Bonsoir les Pziens, tout d'abord merci beaucoup
@Chompir pour ton commentaire ! Le fait que tu trouves que j'ai bien pu retranscrire le caractère d'un Link triste et rendu amer, après avoir grandi oublié de tous, cela me fait extrêmement plaisir.
Sur ce, voici un nouveau un texte, une nouvelle fois sur l'ancien Héros du Temps.
The Hero's Fate
Des touffes de mèches blondes, ternes et brunies par la boue, émanaient de ça et là de son bandage, jaunâtre. De petites tâches, tantôt brunes tantôt cramoisies, parsemaient l’étoffe en chanvre qui enroulait partiellement sa tête. Elle comprimait désagréablement son œil droit, bousillé par la panne d’un marteau de guerre en acier, le protégeant de la poussière et de mouches rôdant. Il secoua sa main gantée, une moue désagréable se formant sur ses lèvres gercées et égratignées. C’était à croire que ces insectes le prenaient déjà pour un mort, à l’odeur funeste et à la chair rouge exposée à vif. La grimace déformant ses traits se releva discrètement, se muant en un rictus. C’était un rictus cynique et sans raison, aussi fou que lui, marquant sa bouche des plissés du soleil qui n’avaient de joyeux que le nom. Mort. Ne l’était-il pas déjà ? Le Héros n’avait-il pas succombé pour ne laisser la place qu’à l’homme qui ne valait pas mieux que les autres ?
Link arracha le bandeau qui enroulait sa tête comme une vulgaire momie puis porta sa main à son œil droit. Là. Sous le bout de ses doigts, il pouvait sentir le sang poisseux coller à sa peau, plaquant ses cheveux hirsutes contre son front et se mélangeant à sa sueur. C’était un mélange de guerre et de souffrance, lorsque les épées s’entrechoquaient sur le champ de bataille pour protéger son idéal. Dans ces moments-là, la fatigue et l’adrénaline parcourant chaque parcelle du corps se mêlaient à la douleur. Et lorsque la volonté fléchissait avant les os, avant le rêve qui animait sa lame, le vaincu ne pouvait que sentir des larmes salées et tièdes perler aux coins de ses yeux tandis qu’on lui passait le tranchant d’une épée sous la gorge.
Il pressa un peu plus la pulpe de ses doigts sur sa chair, cette fois-ci contre sa paupière fermée. Pleurer, il ne le pouvait plus à présent. Son œil crevé avait emporté avec lui le peu de larmes que ses yeux, secs et dénués de joie, pouvaient encore verser. Il lui avait été dérobé d’une sublime façon, alors qu’il se redressait suite à l’une de ces roulades qu’il effectuait si fréquemment lorsqu’il se prenait encore pour un enfant de la forêt. Le fer serré avec ferveur dans ses mains, il était près à exécuter un formidable coup à revers afin de pourfendre le dos de son adversaire à travers sa cuirasse.
Ce ne fut que trop tard qu’il comprit lequel des deux avait été pris à revers.
Cela avait été d’une violence inouïe. Orguz, le redoutable chevalier au marteau de fer, s’était retourné à une vitesse fulgurante. L’immense marteau prolongeant son bras recouvert d’une épaisse cuirasse, voyait son métal d’un noir de jais briller sous l’éclat du soleil, prêt à s’abattre sur lui. Ce ne fut que grâce à ses reflexes que son adversaire ne put lui prendre que son œil, au lieu de lui fendre le crâne.
Les Hyliens diraient qu’il fut épargné par le courage de Farore et que la bénédiction des Déesses à son égard foulaient encore ses pas. Des fadaises, à ses yeux, des inepties de sages. Ceux qui ne comprenaient rien diront que c’était grâce à une chance insolente qu’il était toujours de ce monde, mais c’était bel et bien le contraire. S’il était encore en vie à ce jour, c’était parce qu’il était un épéiste maudit. Condamné à errer de ça et là, sans savoir à quelle époque il appartenait. Il était tel un fantôme marchant sur la terre battue, sans qu’aucun être ordinaire ne le remarque, perdu entre un âge et un autre.
Link pressa son index et son pouce entre les paupières défoncées de son œil, les enfonçant doucement dans son orbite, un peu plus profondément à chaque instant. Bientôt, alors le bout de ses doigts farfouillait cette horrible blessure prête à s’infecter au moindre instant, il sentit le bord de ses ongles salis s’humidifier au contact d’un liquide tiède. Du sang. Du sang, chaud et collant, coulait de sa blessure.
