j’ai arpenté les couloirs sinistres et étroits de cette forteresse, et je vous apporte ces quelques victuailles, afin de reprendre nos forces !”

Sur ce, notre prince sortit quelques aliments du sac en toile de jute qu’il avait apporté : nous avions droit à des tranches de pain endurcies, un peu de fromage, quelques légumes à l’allure douteuse et, miracle, un peu de viande dont je préférai ignorer l’origine, à peine suffisante pour nous tous. Ce repas était mince et semblait de piètre qualité, mais après ce que nous avions vécu, c’était plus que suffisant. Profitant de l’abri que nous offrait le laboratoire de Sébastide, nous décidâmes de ne pas le quitter, et nous dirigeâmes ensemble vers le réfectoire. Nous étions tous assis pendant qu’Hundwiin faisait cuir la viande grâce à un feu qu’il avait créé pour alimenter le four.

Il ramena la viande sur la table, alors que nous étions toutes installées, et nous commençâmes le repas.

Cap:
Je l'avais repris, mais je ne l'avais pas posté. Oupsi :niak:

Aarath
6 jours avant la fin
Ville Basse
Recherche et tribulations
ㅡ Hey minou !
Trois hommes étaient là. Celui qui l'avait alpagué se trouvait au milieu de la ruelle. Un autre était appuyé contre le mur tandis que le troisième était assis à même le sol.
Aarath haussa un sourcil. Perdu dans ses pensées, il s'était engouffré dans ce passage sombre sans trop y prêter attention. Il faut dire, il ne se sentait pas non plus en danger dans cette ville, même s'il se trouvait dans un des quartiers les plus sordides et malfamés.
ㅡ Ouais, toi. On aime pas les fouineurs ici.
Tandis qu'il parlait, le piège s'était refermé sur le léonin. Deux autres hommes avaient surgi derrière lui et lui coupaient toute retraite. Aarath restait parfaitement impassible. Ses sens accrus l'avaient informé de la tentative de guet-apens des deux hommes. En face de lui, la personne assise s'était relevée.
ㅡ On te conseille de dégager. Et rapidement.
ㅡ Quand j'aurai retrouvé la créature que je cherche
Les hommes rirent. Un rire gras et bruyant, teinté d'alcool. Aarath ne broncha pas, attendant dans un calme apparent que la personne, qui jusque là avait parlé, se reprenne. Seule sa queue fouettant l'air témoignait de son agacement grandissant.
Une fois que les esclaffades se furent calmées, l'homme reprit la parole.
    ㅡ Ecoute le chat. Personne n'a vu ton machin.
Son ton changea brusquement, devenant beaucoup plus sec et cassant.
    ㅡ Et on va te faire passer l'envie de fouiner ici.
Ce fut au tour du léonin d'avoir un rictus réjoui. Le combat était pour lui un jeu. Et même s'il n'avait pas de temps à perdre, l'idée de s'amuser un peu n'était pas pour lui déplaire. Un combattant aguerri aurait vu sa posture changer légèrement tandis que ses pupilles s'agrandissaient pour capter un maximum de lumière dans l'obscurité de la ruelle. Mais aucun des hommes qui l'entourait n'était un combattant aguerri.
ㅡ C'est une mauvaise idée.
Il n'eut pas le temps de continuer. L'homme devant lui le frappa. Voulu le frapper. Pour le guerrier qu'était Aarath, le mouvement de l'individu était lent et maladroit. Le léonin n'eut aucune peine à esquiver d'un simple déplacement d'épaule.
La frappe de l'homme marqua le signal d'assaut pour les quatre autres, qui se jetèrent eux aussi dans la danse. Aucun ne parvint à toucher le combattant. Aarath s'était mué en un tourbillon de poils et de coups. Les perles de sa crinière cliquettaient tandis qu'il se débarrassait un par un de ses assaillants. Il ne sortit pas ses dagues. Ces hommes ne méritaient pas son acier.
En quelques secondes, les hommes étaient tous au sol, seulement assommés pour les plus chanceux. Aarath haussa les épaules. Il aurait bien aimé que le combat dure un peu plus. La victoire avait un goût amer de la bataille trop vite gagnée.
Il reprit sa route.




