Sans péridurale...
LA NAISSANCE DU ROI« Je ne vais pas y arriver ! hurla-t-elle. J’ai trop mal ! »
Le cri perça les murs de granit et d’albâtre de la cité Gerudo. Sous la chaleur écrasante de l’après-midi, les contractions avaient commencé. Le bar était traversé par une panique générale : les femmes s’activaient sous les plaintes aiguës de leur camarade. Elle avait perdu les eaux une heure auparavant, alors qu’elle était venue se désaltérer pour supporter la température. Les clientes du Philtre d’Amour s’étaient retrouvées malgré elles dans cette situation périlleuse. Les plus jeunes étaient perdues ; les plus âgées préparaient des linges et des bassines d’eau glacée.
« Calme-toi Simana. Il faut que tu gardes ton calme, autrement le travail sera inefficace. » dit Docor, sa sœur, en épongeant son front noir d’un linge humide.
Installée sur le canapé qui n’accueillait qu’un grand coussin d’assise, Simana transpirait à grosses gouttes sous les douloureuses contractions. La première heure, avait-elle dit, la douleur provoquée était soutenable. Désormais, elle ne l’était plus. Le travail devenait compliqué et épuisant. Elle commençait à perdre patience.
Furosa, la gérante, revint avec un matelas. La vieille Gerudo à l’épais chignon bardé de bijoux déposa la literie à même le sol. La doctoresse étant partie aider une autre femme qui avait perdu connaissance à l’Oasis du sud, elle devait s’occuper elle-même d’accoucher la future mère. Ce n’était pas la première fois qu’elle faisait cela. Elle poussa la table basse qui accueillait des verres d’alcool, certains vides, d’autres à moitié pleins, pour dégager de l’espace.
« Apportez les linges ici ! ordonna-t-elle. Allez, dépêchez ! Nous devons descendre Simana sur le matelas. »
Cette dernière, comme pour presser les autres, poussa de nouveaux cris de douleur. Les plus âgées s’activèrent et, en quelques minutes, les draps propres furent disposés. « Mettez-en aussi sur mes tapis. Elle a déjà perdu les eaux dessus. Je ne tiens pas à ce qu’elle aggrave leur cas », indiqua la gérante. Ensuite, les trois plus jeunes s'appliquèrent à aider Simana. La peau moite de celle-ci empêchait de la tenir correctement, si bien qu’elles furent un peu maladroites. Elles réussirent à la descendre du canapé. « Asseyez-la ! Ne la laissez pas couchée ! Vous voyez bien qu’elle souffre ! » Elles s’activèrent sous les hurlements qui s'intensifiaient. Simana bascula en avant, les yeux clos et le souffle court. « Ne la dérangez pas ! Poussez-vous toutes, vous l’étouffez. » Elles s’écartèrent immédiatement et observèrent la scène de loin en se rongeant les ongles.
Docor caressa le dos de sa sœur en adressant un regard inquiet à l’aînée des lieux. Furosa fit mine de l’ignorer, et trempa les serviettes dans la bassine d’eau froide juste apportée. Elle lui tendit le morceau de tissu trempé que l’autre saisit pour rafraîchir et nettoyer le visage de Simana ; elle cria de nouveau.
« J’ai tellement mal… ! geignit-elle en serrant les draps dans ses mains. Je vais m’évanouir avant même d’avoir vu mon enfant...
— Plains-toi, ma fille. Tu ne te plaindras plus jamais des autres douleurs par la suite. »
En contrebas, des petites filles qui s’amusaient près des échoppes se tenaient sous la fenêtre du bar ; elles étaient immobiles, semblables à d’élégantes statues en terre cuite. De l’endroit où elles se trouvaient, elles ne pouvaient apercevoir que le chignon de la gérante qui allait de droite à gauche. Toute la cité Gerudo était au courant de l’arrivée proche d’un nouveau-né, et les fillettes étaient fébriles. Les jeunes femmes, en revanche, étaient plus inquiètes à l’idée d’être un jour livrées au même sort que leur camarade.
Lorsque les plaintes de Simana furent trop intenses, Furosa entreprit de la coucher sur le dos, la tête sur les cuisses de Docor. Puis, après quelques secondes de réflexion, la tenancière lui somma de pousser avant de lui ordonner de souffler. Le rythme donné se répéta, encore et encore. Jusqu’à ce que la Gerudo soit épuisée, hurlant qu’elle souffrait trop pour continuer, le front en sueur. Toutes les spectatrices de l’accouchement — qui observaient depuis l’entrée — se crispèrent.
