Auteur Sujet: La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1  (Lu 96136 fois)

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La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
« Réponse #195 le: samedi 11 juin 2011, 20:37:42 »
Citer
(Bah oui, un Triangle ça a bien trois faces non? :p)

Ah ben non, ça a trois côtés, pas trois faces. Ce qui a trois faces, c'est un cylindre par exemple. Un triangle a trois côtés.

Tout ça pour dire que tu dois mettre des chapitres sur le site fan et que PdC devait te le rappeler, mais il a oublié.

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La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
« Réponse #196 le: samedi 11 juin 2011, 20:40:10 »
Merci pour cette précision. v.v

Sinon tu fais bien de me le rappeler, je vais m'en occuper tout de suite.

______________

La Pièce d'Argent
-Prologue au Triangle de Pouvoir-



-Comment t’appelles-tu?
   Ses yeux glissèrent sur la pénombre ambiante, qu’une bougie solitaire tentait de combattre vaillamment. La pluie tambourinait sur le verre de l’unique fenêtre crasseuse, qui peinait à filtrer un peu de lumière lunaire. Les grosses gouttes éclataient sur la surface sale avec un fracas épouvantable, qui résonnait péniblement dans la petite pièce. Un éclair illumina brièvement les lieux, dévoilant l’espace d’un battement de cœur la silhouette de l’homme qui lui faisait face : une barbe taillée en pointe, des traits sévères, un turban et un œil unique, dont le rouge écœurant de l’iris luisait faiblement dans l’obscurité.
   Une longue minute s’étiola entre eux sans qu’il ne réponde rien. Il gardait le regard rivé sur le carreau et sur la nuit au dehors, noyée sous les flots de l’orage.
   -Vaati, s’entendit-il dire d’une voix éteinte.


   -Ce sera tout pour aujourd’hui, mon enfant, haleta Rauru en croisant les mains sur son ventre rebondi dégoulinant de sueur. L’argent est sur la table.
   Le Gardien du Temple poussa un soupir d’allégresse et ferma les yeux, prêt à passer une merveilleuse nuit dans ses draps en soi fine souillés, d’une douceur sans pareille, sur son tendre matelas de plumes déformés par les mouvements brusques.
   Vaati observa quelques secondes le visage du prélat, ses joues flasques, sa lippe charnue, ses traits poupins rongés par une barbe drue et grisonnante, son crâne rasé et luisant de sueur. Ecœuré, le garçon s’extirpa du lit en grimaçant et récupéra ses vêtements sans un bruit, avec des gestes lents. L’Intemporel aimait toujours le bousculer un peu lors de leurs rencontres, mais cette fois là il avait été particulièrement violent. Une douleur aiguë sourdait de ses reins à chacun de ses pas.
   Il enfila sa tunique avec précaution, et se mordit la langue pour empêcher un petit cri de franchir ses lèvres. Il écarta quelques mèches de cheveux blancs de devant ses yeux avec les doigts, puis sortit silencieusement, après avoir empoché son dû sur la table à côté de la porte. Il referma le battant sur les ronflements tonitruants de Rauru, qui avait déjà sombré dans le sommeil des justes.
   Le père Reynald occupait l’office du soir, comme de coutume, et ce dernier lisait quelques passages des écrits saints des Très-Hautes aux quelques fidèles qui s’étaient attardés là. Derrière le prêtre, les Portes du Temps étaient grandes ouvertes, et Vaati put apercevoir un reflet sur la Lame Purificatrice, dont la pointe gisait là dans son tombeau de pierre depuis l’origine du monde, disait-on, dans l’attente de la main légitime qui pourrait l’en extraire.
   Lorsqu’il n’était encore qu’un gamin, Vaati avait souvent rêvé qu’il était le Héros des prophéties, ce guerrier saint choisi par les Déesses elles-mêmes qui pourfendrait le Mal à jamais, en brandissant la Lame Purificatrice, auréolé d’une aura de feu et de lumière. Mais il avait eu beau tirer et tirer encore de toutes ses forces sur la poignée d’azur gainée de cuir filigrané d’or, la lame n’avait pas même frémi. En revanche, il avait attiré l’attention de sa Sainteté l’Intemporel, Rauru le Gardien du Temple…
   En repensant à ce jour, ses yeux descendirent jusqu’à sa paume ouverte, où s’alignaient quatre pièces : trois en cuivre et une en argent. Il cligna des yeux en apercevant cette dernière, pensant un instant à un tour de son esprit. Mais non, l’argent resta de l’argent. Fébrile, il la saisit entre deux doigts et la porta à hauteur de son œil. Il n’en avait encore jamais tenu une de sa vie. Il examina le profile sévère mais juste du roi Salomon frappé sur le verso de la pièce.
   Il s’interrogea sur sa bonne fortune. Ce porc de Rauru se serait-il trompé en prélevant de la recette de la quête son maigre salaire? Ou bien était-ce pour soulager son esprit des violences qu’il lui avait infligées, au plus fort de sa passion? A vrai dire, il s’en moquait bien. Tout ce qui importait, c’est qu’il avait une pièce d’argent. Une jolie pièce d’argent. La sienne.
   Un moment la peur le saisit lorsqu’il songea que, si Rauru s’était effectivement trompé, il la lui réclamerait. Et s’il cela devait se produire, et qu’il n’avait plus la pièce alors, il pourrait lui arriver des choses terribles. Il se demanda avec l’angoisse au ventre si Rauru irait jusqu’à l’accuser d’avoir volé l’argent de la quête. Un crime abominable, sévèrement puni par la loi hylienne.
   Il décida qu’il garderait la pièce avec lui jusqu’à son prochain… rendez-vous avec le prélat, et qu’il aviserait alors. Oui, c’était sûrement la meilleure solution.

   Un fin crachin froid, annonciateur d’orage, le trempait jusqu’aux os pendant que les ombres du Bas-Bourg étendaient sur lui leur étreinte, pareilles aux bras d’une amante dans le lit de laquelle on se glisse avec délice. Vaati leva le visage, appréciant la sensation de l’eau ruisselant sur son visage androgyne aux traits délicats, imbibant ses longs cheveux blancs et soyeux. La douleur dans le creux de ses reins s’estompait -il commençait à en avoir l’habitude- mais la sensation de souillure, elle, était tenace.
   L’eau de pluie aidait à purger son visage du souvenir écœurant de la langue avide de Rauru, à laver de son corps la sensation des mains bouffies, palpant, titillant, frappant sa chaire pâle. Mais ce n’était qu’un bref répit. L’une des premières choses qu’il avait apprise, lorsque sa mère avait compris qu’elle pourrait tirer de l’argent du corps de son fils, c’était que la saleté et la souillure ne vous quittaient plus. Vous pouviez vous laver à grandes eaux brûlantes, user un pain de savon jusqu’au dernière millimètre, il y avait toujours un relent de crasse qui vous suivait, qui vous collait à la peau.
   Il avait fini par s’y faire -avec le temps, on se faisait à tout-, mais cela ne l’empêchait pas de se laver dès qu’il le pouvait. Son corps était son outil de travail, comme disait sa mère, il se devait de l’entretenir du mieux qu’il le pouvait.
   Devant lui, les ruelles obscures du Bas-Bourg, les quartiers pauvres et désordonnés ayant poussé à l’ombre des remparts du Bourg d‘Hyrule, s’allongeaient dans les ombres, derrière le fin rideau de pluie. Les pavés défoncés faisaient des flaques dans lesquelles l’eau s’accumulait jusqu’à déborder, changeant la terre battue en boue humide. La pluie ruisselait sur les façades de crépis et de torchis sale qui s’élevaient de façon anarchique de part et d’autre de la rue. De rares lanternes murales révélaient les silhouettes chancelantes d’ivrognes errants, et des petites frappes qui composaient les bandes armées faisant la loi dans le quartier.
   Le poing fermement serré autour de sa précieuse pièce d’argent, il pénétra dans une auberge miteuse battant enseigne à « La Putain de la Reine ». Quelques regards avinés glissèrent sur lui, qui se détournèrent bien vite lorsqu’ils réalisèrent sa véritable nature. Il y avait les clients habituels, ainsi que quelques autres, notamment deux jeunes hommes, assis à un table dans le fond de la salle, trop bien habillés pour appartenir à la racaille ordinaire qui tapissait le Bas-Bourg.
   Le premier, le plus petit, avait des cheveux d’une couleur d’un bleu étrange, et semblait incapable de s’arrêter de parler, ce qui n’avait pas l’air de gêner son grand et basané compagnon qui écoutait sans jamais rien dire.
   Forley, le gérant, était campé derrière son comptoir, insultant vertement l’unique client assis sur les grands tabourets.
   -Dans tes rêves, Linebeck. Je te l’ai déjà dit, la maison fait pas crédit. T’allonges la monnaie pour chaque verre que tu siffles, sinon tu dégages de ma taverne.
   Le fameux Linebeck, un grand bige aux yeux caves cernés et à la fine moustache brune, grogna quelque chose d’inintelligible, mais finit par plier, et se dirigea vers la sortie d’une démarche peu assurée. Vaati grimpa sur le tabouret laissé vacant, sans un regard en arrière.
   -Ma mère est là?, demanda-t-il d’une petite voix, sachant d’avance la réponse.
   -A l’étage. Avec quelqu’un, répondit Forley pour confirmer ses doutes.
   Le garçon se détourna, morose. Malgré lui, son attention se reporta sur les deux hommes du fond.
   -Qui est-ce?
   Le proprio leur jeta un regard, renifla et cracha sur le comptoir.
   -Des chevaliers. Mikau Zora et Alister Dodongo, rien que ça.
   -Qu’est-ce qu’ils foutent ici?
   -J’ai une gueule à ce que des chevaliers me racontent leur vie? Non? Très bien. Tant qu’ils paient, ils peuvent bien foutre ce qu’ils veulent dans ma taverne. Je vais te dire même, s’ils me prennent une chambre, je leur permettrai de passer sur ta mère à l’œil.
   Vaati ne rétorqua rien : il savait qu’elle n’y verrait certainement aucune objection. Les yeux rivés sur une marque dans le bois du comptoir, il ne vit pas les regards nerveux que lui lançaient Forley, tout en récurant la même choppe pour la deuxième fois.
   -En parlant de ta mère, elle m’a demandé de te nourrir. Elle a déjà payé. Je t’ai préparé ça à l’arrière, tu seras peinard. Aller, vas-y.
   Vaati releva le regard sur le visage en lame de couteau de Forley. Sa moustache crasseuse frémissait bizarrement, et un peu de sueur perlait à ses tempes. Il essaya de lui sourire, mais la grimace immonde qui en résulta n’eut que pour effet de dévoiler un peu ses chicots pourris.
   Le garçon fut sur le point de dire quelque chose, mais le grondement de son ventre lui intima le silence. Sans rien ajouter, il quitta son siège et passa derrière le comptoir, jusqu’à la salle attenante. Il faisait assez sombre, aussi dut-il tâtonner jusqu’à la table collée contre le mur du fond. Ses doigts rencontrèrent le bois vermoulu, et il sonda le plateau à petits gestes prudents. Sans rien trouver.
   Il sursauta vivement lorsque le bruit d’une serrure qu’on referme retentit derrière lui. Il se retourna pour faire face à Forley, qui tenait une chandelle à la main. Le halo orangé révéla des sacs de nourriture, certains éventrés, des étagères où s’entassaient des bouteilles d’alcool et de substances plus obscures. Une lueur étrange brillait dans les yeux du tenancier.
   -Qu’est-ce… Qu’est-ce que tu fais?, demanda Vaati, qu’une peur soudaine prenait au ventre.
   -Ca me rend malade de t’imaginer avec ce gros porc de Rauru, susurra Forley en avançant d’un pas.
   Un sourire malsain tordait ses traits, et il passait régulièrement et nerveusement la langue sur ses lèvres. Vaati recula d’un pas, mais il était déjà dos au mur.
   -Alors ce soir, c’est mon tour, continuait Forley en palpant son entrejambe dure avec un geste obscène.
   -Non, souffla Vaati avec horreur en le voyant approcher.
   La scène avait quelque chose d’inexorable. Il n’était pas de taille à tenir tête au tenancier, et la porte était fermée à clé. Il pouvait hurler, mais il savait que personne ne viendrait l’aider. Une larme solitaire roula le long de sa joue.
   -Ne t’inquiète pas. Ta mère me tuerait si je ne payais pas le service, ricana Forley en finissant de délacer ses chausses.
   Il le prit à même le sol, entre deux sacs de patate, sourd à ses cris de douleur et ses sanglots. Une douleur abominable remontait de ses reins à chaque coup de boutoir de Forley, qui remplissait l’espace de ses grognements de plaisir gutturaux. Il le tenait en maintenant une main sur sa taille menue, lui caressant les cheveux de l’autre. Vaati sentait sa langue puante qui explorait ses épaules et le creux de son cou, par intermittence. Forley lâchait par moment de petits rires nerveux, qui ne faisaient rien pour diminuer l’horreur de l’épreuve.
   Durant tout le temps que Forley passa en lui, Vaati garda le poing fermement serré autour de la pièce d’argent, celle avec le profile du roi Salomon gravé sur le verso. Sa pièce. Sans qu’il sache pourquoi, et alors que des larmes de douleur ruisselaient sur ses joues, sentir le métal précieux au creux de paume le réconfortait. Un peu.
   -Qu’est-ce que tu tiens là, comme ça, hmm?, grogna Forley au bout d’un moment.
   Le cœur de Vaati loupa un battement lorsqu’il sentit la main calleuse du tenancier sur la sienne, essayant de desserrer ses doigts.
   -Non!, cria-t-il, paniqué.
   Il chercha à se débattre, à se retourner, mais Forley l’empoigna par les cheveux et lui claqua le visage contre le sol, l’estourbissant.
   -Silence!
   L’esprit embrumé, Vaati regarda impuissant le bel éclat de l’argent disparaître entre les doigts épais de Forley.
   -Et bien ça alors! C’est qu’on vole, maintenant? Ta mère sera tellement chagrinée d’apprendre ça. Ce sera notre petit secret, d’accord? En attendant, je vais garder ça. Un gamin comme toi n’a pas besoin d’autant de fric.
   Détaché, Vaati ne sentait presque plus la douleur qui irradiait dans son bassin, et ne réagit même pas lorsque Forley se cabra une ultime fois en éructant, répandant son orgasme en lui. Il fut vaguement conscient que l’homme se relevait en ricanant, tout en remettant de l’ordre dans ses vêtements.
   Cependant, lorsqu’il lui lança quelques piécettes de cuivre comme on jette un os à un chien, une colère sourde monta en lui, lui comprimant la poitrine douloureusement.
   Sur la table à côté, la chandelle s’éteignit, et le long cri d’agonie de Forley résonna à ses oreilles avec la puissance du tonnerre.