    ㅡ Eh m'sieur ! C'est toi qui cherche la chimère ?
Un enfant. Huit ans tout au plus. Les cheveux sales, les vêtements élimés, il paraissait minuscule à côté de la haute stature du léonin. Néanmoins, il relevait la tête avec fierté pour attraper son regard, sans paraître le moins du monde impressionné. À survivre dans la rue, il en avait vu d'autres.
ㅡ Tu sais quelque chose ?
ㅡ Il se pourrait bien, ouais...
Un air de défi planait sur le visage de l'enfant. Aarath leva les yeux au ciel. Il n'aurait eu aucun scrupule à soutirer de force ces informations à un adulte. Mais ce n'était qu'un gamin... Il soupira donc en sortant une pièce à l'éclat doré de sa bourse avant de la donner à l'enfant. Son visage s'illumina.
ㅡ Suis moi !
ㅡ Attends petit, je cherche...
Aarath ne continua pas sa phrase. L'enfant ne l'écoutait pas et était déjà parti, le laissant sur place. Si tant est qu'il avait vu ou entendu quelque chose, il fallait le suivre. Le léonin se mit en route sur un battement de queue agacé.

Le gamin guidait le léonin dans le dédale de ruelles qu'était la Basse-Ville sans la moindre hésitation. Il galopait devant, s'arrêtant régulièrement aux croisements pour s'assurer qu'il était toujours suivi. Aarath suivait, ses grandes enjambées lui permettaient de simplement marcher.
Cette poursuite dura quelques minutes. Enfin, l'enfant tourna dans un minuscule passage qui débouchait sur une petite place déserte. Lorsque Aarath arriva lui aussi, plus aucune trace du gamin. La place était un cul-de-sac. Le léonin repéra très vite un petit passage sous un palissade en bois, par lequel l'enfant avait dû disparaître. Il l'entendait par ailleurs courir de l'autre côté. Mais ce n'était pas ce qui le préoccupait. Les bruits derrière lui, venant de la ruelle, laissait entendre que le piège était en train de se refermer.
ㅡ Aarath ? Tu vas nous suivre, faut qu'on parle.
Le léonin jeta un coup d'oeil par dessus son épaule. Trois hommes se tenaient à l'entrée de la ruelle, chacun tenant une petite arbalète. Aarath devina trois autres personnes cachés dans la pénombre derrière eux. Il était attendu. Et c'était bien un piège. Son instinct lui hurlait qu'il était en danger et qu'il ne fallait surtout pas rester là. Et c'était exactement ce qu'il comptait faire.
Il n'attendit pas. La prise d'information ne lui prit qu'une fraction de seconde. C'était suffisant. Tandis qu'il se retournait complètement, il se saisit de sa dague et la lança à la fin de son mouvement. Le geste était fluide et l'exécution parfaite. L'acier se ficha dans la gorge d'un des trois hommes, celui qui avait parlé.
En un battement de cils, Aarath avait rejoint sa dague. Il grogna en frappant du gauche : il n'avait pas été assez rapide et un carreau s'était fiché profondément dans son épaule. Cela ne sauva pas le pauvre homme, qui s'effondra en un gargouilli affreux.
Un deuxième carreau se ficha cette fois dans sa cuisse. Ignorant la douleur, le léonin continuait son avancée. Cette fois, son lancé toucha une des personnes en arrière, prétendument cachée dans la pénombre. Ses gestes se faisaient plus patauds et il pouvait sentir comme un engourdissement le prendre progressivement. Il avait loupé la gorge, comme il visait initialement, mais avait réussi malgré tout à toucher l'épaule.
Il sauta, rejoignant sa dague tandis qu'un troisième carreau se planta cette fois dans son dos. Puis il frappa. Mais son geste fut trop lent. La femme esquiva son coup avant de cogner, visant le tube planté dans sa cuisse.
La douleur fit vaciller le léonin. Le monde autour de lui était de plus en plus flou. Aarath posa un genou à terre. La femme devant lui frappa une nouvelle fois, projetant le léonin au sol.
Étendu à terre, Aarath ne bougeait plus. Le poison était redoutablement efficace. Et tandis que son esprit sombrait doucement dans l'inconscience, il réalisa que le seul but de cette manoeuvre était de le capturer. Vivant et globalement en bon état.
La femme s'approcha prudemment du corps immobile du léonin. Avant de lui décocher un violent coup de pied.
ㅡ Judith arrête !
ㅡ Il a buté Oleg et Piotr merde.
ㅡ Aube nous avait prévenu qu'il était dangereux. On n'a pas été assez prudents...
Judith frappa encore une fois avant de s'accroupir pour être à la hauteur du léonin. Il ne pouvait l'entendre, mais elle s'adressa à lui.
ㅡ J'espère au moins que tes réponses seront satisfaisantes...

