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Errements Poétiques - [ Poème : Août IV ]

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Synopz:
@D_Y En fait, c'est une façon de composer assez typique de la poésie moderne qui apparait vers le XIXème, notamment avec Rimbaud (Je te conseille le très long mais très bon Alchimie du Verbe qui explique ça très bien et doit facilement faire partie du top 5 des meilleurs poèmes jamais écrits en français, très facile à trouver sur le net).

On a donc pas mal de vers libre, et un jeu sur l'oralité qui est de plus en plus présente, avec la fin de cette idée d'une liaison forcément évidente entre métrique stricte et poésie. Le Poids du Monde est pas un très bon exemple puisque c'est un poème un peu brut, que je n'ai pas spécialement retravaillé, il a en plus des parties un peu en prose et, surtout, j'ai utilisé de la ponctuation alors que je n'en utilise généralement pas. En France, Apollinaire est le premier poète à ma connaissance qui retire la ponctuation dans Alcools parce qu'elle est vue comme un carcan qui enserre encore le vers, ne le laisse pas jouer librement, être lu et créé par le lecteur, et cette absence de ponctuation sera beaucoup reprise par la tradition surréaliste et aujourd'hui encore, la poésie très contemporaine (hors formes alternatives types textes de chansons et tout), un peu " savante ", disons, n'a souvent pas de ponctuation.

Du coup, dans la perspective du vers libre, c'est la mise en forme même du poème, sa disposition visuelle, les interactions entre les différentes pauses induites par la cassure des vers et ce genre de choses qui vont faire sa " métrique ".

Il y a un peu de jeu là-dessus dans mon dernier poème mais il reste assez simple sur ce plan. Dans ma poésie j'essaie de faire une grande place à l'oralité en général, je n'écris pas un poème sans le lire à haute voix. Tout se veut concentré dans le choc, le clic-clac des mots, la pause induite par le "blanc", l'espace du poème. Avec un fort jeu de rappel d'un vers à l'autre, pas mal d'images un peu fortuites (grosse influence du Surréalisme bien sûr). Bien sûr, la métrique " classique " (vers comptés, rimes) peut parfois rentrer en jeu, mais ça va être ponctuel, ça va justement servir un effet de décalage, ou à appuyer à un moment précis quelque chose, il n'y a plus de cadres rigides. Ceci dit il y a encore des rimes, mais elles vont être dans les vers, ou bien sans structure particulière, juste comme une sorte de tonalité répétée au fil du poème, ça dépend. Je te renvoie encore une fois par exemple au poème de Rimbaud ou bien à des poèmes de Eluard (Ma Morte Vivante ou bien L'Aventure <3 ), Aragon (Poème à Cracher dans les Ruines).

Je vais revenir à mon dernier poème avec un vrai travail sur la structure, qui date du début du mois, Ressac



" [...] Ressac
Casse !
La force
Des choses
Comme on dit

La force
De devenir
Tout me tombe
Des mains [...]"


Là par exemple, tu as beaucoup de vers très courts avec de cassures sèches et des renvois de sonorités : Ressac / Casse, la répétition en -t et -d avec " Des choses", " dit", "devenir", "Tout me tombe des mains ". Ajoutés à ces cassures visuelles nettes, ça renforce le coté un peu saccadé, presque déclamé, psalmodié du poème, avec une tension qui se retrouve dans le sujet, et lui donne du poids. Le rythme haché c'est la mer qui tangue et qui tape, c'est les mains qui tremblent, c'est la saccade intérieur que le poème veut exprimer.



" [...]Mer pleine de
Roulis
Pis même !
Ressac dans ce
Bric-à-brac
De mes yeux
Verts
Comme la mer

Souquez sec
Alors !
Tangue tournoie
Puisqu'il faut
Ressac
Claque
Tout en vrac !
Encore."

Là, de même, l'image de la mer qui est convoquée à deux niveaux avec la répétition de la sonorité du -M qui est plutôt lisse mais qui est contrebalancé par le coté aussi râpeux de l'allitération en -r, avec la reprise du mot ressac qui traduit lui-même cette image : la douceur du son en -s et la dureté un peu brutale de la fin du mot. Le poème exprime la vie et la relation amoureuse comme un soubresaut permanent, une douceur contrebalancée, rendue par l'image de la mer, sa dangerosité, une certaine forme de douceur et de mouvement permanent aussi qui se traduisent par cet emploi de sonorités. Mais ces sonorités elles-mêmes contribuent à construire l'image, la nourrissent et le poème joue toujours en permanence dans un rapport entre son plan formel et le fond de son propos. En résumé, on ne peut pas vraiment écrire un poème autrement que de la manière dont il est écrit, parce que même sans alexandrins et sans rimes riches, cette expression formelle particulière se veut l'expression directe d'une façon de voir, dire, sentir le monde.