Les lèvres de l’Héros déchu s’ouvrirent, laissant transparaître un éclat de rire, froid. Vivant… Il était bel et bien vivant ! À valser avec la mort, le voilà d’autant plus vivant ! Que les Déesses voient le Héros qui put manipuler le temps à guise ! Qu’elles voient leur enfant rendu heureux par la blessure qu’un homme lui avait causé !
Dans son euphorie, l’épéiste attrapa le casque qu’il portait sous son aisselle pour le remettre sur sa tête nue. C’était un casque de cuivre, orné de larges cornes repliées vers l’avant et recouverts par d’innombrables symboles rouges tout comme son armure. Le guerrier fou qu’il était continuera de se battre jusqu’à son dernier souffle et même au-delà. Il continuera de dresser son épée vers le ciel et d’arborer l’armure de ses pairs.
Et comme pour le ramener à la réalité, de multiples voix s’élevèrent à travers les bois. C’étaient celles de ses compagnons d’armes, des vauriens à l‘étendard or et rouge. Brigands, voleurs, mercenaires ou chevaliers refusant le fief d’un quelconque seigneur d’une contrée lointaine. Ils étaient tous des oubliés des hommes, n’ayant plus que leur lame pour amie et la mort pour maîtresse. Les champs de bataille des guerres étaient leur foyer et le bruit tonitruant des épées contre les boucliers leur chant de joie.
Alors qu’il marchait, titubant entre les arbres et protégeant son œil crevé d’une de ses mains, dont la douleur avait été ravivée par son geste fou. Et de fou, il n’y avait pas que son action. Chaque parcelle de son être transpirait la folie par tous les pores de sa peau, sentant l’amer parfum de la poisse et de la solitude.
« Capitaine ! Capitaine ! »
Link se retourna, sans vraiment savoir où. Son surnom, il avait fini par s’y identifier malgré toutes ces soirs autour d’un feu de camp où il grimaçait à son entente, grognant qu’il n’avait rien d’un capitaine hormis le nom et une large épée pouvant faire trembler de peur une dizaine d’hommes. Tandis que l’homme vagabondait dans ses souvenirs, un nouveau cri vint le ramener brutalement dans cette forêt sans fin.
« Capitaine ! Où êtes-vous ? »
Ses compagnons, où étaient-ils ? Par ici ? Par là-bas ? Sa main libre enserrant son crâne pris d’un affreux mal de tête, Link se tournait et se retournait, son épée dégainée à l’affut d’un moindre danger. Ses nouvelles traces de pas effaçaient les anciennes et l’Hylien ne savait où donner de la tête, tandis que les échos voix de ce qu’on pourrait qualifier de compagnons parvenaient à lui. Quelle était donc cette nouvelle folie qui s’emparait de lui au point où il n’en sache plus où il se trouvait ? Était-ce l’infection de son œil – ou tout du moins ce qu’il en restait – qui le faisait délirer ainsi ?
Perdu comme il l’avait été durant de nombreuses années, l’homme se mit à marcher d’un pas un peu plus pressé en se fiant à la voix de ses compagnons d’infortune, la lame attachée à son dos se fracassant contre sa cuirasse de cuivre à chacun de ses pas. Bon sang ! Mais où était-il pour ne pas pouvoir retrouver ses compagnons ! Était-il si sot pour ne plus savoir retourner sur ses pas ou ces bois lui jouaient donc un quelconque maléfice ?
À croire, qu’il se trouvait dans ces bois où il avait tant joué lorsque, encore idiot, naïf et heureux, il se prenait pour un Kokiri, l’un de ces gamins éternels. Tandis que sa douleur se faisait incessante, il courut. Il courut jusqu’à en perdre haleine, ne s’arrêtant que lorsque ses jambes commencèrent à flancher. Il resta ainsi, durant quelques instants, la tête basse et les mains enserrant ses cuisses avant de redresser la tête, pour regagner son souffle.
Lorsque Link leva les yeux, ils s’écarquillèrent d’eux-mêmes. Là, face à lui… C’était un lieu où il n’était jamais retourné depuis le début de sa quête en tant qu’Héros du Temps, lorsqu’il avait terrassé avec un lance-pierre ridicule un arachnide de la pire espèce, Navi lui avait dit Gohma s’il s’en souvenait bien.