Yorick26:
Pleureur
Citoyen
17 ans avant la fin
Devant la porte de la Volière
Le Patron
Pleureur croqua dans sa pomme. Elle était farineuse et n'avait aucun goût, mais il ne la mangeait pas pour lui caler sa faim. Il l'avait prise parce qu'il savait qu'il devrait attendre et être patient. Ainsi, il prenait tout son temps pour manger ce fruit à la chaire désagréable au goût comme au toucher. Il mâchait chaque morceau comme s'il s'agissait d'un produit exotique qui se savoure avec raffinement car nous n'étions pas sûr d'en manger une nouvelle fois dans sa vie.

Appuyée contre le mur externe du Grand Hall, la Volière était exactement à sa place pour ce qu'elle avait à faire. Assez proche de sa clientèle fortunée, elle ne pouvait pas prétendre avoir une place dans le Grand Hall en raison de sa marchandise atypique. L'esclavage et la prostitution était du domaine de la Basse Ville. Un appui, un soutien pour la Haute-ville et pour tous ces hommes fortunés insatisfaits dans leur chambre à coucher. Pour ce qui était des femmes fortunées, ou les hommes aux goûts originaux, il fallait plutôt se tourner vers les Jardins de Selmane, de l'autre côté de la cité, toujours dans la Basse Ville.
La tenancière de la Volière tenait ses filles d'une main de maître et faisait payer cher ses clients afin de s'assurer qu'ils en prendraient soins. Ancienne fille de joie, elle savait ce qu'il fallait faire pour soutirer un maximum d'argent à la clientèle et faire en sorte pour qu'elle revienne. Elle était très exigeante, mais attentionnée et protectrice. Ses filles, comme ses clients, l'appelaient "le Patron". Cela avait permis à la tenancière de créer son établissement à ses débuts. Les gardes cherchaient d'abord un homme… Lorsqu'ils comprirent qu'il s'agissait d'une femme gérant d'autres femmes, le surnom était installé et plus personne ne sait à ce jour quel est le vrai nom du Patron.

Un peu comme Pleureur. Personne ne connaissait son vrai nom. Lui-même ne s'en souvenait pas. Sa mère avait bien dû lui en donner un à sa naissance, avant qu'elle ne le dépose sur les marches d'un des temples Pang'Gyaniste de Miderlyr. Mais elle ne l'avait jamais transmis à quiconque. Elle était partie avant que qui que ce soit la voit, sans un mot. Elle laissa un juste un enfant taché du sang de sa naissance dans une corbeille remplie de tissus sales.
Quand les prêtresses de Gyana le trouvèrent, il pleurait en silence. L'enfant semblait dormir mais sur ses joues coulaient de chaudes larmes. Et elles ne cessèrent jusqu'à ce jour de couleur. Bien sûr, parfois des cris accompagnèrent de vrais pleurs, mais même dans la joie ou dans son sommeil, le petit orphelin pleurait. On l'appela alors le pleureur, puis tout simplement Pleureur.