   -Vaati? C’est un joli nom.
   Deux éclairs successifs illuminèrent le ciel nocturne, éclairant les plaies et les contusions sur ses bras grêles. Il porta son attention sur l’homme à la barbe en pointe, assis de l’autre côté de la pièce ; mais dans les ténèbres, il ne distinguait que le léger rougeoiement malsain de son œil unique.
   -Je m’appelle Tarquin, reprit l’homme d’une voix sereine.
   En dehors de ses paroles, il ne produisait aucun bruit, ni respiration, ni frottements de vêtement. S’il n’y avait eu pas ce violent orage au-dehors, qui révélait la silhouette enturbannée par intermittence, Vaati n’aurait pas été certain de sa présence dans la pièce.
   Il ne savait pas ce qu’on attendait de lui, ou ce qu’il était supposé dire, aussi garda-t-il le silence. L’orage grondait épisodiquement, accompagnant le bruit de la pluie sur le carreau.
   -Tu sais pourquoi tu es ici, Vaati?
   La question, posée avec cette voix toujours aussi calme, froide, tordit de peur les entrailles du garçon. Il hésita. Il n’était pas certain de ce qui était le mieux à faire.
   -Je… Je le jure, je ne l’ai pas volée, c’est sa Sainteté qui me l’a donnée!
   Il entendit devant lui l’homme qui changeait de position. Un bruit très léger d’étoffe.
   -De quoi parles-tu donc?
   Un doute le saisit à la gorge. Venait-il de commettre une erreur?
   -Je… la pièce. Ce n’est pas…?
   -Et bien, on ne m’a pas parlé d’une pièce, non. En revanche on m’a parlé du… travail, pour lequel sa Sainteté l’Intemporel te paie.
   Vaati retint un soupir de soulagement. Des larmes remontèrent malgré tout à ses yeux gonflés. Des larmes d’épuisement. Un éclair particulièrement violent éclaira le sourire étrange qui tordait les lèvres de l’homme au turban.
   -Tu es ici, Vaati, parce que ta mère t’a vendu. Tu appartiens désormais au Sheikah.
   -Le… Sheikah?
   -Nous sommes l’œil dans les ténèbres qui observe et qui voit tout. L’Œil qui guette les périls qui menacent chaque jour la Couronne et la famille royale. Certains nous traitent d’espions, d’autres d’assassins. Nous sommes un peu des deux, et pourtant tellement plus.
   Un petit silence ponctua l’explication.
   -Nous savons au moins que tu es l’une de ces choses là, reprit le dénommé Tarquin avec comme de l’amusement dans la voix.
   Vaati écarquilla les yeux sur les ténèbres pour tenter d’apercevoir Tarquin, mais tout ce qu’il pouvait voir, c’était la rougeoyance de cet œil. Ce maudit œil.
   -Qu’attendez-vous de moi?
   -Ta mère m’a assuré que tu possédais des pouvoirs magiques. La première chose que j’attends d’un Sheikah, c’est de la loyauté. La seconde que j’attends de toi, c’est des informations. Nous allons t’introduire dans le Consortium Aedeptus, le collégium de magie, en tant qu’apprenti. Tu t’élèveras au rang de Maître, et tu me feras part de toute information concernant les plans du Consortium qui pourraient menacer l’intégrité de la Couronne, et du Royaume.
   Lui, un magicien? Alors que l’idée se formait à peine dans son esprit, il revit devant ses yeux les flammes et les corps calcinés, coincés sous les poutres effondrées de la taverne.       
   -Et si je refuse?
   -Ce n’est pas comme si tu avais le choix, mon garçon. Tu es le principal suspect dans l’affaire de pyromanie qui a ravagé un quartier du Bas-Bourg, et mis en danger la vie de deux chevaliers de la Couronne. Un crime passible de la peine capitale.
   Vaati déglutit. Puis lorsqu’un nouvel éclair zébra les nuées nocturnes, il se mit à réfléchir. Il se demanda si ce n’était pas là la chance de sa vie d’échapper à son existence de misère, d’échapper aux étreintes brutales de Rauru, et de ses autres… clients. Il allait ajouter quelques choses lorsque des bras jaillis des ténèbres le saisir aux aisselles et le relevèrent brutalement. Il poussa un cri, et essaya de se débattre, mais il était bien trop faible et fatigué pour opposer une résistance digne de ce nom.
   -Si jamais l’envie te prenait de t’enfuir pour tenter ta chance ailleurs, mon garçon, tu apprendras bien vite que chez les Sheikah il n’y pas de traîtres. Seulement des hommes loyaux, et des hommes morts.
   Un hurlement franchit ses lèvres lorsqu’une douleur infernale irradia sur son flanc droit. Une odeur pestilentielle de viande grillée, accompagnée d’un grésillement abominable emplit la pièce tandis qu’on lui appliquait un fer rouge à même la peau. Lorsque les mains le relâchèrent, il s’effondra dans son siège, hors d’haleine, les traits tordus par la douleur.
   -Combien?, croassa-t-il.
   -Plaît-il?
   -Combien… est-ce que… ma mère… m’a vendu.
   Un dernier éclair illumina la salle dans son ensemble, découpant les silhouettes des crochets de boucher pendues au plafond, et des instruments de torture proprement disposés sur des tables. L’espace d’un terrible instant, la vision de Vaati se changea en noir et blanc. Lorsque les ténèbres revinrent, l’image du sourire démoniaque de Tarquin était collée sur sa rétine.
   -Une pièce d’argent.


   Le long orage qui avait inondé Hyrule pendant quelques jours avait laissé place à un temps radieux, un ciel azuré et pur, vide de toute nuage. Vaati le contemplait sans vraiment le voir, l’esprit trop accaparé par ses soucis. Il sentait la marque du Sheikah qui palpitait douloureusement dans son dos, sous sa belle tunique mauve. On l’avait lavé, peigné, parfumé, et il se sentait propre.
   Propre pour la première fois depuis deux ans. Depuis le début de sa triste carrière.     Un serviteur en livrée vint interrompre ses pensées. Les maîtres l’attendaient. Il quitta le cloître dans lequel on lui avait demandé de patienter, un joli cloître à la pelouse bien verte, agrémentée de statues en marbre blanc d’une grande finesse. Il suivit le page à travers de grands couloirs au sol lustré, croisant des jeunes gens en pleine conversation, ainsi que des professeurs et des chercheurs, se baladant avec des tomes volumineux sous le bras.
   Le serviteur le quitta devant une lourde porte à double battant. Après avoir inspiré profondément et s’être vidé l’esprit, il entra.
   La salle était immense, mais vide. Les murs étaient peints d’un blanc éclatant, sans impureté. Le seul mobilier de la salle se composait d’une longue table en bois massif, qui faisait face directement à la porte. Derrière étaient installées six personnes, formant un assemblage assez hétéroclite.
   -Approche, mon garçon. N’aie pas peur.
   Celui qui avait parlé aurait pu être le frère de Rauru. Il partageait le même crâne chauve, la même bedaine rebondie, mais au dessus de la barbe désordonnée se trouvaient des traits avenants et chaleureux, et des yeux pétillants de gentillesse.   
   -Je suis le maître Kaepora, se présenta l’homme.    
   -Je suis la maîtresse Laruto, enchaîna une femme à la beauté mystérieuse et aux lèvres peintes en bleu.
   -On m’appelle Fado, continua un petit homme blond aux yeux fermés, qui souriait paisiblement.
   -Aghanim, lâcha laconiquement un véritable géant, dont les traits étaient en partie masqués par un voile et un turban.
   -Voici le maître Sahasrahla, fit Kaepora en désignant un très vieil homme à la peau ridée comme une pomme de terre. Et je te présente l’Archi-maître, Exelo.
   Les mains jointes sous son menton, l’homme sans âge, à la courte barbiche blanche et aux cheveux de même couleur délicatement coiffés en arrière, l’observait sans mot dire de ses yeux perturbants, d’un bleu intense. Un sourire étrange flottait sur ses lèvres.
   -Bien, commençons, voulez-vous?, demanda Kaepora en se tournant vers ses collègues.
   -Avec joie, plussoya maîtresse Laruto avec douceur.
   Mais Vaati était incapable de détourner son attention du visage d’Exelo, et du regard que ce dernier lui jetait. Il connaissait ce regard.
   C’était le regard que Rauru lui jetait, avant qu’ils ne rejoignent le lit.
   C’était le regard que Forley avait eu.
   « Tu apprendras bien vite que chez les Sheikah il n’y pas de traîtres. Seulement des hommes loyaux, et des hommes morts. »
   Vaati espéra qu’un nouvel orage arriverait vite. L’eau de pluie lui fera du bien. L’eau de pluie lui faisait toujours du bien. Elle l’aidait à se sentir plus propre. A purger la souillure.
   Dans la poche de sa tunique, ses doigts suivirent le contour du profile du roi Salomon, gravé sur la pièce d’argent, un peu noircie par les flammes.
   Sa pièce d‘argent.
« Modifié: samedi 18 août 2012, 16:05:56 par Great Magician Samyël »

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« Réponse #197 le: samedi 11 juin 2011, 21:16:41 »
Bon, j'ai dit qu'une fois que j'aurais lu le chapitre XX, je viendrai poster mon avis sur cette deuxième partie. Et vu que j'ai lu le chapitre XX, ben je viens, logique.

Déjà, je tiens à dire que j'ai beaucoup aimé, j'aime l'intrigue, j'aime comment tu es capable de rudoyer tes personnages, j'aime la consistance que tu leur a donnés, j'aime ton style d'écriture qui se lit avec facilité et d'une traite (noooon j'ai pas dévoré la fic en une aprem, même pas vrai...... :niak: )

Sinon, pour entrer plus dans les détails, et en plus de ce que je t'ai dit à côté, s'il y a un perso que j'aime beaucoup, mais qui m'intrigue aussi beaucoup, c'est Fado. Moins central et visible que beaucoup d'autres, mais... j'accroche à fond !

J'ai aussi souri à la fin du chapitre XVIII. Même si d'un point de vue de l'histoire, des persos, ça colle, le petit côté fantasme des deux belles guerrières qui se battent pour finalement passer un nuit d'amour, ça a quelque chose de... je sais pas trop quel terme donner, je veux pas être péjorative, parce que je ne le vois pas de façon péjorative, mais voilà, quoi, j'avoue que j'ai eu un petit sourire désabusé^^

Mmmhhh c'est ça le souci de tout lire d'un coup... on se rappelle plus de détails à donner en particulier^^

Enfin, bon, pour conclure, j'aime beaucoup ta fin, même si elle laisse beaucoup de choses en suspens ! Pas que ce ne soit pas une bonne chose, bien au contraire, mais..... rhaaaa j'arrête pas de suivre des trucs qui me laissent sur ma faim comme ça ces derniers temps, et je suis en mode attente de suite avec impatience un peu trop souvent pour mes petits nerfs fragiles.  :roll:

En tout cas, vivement le deuxième tome, tu as gagné une lectrice !


"Je ne connaîtrai pas la peur car la peur tue l'esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. J'affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi."

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« Réponse #198 le: samedi 11 juin 2011, 21:53:48 »
J'aime bien ta fic ! Bonne continuation  ;)

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« Réponse #199 le: vendredi 24 juin 2011, 03:07:29 »
Doutchy ==> Encore une fois, je suis content que Triangle t'ait autant plu. ^^  J'espère que le tome deux se montrera à la hauteur des tes espérances. :niak:


Et sur ce, comme vous vous en doutez, voici le début du deuxième volet de la trilogie du Triangle...

________________________
[align=center]
The Legend of Zelda :


Triangle de Haine
[/align]





[align=center]Prologue
-Keeta-[/align]