« Secoue-toi, Simana !! Tu veux que l’enfant meure ? Il faut que tu continues ! À trop attendre alors que le travail se fait, nous allons le perdre !
— Je ne peux pas… Je ne peux pas… rabacha la concernée.
— Tu dois continuer, renchérit sa sœur en lui épongeant le visage. Je te sais forte, alors tu peux le faire. Pense à cette petite fille que tu auras bientôt dans tes bras. »
Elle prit une longue inspiration avant de reprendre le rythme.
« Encore ! J’aperçois la tête ! »
Elle poussa encore, puis souffla.
« La tête sort ! »
Elle recommença, de toutes ses forces.
« Ça suffit ! Stop ! J’ai le bébé. »
Des vagissements emplirent le salon et la ruelle où le bar se situait. À l’entente des pleurs du bébé, les Gerudo qui suivaient attentivement la scène poussèrent des exclamations soulagées. Cependant, à la distance à laquelle elles se trouvaient, elles ne pouvaient voir le nouveau-né ; elles ne tardèrent pas à s’impatienter.
Simana s’effondra. Elle fondit en larmes, partagée entre l’épuisement et le bonheur. Docor l’embrassa sur les joues avec bonheur. Elles se regardèrent pour échanger un sourire ému. Furosa enveloppa le nourrisson d’un linge tandis qu’il vagissait toujours. Elle vint ensuite le déposer sur la poitrine de la jeune accouchée, l’air grave. Il s’apaisa lorsque sa peau entra en contact avec celle de sa mère. « Oh, mon ange… Je suis si heureuse de te voir, mon petit ange. » Elle embrassa le crâne fragile de son enfant, submergée par l’émotion. Sa sœur offrit quelques tendresses au petit en essayant de contenir sa joie. La pièce était animée par la gaieté et la tendresse, si bien que quelques femmes à l’extérieur larmoyèrent.
« C’est un garçon. »
Cela avait été dit à voix basse pour que personne ne l’entende. Un silence se jeta soudainement dans le bar. Désormais, seules les conversations des camarades excitées par l’évènement étaient audibles ; elles dissertaient sur l’avenir du nouveau-né. Le bruit régulier des fontaines de la cité se confondirent avec les discussions papillonnantes.
Furosa baissa les yeux, et entreprit de couvrir les jambes nues de la femme pour ne pas pertuber l’allégresse des unes et des autres à l’extérieur. Puis elle sectionna le cordon ombilical après l’avoir clampé.
« Q-Quoi ? » articula Simana, la voix tremblante de l’exaltation précédente.
Elle s’empressa de retirer le tissu qui protégeait le nourrisson pour regarder son sexe. Ce n’était pas une fille. Simana se sentit défaillir ; son corps affaibli fut pris de tressaillements. Catatonique, Docor était sous le choc.
« Cet enfant est maudit, ma fille. De lui se dégage la malfaisance.
— Que dis-tu ?! détonna la concernée. Mon enfant est un Gerudo, et non un monstre ! Va-t’en ! Comment peux-tu entâcher un tel moment ?! »
Dehors, les femmes commencèrent à s’agiter : une nouvelle inquiétude générale surgit suite au hurlement. La gérante se redressa dans un soupir, ramassa la bassine et s'éclipsa du salon. Elle descendit les marches de son commerce pour rejoindre les spectatrices anxieuses, et ordonna qu’on aille chercher de l’eau tiède. Deux d’entre elles s’exécutèrent, et elles revinrent au triple galop de la fontaine. Aucune n’osait poser des questions, de peur d’envenimer la situation.
Furosa ramena le contenant rempli à l’intérieur du bar. Elle le déposa dans le salon, près de la jeune mère qui pleurait silencieusement en serrant son bébé dans ses bras moites. Sa sœur affichait une mine déconfite. Les linges étaient tâchés du fait de l’accouchement. La vieille Gerudo enroula les tissus les plus sales pour les écarter. En dessous, les tapis étaient intacts.