Un homme sortit de la Volière. Le Patron recevait habituellement peu de personne en pleine journée. À sa manière de remettre en place ses vêtements de manière ostentatoire, il s'agissait d'un client de la Basse Ville qui avait profité d'une rentrée d'argent importante pour tout claquer dans un petit plaisir. Les tarifs du Patron étaient élevés et elle réservait une partie de sa marchandise aux clients fortunés. Si cela avait été un homme de la Haute Ville, alors il serait sorti par une des portes qui menaient discrètement dans le Grand Hall. Et il ne serait pas sorti fier comme un coq de l'établissement.
Ce n'était pas l'homme qu'attendait Pleureur, mais il avait eu le mérite de le sortir de sa rêverie. Il n'avait à peine touché à sa pomme. La chaire auparavant blanche commençait à brunir. Le fruit toujours dans sa main, il s'étira et fit des mouvements de la tête qui firent craquer sa nuque. Il ne savait pas quelle heure il était, mais son client était en retard. Il ne s'était pas rendu compte que son corps s'était ankylosé.

La porte s'ouvrit à nouveau et en sortit une femme à la peau brune. Ses cheveux noirs comme la nuit retombaient jusqu'à ses hanches. Une ruse typique de la Volière. Même les nobles au coeur tendre et prude pouvait alors admirer les formes de la marchandise tout en inspectant la chevelure de la jeune femme. Elle portait la tenue habituelle de la profession. Deux bandes de tissu croisées recouvraient la poitrine qui, loin de l'écraser, en épousait parfaitement les formes et un drap en demi-cercle attaché à l'une de ses hanches autour d'un anneau doré. Sa peau et la couleur ocre de sa tenue laissait un doute sur ses origines. Le Patron la vendait sûrement comme une fille exotique venant de contrées lointaines au sud de Miderlyr, mais Pleureur ne serait pas étonné d'apprendre qu'il s'agissait simplement d'une pauvre fille qu'elle avait ramassée dans La Basse ville.
La jeune fille semblait cherchait quelqu'un ou quelque chose dans la rue. Lorsque ses yeux se posèrent sur Pleureur, elle fut d'abord surprise, puis elle sourit. Elle avait dû le reconnaître. Ce n'était pas la première fois qu'il avait rendez-vous devant la Volière.

≪ Vous n'auriez pas vu un gentleman partir d'ici il y a quelques instants ?
ㅡ Si vous parlez de l'homme qui se croit le roi des Terres Bannières après avoir passé une nuit entre vos draps, il a dû rejoindre sa femme et ses enfants en prenant cette route.
ㅡ Merci.  ≫

Elle s'éclipsa en lui faisant un clin d'oeil et emprunta le chemin qu'avait pris le client. Pleureur n'était pas insensible à ces charmes, mais il avait un travail qui lui prenait trop temps et qui ne le payait pas assez pour qu'il puisse s'offrir ses services. Elle revint quelques instants plus tard, visiblement contrariée et bredouille. Elle s'arrêta devant la porte de la maison, close, jeta un dernier regard à Pleureur et prit une grande inspiration avant de pénétrer dans l'établissement.
Le jeune homme croqua à nouveau dans sa pomme. Il ne restait pratiquement plus que le trognon. Il leva le bras pour la jeter à nouveau lorsque la porte s'ouvrit à nouveau. Ce n'était pas la femme que tout à l'heure. Celle-ci était légèrement plus vêtue et arborait une chevelure rousse flamboyante.