   Le capitaine Keeta se tenait stoïquement au bas des quelques marches de marbre qui s’élevaient vers le trône, vaste siège d’os, de roche noire et d’acier ensanglanté. Son regard ne cillait jamais. Il avait appris à voir sans voir. De même, il lui avait fallu apprendre -et vite- à occulter de son esprit les choses désagréables de l’existence ; faire une sorte de tri entre les souvenirs qu’il fallait garder et les souvenirs qu’il fallait oublier. Ce rude apprentissage avait porté ses fruits : jamais un capitaine n’était resté aussi longtemps à son poste : une décennie. Une longue, longue décennie.
   Dehors, le soleil venait mourir sur la roche dure et rougeâtre des hauts murs d’enceinte encastrés dans le flanc des montagnes. La chaleur était infernale, surtout lorsqu’on portait une lourde armure de cérémonie. Et pourtant, l’on était au seuil de l’hiver. Les ombres s’allongeant éclaboussaient le sol richement dallé de poches d’encre sanglante, qui découpaient curieusement les silhouettes des dignitaires et des généraux présents, face aux immenses fenêtres sans vitres qui s’ouvraient de chaque côté de la gallérie.
   Rien ne bougeait, et tout était silencieux. Tout hormis les grognements sourds du tortionnaire et les pitoyables gémissements de sa victime, pendant qu’il la pénétrait sauvagement par derrière, à même le sol, tirant sur ses cheveux comme on tire sur la crinière d’un cheval, exposant la nudité de la femme sans retenu, la sueur cuisante maculant sa peau, irritant les entailles à vif laissées par le fouet et les lames de couteau. Quand Keeta l’avait appréhendée, elle était jolie. Non, elle était vraiment belle. Une hylienne blonde aux formes avenantes, grande, bien dessinée, avec de beaux yeux gris pleins d’intelligence… et un tatouage fort peu approprié dans le creux des reins. Maintenant, elle inspirait la pitié, avec son visage tuméfié, ses plaies, son épaule déboîtée, son moignon au bras gauche grossièrement recousu, et la crasse qui la recouvrait comme une gangue.
   Mais Keeta ne la voyait pas. Il avait appris à voir sans voir. C’était une qualité appréciable, surtout dans sa fonction. Ses prédécesseurs manquaient de méthode. Ils étaient trop terre à terre. Une fois, Keeta avait croisé l’ancien capitaine Feris, un mois à peine après que lui-même eut pris ses fonctions. Et bien cette rencontre avec Feris faisait partie des souvenir qu’il fallait oublier. D’ailleurs, qui était le capitaine Feris?
   Le tortionnaire finit par vider ses bourses sur le dos de la prisonnière éplorée. Elle s’affala de tout son long sur le sol lorsqu‘il la lacha, sanglotant, brisée. Keeta l’avait prévenue pourtant lorsqu’il l’avait arrêtée. « Epargnez vous des souffrances veines et inutiles. Il est dans votre intérêt de tout avouer maintenant. Au moins vous pourrez bénéficier d’une mort propre et brève. » Elle ne l’avait pas écouté alors. Ni même la semaine suivante, lorsqu’il lui avait scié la main gauche avec un couteau émoussé. Cela avait été long, pénible et affreusement bruyant.
   A la réflexion, cela faisait aussi partie des souvenirs qu’il fallait mieux oublier.
   Tout comme la fois où il avait attaché son bras droit tendu à un poteau, puis frappé son épaule avec un maillet jusqu’à ce que le cartilage implose. Oui, cela aussi, il valait mieux l’oublier. Ca, et les cris. Toujours les cris. Les cris étaient le plus pénible. Le sang, encore, se lavait plutôt bien sur des tabliers en cuir. Mais les cris, ils résonnaient longtemps et fort, dans sa tête, même la nuit. Le capitaine Keeta était un homme simple ; il aspirait à manger deux fois par jour et à dormir sereinement la nuit. Mais les cris…
   Enfin, il valait mieux l’oublier.
   -Capitaine. Je crois que notre invitée désire s’exprimer.
   Keeta frissonna lorsque le timbre de la voix vint lui vriller le cerveau, écorcher son âme. C’était une voix d’outremonde, un pur concentré de noirceur et d’impérialisme insidieux. Certains murmuraient que le Roi-Sorcier Ikana n’était pas humain. Que c’était une sorte de démon sorti des mondes d’en dessous pour asservir le genre humain. A ceux-là le capitaine avait ordre de leur arracher la langue et de la clouer sur le mur du Mensonge. Keeta avait demandé à ce qu’on agrandisse le mur, car la place commençait à manquer.
   Keeta tourna sur lui-même et s’incliner face au trône. Ses yeux accrochèrent rapidement les longue jambes puissantes d’une silhouette à moitié cachée dans l’ombre. Voir sans voir.
   -A vos ordres, Votre Majesté.
   Sous le regard de la cour toute entière, le capitaine s’approcha de l’hylienne. Ses bottes ferrées produisaient un fort claquement chaque fois que ses talons frappaient le sol, brisant le silence absolu qui régnait dans la galerie. Keeta s’accroupit à côté de la femme, et lui tira les cheveux pour lui faire relever la tête.
   -Le Roi-Sorcier Ikana t’a honorée des bienfaits de l’éducation, récita le capitaine d’une voix monocorde (Voir sans voir. Oublier, après.). As-tu appris qu’il est idiot de refuser la clémence qu’autrui daigne t’accorder?
   -Pitié…
   La voix était à peine un souffle. Les cordes vocales avaient lâché à force de crier.
   -As-tu appris?, répéta Keeta après lui avoir fracassé le crâne contre le sol.
   -Oui… Pitié… Plus de douleur… Pitié…
   Un murmure parcourut la cour lorsque le Roi-Sorcier se leva de son trône et descendit lentement les marches. Le capitaine recula docilement pour laisser la place à son souverain, le regard fixé devant lui. Les robes écarlates brodées de noir du monarque faisaient penser à du sang encore frais, en cela qu’elles miroitaient bizarrement à la lumière mourante du crépuscule montant. Ses longs doigts osseux se terminaient par des ongles noirs semblables à des griffes, et ses cheveux argentés étaient comme une cape d’acier. Ses yeux jaunes et luisants n’avaient rien de… Non. Voir sans voir.
   Ikana tendit la main, et le corps de la prisonnière fut parcourut d’un soubresaut. D’un mouvement du doigt, il la releva à demi et la força à le regarder dans les yeux.
   -Comment t’appelles-tu?
   Personne ne pouvait résister aux ordres muets d’Ikana. Sa voix vous perçait comme des serres, arrachant votre courage, suçant votre âme, se gorgeant de votre peur animale.
   -Impa…
   -Dis moi, Impa. Qui t’a envoyée pour me tuer?
   Keeta fut surpris qu’elle ait encore assez de force pour résister une petite poignée de secondes.
   -Tarquin. Tarquin du Sheikah.
   -Tarquin du Sheikah.
   Ikana sembla goûter la sonorité du nom. Keeta avait déjà entendu parlé de ce Tarquin. Un homme de l’ombre à la tête du réseau d’espions d’Hyrule.
   -Général Onox!
   L’immense ombre qui se tenait coite derrière une colonnade puis le début de la scène s’avéra être un homme. Plus précisément une montagne qu’on aurait réussi par quelque miracle à comprimer dans une armure terrifiante.
   -Votre Majesté?
   La voix métallique, dure, n’évoquait rien d’humain. Keeta préféra continuer à fixer la fenêtre en face de lui. Voir sans voir.
   -Ayez l’obligeance de transmettre à votre suzerain mes sincères amitiés. Et faites lui savoir qu’il a mon soutient inconditionnel dans son entreprise. Hyrule brûlera avant la fonte des neiges.
   -Votre Majesté nous honore, répondit la créature de fer en s’inclinant grossièrement.
   -Capitaine Keeta!
   -Votre Majesté?
   -Reconduisez cette catin dans sa cellule. Et assurez-vous qu’elle souffre longtemps avant de mourir. Assurez-vous en personnellement.
   Voir sans voir. Et surtout, oublier. Les cris, principalement.
   Les cris, c’était le plus pénible.

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La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
« Réponse #200 le: lundi 27 juin 2011, 14:18:35 »
Allez, j'ai promis, je me lance !

Déjà, dès que j'ai vu que tu avais posté, je me suis jetée dessus et encore une fois j'ai dévoré le chapitre. Enfin, le prologue.

Et sincèrement, je trouve ça fichtrement bien écrit. C'est terriblement violent. Et pourtant ce n'est pas écrit si crument que ça, mais on sent l'horreur à travers le détachement obligatoire du capitaine, qui tente de s'éloigner de l'horreur en en parlant de façon "banale". Ce qui, bien entendu, renforce le sentiment d'horreur chez le lecteur.

Et comme je me doute que c'est cela même que tu as voulu faire passer, je te dis un grand bravo ! Pour ce qui est de mettre mal à l'aise, c'est totalement gagné, sans pour autant tomber dans le (trop) gore.

Sinon, tout de même, un truc qui m'a échappé quand tu dis
Citer
-Comment t’appelles-tu?
Personne ne pouvait résister aux ordres muets d’Ikana.

je suppose que l'ordre muet était celui de se relever et de le regarder dans les yeux, mais de la façon dont c'est écrit, on a plutôt l'impression que c'est la question qui serait muette, alors qu'il la pose à haute voix. Du moins c'est comme ça que je l'ai compris, peut-être que je me trompe^^

En tout cas, Hyrule est vraiment mal barrée pour la suite, je dis ! Et j'ai hâte d'en savoir plus.


"Je ne connaîtrai pas la peur car la peur tue l'esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. J'affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi."

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« Réponse #201 le: samedi 02 juillet 2011, 18:54:26 »
Doutchy ==> C'est effectivement ce que je voulais faire ressentir, je suis content que ça marche. ^^ Pour l'histoire des ordres muets, j'avoue que ce n'est pas clair. En fait pour moi la question n'était que ça : une question. Mais derrière la personne ressent une injonction non prononcée qui la force à répondre. En tout cas merci de passer me voir, ça me fait grand plaisir!  :<3:

Sur ce, voici le premier chapitre de Triangle de Haine. Bonne lecture!  ;)



_________________________


[align=center]I
-Feena-[/align]


