LUMIÈRE ENDORMIE
Lentement, la jeune femme releva la tête pour délivrer sa prière à la statue qui surplombait ce modeste lieu. Taillée avec soin dans la pierre, elle trônait au milieu d’un lac qui, la nuit tombée, révélait son caractère sacré en se saisissant du ciel sombre et maculé d’astres lointains. Il n’en reflétait qu’une partie infime, mais avec une telle exactitude que les croyants y avaient érigé une figure divine, persuadés que ce lieu était béni de toutes les grâces célestes. C’était une représentation féminine, pourvue d’ailes angéliques déployées vers l’horizon. Ses mains étaient jointes contre son cœur, ses yeux étaient clos pour ne regarder aucun fidèle et adresser sa bénédiction à tous, sans distinction particulière.
Le regard rivé sur la statue, dans une position de respect et d’obédience, Zelda achevait sa prière au sein de son esprit. Hylia n’entendait pas les voix. Elle ne percevait que les pensées. Puis, lentement, l’héritière royale glissa un pied dans l’eau. L’eau était froide, comme il était attendu lors des nuits d’automne. Elle en glissa un autre et, les dents serrées, elle entreprit d’immerger ses jambes. Sa robe blanche colla à ses cuisses et, de la même manière, les rendait apparentes. La jeune femme progressa jusqu’à la déesse puis, brusquement saisie d’une tristesse assassine, elle s’effondra dans l’eau avant de se répandre en pleurs abondants. Sa poitrine se déchirait et le faible organe qui battait à l’intérieur se disloquait.
« Ah… Hylia, qu’ai-je fait… Suis-je si peu méritante que cela ? M’en voulez-vous d’avoir été négligente envers mes devoirs ? Ah… Ah… »
Les sanglots secouaient son corps endolori. Toutes ces heures passées dans le salon religieux, avachie, accroupie, le dos courbé, les jambes serrées, le front sur les poings, la tête contre les tapis immaculés avaient affaibli ses muscles ; elle était désormais ceinte de maintes douleurs qui handicapaient sa tâche quotidienne : la prière.
« Je vous prie tous les matins, toutes les nuits depuis l’âge de maturité… Pardonnez-moi, comprenez que mes erreurs résultent de mon ignorance de jeune enfant… Accordez-moi ne serait-ce qu’une once de votre pouvoir divin, je vous en supplie… »
Elle ne put prononcer davantage de mots, rattrapée par la souffrance et le chagrin qui étouffaient ses paroles. Ces dernières demeuraient terrées au fond de sa gorge, prisonnières des émotions accablantes qui saisissaient leur élaboratrice. Chaque jour, elle s’était offerte à la volonté divine dans l’espoir, un jour, d’assister à l’éveil de son pouvoir, ce même pouvoir qui avait été accordé à sa mère défunte afin de protéger le peuple du Mal. Il était fait d’une lumière mortelle et divine, un mélange harmonieux entre l’éclat terrestre et l’éclat céleste, celui des contrées infinies. Seules les femmes d’une lignée royale — dont le sang était demeuré pur sur plusieurs générations — se voyaient offrir cette puissance protectrice. Il arrivait des jours où, noyée dans le désespoir, la princesse s’imaginait être de sang impur et que son père, Rhoam Bosphoramus, le lui cachait par crainte de la déchéance de la lignée royale actuelle. Ainsi, dans son malheur, elle s’imaginait toutes sortes de raisons à cet abandon divin et, si par pure folie lui venait l’esprit de les communiquer, elle serait sévèrement châtiée par la cour. Personne, pas même un individu de sang royal, ne pouvait émettre l’hypothèse de l’impureté d’un héritier.
Ses larmes taries, la jeune femme se redressa, ceinte par le froid. Son habit blanc détrempé collait à sa peau fraîche, et des gouttes perlaient sur son plastron en or. Elle prit quelques minutes pour réunir ses pensées, les confondre pour n’en former qu’une seule et unique, une seule pensée qui recentrerait son esprit sur son devoir princier.
« Votre Altesse Royale… » articula-t-on dans son dos.
La voix était forte, témoignant d’une volonté de porter suffisamment loin pour parvenir aux oreilles de son destinataire. Dans l’obscurité nocturne, il était compliqué de distinguer précisément de qui il s’agissait. Cependant, en devinant les traits de la silhouette, elle sut que la voix appartenait à un jeune homme vêtu d’un uniforme de la garde royale. Derrière lui se trouvaient deux montures, ou du moins deux grandes silhouettes qui s’apparentaient à des chevaux. À la distance à laquelle il se trouvait, le soldat ne pouvait voir clairement le corps de la princesse, qui se détachait faiblement du décor.