≪ Ah. Pleureur… Qu'est-ce que … ? Vous ne comptiez pas jeter ce trognon dans la rue, j'espère. Donnez-moi ça. Je m'en occuperai. Je ne tiens pas à ce que des ordures traînent devant mon établissement.
ㅡ Des ordures dans mon genre aussi, j'imagine.
ㅡ Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, jeune homme. Mais il est vrai que vous faites tâche dans le paysage. Je sais très bien que vous n'êtes pas là pour faire du lèche-vitrine. Et si c'est le cas, je vous le déconseille. Vos petites affaires ne nous intéressent pas.
ㅡ Vous savez très bien que ce n'est pas moi qui décide des lieux de rendez-vous.
ㅡ Je vous laisse passer le message.
ㅡ Normalement, je suis payé pour ce genre de chose.
ㅡ Ne pousse pas le bouchon un peu trop loin. Ce n'est pas le moment. Je te rappelle qu'il ait toujours bon de donner un coup de main à quelqu'un comme moi.
ㅡ Comment pourrais-je vous refuser quelque chose ? Vous êtes…
ㅡ Faites attention à ce que vous allez dire.
ㅡ Vous êtes le Patron. Je verrais ce que je peux faire. ≫


Cheiralba et Hundwiin
Vétéran
Jour 5 avant la fin
Ruines de la Volière
Preuve nécessaire
≪ Où sommes-nous ? ≫

Cheiralba laissa la question du Draconien en suspens. Ils en étaient enfin sortis. L'appréhension avait pris le dessus sur l'excitation de revoir la lumière du jour. Voilà maintenant trois ans qu'elle n'avait pas mis le nez dehors. Même si elle savait que s'exposer ainsi était source de dangers et de menaces perpétuelles, il fallait quand même qu'elle savoure un peu l'instant. Après tout, elle avait tué Hordefeu, elle pouvait quand même savourer un instant sa victoire en prenant une grande inspiration. Pas trop longue tout de même.
Elle inspira bruyamment et garda pendant quelques secondes l'air dans ses poumons. Elle ne put pas s'empêcher de se mettre à tousser. L'air était sec et poussiéreux, bien loin de l'ambiance moite et nauséabonde des égouts. Cette respiration n'était pas aussi bénéfique qu'elle l'avait espéré. Tant pis.

≪ Je ne sais pas vraiment. Le plan indiquait la Volière, mais je ne suis pas sûr que ce soit le bon endroit.
    ㅡ Cela ne ressemble pas à ce que j'imaginais d'une maison close.
    ㅡ Moi non plus. Mais depuis la faille, elle a peut-être été abandonnée.
    ㅡ Il n'y aurait pas tant de poussières. On dirait que personne n'y a mis les pieds depuis des années. ≫

Durant tout le trajet, Cheiralba n'avait pas eu le coeur de briser ses illusions. Elle s'était même prise à espérer. Peut-être était-elle revenue dans le passé et le règne de la Zandriarchie ne serait alors qu'un lointain souvenir. Comment être certaine quand Hundwiin faisait preuve de tant de conviction ? Il y en avait un qui tomberait de haut et il aurait mieux valu que cela soit la femme araignée. Mais hélas, ce n'était pas le cas. La chute serait d'autant plus rude pour le Draconien qu'elle l'avait ménagé. Elle ne pouvait cependant pas continuer ainsi. Dès qu'ils franchiraient les portes, ils seraient des cibles des Répurgateurs et des Castigateurs. Epuisés comme ils l'étaient, ils ne feraient pas le poids face à une armée.