   -ASSEZ!
   La voix tonitruante, vibrante de colère et de frustration de Salomon d’Hyrule parvint à ramener un calme relatif dans la grande salle du trône.
   -Au noms des Trois! Link s’est enfui avec ma fille et la Lame Purificatrice, Locke Sanks est mort et pour ce que j’en sais, une horde de barbare campera bientôt sous les remparts de ma ville. Et vous trouvez encore le moyen de vous chamailler pour des broutilles? Je suis entouré d’incompétents! Tarquin!, aboya le roi. Tarquin, par les Très-Hautes, où es-tu?
   -Il a été enfermé au donjon sur votre ordre, précisa ser Mikau Zora d’un ton posé.
   -Mon ordre? Quelle est donc cette fourberie? Amenez-le moi de suite! J’ai dit DE SUITE! Aghanim? Aghanim, crénom?
   -Nous n’avons pas vu le Premier Conseiller depuis deux jours, glissa ser Mikau.
   Le roi Salomon cligna des yeux, comme hébété, et soudain son ire reflua, et il s’affaissa comme une masse sur son trône, le front dans la paume de sa main. Il n’avait jamais autant fait ses quatre-vingt ans passés qu’en ce jour. Le jeune prince Nohansen, sur un siège à côté de lui, tremblait comme une feuille et ses yeux étaient rougis par les larmes qui n’avaient cessé de couler depuis qu’il avait assisté au meurtre sauvage de son héros, ser Lock Sanks, dit le Chien.
   Feena Hurlebataille se tenait coite, adossée à l’une des colonnades qui soutenaient les balcons. Les bras croisés, elle ne pipait mot, se contentant d’observer. Elle était en proie à une foule de sentiments contradictoires. Elle avait juré allégeance à un homme, Link, lorsque celui-ci l’avait mise à genoux grâce à la force de son fidèle Chien. Maintenant, ce même Chien -qu’elle avait fini par aimer, elle en était certaine à présent- gisait mort quelque part, assassiné par son maître, lui-même en fuite. Feena ne savait pas ce qu’elle était censée faire. L’honneur de son serment l’obligeait à suivre son suzerain légitime, mais elle n’éprouvait pour lui que haine et mépris. Elle voulait venger Sanks. Sa fidèle paire de haches n’avait pas quitté ses flancs depuis le fameux incident.
   Toute la haute noblesse d’Hyrule était réunie dans la salle du trône, et se chamaillait comme des chiffonniers à propos de ce qu’il fallait faire. Certains arguaient qu’il fallait de suite sonner le ban et marcher sur Link avant qu’il ne parvînt à rassembler ses armées de barbares, d’autres préconisaient de laisser couler, car un conflit ouvert avec le Faux-Héros ne provoquerait rien d’autre qu’une guerre civile, aux vues du nombre encore important de ses partisans dans la population…
   -A quoi pensez-vous, très chère?
   Lord Dumor Mojo la tira de ses réflexions. Le seigneur de Boisperdu était accompagné, comme à l’accoutumée de son conseiller et sorcier personnel, Fado le Faiseur de Vent. Ces deux là formaient une paire originale. Tous deux de la taille d’un enfant -ce qui avait valu à lord Dumor le surnom de Lutin-, ils étaient pourtant aussi dissociables que le jour et la nuit. Lord Dumor avait toujours un air renfrogné et lassé de tout, un esprit brillant piégé dans l’identité de fat grossier qu’il s’était forgé ; quant à Fado, il ne se départait jamais d’un sourire léger, et sa cécité l’obligeait à garder les yeux clos.
   -Beaucoup de choses, répondit Feena. Je ne sais pas si j’ai encore ma place ici.
   -Tss. Allons, cela me parait pourtant évident. Vous aviez un choix, suivre Link, ou rester. Vous avez fait le bon, ce qui vous place du bon côté : le nôtre.
   -Je ne sais pas si je dois m’en réjouir, plaisanta maladroitement la guerrière.
   -Je ne sais pas non plus, je vous l’avoue.
   -Que va-t-il se passer?
   -Aujourd’hui? Rien. Regardez les. Des roquets teigneux qui ne veulent écouter rien d’autre que leurs propres jappements. Ce ne sont que des idiots.
   -Et vous, qu’est-ce que vous conseilleriez?
   -Rien, ce n’est pas mon rôle. J’administre mon domaine, et je laisse les affaires d’Etat aux plus compétents.
   -Ne soyez pas si humble. Vous êtes probablement le plus à même de prendre les bonnes décisions. Vous êtes intelligent, et vous passez votre vie à faire de la politique.
   -Détrompez vous, très chère. Il y a certaines personnes bien mieux placées que moi…
   Feena suivit le regard de Lord Dumor jusqu’à tomber sur ser Mikau Zora. Ser Mikau était quelqu’un d’assez curieux. Il était plutôt beau, avec sa silhouette svelte et musclée, ses longs cheveux bleus et ses yeux un peu trop azurés. Habile à l’épée, il se révélait être d’excellente compagnie, sachant toujours avoir le bon mot. Cependant, ses traits jeunes étaient démentis par son air grave et son regard toujours fixe qui évoquait les yeux d’une personne bien plus âgée et bien plus expérimentée. Feena s’était attendue à le voir prendre la parole mais il n’avait rien dit de tout le débat, à part quelques informations glissées ici et là d’une voix calme.
   -Ser Mikau?
   -Ho oui, « ser » Mikau. Ou peut-être devrais-je dire « maître » Mikau, le loyal défenseur de la Couronne, le compétent chef du Sheikah.
   -Pardon?
   -Ne vous faites pas avoir par son air de bon garçon et ses belles manières. C’est lui qui gouverne Hyrule pour l’instant, en l’absence de ce cher, cher Tarquin.
   -Comment savez-vous tout cela?
   -Et bien voyez-vous…
   -Le vent me l’a dit, intervint Fado avec son sourire.
   -… Voilà.
   -Le vent…?
   -Oui, ça déroute toujours la première fois, mais je vous assure qu’on finit pas s’y faire, ricana Dumor.
   -Si vous le dites. Allez-vous rester?
   -Ho, Grandes Déesses, non. Je n’ai jamais aimé le tapage. Et Lord Drof est tout chamboulé d’avoir perdu trois de ses précieux doigts, je ne sais pas s’il a encore les facultés pour jouer aux échecs. -Entre nous ce n’est pas une grande perte pour ce noble sport.- Je vais rentrer chez moi. Boisperdu a été privé de son maître depuis bien trop longtemps. Vous pourriez m’accompagner, je suis sûr que vous vous plairiez à l’ombre de notre belle verdure.
   Feena n’eut pas le loisir de répondre. Ser Goro, le cadet de la fratrie Dodongo, se détacha de la masse des nobles et se dirigea vers le trône.
   -Votre Majesté!, interpella-t-il l’intéressé.
   -Quoi donc?, répondit Salomon d’une voix lasse en regardant le jeune homme s’approcher.
   Le chevalier grimpa les quelques degrés de pierre et se pencha vers le souverain, comme pour lui murmurer un secret.
   -Je dois vous faire part d’une nouvelle importante…
   Tout alla trop vite. Ser Goro agrippa violemment le col du monarque, et planta avec hargne une dague dans la poitrine du vieillard. Son forfait accompli, le jeune homme se recula de quelques pas et tira son épée.
   -Longue vie au roi Link!, cria-t-il en brandissant sa lame.
   Il y un bref moment de flottement, comme si le temps suspendait son cours, frappé de stupeur, durant lequel seuls les gargouillis d’agonie de Salomon d’Hyrule brisaient le silence. Puis, à l’image d’une tempête éclatant sous les chaleurs de l’été, des cris de guerre, de rage et d’effroi fusèrent sous la voûte de la salle. Des « Vive le roi Link! » répondaient à des « Pour Hyrule! ». Une symphonie de métal se joua lorsque les épées furent vivement tirées des fourreaux pour s’entrechoquer avec véhémence dans une mêlée confuse et surréaliste. Les plus stupéfaits moururent les premiers, hommes comme femmes.
   -Les forbans!, éructa Lord Dumor en se réfugiant derrière la colonnade. Ils avaient tout prévu!
   En effet, les gardes royaux furent victimes de la même crise de loyauté. Les hommes d’arme fidèles au souverain légitime succombèrent sous les coups de lance des traîtres, et les survivants entamèrent une lutte fratricide.
   Prise malgré elle dans le combat, Feena repoussa la rapière d’un jeune hobereau au visage tordu par la rage et la peur. La deuxième hache de la guerrière lui trancha le bras sous le coude et elle l’acheva en le décapitant d’un coup net et précis. Sans même lui accorder plus d’attention, elle jeta un coup d’œil vers le trône. Un noble s’approchait en titubant de la dépouille royale… ou plutôt du jeune prince, totalement terrifié, qui regardait son assassin venir vers lui avec des yeux exorbités. Le sang de son père maculait son visage juvénile. Feena arma son bras pour propulser l’une de ses armes, mais un adversaire se présenta et elle dut réfréner son geste.
   Lorsque l’importun mordit la poussière, le visage à moitié arraché, le meurtrier d’enfant gisait au pied des marches, une dague plantée dans l’œil droit. Tarquin Qu’un-Œil emmenait le prince Nohansen à l’abris des combats, sans même un regard en arrière. Soudain, un crépitement assourdissant vrilla l’atmosphère, et une explosion de feu liquide retentit dans la mêlée, embrasant à part égale loyalistes et traîtres. Un concert de cris d’agonie et un écœurant fumet de chair carbonisée emplirent la salle du trône, interrompant, pour un temps seulement, la mêlée.
   Un hurlement de rire aussi bref que fou perça la fumée et le tapage ambiant. Un rire que Feena crut reconnaître, mais qu’elle était certaine de n’avoir jamais entendu.
   -Sapristi!, jura Lord Dumor depuis son abris. Sur le balcon! C’est  ce traître d’Aghanim.
   Feena leva la tête et aperçut le Premier Conseiller accompagné par un vieillard dont la peau extrêmement fripée n’était pas sans évoquer une pomme de terre. Apparus comme par magie -c’était probablement cas-, ils récitaient des formules obscures en fermant les yeux. Des rafales d’énergie jaillirent de leurs doigts tendus pour faucher des vies au hasard, en contrebas.
   -Nous sommes piégés!, fulmina la guerrière.
   -Ma dame!, l’appela Fado. Il y en a deux autres au dessus de nous. Je vais vous y envoyer. Il faut à tout prix les arrêter, où bien il ne restera plus rien de la classe dirigeante d’Hyrule!
   Feena eut à peine le temps d’hocher la tête qu’une bourrasque de vent d’une violence inouïe se forma sous elle et la propulsa vers le haut. Elle s’agrippa à la rambarde du balcon et passa par-dessus. L’homme qui lui faisait face était un géant coiffé d’un masque de démon en fer. Elle eut la nette impression de l’avoir déjà vu, mais un sentiment tout aussi fort lui soufflait que ce n’était pourtant pas le cas. Peu habituée à réfléchir longuement face à l’appel du danger, elle se jeta sur lui et le plaqua au sol. Le sorcier poussa un cri de surprise et de terreur en l’apercevant qui levait sa hache pour le tuer. La tête de l’arme ne rencontra qu’une brume intangible, car le sorcier avait disparu.
   -Très impressionnant, commenta une voix diaboliquement calme. Il en faut beaucoup pour faire peur au Facétieux.
   Feena se releva et fit face à un homme entre deux âges, habillé d’une riche robe dorée au col ridiculement grand. Sa carrure n’avait rien d’impressionnant, mais ses yeux d’or brillant avaient quelque chose de purement maléfique et l’aura de puissance qui se dégageait de lui était presque palpable. Un petit sourire narquois ne quittait pas ses lèvres.
   -C’est un plaisir de vous rencontrer enfin, Feena Hurlebataille. J’ai beaucoup entendu parler de vous.
   -Cela m’est égal, rétorqua la guerrière en avançant d’un pas. Je n’ai que faire des radotages d’un vieillard mort.
   -Ha! Je vois. Aussi impétueuse que le vent de la plaine. L’on verra si vous serez toujours aussi bravache lorsque je vous chevaucherai comme la jument idiote que vous êtes.
   Une force incommensurable frappa Feena de plein fouet, lui arrachant un cri de douleur. Elle sentit une présence terriblement froide et terrifiante s’insinuer en elle, la souiller. Le monde devint noir tout autour d’elle, et elle s’effondra. Lorsqu’elle revint à elle, elle était étendue sur le ventre, entièrement nue. Quelqu’un était en train de la saillir. Elle sentait une verge gonfler dans le creux de ses reins à chaque coup de boutoir douloureux. Une peur comme elle n’en avait encore jamais éprouvée lui fouaillait les entrailles. Elle se contorsionna pour apercevoir son agresseur, et elle hurla lorsqu’elle contempla le Mal dans toute son ignominie : Un porc anthropomorphe qui la montait comme un animal en poussant des cris rauques.
   Des larmes ruisselaient sur le visage de Feena pendant qu’elle essayait de se débattre, en vain. Soudain, elle sentit une présence non loin d’elle. Quelque chose se tapissait dans les ombres tout autour. Une entité qui se nourrissait de son désespoir, y puisant de la force et du pouvoir. Feena perçut un mouvement infime mais pourtant colossal. Elle pensait discerner les contours de la chose, à la périphérie de son champ de vision, mais ses yeux fous renvoyaient des images que son esprit humain et brisé ne parvenait pas à comprendre ni à traduire. C’était un être venu de par delà les étoiles et le cosmos, avant même la naissance du monde. Un titan assoupi qui s’agitait dans son sommeil troublé.
   C’était une montagne en marche. Une montagne à face de porc.
   Feena hurla en se prenant la tête entre les mains. Le vieillard aux yeux dorés s’esclaffa.
   -Tu es comme les autres, chienne. Aussi fragile et faible qu’un nourrisson. J’arracherai ta vie et ta dignité lentement, morceau par morceau, et j’en offrirai chaque parcelle au Maître en hommage à sa Grandeur! Rien ne pourra entraver son retour! Rien, tu m’entends? La Prophétie de ce fou de Madura s’est écroulée avec la mort du premier des Trois Qui Furent Choisis. Le Façonneur des Quatre Qui ne Sont qu’Un est tombé avec le Gardien du Savoir, et l’Ombre qui Voit et qui Pleure ne peut plus que chialer sur son sort. Tu m’entends? Hyrule brûlera! Madura avait raison sur un seul point. Cette terre croulera sous des mers de sang et de cadavre. Et le Maître s’en repaîtra, oui, et moi, je serai à ses côtés, moi, Exelo!
   Feena n’écoutait pas les délires psychotiques du sorcier. Sa raison vacillait au bord d’un précipice sans fond. L’attaque mentale qu’elle avait subie l’avait rendue faible et tremblante, sanglotant. Elle se tenait sur le sol en position fœtale, le visage enfui contre son sein. Elle n’avait plus conscience du monde autour d’elle.
   Exelo, l’Archi-Maître du Consortium Aedeptus, tendit la main vers elle. Un souffle de flammes noires jaillit de ses doigts et embrasa la guerrière qui se mit à hurler de plus belle. Ses cheveux et ses sourcils disparurent en premier, puis sa peau commença à fondre sur les os, lentement, horriblement. Le sorcier jubilait, hurlant de rire. Un rire qui se mua en crachotement tenu lorsqu’une lame d’épée lui perça le thorax.
   -J’espère que ton Maître t’avait préparé à ça, Exelo, persiffla ser Mikau d’une voix dure en le repoussant.
   Le sorcier tituba sur quelques pas, une main sur sa poitrine d’où s’échappait un sang noir et épais, et se retint à la balustrade. Il se tourna vers le Zora, le visage déformé par la haine et la douleur.
   -Tu paieras pour ça, chevalier, éructa l’Archi-Maître en crachant du sang.
   -On ne s’attaque pas impunément à mes amis, vermine. Préviens ton Maître que Mikau Zora vient le chercher.
   Le jeune homme frappa un grand coup rageur, mais ne rencontra que le vide après la téléportation du mage. Il s’y désintéressa aussitôt pour jeter sa cape sur Feena et éteindre les flammes.
   -Déesses miséricordieuses, ayez pitié d’elle, murmurait-il en tapotant la cape.
   D’une main tremblante, il souleva un pan du vêtement, et le relâcha aussitôt en jurant. Au moins, elle respirait encore…
   Las, ser Mikau se redressa, épuisé, et contempla le charnier en contrebas.
   Une bouillie de cadavres brûlés répandait une fumée âcre et épaisse. Les survivants erraient, hagards, à la recherche des blessés. Fado et dame Laruto dispensaient déjà des soins à ceux qui pouvaient encore en recevoir. Lord Dumor ruminait, assis sur la première marche du trône, où le cadavre du roi était toujours avachi, cloué par la dague qui dépassait de sa poitrine. Lord Darunia tenait Lady Ruto, sanglotant, dans ses bras et hurlaient des injures, un poing rageur brandi. Ser Allister était agenouillé devant la dépouille de son plus jeune frère, qu’il avait tué de ses propres mains. Son épée étaient plantée bien droite dans le ventre de ser Sédrik.
   La catastrophe était totale. Et c’était en grande partie de sa faute, à lui, ser Mikau. C’était sa mission, de protéger la Couronne et le Royaume. Il y était lié par les deux serments qu’il avait jurés. Et pourtant, il avait failli lamentablement. Il avait été incapable de prévoir cette traîtrise, incapable de déjouer les plans du Consortium.
   Hyrule allait payer très cher son incompétence. A présent, le Royaume reposait sur les épaules frêle d’un petit garçon terrorisé. Et il allait devoir gérer une guerre.
   -Le Roi est mort!, hurla Mikau. Longue vie au Roi Nohansen!

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« Réponse #202 le: samedi 02 juillet 2011, 19:48:04 »
Aaaah j'aime quand les histoires commencent comme ça, dans la joie, la bonne humeur et la légèreté ^^ Tout de suite, ça remonte le moral ;)

Bon, blague à part, c'est vraiment très bien écrit, j'ai beaucoup aimé. J'ai un peu de peine pour tous ces braves persos qui souffrent un à un, et j'espère que l'influence du trône de fer ne sera pas complète à ce niveau. Mais je dois avoir trop bon fond, en fait !
Sinon, ce qui me dérange, enfin, pas qui me dérange, parce que je sens bien le pourquoi du comment, mais... je sais pas comment dire (et après c'est ptet aussi une preuve que tu rends bien le malaise), je suis gênée par ta forte utilisation des scènes de viol. Après, en effet, ce genre de scène, c'est vraiment fort pour montrer la dépravation, pour donner un fort traumatisme au perso, ce genre de chose... (d'ailleurs, pense ptet à mettre un petit panneau d'avertissement pour ta fic, parce que entre ça et le prologue, je sais pas si c'est top pour les plus jeunes^^) J'ai ptet une âme trop sensible à ce niveau aussi, peut-être...

En tout cas, je réitère mon propos de mon précédent commentaire : Hyrule est vraiment mal barrée pour la suite^^

Enfin, bon globalement j'aime beaucoup, hein, vraiment, et j'ai hâte de lire la suite ;)


"Je ne connaîtrai pas la peur car la peur tue l'esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. J'affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi."

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La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
« Réponse #203 le: dimanche 03 juillet 2011, 14:19:25 »
Doutchy ==> Comme nous en avons déjà un peu parlé, je suis d'accord pour les scènes de viol, je vais sérieusement me réfréner à ce niveau. :niak: En tout cas, content que le Triangle continue de te plaire, et encore merci pour ton commentaire. :niak:


Sur ce, voici déjà la suite de Triangle de Haine. Bonne lecture!