« L’arbre Mojo… »
Ses paroles n’avaient été qu’un simple murmure tandis qu’il fit quelques pas, fébrile. L’écorce terne et grisâtre était désormais parsemée de lierre verdoyantes et de mousses, mais le temps et la végétation qui avait succédé celle de son enfance avait épargné le visage serein gravé dans le bois. Interdit, il se laissa alors tomber à genoux, ses mains gantées grattant la terre avec acharnement et la portant à ses lèvres pour l’embrasser de façon déraisonnée. Après combien de temps… après combien de temps foulait-il les terres de son enfance ? Pendant combien de temps, n’était-il pas venu ici ? Des dizaines d’années ? Plus ? Moins ?
Link s’évertuait à porter la terre meuble qu’il tenait entre ses mains contre son plastron, à l’endroit où se trouvait son cœur. Les mains tremblantes et jointes, Link conservait sa tête penchée en avant et dirigée vers son ventre. Tandis qu’il chérissait de façon irraisonnée cette terre, ce fut avec étonnement qu’il sentit un goût salé titiller sa langue. L’épéiste écarquilla alors les yeux plusieurs fois, réalisant qu’un liquide coulait le long de sa joue gauche pour ensuite s’écraser sur l’herbe.
Des larmes ? Au fur et à mesure qu’il le réalisait, il se mit à pleurer sans savoir pourquoi, l’émotion faisant trembler chacun de ses membres tel une brise fraiche s’abattant sur des épaules dénudées. Il pleurait sans pouvoir s’en empêcher comme si tout ce qu’il avait enfoui au profond de son être durant toutes ces années de lutte refaisaient surface.
Il pleurait tant qu’il ne se rendit pas compte qu’il ne lui restait plus que la peau sur les os. Ce ne fut que lorsque les bracelets qu’il portait aux avant-bras chutèrent en un léger tintement qu’il le remarqua. Son œil plissé leva alors son regard d’un bleu dur vers ses mains. Si les larmes avaient beau embrouillé sa vue, celle-ci n’était pas totalement floue. Ainsi, quelle fut sa surprise quand il vit qu’il n’avait littéralement que des os.
Link sursauta vivement, ses fesses tombant sur le sol pendant qu’il ne cessait de retourner ses mains, le contemplant dans tous les sens. Bon sang, cela faisait tant de temps qu’il n’avait pas remis les pieds ici, qu’il l’avait oublié… Cette maudite malédiction qui hantait ses bois !
« Les adultes qui se perdent dans les Bois Perdus se transforment en Stalfos. » Cette légende, combien de fois Navi la lui avait raconté lorsque l’un de ces revenants armés et casqués entravait leur route ? Il se débattit, agitant ses bras dans tous les sens de façon anarchique, avant de se relever précipitamment. Quelle ironie ! Le voilà, le Kokiri sans fée, en proie à la malédiction qui frappait les Hyliens qui avaient la folie de s’aventurer dans ces bois.
Où étaient donc ceux qui le déclaraient béni par les Déesses ? Qu’ils voient donc l’épéiste maudit par les lieux qui autrefois furent sa maison, là où avait péri celui qu’il considérait comme un père ! Et qu’ils disent que le Héros du Temps, oublié de tous à travers les époques, repose aux côtés de son père, le vénérable arbre sacré.
***
Sous sa forme de loup, accompagnée de Midona, Link arriva dans le cimetière du château d’Hyrule. Quelle fut son étonnement lorsque, une fois qu’il terrassa les nombreux Stalfos errant sur la terre rendue humide par l’orage, il découvrit cette drôle de scène. Autour d’un énorme chêne, il pouvait voir d’innombrables fantômes, tous vêtus d’une armure aux teintes rouges et or. Ils conservaient la tête vers le bas, leur regard jaunâtre et vide tourné vers une unique direction, au pied de l’arbre. Intrigué, le loup aux yeux saphir suivit alors leur regard. Là, entre les immenses racines de cet arbre millénaire, se trouvait une auguste pierre tombale. Ses bords effritées par l’érosion étaient parcourus par des lierres voraces, mais en y regardant bien on pouvait apercevoir un curieux épitaphe gravé dans la pierre.
L’épéiste maudit repose sous l’arbre sacré.