≪ Hundwiin, écoutez. Je sais que vous ne me croirez pas tant que vous ne l'aurez pas vu de vos yeux. Hélas, nous ne pouvons malheureusement pas prendre de risques pour l'instant et nous montrer ainsi aux yeux de tous.
    ㅡ Vous recommencez avec vos fariboles. Si j'ai raison, il n'y a aucune raison qu'on vous inquiète. Je suis à vos côtés.
    ㅡ Si j'ai raison, nous mourrons tous les deux. Ou pire, ce qui est largement possible dans cette cité.
    ㅡ Nous nous retrouvons donc encore une fois devant ce dilemme où chacun ne veut pas céder à ses propres convictions.
    ㅡ Exactement, c'est pourquoi…
    ㅡ C'est pourquoi nous allons nous séparer. Vous allez rester cachée, cloîtré dans ces ruines et moi je vais reprendre ma vie, annoncer à tout le monde mes exploits.
    ㅡ Vous ne pouvez pas faire ça…
    ㅡ Bien sûr que si que je le peux. Vous l'oubliez peut-être, ou je ne l'ai peut-être pas dit, mais je suis un Prince. Le Prince de Drakonia.
    ㅡ Excusez-moi alors cette offence, mais pour être Prince, il faut avoir avant tout un royaume.
    ㅡ Puisque je vous dis que j'ai un royaume.
    ㅡ Plus maintenant. Depuis longtemps.
    ㅡ Ce n'est pas parce que vous m'avez sauvé la vie une fois que vous pouvez vous croire tout permis.
    ㅡ Alors permettez-moi de vous la sauver une seconde fois. Ecoutez-moi. ≫

Cheiralba ne faisait pas preuve de beaucoup de tact. C'était ce qui lui avait manqué avec Alaïa et elle le regrettait amèrement. Il ne fallait pas qu'elle fasse la même erreur une seconde fois.

≪ Je vous en supplie. Ecoutez-moi une dernière fois. Si après ça vous n'est pas d'accord et que vous souhaitez partir, je ne vous retiendrai pas. Je n'attendrai pas que vous ayez changé d'avis. Mais écoutez-moi une dernière fois. Je ne vous ai pas sauvé de ce laboratoire pour que vous vous fassiez tué par une milice dont vous ignorez tout. Nous avons jusque-là été prudents. Je vous propose que nous retournions sur des lieux que vous avez visité il y a quelques semaines. Peut-être les reconnaîtrez-vous, eux et les changements apportés par le temps. Je ne peux pas faire mieux. Vous protéger de vous-même tant que vous n'aurez pas accepté ma vérité.
    ㅡ Que l'on soit bien clair. Je vais accepter votre offre. Non pas pour que j'accepte votre vérité, comme vous le dites. Non pas pour prouver que j'ai tord et que vous ayez raison. Je vous prends en pitié dans votre folie et je prouverai que j'ai raison. Nous nous sommes tout simplement trompés de chemin et avons atterri dans une ancienne bâtisse abandonnée qui n'a rien à voir avec la Volière.
    ㅡ Où souhaitez-vous qu'on se rende ? Si possible, un endroit pas trop fréquenté et que vous avez connu récemment.
    ㅡ Peut-être cet hôtel dans lequel je résidais. Il y aura peut-être Aarsu, ma domestique en chef. En espérant qu'elle ait survécu à la Faille. Oh, cela me ferait plaisir de revoir son visage ou n'importe quelle autre tête Draconienne.
    ㅡ J'imagine qu'il était dans la Haute-Ville ?
    ㅡ Vous ne vouliez pas qu'un Prince réside dans la Basse-ville tout de même.
    ㅡ Dans ce cas, nous n'y aurons pas accès. Cela doit se passer dans la Basse-ville.
    ㅡ Ne pouvons-nous pas le voir de loin ?
    ㅡ Nous ne… Vous êtes passés par l'entrée principale pour y aller ?
    ㅡ Oui, bien sûr. C'était un tunnel surplombé d'une grande tour avec un clocher. Maudite cloche, elle m'empêchait de dormir à sonner toutes les heures pendant la nuit. Elle fut détruite par la faille. Il n'y aura pas grand chose à regarder.
    ㅡ Reconstruite quasiment à l'identique. La cloche ne sonne plus, mais de nombreux postes de vigie y ont été installés. Ce sera l'occasion de voir à l'oeuvre la milice de la Zandriarchie. Suivez-moi. ≫


Allez hop ça arrive sans prévenir. C'est gratos. Ca fait plaisir.

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