__________________


[align=center]II
-Roy-[/align]


   Roy avait toujours été un garçon simple et aimable. Il faisait la fierté de sa mère, et celle de son père, même si ce dernier, comme tous les pères, le montrait moins. Il avait été élevé dans les valeurs de la famille, du travail et de l’honnêteté. La vie n’était pas facile, la ferme était vaste, et il fallait un labeur constant pour la maintenir en activité, et récolter assez d’argent pour manger et entretenir le domaine. Roy ne rechignait jamais dans les tâches qu’on lui attribuait. Il était travailleur et courageux ; il n’avait pas peur des puissants et nerveux étalons de sailli, ni de Sam, le gros chien de garde à la mine belliqueuse. Roy faisait tout ce qu’on lui disait de faire, sans se plaindre ni demander de contrepartie.
   Roy était un bon garçon. Il ne parlait pas beaucoup, parce qu’il trouvait qu’il n’avait pas grand-chose d’intéressant à dire, mais il avait l’esprit vif. Suffisamment vif pour avoir pu apprendre à lire, bien que cette compétence ne lui fusse de peu d’intérêt dans son travail agricole. Ce même travail lui tailla une solide constitution au fur et à mesure que les années passaient. Lorsqu’il eut vingt ans, son père jugea qu’il était prêt à tâter un peu du fer.
   Le père de Roy avait été soldat durant de longues années, avant de prendre sa retraite, d’épouser sa femme et d’acheter le domaine. Il gardait deux épées affûtées et huilées dans la penderie, et ce fut avec elles qu’il initia son fils à l’escrime. Ce dernier se révéla étrangement doué, malgré des débuts douloureusement difficiles. Il n’avait aucune difficulté à assimiler les mouvements de jambe, les gardes, les postures, les entrechats ou les bottes. Assez vite, il parvenait à vaincre son père en duel. Fier comme un coq, ce dernier proposa à Roy de quitter la ferme pour suivre ses traces et devenir soldat à son tour. C’était une carrière honorable, et bien payée. Le travail ne manquait pas, avec tous les maraudeurs des clans qui trainaient sur la Plaine. Mais Roy refusa.
   -Non, Père. Je n’aime pas me battre. Je préfère travailler la terre et traire les vaches.
   Le sujet fut clos.
   Il était clair dans l’esprit de Roy qu’il prendrait la direction de la ferme à la mort de ses parents, et qu’il épouserait Lucie, la fille d’un fermier voisin. Il voyait sa vie comme un chemin tout tracé, sans embûches, calme et paisible, fait de joies simples et d’un bonheur tout aussi simple mais quotidien. Cette idée lui plaisait, mais il n’en parlait pas beaucoup, car cela n’avait pas vraiment d’importance, et que cela aurait fait de la peine à ses parents, qui avaient pour lui plus d’ambition que lui-même n’en avait pour lui. Il ne comprenait pas ce qu’un homme pouvait désirer de plus qu’un toit, deux repas journaliers, une femme aimante et un travail honnête.
   Les saisons se succédaient dans un train train réconfortant. Les hivers étaient rudes mais le bon travail de Roy les abritait de la faim ou du froid, car ils pouvaient se permettre d’acheter du bois de chauffe. Au printemps, après les récoltes, Roy entreprenait un long périple jusqu’à Cocorico, loin au nord, pour vendre les vêtements en laine confectionnés par sa mère, ainsi que leurs légumes, leur fromage et la bière que brassait son père. Il ne s’attardait jamais guère longtemps, et une fois son argent en poche, il retournait à la ferme, pour reprendre le travail, planter les légumes d’automne, faire courir les chevaux, ou labourer les champs.
   Lorsque son père tomba malade, il prit sur lui et redoubla d’effort pour gagner assez d’argent pour payer les services d’un guérisseur. Malgré tout, le mal qui rongeait son géniteur ne fit que croître, le clouant au lit. Sa mère le veillait de longues heures chaque jour, pleurant doucement dans la pénombre de la chambre.
   Roy aurait voulu la réconforter, mais il ne savait pas quoi lui dire d’intéressant, alors Roy se tut et s’absorba dans le labeur.
   Des rumeurs commencèrent à arriver, à propos d’une bande de guerriers s’élevant contre les clans des plaines, menée par un mystérieux bretteur qu’on disait aussi fort et beau qu’un loup. Roy n’y prêta pas attention, car cela ne l’intéressait pas. La ferme était située assez profondément dans la plaine, là où les clans ne s’aventuraient pas souvent. La ferme n’avait pas connu d’incident depuis presque six ans. Roy s’estimait chanceux, et pensait pouvoir gérer une rencontre avec les maraudeurs.
   Un jour cependant, alors qu’il travaillait assez loin de l’habitat, dans les champs de maïs, il entendit un cri de femme dans le lointain. Pris d’un mauvais pressentiment, il laissa son labeur en suspend et courut vers le domaine. Par chance il avait prit l’une des épées de son père avec lui, car il comptait s’en servir pour tailler une statuette pour sa mère. De sombres nuages de fumée noire s’élevaient en spirale menaçante dans le ciel qui commençait à se teinter d’orange sous la caresse des derniers rayons du soleil. Le feu dévorait le toit de chaume de la grange, et malgré la distance Roy pouvait entendre les cris des animaux piégés.
   Il accéléra ses foulées, la peur au ventre, anxieux de ce qu’il allait trouver. Un cavalier jaillit de nulle part et poussa sa monture au galop vers lui. Il venait du domaine, et il portait une armure de cuir et maniait un lourd gourdin ferré qu’il agitait au dessus de sa tête en éructant des mots incompréhensibles. Roy ne saisit qu’un peu tard les intentions belliqueuses du cavalier et il reçut un vilain coup sur l’épaule. Il entendit un craquement et la douleur fusa dans son bras. Il roula sur le sol, et il sut instinctivement comment il devait réagir.
   Il tira douloureusement l’épée,  et attendit que le cavalier revienne à la charge. Alors, il bondit sur le côté au dernier moment, et frappa de haut en bas. Il rencontra une résistance molle et écœurante, et la lame fut soudain maculée de sang. Le barbare continua sa course sur quelques mètres avant de choir au sol, les entrailles à l’air.
   Roy resta un long moment interdit, peinant à admettre qu’il venait de prendre une vie, et que cela lui avait été aussi facile. Il se sentit sali et se détesta pour son acte. Mais il n’avait pas de temps à perdre à s’apitoyer sur son sort. Lorsqu’il arriva aux abords du domaine, il était trop tard. Tout brûlait. Une bande de maraudeurs entourait son père et le frappait à tour de rôle avec leurs bottes. Mais il n’y avait déjà plus aucune vie dans le corps du vieil homme. Son visage n’était plus qu’une bouillie infâme. Le cadavre de sa mère gisait non loin. Elle avait été transpercée par des lames en plusieurs endroits, et rejetée sur le côté. Elle avait certainement essayé de faire un rempart de son corps pour son mari.
   Une grande lassitude envahit Roy à la vue de ce spectacle. Il baissa son épée et resta debout sans bouger, contemplant la scène sans vraiment la voir. Un cavalier s’approcha lentement de lui.
   -Comment tu t’appelles?
   La voix était claire et chantante, le timbre, impérieux. Roy releva la tête et fut frappé par la beauté du cavalier. Un séraphin se tenait devant lui, bien droit sur sa selle, glorieux dans son armure incrustée de jade et frappée au loup noir. Les longs cheveux blonds flottaient doucement au vent, lui conférant un air éthéré. Les traits parfaits étaient flanqués par deux longues oreilles pointues harmonieuses.
   Le cavalier frappa Roy au visage avec sa botte.
   -Répond, vermine.
   -Ro… Roy, je m’appelle Roy, messire.
   -Je suis Link. Mais toi, tu m’appelleras Maître. Car à présent tu es mon Chien, et tu n’auras jamais d’autre maître que moi. Et j’attends de toi de la reconnaissance pour ma miséricorde.
   -Merci, messire…
   Sans trop savoir pourquoi, Roy fut reconnaissant. Il acceptait le don de la vie qui lui était fait. Il comprit que son existence n’avait aucune valeur, qu’il n’était rien comparé à cet homme, à son maître. Il vivrait pour le servir.
   -Roy est un nom bien trop joli pour un chien. Dorénavant tu t’appelleras Locke, car tu n’es qu’une loque, un rebu qui me doit tout. Tu peux garder le nom de Sanks, ainsi les gens sauront quel genre de bâtard tu es, à l’image de ton salaud de père. Remercie moi.
   -Merci, messire. Messire est trop bon.
   -Bien, c’est  ce que j’aime entendre. Maintenant, va enterrer ces déchets qui te servaient de parents, et rattrape nous. Nous allons à l’Ouest. Je vais écraser cette vermine rampante qui infeste notre glorieuse plaine. Et lorsque je baiserai la Princesse et que j’assiérai mon cul sur le trône, je t’autoriserai à te coucher à mes pieds. Car c’est là la place des chiens, n’est-ce pas?
   -Oui messire. Merci messire.
   Le rire de Link retentissait encore dans les oreilles de Roy lorsqu’il sortit de son long sommeil. Il avait presque oublié cet épisode de sa vie. A vrai dire, il avait presque oublié qui il était, avant de devenir le Chien du Héros.
   Roy Sanks resta un moment sans bouger, contemplatif. Il se rendit compte qu’il était serein. Serein pour la première fois depuis ce fameux jour. Il se laissa imprégner par ce sentiment presque étranger, le goûta, l’apprécia. Lentement, il ouvrit l’œil, et laissa la lumière ambiante le baigner. Il fixait un plafond modeste et sans ornement, qui lui rappela, d’une certaine manière, le plafond de sa chambre, là-bas à la ferme.
   Il se sentait bien.
   Tournant la tête, il aperçut un second lit, près du sien. Quelqu’un l’occupait, emmitouflé dans des couvertures. Roy se releva péniblement. Les souvenirs du tournoi lui revenaient, et avec eux, la douleur de son abdomen. Soulevant sa tunique, il fut surpris de constater que la plaie était déjà presque cicatrisée. S’accommodant de la douleur, il fit pivoter ses jambes hors du lit, et s’approcha de la silhouette recouverte. Lentement il tira sur la couverture, découvrant le visage horriblement défiguré de Feena Hurlebataille. Ses cheveux et ses sourcils avaient disparu, accentuant la laideur résultant de sa peau à moitié fondue. La pauvre femme était inconsciente, et sa respiration n’était rien d’autre qu’un sifflement rauque.
   Roy la contempla un long moment avec son œil valide. Une émotion qui lui était totalement inconnue montait en lui. Il caressa tendrement les traits de la guerrière avec sa main intacte. Il fut perturbé par l’intrusion brutale d’un homme dans la pièce. Ce dernier ressemblait à un mendiant, avec sa crinière de cheveux sales, sa barbe en bataille, ses vêtements rapiécés. Il tenait un long couteau dans la main, et ses yeux fiévreux indiquaient assez qu’il était complètement saoul.
   -Vous étiez pas censé être là vous, siffla-t-il après s’être passé une main sur le visage. T’es Locke Sanks, pas vrai? Le Chien? Tout le monde dit que vous êtes mort.
   Roy ne répondit pas. Il n’avait pas grand-chose d’intéressant à dire. Il baissa le regard vers Feena ; un regard triste.
   -Cette pauvre femme n’a-t-elle pas déjà assez souffert comme ça?
   -C’pas mon problème. On me paye pour la tuer, c’tout. Maintenant, écartez toi, j’aime pas frapper des infirmes.
   -Mais suriner des femmes inconscientes et affaiblies ne vous dérange nullement. Vous avez un curieux sens de l’honneur.
   L’homme jeta un regard nerveux derrière lui, comme s’il craignait qu’on le surprenne d’un instant à l’autre -Ce qui était certainement le cas.
   -Bon, j’te préviens une dernière fois, mon gars, tu t’écartes bien gentiment ou tu vas goûter de mon surin, reprit l’assassin en agitant son arme.
   -Et bien approchez, j’ai une faim de loup.
   Le malandrin le fixa en reculant d’un pas, comme si Roy l’avait frappé avec ses paroles. Puis il sembla reprendre courage, réalisant qu’il était face à un infirme, borgne de surcroît.
   -Tu me laisses pas le choix, matois. On se reverra là haut.
   L’homme se jeta sur Roy en éructant. L’esprit extraordinairement clair, ce dernier saisit l’agresseur au cou et écarta sa lame avec son avant-bras. Son pouce s’enfonça dans la carotide, et il raffermit l’étau d’acier qu’était devenu son poing. L’ivrogne gesticula en vain, ses yeux s’exorbitant au fur et à mesure qu’il s’étouffait. Sa résistance se fit de plus en plus faible, puis il cessa de bouger. Il s’écroula au sol lorsque Roy relâcha sa prise.
   Roy resta debout sans bouger pendant un long moment. Durant toute son existence, il avait fauché des vies, mécaniquement, sans s’en soucier, sans leur accorder d’importance, tout cela au nom de la gloire d’un fou. Là, il venait de prendre une vie, mais cela avait eu un sens. Il avait protégé quelqu’un. Il contempla sa main.
   -Locke Sanks est mort.
   Ce constat le perturba.
   -Je suis Roy Sanks. Je suis… Je ne suis le chien de personne.
   Il vacilla soudain sur ses jambes, comme frappé de stupeur. Il s’assit précipitamment sur le bord de son lit. Des larmes se mirent à couler le long de ses joues, pendant qu’il se remémorait les sept années passées aux côtés de Link. Il parcourut du doigt les cicatrices qui ravageaient son visage, et il identifia alors le sentiment qu’il avait éprouvé un peu avant : la colère. Sept longues années d’humiliations, de tortures, de dénie de soi se transformaient soudain en une colère ardente, un désir impérieux de vengeance et de justice.
   -Vous êtes éveillé.
   Tarquin Qu’un-Œil pénétra dans la pièce, et enjamba le cadavre sans même lui accorder un regard.
   -Et en forme.
   -Qui lui a fait ça?, demanda Roy en indiquant le lit de Feena du menton.
   -Exelo. Le doyen du Consortium.
   -Je vois. Où est Link?
   Tarquin observa Roy un court instant, mais ne fit aucun commentaire.
   -Quelque part sur la plaine, j’imagine. Il s’est enfui de sa cellule du donjon grâce à l’aide de la Princesse, et certainement celles d’autres nobles. Goro Dodongo a assassiné le roi Salomon, et la moitié du sang bleu d’Hyrule continue de se répandre sur le marbre de la salle du trône. Le Consortium en a profité pour participer à la… « fête », si j’ose dire. Goro, Mido Mojo, Darunia Dodongo et toute une tripotée de petits seigneurs ont fui la ville pour rejoindre Link, que tout le monde appelle le Faux-Héros, depuis qu’il vous a… et bien, tué, en quelque sorte.
   -Y a-t-il une bonne nouvelle, dans tout cela?, demanda Roy en se frottant l’arrête du nez.
   -Une bonne nouvelle? Et bien… Vous êtes en vie. J’imagine que c’est plutôt réjouissant, comme perspective.
   -Hmf. Oui, j’imagine. Où sommes-nous?
   -Dans l’aile des serviteurs, au château. A vrai dire, je venais vous chercher.
   -Me chercher?
   -Cela même. Dame Laruto m’a fait savoir que vous pourriez être réveillé. Si j’avais quelques réserves à propos de cette assertion, vu l’état critique dans lequel vous étiez -j’ai bien cru vous perdre trois fois lorsque nous vous avons transporté ici après le tournoi-, je n’en ai maintenant plus aucune. Si vous voulez bien me suivre…
   -Comment va-t-elle? Je veux dire, dame Laruto…
   -Bien. Oui, bien, j’imagine. La Couronne lui doit beaucoup. Après tout, elle vous a arraché des griffes de la mort, et a sauvé pas mal de nos chers nobliaux.
   -Elle m’a sauvé?
   -Ho ça oui, je la vois encore, passant de longues heures à votre chevet, récitant sans cesser un seul instant des incantations. A vous observer, le traitement semble plutôt efficace. Bon, allons-y.
   Roy se leva, et fit mine de suivre le Sheikah.
   -J’aimerais que vous postiez un garde. Cet homme, il venait pour elle.
   Tarquin haussa le sourcil.
   -Tiens donc. Voilà qui est curieux. Je pensez que vous étiez la cible.
   Les deux hommes échangèrent un regard.
   -Oui, vraiment curieux.
   Ce qui restait de la haute noblesse Hylienne était réunie dans la salle du trône, où les traces encore visibles du combat récent ne cessaient de rappeler l’état critique dans lequel était plongé Hyrule. Lord Dumor, Lord Dorf, Lady Ruto, Lord Darunia, ser Allister et les conseillers Fado et Laruto faisaient face au trône où le trop jeune Daphnès Nohansen Hyrule Ier était assis. Il n’avait pas l’air de comprendre ce qu’on attendait de lui, et il fixaient des regards de bête traquée et blessée un peu partout, malgré la main apaisante que ser Mikau posait sur son épaule.
   -Mais regardez le!, tempêtait Lord Dumor. Il est terrorisé! Il ne sait même pas où il se trouve! Vous l’avez assis à l’endroit même où le sang de son père l’a éclaboussé, Mikau. Qu’est-ce que vous attendez, au nom des Trois?
   -Messire, je vous en prie, nous devons garder notre calme, tenta de l’apaiser ser Mikau. Cela ne servira à rien de nous emporter.
   -Il a raison, mon frère, intervint Lady Ruto de sa voix chagrinée. Tu ne peux pas demander tant à un enfant.
   -Très bien, dans ce cas, qu’est-ce que vous proposez?
   -Un régent!, explosa Lord Dorf en agitant sa main mutilée. Il nous faut élire un régent. Pour le bien du royaume.
   -Un régent, ricana Dumor. Et qui ce sera? Vous, peut-être?
   -Et bien, pourquoi pas?, rétorqua le seigneur Gérudo en plissant les yeux. Vous avez une réserve à émettre, cher Lutin?
   -Une réserve! Par les Déesses, ha ça non! Il est certain que je n’aurais aucune objection à laisser un corniaud incapable de jouer aux échec régner sur tout le Royaume!
   -Comment?!
   -Mes seigneurs! Cessez. Cela n’est vraiment pas le moment. N’y a-t-il donc pas déjà assez eu de morts et de blessés?
   Le bon sens de ser Mikau ramena les deux belligérants au calme. Lord Darunia, d’ordinaire prompt à s’exprimer, ne pipait mot. Il semblait terriblement abattu,  et se tenait en retrait des débats.
   -Même si cela me peine, déclara Dame Laruto de sa douce voix, il apparaît évident que le prince ne peut gouverner, surtout en cette période de crise. Il faut envisager d’assoir une nouvelle lignée sur le trône d’Hyrule.
   -Seul un membre de la famille royale peut prétendre à gouverner Hyrule. Tenez le vous pour dit, divinatrice.
   Tarquin Qu’un-Œil jaillit de derrière le trône, la mine mauvaise.
   -Vos paroles pourraient passer pour de la félonie.
   -Loin de moi cette idée, messire, s’inclina la magicienne. Je ne faisais que réfléchir à haute voix.
   -Dans ce cas, je vous prie de garder vos réflexions pour vous.
   -Et que préconisez-vous, ô grand et puissant Tarquin?, ironisa Dumor avec un geste fataliste.
   -Il n’y a rien à préconiser, Lutin. Noah restera sur le trône et gouvernera Hyrule. Il boutera le Consortium hors de notre belle Cité, et marchera sur le Faux-Héros, récupérera sa sœur et la Lame Purificatrice.
   Lord Dumor ne put s’empêcher d’applaudir face à cette déclaration.
   -Vraiment, un plan magnifique. Me voilà parfaitement rassuré. C’est vrai, après tout, pourquoi s’embêterait-on à chercher un général charismatique, un homme à poigne apte à gérer un royaume en temps de guerre, alors qu’un bambin chialeur peut parfaitement remplir ce rôle?
   Le maître du Sheikah esquissa un sourire mauvais.
   -Parce que cet homme, Lutin, nous l’avons déjà.
   Roy, qui était resté dans l’ombre de la Petite Galerie, derrière le trône, s’approcha lentement. Il vint se placer à côté de Tarquin, et regarda toutes les personnes présentes dans les yeux, une par une. Dans tous ces regards, il lut de la surprise, parfois de l’espoir, dans les yeux de ser Allister il vit brûler une ardeur nouvelle, dans ceux de dame Laruto quelque chose qu’il ne connaissait pas.
   -Mais… Mais, il est mort, balbutia stupidement Lord Dumor.
   -Et bien il n’était peut-être pas si mort que ça, finalement, ricana Tarquin.
   Roy descendit les marches du trône et se tourna vers le Prince. Ce dernier semblait plus que jamais perdu. Il n’avait pas l’air de savoir s’il devait se réjouir du retour de son héros, ou s’il devait être horrifié de voir un mort marcher parmi les vivants.
   Roy tira son épée, et mit un genoux en terre, la pointe de sa lame sur le sol.
   -Mon Prince! Peu avant que la reine votre mère ne nous quitte, elle m’avait demandé de devenir votre bouclier lige. J’ai refusé. Les choses ont maintenant bien changé. C’est une période sombre et difficile qui s’annonce. S’il n’est pas trop tard, j’aimerais honorer la requête formulée par la reine, et brandir votre étendard à la bataille. Moi, Roy Sanks, mets mon épée à votre entier service.
   Un silence médusé suivit cette déclaration. Tarquin affichait le sourire ravi d’un homme observant son plan se dérouler sans anicroche.
   -C’est avec une joie ineffable que sa Majesté accepte votre généreuse offre, ser Roy.
   -Dans ce cas, s’écria Lord Dorf en tirant sa propre épée, ce sera une joie de combattre pour vous, votre Majesté!
   Et, l’un après l’autre, les seigneurs d’Hyrule jurèrent allégeance au nouveau souverain. Lord Dumor, qui s’avança en dernier, ne put s’empêcher d’ajouter :
   -J’espère que vous savez ce que vous faites, Tarquin.
   -J’essaie de sauver ce qu’il reste à sauver. Vous devriez essayer de faire de même, Lutin.
   Roy avait toujours vu sa vie comme un chemin tout tracé, sans embûche, fait de joies simples et d’un bonheur tout aussi simple et quotidien. Ce chemin avait rencontré au final quelques obstacles et fait quelques détours, mais maintenant la route était de nouveau droite et dégagée.
   Son objectif était clair : raser le Consortium Aedeptus, et venger la mort de ses parents.