« Donne le premier bain à ton enfant. Je vais t’apprendre. »
Simana leva un visage emplit de chagrin sur son aînée. Cette dernière lui saisit délicatement les bras pour les ramener dans une certaine position ; le bébé fut basculé sur le dos. « Tiens-le derrière la tête. Elle doit être sur ton poignet. » La main maternelle obtempéra. « Plonge-le légèrement dans l’eau. » Les jambes de l’enfant, son dos ainsi que le bas de son crâne furent en contact avec l’eau tiède. « Nettoie ses cheveux. » Sous les gestes doux, le nourrisson agita les bras et ses grands yeux noirs se posèrent sur sa mère. Elle renifla : quelques larmes coulaient encore. « Son ventre. Doucement. Ses bras. » Docor observait la scène d’un œil attentif. « Nettoie bien le cordon ombilical. Il faudra le faire jusqu’à ce qu’il tombe. » Le bain se poursuivit dans un silence parsemé de murmures. Le nourrisson ne pleurait pas.
« Tu te débrouilles bien. J’ai connu des mères empotées mais toi, tu es douce et prudente.
— Furosa… Pourquoi devais-je donner naissance à un voï ? Pourquoi est-ce tombé sur moi ?
— Tu peux élever cet enfant si tu le désires. Mais tôt ou tard, tu devras l’abandonner ou fuir avec lui. Il porte en lui une tragédie pour notre cité et pour Hyrule tout entière.
— Comment le sais-tu ?
— Ne le sens-tu pas ? »
Timidement, Docor acquiesça : elle sentait la malfaisance que dégageait le petit garçon.
« Si je refuse de l’élever, qu'adviendra-t-il de lui ?
— Je le confierai à des vaïs qui se chargeront personnellement de son sort. »
Simana se crispa. Elle sortit le nouveau-né du bain, le regarda avec tendresse et l’étreignit.
« Je ne peux pas… C’est mon petit… N’y a-t-il aucun moyen de changer cela ?
— Il porte en lui le Fléau, ma fille. Même tout l’amour du monde ne pourrait changer sa destinée meurtrière. »
Toutes demeurèrent interdites durant un long moment. L’annonce était bien trop douloureuse, bien trop lourde à porter. Un vent chaud s’engouffra dans le salon ; il remua les anthuriums qui reposaient sur les étagères.
« Si-Simana… dit la sœur d’une voix troublée. Je dois aller rassurer les vaïs et les vehvis. Elles seront heureuses d’apprendre la naissance d’un garçon. »
La concernée acquiesça. L’autre s’empressa de rejoindre ses camarades qui se rongeaient les sangs, désireuses de voir le bébé et l’état de la jeune mère. Depuis l’étage, Simana et Furosa purent entendre les explications rassurantes délivrées sous la fenêtre du bar. Il ne fallait pas provoquer la panique du peuple, et encore moins réveiller la méfiance des anciennes et de la cheffe qui s’empresseraient de sceller le sort de l’enfant.
« Je vais t’apporter des habits propres. En attendant, donne-le sein à ton petit. J’offrirai ensuite une tournée de Vaï meets Voï en l’honneur de ton accouchement. Nous célébrerons la venue de ce garçon toute la nuit. »
La vieille Gerudo se dirigea vers la salle au fond de la pièce qui renfermait certainement des vêtements de rechange, et autres matériels nécessaires. Au moment où elle s’apprêtait à franchir le seuil, la jeune femme l’interrompit.
« Furosa.
— Hm ?
— Merci pour tout. Je partirai avec cet enfant pour préserver notre cité. »
La gérante fut prise d’un pincement au cœur : elle s’était figée. Les deux occupantes se dévisagèrent un instant. Puis, lourde d’une peine soudaine, l’aînée s’accroupit près de Simana. Son regard témoignait de l’affection qu’elle lui portait. Elle posa sa main sur la sienne et la serra. Cela lui fit l’effet d’une décharge électrique.
« Simana. Ma fille. Tu es libre de tes choix. »
Rassurée de la décision qu’elle venait de prendre, elle porta son fils à son sein nu. Ses mains minuscules remuèrent, ses poings se fermèrent et sa bouche se referma sur le téton. Il semblait affamé. Tandis qu’il tétait allègrement, une bulle se referma autour d’elle. Cette bulle filtrait tout ce qui pouvait porter atteinte à son amour pour son bébé, que ce soit des paroles ou des actes. Puis leurs regards se croisèrent. Dans ses yeux, elle voyait toute la reconnaissance du futur Roi.
Dans mon brouillon, il était prévu que cette fiction soit mieux écrite... Hm. Autrement, les vaïs dont parle Furosa sont Koume et Kotake. Libre à vous d'interpréter la suite de l'histoire.