Bon, désolé pour ce pavé un peu trop sérieux, je m'emballe quand on parle de ça  v.v A préciser que mon dernier poème est justement moins représentatif de cet aspect formel, et "parle" un peu plus facilement. J'ai aussi pu écrire dans des poèmes un peu plus vieux des choses plus classiques avec vers comptés et tout ça ! En espérant que c'était pas trop long ! Pour finir vite fait, d'ailleurs, j'ai eu une grosse période l'année dernière avec des poèmes très centrés sur cet aspect sonore, ils sont dans la galerie, il y a par exemple Un Coup, A Silentibus Locis, Des Papillons, Crispa Maria...

D_Y:
Quand je parlais métrique je parlais pas seulement métrique classique (ABAB, ABBA, &c). Mon livre préféré est Paradise Lost de Milton, qui est en prose et qui n'a pas beaucoup de vraies rimes. Il y a néanmoins une structure certaine, et en tant que poème démonte une grosse majorités des textes en rimes.

Pour reprendre les exemples de tes citations, la première compte 5 et 4 vers. La deuxième est plus symétrique, avec 8 et 8. Je comprends le but de faire passer des idées avec la sonorité des mots, mais en vérité c'est exactement comme ça que je vois la littérature en général, pas seulement la poésie (en tout cas c'est la littérature que j'aime, celle qui sonne le mieux à l'oreille, et la langue anglaise est top à ce niveau, elle est naturellement plus musicale que le français). Dans mes textes en prose c'est la musicalité que je veux faire passer (avec plus ou moins de succès, je suis pas un génie non plus :8):) avant tout le reste.

Bref, dans le Poids du Monde, il n'y a aucune logique de vers (apparente), du coup même si on prend en compte la sonorité du mots, qu'est ce qui motive une telle mise en page ? Pourquoi tu as regroupé un ensemble de vers, et laissé d'autres isolés ? Pourquoi ta citation du ressac fait 5 et 4 ? (si c'est pour évoquer la vague ou la marée qui monte et descend, quelle est l'explication dans le Poids du Monde ?) :niak:
Je suis pas très familier d'Eluard mais je connais un peu Rimbaud et je trouve que tes poèmes n'y ressemblent pas du tout (du moins de ceux que j'ai lu). De mémoire c'était bien carré avec utilisation massive de quatrains avec beaucoup de rimes. C'est bête mais ton approche me fait beaucoup penser aux chants de Tolkien :


--- Citer ---Clap! Snap! the black crack!
Grib, grab! Pinch, nab!
And down, down to Goblin town
[...]
--- Fin de citation ---

Cela ne fait aucun doute que le mordant, le craquant, ou le cassant veulent être évoqués. A ce titre, je trouve tes deux poèmes sur la mer réussis, du moins en partant de l'idée que t'aies voulu te baser sur le même principe.

Synopz:
Pour Rimbaud, j'parle plutôt Rimbaud de la fin, genre alchimie du verbe avec le mélange Vers/Prose, et plus globalement, Les Illuminations :


--- Citer ---Les chars d'argent et de cuivre -
Les proues d'acier et d'argent -
Battent l'écume, -
Soulèvent les souches des ronces.
Les courants de la lande,
Et les ornières immenses du reflux,
Filent circulairement vers l'est,
Vers les piliers de la forêt, -
Vers les fûts de la jetée,
Dont l'angle est heurté par des tourbillons de lumière.
--- Fin de citation ---

Le vers libre affleure bien quand même ! Mais effectivement, en termes de métrique, Rimbaud est assez régulier, on reste sur du quatrain et des vers rimés la plupart du temps, vu que mea culpa, même si Rimbaud en est à l'origine, le vers libre en tant que tel, ça vient un peu après vers les années 1880.

Ceci dit, oui, j'avais pas compris ta question comme se rapportant spécifiquement à la structure, je vois plus ce que tu veux dire maintenant. Alors y a pas forcément de logique générale qui préside au regroupement des différents vers en strophes, en ce sens que chaque strophe correspond à une unité sonore et/ou thématique qui lui donne un peu de liant. Après, y a aussi l'usage que je fais du blanc comme symbole de pause, et dans la perspective d'oralité que je vise, en fait j'utilise la strophe presque comme le retour à la ligne d'un vers mais en plus marqué ou plus brutal. Ces raisons jouent à chaque fois plus ou moins ou pas du tout, ensemble ou pas, c'est vraiment du cas par cas, quoi. En ce sens, ça se rapproche effectivement plus du surréalisme et des trucs plus contemporains genre Bonnefoy ou autre. Par exemple, Solitaire de Eluard, ça donne ça :
 

--- Citer ---
J’aurais pu vivre sans toi
Vivre seul

Qui parle
Qui peut vivre seul
Sans toi
Qui

Être en dépit de tout
Être en dépit de soi

La nuit est avancée

Comme un bloc de cristal
Je me mêle à la nuit.
--- Fin de citation ---

Du coup, dans Le Poids du Monde, je dirais que ça correspond un peu à des sortes d'unité de pensée, ponctuées aussi par les questions. Vu que c'est un poème que j'ai un peu jeté sur papier comme ça justement, sans trop le reprendre, y a ce coté fil de pensée/question. Fil de pensée/question. Avec des sortes d'avis lapidaires qui jaillissent un peu sur ces pensées. Après, c'est un peu la façon naturelle dont ça s'est donné dans l'écriture même, mais y a vraiment ce coté succession brute de pensées, d'où l'usage de la prose d'ailleurs. C'est un peu comme plusieurs voix permanentes et distinctes en échange dans une tête, qui regarde celui qu'on est (ce fameux je) devenir tout seul, sans que Je choisisse justement.