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« Réponse #204 le: dimanche 03 juillet 2011, 14:38:57 »
Oh que j'aime ce retour :niais: j'en suis pas totalement surprise, même si j'avais préféré ne pas y croire (une vieille habitude, je préfère les bonnes surprises que les déceptions^^).

Reste que, je me pose des questions sur les origines de Roy (enfin, tu laisses trainer des tas de petits trucs qui amènent à ça en même temps, fourbe que tu es :p ). Et cette aura charismatique de Link, elle me rappelle un autre personnage, je dois avouer. Dans Berserk^^ Mais je ne sais pas si tu l'as lu ou pas, alors pour le moment, je n'en dirai pas plus.

En tout cas, chapeau, c'est encore bien chouette.


"Je ne connaîtrai pas la peur car la peur tue l'esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. J'affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi."

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« Réponse #205 le: lundi 11 juillet 2011, 21:42:16 »
Salut là-dedans, say mwa :niak:

Alors, ça fait un sacré bail que j'suis venu ici, je crois que la dernière chose que j'ai commentée, c'était du Argoth, c'est pour dire... J'ai du retard sur absolument tout, mais ta galerie est une de celles qui m'intéressait le plus et pour cause : la profusion de tes écrits, leurs qualités propres, et leurs liens plus ou moins explicites. D'ailleurs, j'aurais une question : n'y a-t-il réellement aucun lien entre Monarque et Samyël ? J'espère sincèrement qu'il y en a, même des ténus, car je trouve que ce serait dommage de créer deux univers différents alors que tu peux en développer un de manière plus exhaustive. Surtout que le personnage de Monarque himself et celui de Samyël se ressemblent pas mal, en fait.

Bref, à cause de la participation à Monarque, je n'ai pu résister à la tentation de lire ce texte, quelques années après son commencement. C'est en le lisant que je trouve à la fois le jeu et le texte original de plus en plus profonds, leur relation est complexe, cohérente, et fourmille de détails savoureux. A dire vrai, j'avais une page ouverte pour ton texte et une page ouverte sur le jeu, histoire de voir les cartes, les noms, ce genre de choses, et il y a bon nombre de points qui ont retenu mon attention. J'attends d'ailleurs de voir les membres de Tempête du Chaos ressurgirent désormais dans le jeu Monarque v.v ... Bref, je crois que je pourrais te poser un millier de questions sur les relations entre le jeu et le texte initial, mais je crois que je ne resterais que sur une seule interrogation : est-ce que le jeu aura des influences sur tes futurs écrits ? Par exemple, relateras-tu, même de manière lointaine, nos exploits, nos bides et nos réflexions ? Je trouve en tout cas que ce procédé entre texte et jeu est réellement intéressant, c'est une manière très intéressante d'approfondir son propre univers.

Pour la suite, je parlerais plus principalement des qualités et défauts inhérents à Monarque. De ce que j'ai compris, d'abord ce n'est pas fini, et j'imagine que certaines remarques auront leurs réponses plus tardivement. Je remarque par les défauts histoire de :niak: ...

Tout d'abord, la gestion des personnages est bonne mais je regrette vraiment un truc : à mon avis, Liz est un personnage totalement occulté. On a l'impression qu'elle devient strictement inutile si ce n'est la putain de Monarque lorsqu'il est en manque. Toutefois, c'est un personnage qui tue littéralement Pâlot, un mec osef au début, et qui aurait pu tuer Monarque si Tapinois n'avait pas été présent. Bref, je trouve le perso carrément sous-exploité et c'est franchement le défaut qui m'a sauté aux yeux. Pourquoi dans la partie 3, dans la prison, elle n'apparaît pas, alors que c'est le moment où elle aurait été cruciale ? Perdu dans ses ténèbres intérieures, Monarque n'aurait eu qu'un seul contact : Liz. Ce personnage assez anecdotique jusque-là aurait pu prendre de l'épaisseur. C'est d'autant plus étrange que le personnage a de l'importance dès le premier chapitre et le chapitre qui la fait réellement naître est somptueux. Il y a quelques personnages comme ça qui ne prennent jamais trop de consistance, en général les femmes, qui sont de vrais combles (Rose entre autres). Bref, je trouve que certains de tes personnages manquent de consistance, peut-être car il y en a trop et qu'il y a des moments où il faut faire des choix, et je trouve qu'un personnage qui traverse le récit très rapidement et finit par crever deux chapitres plus loin, c'est juste un manque d'inspiration flagrant.

L'autre point qui m'a ennuyé, c'est le style. Pas forcément tout le style, car il y a de très bons points. Mais c'est un peu le contraste entre un style un peu pompeux style médiévaloclassique et d'un coup le style super vulgaire. Je sais que c'est dans l'esprit dark fantasy tout ça, mais ça m'a n peu gêné surtout que c'était un style finalement très contemporain, comme si Monarque avait vécu à notre époque. Ca jure avec les dialogues par moment, y a comme un décalage que je trouve assez gênant. En fait, c'est parfois juste les insultes qui sont mal choisies, car elles sonnent trop "de nos jours" alors qu'on se retrouve parfois avec des "Messire Monarque" d'un autre âge.

Pour rester du côté du style, oui, il y en a. Le cynisme de Monarque est réellement corrosif et m'a arraché des rires à plusieurs reprises. Le personnage est d'ailleurs très très intéressant, haut en couleur, et comme j'ai déjà dit, très proche de Samyël du souvenir que j'en ai (peut-être à cause de la couleur des cheveux). Il évolue au fil du temps, et ses choix influent sur le rendu du texte. J'explique : le passage du passé au présent par exemple, qui est un non-sens total mais assumé par le personnage lui-même. Je suis friand de ce genre de procédés ou le style devient l'histoire, je trouve que ça enrichit à la fois l'un et l'autre. En tout cas on souhaite en savoir encore plus, surtout que l'histoire est a priori loin d'être finie, on doit encore en savoir davantage, ne serait-ce que son nom et son passé qui paraît trouble (notamment l'épisode où il a tué ses potes avant de devenir roi d'Aethor si j'ai bien compris).

Les personnages secondaires ne sont généralement pas en reste, bien qu'on aimerait en savoir un peu plus. Ils sont surtout gênés par leur nombre, et lorsqu'un d'entre eux décède c'est souvent "osef". Je suis plus friand des personnages qui ont des apparitions bien soignées comme Ombre de Mort (en plus ce salaud nous en veut dans Monarch v.v ). Et j'aimerais aussi en connaître davantage sur les différents territoires et factions, on parle de Léofoyer très anecdotiquement, de quelques territoires de Soufflété, de certains personnages de l'Empire du Centre (ça me fait bizarre d'y voir ce Bras-de-Fer d'ailleurs), de la (Nouvelle-Wellmarch), de l'Empire Zan'Harien, mais il n'est quasiment jamais mention de Havrefeu si ce n'est à travers la mention à une reprise d'un Sangredragon. Est-ce que c'est faction était faible, effacée ? Le Conclave attire aussi ma curiosité.

Bref, j'suis un peu fatigué ce soir, je m'arrêterais donc là en tout cas j'espère que tu apporteras quelques réponses à mes questions. En attendant, je me ferais certainement les Triangle prochainement, ça m'a plu de revenir te lire, je note de gros progrès depuis tes débuts par ailleurs. D'ailleurs, ton histoire sur Samyël arrive bientôt à la fin ? Car je préfère lire une histoire terminée :niak: ...

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La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
« Réponse #206 le: dimanche 07 août 2011, 18:58:20 »
Je suis désolé mais suite à un bug avec le passage à la version 7.5 du fofo mes réponses à vos commentaires ont été supprimées. :(


_______________________________
Monarque
-Les Carnets du Mercenaire-


I/ Le Lancaster

1.