« Sa Majesté le roi a exigé votre retour dans vos quartiers. Il vous interdit désormais de vous éclipser en dehors de la citadelle à des heures irraisonnables pour une personne de votre rang.
— Ah, tu es Link. Tu es le soldat qui s’est attribué les bonnes faveurs de Père, n’est-ce pas ? Normalement, seules ma nourrice ou des servantes ont l’autorisation de me voir durant mes périodes de prières.
— Il est trop risqué pour ces dames de sortir hors du château, et particulièrement hors du château la nuit, Votre Altesse. »
Zelda se retourna entièrement. Désormais face au jeune chevalier, elle comprit qu’il la regardait. Cependant, sa stoïcité laissait deviner qu’il était happé par l’angoisse ; jamais un chevalier ne devait ainsi répondre à une personne de sang royal. Bien que la nuit apportait des voiles noirs sur les visages, les rendant confus et difficilement identifiables, la princesse percevait les émotions qui le traversaient.
« Que penses-tu de notre grande Hylia ? Et d’elle vis-à-vis de moi ?
— Sans vouloir vous manquer de respect, mon avis de simple soldat importe peu, Votre Altesse.
— Si je te le demande, c’est qu’il m’importe.
— Si vous faites référence à la puissance divine qui ne s’est toujours pas éveillée en vous, je pense que cela n’a rien à voir avec la volonté d’Hylia. Le pouvoir se trouve au sein de toutes les héritières, dès leur naissance, et il n’y a que leur persévérance qui peut le faire éclore.
— Tu ne me trouves pas suffisamment persévérante ?
— Non, Votre Altesse, je n’insinuais pas cela. Votre persévérance est grande, mais elle n’est pas encore accomplie.
— Comment puis-je l’accomplir, selon toi ? Que sais-tu de plus que les sages, toi, simple soldat ? »
Il resta interdit un moment. Il s’était figé et semblait regretter ses réponses. Pourtant, ayant compris que la princesse lui avait adressé l’ordre de communiquer avec elle, il finit par reprendre.
« Votre Altesse, je ne me trouve pas plus érudit que les sages. Avant d’entrer dans les rangs, j’étais un croyant très pratiquant et je me cultivais sur la religion hylienne. Dans les divers ouvrages, j’ai appris que les héritières du sang royal n’avaient pas toutes obtenu ce pouvoir dès l’âge de maturité. Pour certaines, cela est intervenu très tôt ; pour d’autres, très tard.
— Pourquoi ne m’a-t-on rien dit à ce sujet ?
— Pour que vous priiez davantage, et que vous ne perdiez pas foi en Hylia. »
Zelda se mura dans le silence. Ils se dévisagèrent, puis le soldat s’inclina en signe de respect. La main sur le cœur, il déclara une fois de plus qu’il devait la raccompagner dans ses quartiers avant que la lune ne culmine. Il se dirigea ensuite vers l’un des sacs sur la croupe de sa monture pour en sortir un tissu soigneusement plié.
« Votre Altesse, voici de quoi vous sécher et vous réchauffer. »
Elle fit quelques pas dans l’eau. Lents mais destinés à rejoindre la berge. Elle voulait demeurer sous la grande statue de la déesse, prier toute la nuit malgré le froid qui étreignait sa peau. Sa dévotion hurlait sa douleur dans tout son corps. Pourquoi son père était-il si méprisant ? Pourquoi la privait-il des prières nocturnes dans le lac ? Lui-même ne supportait pas l’idée que le pouvoir de son héritière ne se soit pas encore révélé.
Zelda progressa encore jusqu’à la berge. Une fois les pieds dans l’herbe, elle s’agenouilla, tremblante. Link déploya le tissu chaud sur les épaules de la princesse. Proche d’elle, il pouvait distinguer les cuisses apparentes sous la robe trempée malgré l’obscurité. Sa poitrine était soulevée par des spasmes : elle sanglotait.
« Levez-vous, il faut que vous alliez vous réchauffer dans vos quartiers.
— Je ne suis qu’une profonde déception pour Père… articula-t-elle.
— Gardez courage, Votre Altesse, répondit-il d’une voix rassurante. Vous devez vous reposer pour continuer à prier efficacement. »
(Bon tout le monde s'en fiche, mais je poste encore et encore dans l'espoir qu'on lise)