Enfin pour finir, on est bien d'accord sur la musicalité, même en prose, c'est un truc majeur de la littérature et c'est ça qui est cool, et c'est dur à faire passer. Je me prétendrai pas grand poète non plus, j'écris aussi avec ce qui me vient, tous les poèmes ne sont pas aussi travaillés les uns que les autres  :hap: . Les poèmes sur la mer cherchent à rendre ça oui, en tout cas l'aspect physique de la sonorité, le dur du mot, est un truc qui m'intéresse beaucoup ! Et pour la musicalité de l'anglais par rapport au français, je ne suis pas nécessairement d'accord ! Je suis pas un expert de poésie en anglais même si je connais quelque poèmes, mais pour moi ce n'est juste pas du tout la même musicalité entre les deux, et j'apprécie beaucoup les deux. Le français courant est sûrement moins musical, oui, mais une fois travaillé, c'est une langue qui peut aussi être très musicale, très rythmée.
 

D_Y:

--- Citer ---Les poèmes sur la mer cherchent à rendre ça oui, en tout cas l'aspect physique de la sonorité, le dur du mot, est un truc qui m'intéresse beaucoup !
--- Fin de citation ---

Pourquoi le "dur" du mot uniquement ? v.v
La mer c'est autant une extrême violence qu'un calme divin, c'est ça aussi qui est génial dans l'océan.


--- Citer ---Et pour la musicalité de l'anglais par rapport au français, je ne suis pas nécessairement d'accord ! Je suis pas un expert de poésie en anglais même si je connais quelque poèmes, mais pour moi ce n'est juste pas du tout la même musicalité entre les deux, et j'apprécie beaucoup les deux. Le français courant est sûrement moins musical, oui, mais une fois travaillé, c'est une langue qui peut aussi être très musicale, très rythmée.
--- Fin de citation ---


Oui bien sûr, j'adore Hugo, Baudelaire, ou Lamartine, en tant que poètes. Mais j'ai jamais rien lu de plus beau que Tennyson, Byron, Wordsworth, &c.
C'est peut être un bien cognitif, je dis pas, mais j'ai aussi l'impression que même dans un roman classique, les vrais auteurs ont voulu jouer sur la musicalité et la profonde beauté de leur langue, choses qui ne se retrouvent pour ainsi dire jamais dans les traductions. Bien sûr dans les romans d'auteurs qui s'en foutent, il n'y a pas tellement de raison de préférer lire en anglais qu'en français, mais bon faut rester dans du classique.

Après il n'y a pas vraiment de hiérarchie entre les langues, mais les langues germaniques ont vraiment quelque chose à part, que je n'ai jamais réussi à retrouver en français (même dans les traductions). Je n'ai lu que Goethe en français et je n'ai fais qu'entrevoir la beauté de ses œuvres, le lire en allemand, ça doit vraiment être quelque chose ! (il faut bien être Schubert pour réussir à retranscrire Goethe).

Bref heureusement le français a aussi quelque chose à apporter dans la littérature, mais ma nature me fait d'avantage apprécier les lettres germaniques.

Synopz:
Amie
"Au milieu de la nuit sombre
Amie je te dis
Laisse fleurir
Tes iris le désir

La moelle du monde
Coule nous avec
Magma agité brillant
Viens voiles y danser

Il y aura des tombants
Secrets éclats murmurés
Face à l'aube effrénée
Du monde qui nait

Des abysses pénétrantes
Des soleils incandescents
Qu'on embrasse en brûlant
Dans les matins de Juillet

Je te dirai qui tu n'es plus
Figures changeantes
Saisies au vol épars
D'un soi-même qui va nu

Voyage toujours reconduit
Dans ces lointaines moiteurs
De la vie en sueur pleine
D'un jus vert à goûter

Amie très chère amie
Tes cils dansants
Sont le battement du vrai
Qui frémit par ici

Je te ferai voir
Hauts sommets froides vallées
Où coulent torrents oubliés
D'un monde débordé

Et nous danserons
Dans la brume envolée
Lèvres sur lèvres à chanter
Ce qui combat tombe meurt renait

Fais fleurir tes regards
Amie crinière d'ébène
Sur l'univers chaud cruel rieur mouvant
Où nous coulerons souriants. "

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