   Lorsque l’on passe son temps à barouder sur les routes, pour voler d’un massacre à un autre (ou d’une déculottée à une autre, au choix), l’on se rend compte qu’il existe des choses en ce bas monde régies par des lois universelles et immuables, qui s’avéreront véridiques quelque soit la région dans laquelle vous vous trouvez. C’est le cas avec les auberges et les tavernes miteuses.
   L’un dans l’autre ça a un petit côté rassurant. C’est un peu comme des repères pour le voyageur de l’extrême. Il sait que, où qu’il aille, quelque soit la campagne pourrie qu’il parcourt, loin de toute cité un peu civilisée, il trouvera une salle commune enfumée par les pipes des vieux habitués, des tables crasseuses tâchées par des trucs un peu louches, des chaises à moitié mangées par les thermites, des paillasses miteuses dévorées partiellement par la vermine à poil ou infestées par la vermine chitineuse. Ledit voyageur trouvera en sus pour se restaurer du porridge froid ou de la bouilli d’avoine si épaisse qu’il aura mal au fondement lorsqu’il voudra s’en débarrasser, et de la pisse d’âne tellement insipide qu’il préférera peut-être s’essayer à la gnôle locale (Auquel cas notre voyageur passera dans la catégorie aventurier de l’extrême.).
   La nôtre d’auberge, était exactement comme ça. Enfin, j’ai oublié de préciser que le voyageur rencontrera toujours l’hostilité débile des gens du coin, car en tant qu’étranger il paraîtra louche et porteur d’ennuis, ce qui lui vaudra des jurons masqués, des regards obliques et des tarifs préférentiels généreusement appliqués par le brave tenancier. A noter que le voyageur paiera la somme demandée sans faire d’histoire. En effet, il est souvent plus sage de se faire plumer que de se faire tabasser à mort pour un peu d’argent.
   Si tout ceci peut paraître un peu barbare pour le citadin n’ayant jamais connu les joies du baroudage, il faut dire que c’est peut-être un peu justifié. Si si, je vous vois déjà monter sur vos grands chevaux, mais c’est la vérité. Vous vous rappelez que je parlais un peu plus haut de cette catégorie particulière de voyageur, les aventuriers? Et bien ces gens, croyez-en mon expérience, sont des gens absolument affreux. Ils débarquent souvent en groupe à des heures indues, plus armés qu’une milice royale, affichent souvent des mines patibulaires, gueulent fort et ont une tendance prononcée à réduire le mobilier à sa plus simple expression après avoir déclenché une bonne vieille rixe sanglante pour punir un paysan bouseux du regard un peu torve qu’il aura balancé au copain.
   On peut donc comprendre les taverniers et les aubergistes pour leurs pratiques douteuses et peu morales quant à leurs tarifs. Après tout, pourquoi s’ennuyer à garder des tables propres et des chaises à peu près solides quand on sait qu’à tout moment des étrangers peuvent débarquer et tout détruire avant de s’enfuir (si tant est qu’ils n’y mettent pas le feu en prime)? C’est une simple question de bon sens.
   Bon, hélas pour nous, nous faisons partie de la catégorie des aventuriers.
   C’est peut-être pour ça qu’alors que nous ne faisions rien d’autre que de déguster une bonne pinte de mousseuse (si vous avez suivi, vous aurez noté l’ironie mordante) en parlant affaires, quand la minute d’après un pauvre bige était étalé par terre et se tenait le ventre d’où ses tripes sortaient pour se répandre alentour. Il faut préciser qu’il avait énervé Tapinois, et Tapinois quand on l’énerve il a une certaine facilité de caractère à jouer du surin. Un surin dentelé et affreusement affûté, faut-il préciser.
   Ca fait parfois tout un tas d’histoires, parce qu’en général les villageois n’aiment pas trop qu’on assassine l’un des leurs sous leur propre toit. C’est d’autant plus vrai quand les meurtriers sont saouls comme des barriques et qu’ils rigolent à la vue du sang qui se répand et à l’écoute des suppliques de l’agonisant.
   C’est pourquoi assez vite je me suis retrouvé avec une épée pointée sur ma gorge, tandis que je pointais la mienne sur celle d’un inconnu rougeaud, pendant que Gratos pointait sa rapière sur les bourses d’un autre bige, que lui-même était menacé par un coutelas de boucher, tenu par un type louche qui lui aussi se trouvait tenu en fâcheuse posture par les dagues que Tapinois gardait plaquées contre le creux de ses genoux.
   Bon, il serait peut-être plus simple de commencer par le commencement.



2.


   Je m’appelle Monarque, et ceci est  ce qu’on pourrait appeler mon journal de bord, journal de route, carnet intime ou appelez ça comme vous le voulez.
   Monarque, c’est pas mon vrai nom. C’est un pseudonyme, parce que mon vrai nom, on me l’a volé. C’est un peu compliqué, alors j’y reviendrai plus tard. Et puis j’aime pas trop déballer ma vie comme ça devant des inconnus. Je préfère attendre qu’on se connaisse un peu plus, vous et moi. J’ai fait pas mal de chose dans ma vie, et présentement, du haut de mes trente ans presque révolus, je suis mercenaire dans une compagnie franche. Et pas n’importe laquelle, s’il vous plaît! La 6e Compagnie de l’Epée, rien que ça.
   Mais je préfère vous prévenir, j’ai pas choisi.
   Pour expliquer rapidement les choses, détenir le vrai nom d’une personne vous donne tout pouvoir sur elle. Donc si vous avez suivi, ça veut dire que je suis aux ordres du type qui m’a volé mon nom. Il s’appelle Jess Falkorn, surnommé « capitaine » (avec un petit « c », rapport à son engin), alors qu‘en fait il est lieutenant. Pour vous dresser le tableau le plus flatteur que je puisse en faire, je dirai que c’est un jeune con péteux et arrogant qui me doit tout. Et je suis gentil.
   C’est donc grâce à lui si depuis cinq ans je passe ma vie à courir le monde dans un sens puis dans l’autre, que je risque ma vie dans des missions suicide ou autre connerie du genre. Officiellement je suis le Porte-Etendard, ce qui me donne le grade de sergent au sein de la compagnie. Officieusement, je suis le leader de Tempête du Chaos, un petit groupuscule commando secret composé de la fine fleur du mercenariat (Les violeurs, les voleurs, les tueurs, les bouchers, les fous et les cul-de-jatte qui ont préféré tenter leur chance dans le mercenariat plutôt que de finir sans tête ou la corde au cou). Nous formons un groupe sacrifiable, car sans valeur stratégique, mais nos talents divers et pour le moins éclectiques restent utiles pour des missions douteuses, à faible taux de réussite et que personne d’autre ne veut faire.
   A vrai dire, j’ai pas plus envie qu’un autre de les faire moi non plus, mais je suis obligé. Donc c’est moi et ma fine équipe qui nous coltinons les raids suicide dans la nuit, les embuscades à un contre dix, les assassinats, les missions de reconnaissance en terrain difficile, les opérations en sous-main dans les campagnes locales… Et détrompez-vous, ça nous épargne pas les batailles rangées avec le reste de la piétaille. En fait, on est même souvent en première ligne, puisque c’est moi qui suis chargé de me trimballer le fichu étendard, un machin de deux mètres cinquante, qui pèse au moins vingt kilo et qui fait de moi une cible privilégiée et foutrement tentante.
   Je suis bien d’accord avec vous, c’est une vie de con, mais bon, comme dirait mon paternel, on choisit pas son destin, on le subit. Mine de rien, on s’y habitue. Au début c’était dur, j’ai failli perdre un bras une fois, et un type a failli m’arracher les yeux à mains nues si Tapinois l’avait pas suriné avant. Mais à force, à côtoyer la mort chaque jour, on s’endurcit, et aussi fou que ça puisse paraître, on en vient presque à rechercher le frisson que confère l’aventure et l’adrénaline hurlante qui gicle dans vos veines au cœur d’une mêlée ou pendant que vous vous infiltrez dans un château pour aller supprimer le seigneur ennemi.
   C’est par pour autant que j’apprécie ma condition, remarquez. Les compagnies franches sont une plaie purulente pour le monde, des rassemblements de raclures sans honneur qui vendent leurs âmes et leurs lames aux plus offrants. Tuer des enfants, violer des femmes, brûler vif des pauvres biges armés de fourches qui faisaient rien d’autre que défendre leurs terres, c’est du bonus pour eux. Les mercenaires c’est des gens simples dans le fond, donc ils apprécient ce genre de plaisirs tout aussi simples.
   A la réflexion, si je les déteste autant, c’est peut-être parce qu’à force de les côtoyer je deviens comme eux.
   Au début, j’étais encore pétri de principes, de valeurs, d’honneur un peu aussi. Maintenant, je ne rechigne même plus à user de la torture ou à tuer le premier péquenot qui viendrait me chercher des noises. Et c’est malheureux, ouais.
   Une des rares qualités que je peux trouver au capitaine, c’est que sa compagnie fait partie des moins pires. Il attend de ses hommes de la discipline et de la respectabilité (du moins le plus qu’ils peuvent en fournir), alors les populations civiles dont on rase les villages et brûle les champs sont relativement épargnées. Mais ne vous faites pas avoir, Falkorn se fout comme d’une guigne de ce qui peut bien arriver à ces culs-terreux, tout ce qui lui importe c’est son image. C’est que le bonhomme à de l’ambition, et qu’il ne compte pas rester toute sa vie à la tête d’un groupe de mercenaires.
   Il a bien l’intention de se faire sa place au soleil dans la noblesse de Féraldia, et il en a encore tout le temps, du haut de ses vingt-deux printemps. Il en a le moyen, en plus, puisqu’il possède une arme dévastatrice : moi.
   Ca peut paraître prétentieux mais, hé, je suis pas n’importe qui. Comme je l’ai dit, j’ai pas toujours été un mercenaire. Je suis avant tout un mage, et pas un illusionniste de foire ou un herboriste pseudo-mystique. Non, moi je joue plutôt dans la catégorie mage de guerre, spécialisation destruction massive et option annihilation biologique. Héhé. Bref, tout ça pour dire que Falkorn a un sacré avantage avec moi, un as dans sa manche, bien caché et protégé. S’il m’envoie faire ses basses besognes, c’est parce qu’il sait que j’ai une forte propension à la survie et les moyens pour me l’assurer. Et puis ça l’arrange que je sois souvent ailleurs que dans ses pattes, parce qu’il doit sentir ma haine pour lui irradier par vagues. Et puis les gens pourraient commencer à poser des questions, faire des rapprochements, et ça ce serait pas bon. Pour lui, comme pour moi.
   Le capitaine m’utilisera jusqu’à ce qu’il soit parvenu à ses fins, et même à ce moment là je suis certain qu’il me gardera comme valet de pied. C’est pas pour rien si deux mois après m’avoir volé mon nom il était catapulté lieutenant de l’une des plus prestigieuses compagnies franches. (Prestigieuse en termes de massacres, violence et efficacité militaire, j’entends.) L’Aiglon Ascendant, comme on l’appelle maintenant. Tu parles! La seule chose pour laquelle il est bon c’est séduire des putes avec son minois et manier ses deux rapières avec une certaine habileté. (Bon d’accord, une certaine et véritable habileté.)
   Tout ça nous ramène donc à l’instant présent. Pourquoi est-ce que j’écris tout ce baratin? Et bien j’en sais rien moi-même. Peut-être qu’à force de trouver des journaux de mecs morts depuis des lustres dans les tombeaux et caveaux qu’on pille, ça m’a donné l’idée. Je suis pas vraiment le genre sentimental qui a besoin de raconter tous ses malheurs au premier type qui passe. Peut-être que la vraie raison, c’est que j’ai peur.
   Depuis que mon nom m’a été volé, j’ai l’impression que mes souvenirs disparaissent petit à petit. Et j’ai l’impression que ma magie fout le camp aussi. C’est comme si… Comme si je disparaissais. Comme si ce que je suis devenu prenait le pas sur ce que je suis réellement et ce que j’ai été. Et c’est diablement terrifiant. Alors peut-être que si j’écris tout ça, ça va m’aider à me souvenir. Ca me rendra pas mon nom, mais ça j’ai plus ou moins arrêté d’y songer depuis quelques temps. A force, on se résigne.
   Au pire, avec de la chance un historien tombera dessus et l’Histoire se souviendra de moi.
   Voici donc les Carnets de Monarque.



3.

   
     Vous vous rappelez qu’au tout début de ces Carnets je vous parlais de ces choses immuables et universelles, du genre qui change pas où qu’on soit? Et bien c’est pas tout à fait vrai. Le Lancaster a cette particularité qu’il remet en cause toute vos certitudes.
   Comment expliquer ce qu’est le Lancaster? C’est un vaste sujet. Imaginez une plaine, une très, très grande plaine, qui fait passer les Contrées de l’Eté pour un bac à sable. Vous y êtes? Maintenant vous remplacez les bosquets verts touffus par des arbres rabougris et à moitié mort, la belle herbe mouchetée de fleurs sauvages par un tapis de brindilles jaunâtres, grises ou noires, complètement sec, et enfin les ruisseaux gazouillant joyeusement par des filets de liquide saumâtre et louche. Ha, et pour la faune, vous changez les aigles, les faucons, les éperviers par des vautours nains, des vautours albinos et des vautours à tête piquetée, les cervidés et les lapins par des pumas sauvages de deux mètres d’envergure et des vers fouisseurs de quarante centimètres qui vous bouffent les jambes par en dessous.
   Voilà grosso modo le Lancaster. On l’appelle pas Provinces Sauvages du Lancaster pour rien, après tout. Et sachez que cette triste lande est habitée. Ouaip. Habitée. Si vous avez le courage ou la démence (au choix) de voyager dans le Lancaster, vous croiserez des villages, des hameaux, faits de torchis et de chaume, parfois de bois si on est pas trop loin de Féraldia, parfois une ville ou une cité dont l’absurdité architecturale ne vous laissera pas de marbre, et enfin vous trouverez des forteresses et des châteaux à moitié en ruines qui vous glaceront les sangs rien qu’à les regarder. Le Lancaster, c’est un peu une joie de tous les instants.
   Parce que figurez vous en plus que si c’était pas déjà assez, la région est constamment sujette à des guerres civiles ou des règlements de compte claniques. Ici les seigneurs de guerre et les chefs tribaux font la loi (leur loi), bataillant sans cesse pour des lopins de terre que même un Kalishite rechignerait à payer un demi sou ou pour réparer une insulte imaginaire. Et au milieu, la population civile fait de son mieux pour vivre en essayant de pas crever de faim, ce qui ce fait chaque jour un peu plus dur.
   Le Lancaster n’a pas toujours été comme ça. Il y a quelques siècles, c’était une contrée prospère qui apprenait ses leçons au tout Féraldia, niveau militaire. Même les Sangredragon, à l’apogée de leur puissance, n’ont pas osé franchir la frontière pour porter leur guerre de conquête là-bas. Mais les vieilles rancœurs ont la vie dure, et les seigneurs du Lancaster finirent pas se déclarer une guerre ouverte tellement confuse qu’à la fin personne ne savait plus qui était ses alliés et qui étaient ses ennemis, si bien que ça se mettait sur la tronche à vue, et que ça discutait après, quand le vis-à-vis gisait raide mort dans son sang. Les champs ont tellement été incendiés que d’immenses parcelles de bonnes terres agricoles sont devenues totalement infertiles, et les cours d’eau ont tellement été empoisonnés délibérément que c’est de la folie de boire de l’eau qui n’a pas été traitée avant.
   Comme si ça ne suffisait pas, les plus riches de ces seigneurs guerriers ont eu la bonne idée de se payer des mages. Et ça c’est jamais une bonne idée. Je parle en connaissance de cause. Imaginez : un terrain de jeu immense, des centaines de mille d’âme à génocider, et en plus on vous paye pour ça! La pire engeance de la magie a rappliqué ventre à terre, des sorciers noirs, des alchimistes peu scrupuleux, des nécromants, des mages répudiés du Conclave ou en cavale… Et tout ce beau monde a tellement bien fait son boulot qu’à la fin, quand la poussière s’est tassée sur le sol, que les feux se sont éteints, que la pluie est redevenue de l’eau et non plus du sang, et bien du Lancaster il ne restait plus grand-chose, hormis des landes gastes et ruinées, des cratères, des populations complètes errant, hagardes, dans les décombres de ce qui avaient été des cités prospères et fières.
   Loin de calmer le jeu, cette accalmie a allumé un feu encore plus grave, et les armées de métier, décimées, ont été remplacées par des hordes de paysans en colère qui se sont éviscérés au nom de seigneurs morts depuis longtemps. Les sorciers, eux, ont assassinés leurs employeurs crédules et se sont barricadés dans les forteresses, les tours et les manoirs, pour expérimenter leurs saloperies en paix. Au final, les seigneurs de guerre ont émergé, ont calmé tout le monde à grands coups d’épée dans la tronche, et depuis la situation est calme, à défaut d’autre chose. Même s’il ne reste plus grand-chose à manger, même si la sécheresse devient chaque année plus importante, même si on ne peut presque plus rien y faire pousser, et même si le déchainement de magie qui a irradié le Lancaster pendant plusieurs années a fait apparaître des phénomènes bizarres, voire carrément terrifiants. (Un conseil : ne vous baladez pas seul la nuit en plein campagne.)
   Et voilà, je vous ai fait un cours d’Histoire, juste pour dire qu’ici, dans le Lancaster, bah rien n’est certain. C’est un endroit vraiment étrange, glauque, pas fait pour les honnêtes gens. Et après cinq mois passés à manger de la caillasse et de la poussière sur ses routes inexistantes, je commence doucement à en avoir marre. Heureusement que nos affaires ici sont enfin finies, et qu’on va bientôt pouvoir se tirer, et partir vers l’Ouest, vers Féraldia et les contrées civilisées. Ce que je donnerais pas pour un bon rôti et une bière qui mérite ce nom.

4.

   Après ce bel exposé vous devez légitimement vous demander ce qu’on pouvait bien foutre dans un endroit aussi peu sympathique. La réponse est toute simple : on était payé pour ça.
   En général les seigneurs de guerre restent entre eux, parce que c’est plus sympa de taper sur des gens qu’on connaît bien, mais il arrive parfois qu’un d’entre eux, un peu plus intelligent que la moyenne, se mette martèle en tête d’aller, pourquoi pas, piller les terres frontalières, fertiles et riches, de Féraldia. C’est  ce qui était passé dans l’esprit du seigneur Jihag von Brömstark, connu sous le sobriquet de « le Tenace ». Le brave Jihag avait donc envahi une bonne tranche de Féraldia, osant pousser ses troupes de pilleurs jusqu’aux abords de la Sinueuse. Ce qui n’avait bien sûr pas du tout plu à Tercedames et sa trinité de dirigeantes. Malheureusement, ou heureusement pour nous (ou bien est-ce le contraire?…), les éternelles escarmouches entre Tercedames et les bannerets des Anderly de Souffleté étaient particulièrement violentes à ce moment là, ce qui poussa  Jade Castillion à puiser dans ses fonds pour s’offrir les services de la 6e Compagnie de l’Epée, et celles de la 7e Compagnie de l’Epée (Tant qu’à faire, puisqu‘elle passait par là).
   Donc nous voilà à trancher dans du guerrier poilu et beuglant depuis cinq longs mois, à trainer nos bottes sur des champs de poussière et à manger du sable. Les Lancastriens crient fort, mais honnêtement ils restent des sauvages. Armés de misère, à peine protégés par leurs armures en cuir, en tissu voir sans armure du tout, montés sur des chevaux dont on peut distinguer les côtes à cent mètres. Les murailles érigées depuis la chute du Lancaster auraient aussi bien pu être faites en parchemin. Ils n’ont aucune notion de discipline ou de stratégie, et seule l’aptitude du chef à tuer ses opposants directs maintient leur cohésion.
   Enfin bon, tout aurait très bien pu se passer, après tout on était là, peinards, à attendre que ces salopards nous chargent en beuglant des insanités pour les faucher à coups de flèche sans se salir, quand soudain on s’est retrouvé à assiéger une forteresse dont les remparts devaient bien monter à quinze mètre de hauteur. C’était un peu surréaliste, de voir une citadelle presque neuve, bien construite, avec de la bonne pierre et bien entretenue, alors qu’autour tout n’était que désolation, gris et misère.
   Ca faisait désordre, et le capitaine il aime pas trop le désordre. Alors il nous a envoyé, moi et mon équipe, tendre une embuscade près d’une poterne dans la muraille Nord. On a choppé une estafette et on l’a un peu travaillé au corps (en toute amitié, bien sûr) avant de tailler le bout de gras. Il en est ressorti que ce machin énorme s’appelait Kaer’Jihag et était un « cadeau » d’un allié du Tenace, établi plus à l’est, et qui avait fourni au seigneur de guerre armes, chevaux et troupes fraîches pour aller attaquer Féraldia.
   Après avoir fait goûter les pissenlits locaux (en tout cas, ça y ressemblait un peu) par la racine à l’estafette, on est allé cafter au capitaine. Alors oui, c’était intéressant mais ça ne nous avançait pas beaucoup, parce que construire des échelles de quinze mètres sans disposer de forêts sous les mains, c’était un peu ennuyant, et que de toute façon, une échelle de quinze mètres, le temps d’arriver en haut on pouvait se prendre vingt flèches. Alors il allait falloir attendre qu’on ramène des machines de guerre, du genre catapultes, tours de siège et béliers pour pouvoir passer à l’action.
   Et puis tant qu’à faire, quitte à se tourner les pouces pendant un mois, autant envoyer le bon Monarque fureter à l’est pour en apprendre un peu plus sur ce mystérieux allié.
   Bah voyons.
   
   
5.


   -Bonne nouvelle les gars, ai-je fait en m’approchant de mes troufions après avoir eu une petite entrevue avec le capitaine. On part faire un pique-nique.
   Ils m’ont regardé avec des mines lasses et blasées. C’était compréhensible ; ça faisait un bout qu’on faisait rien d’autre que de se regarder dans le blanc des yeux en bouffant des tubercules. Le Lancaster pouvait difficilement être qualifié de champêtre.
   -Quelle est la mission?, a fait Tapinois en rangeant le couteau qu’il était en train d’affûter.
   Tapinois, c’est le pragmatique de la bande. Bon, c’est plus que ça. Tapinois c’est un peu notre homme à tour faire. C’est mon second aussi. Ca doit bien faire sept ans qu’on parcourt les difficiles chemins de la vie ensemble. Il m’a suivi dans le mercenariat, et je pense que rien de ce que je pourrais faire, ni rien de ce qui pourrait nous arriver ne l’empêchera de me suivre. Tapinois c’est mon ombre, c’est mon armure, mon ange gardien, mon as dans la manche. Peut-être vaut-il mieux que je m’attarde un peu sur lui tout de suite, car je sens qu’il occupera pas mal de place dans ces Carnets.
   Tapinois est quelqu’un d’assez… atypique, pour le moins. Imaginez un nain obèse, dont les trois quart de la face disparaissent sous une broussaille sale de barbe et de cheveux roux… non, oranges plutôt ; laissant entrevoir un nez énorme et épaté, des tâches de véroles et des yeux gris profondément enfoncés dans des orbites surmontés par des sourcils toujours froncés. Maintenant imaginez ce nain et cette sale trogne coincés dans une combinaison de cuir noir plus serrée qu’un fessier de pucelle noble, et sur laquelle on a fixé des dizaines de petits fermoirs en fer forgé où sont soigneusement rangés autant de dagues, couteaux, surins, stylets et autre machins petits, tranchants ou pointus. Vous aurez alors une assez bonne image de ce à quoi ressemble Tapinois.
   Tapinois c’est pas son vrai nom non plus, comme vous l’aurez sans doute compris. Encore un pseudonyme. A la vérité, quand quelqu’un rejoint mon unité, Tempête du Chaos, il reçoit un surnom. Parce qu’on s’en fout de son passé, et que seul le présent compte. En changeant de nom, on oublie plus facilement d’où l’on vient, et ce qu’on a fait. J’en sais quelque chose. Ca peut paraître étrange, mais en fait c’est très logique. Feriez-vous confiance à quelqu’un dont vous savez qu’il a assassiné son propre frère ou violé sa mère? Moi non en tout cas, donc leur passé, je veux pas en entendre parler. Ca marche plutôt bien.
   Pour en revenir à Tapinois, même s’il ne paie pas de mine comme ça, c’est un assassin, un voleur et un espion formidable. Ce type est plus silencieux et patient qu’un chat, il est indétectable lorsqu’il le désire, et parfois on a l’impression qu’il marche à travers les ombres tant il est rapide et efficace. Il manie ses dagues comme personne et il a sut faire de sa taille un avantage en combat rapproché. Imaginez un singe obèse et barbu qui saute partout en vous lacérant avec deux couteaux plus effilés qu’un tranchoir de boucher.
   Même moi j’en fais des cauchemars.
   -On va par là, ai-je répondu en pointant une direction vague avec le doigt. On va aller dormir chez l’habitant, et pourquoi pas parler jardinerie. J’aimerais récolter quelques petites choses.
   Inutile de préciser qu’une bonne moitié de mes homme n’a clairement pas assez de cervelle pour comprendre une métaphore… Ce qui m’empêche pas d’en faire à longueur de temps, parce que j’aime me sentir au dessus de la masse grouillante du commun. Ouais, rien que ça.
   On a sellé nos canassons et on est parti en emportant nos armes  et quelques rations. Douze fiers cavaliers chevauchant de concert sur une vaste plaine battue par les vents, la chaleur et tout un tas d’autres saloperies à ailes ou carapaces.
   Ce que je hais ma vie.
   On a du parcourir une trentaine de kilomètres avant de tomber sur un hameau paumé au milieu de nulle part. Et hameau, je pèse mes mots. Cinq bâtiments plus ou moins grands, en bois, s’entassaient les uns sur les autres de part et d’autre d’un minuscule filet d’eau qui serpentait paresseusement au milieu de la plaine. Comme la nuit tombait, on a décidé de la passer là. Mais quand on eut mis pied à terre, on se rendit assez vite compte que l’endroit était désert. Pas un chat. Certaines portes étaient grandes ouvertes, et l’intérieur des bâtisses puait la poussière et le pourri.
   -Ca commence bien, a ricané Gratos en extirpant de sous un lit un sous-vêtement féminin avec son épée.
   A la réflexion, il faudrait aussi que je parle de Gratos. En règle générale, les gars de mon unité ne survivent pas bien longtemps. Durant les périodes fastes, deux à six mois est déjà un exploit. Comme je l’ai déjà dit, nous, on se tape toutes les missions suicides et autres débilités, en plus de se farcir la première ligne dans les batailles rangées. Souvent, j’ai à peine le temps de faire connaissance avec mes recrues que la mort les fauche sauvagement. Mais Gratos, ça fait déjà un an et demi qu’il est avec nous. Clairement le plus ancien après Tapinois, et moi-même évidemment.
   Gratos, c’est un peu le mercenaire moyen, en plus intelligent. En plus brutal aussi. Il est relativement grand, musclé, chauve comme un caillou et il a un moustache épaisse et bizarre qui, couplée avec son regard borgne et un peu fou, lui confère un air de violeur (Ce  qu’il est peut-être, au demeurant.). Il est fort, le Gratos. Je l’ai déjà vu soulever un bige et le casser en deux sur son genou. Sa violence latente et sauvage (exacerbée par son alcoolisme galopant) et son mauvais caractère sont en partie balancés par son esprit relativement vif et ses bonnes idées lorsqu’il s’agit de faire parler quelqu’un en utilisant des outils. On l’appelle Gratos, parce que si vous avez un problème, il vous le règle tout de suite, sans frais. Satisfait ou satisfait.
   Bon je vous passe la nuit parce qu’il ne s’est rien passé d’intéressant. On a fait un feu et on a passé la soirée à se raconter des blagues en faisant circuler une flasque d’un truc chaud, fort et tellement mauvais que ça ne pouvait qu’être une production paysanne. Ensuite on a dormi comme des souches, et à l’aube on était reparti.
   Quelques heures et quelques dizaines de kilomètres plus loin, on s’est retrouvé dans cette fameuse auberge. Mais si, rappelez vous, celle où j’avais mon épée sur la gorge d’un type, pendant que j’avais celle d’un autre sur ma propre gorge, pendant que Gratos tenait sa rapière sur…


6.

   Non, on est pas tombé tout de suite sur cette auberge. D’abord, on est tombé sur une ferme. Une chouette ferme, avec des clôtures à moitié pourries, une étable affaissée, une écurie cramée et une habitation qui avait jadis connu du verre à ses fenêtres. Un peu de bétail maigrelet essayait de paître en se donnant un air ennuyé de tout, mais forcé à gratter désespérément le sol pour trouver le moindre bout de racine, l’effet perdait un peu de sa force. Des trucs louches aux formes intéressantes poussaient, bien alignés, dans des champs labourés de frais.
   Bref une ferme (du Lancaster).
   Le propriétaire est sorti de sa demeure tandis qu’on avançait nos canassons prudemment, les mains posées sur nos armes, prêts à nous en servir. C’était un vieux édenté à la peau toute fripée et tannée par le soleil. Ce qui ne l’empêchait pas de sourire à tout bout de champ (vous avez saisi? Tout bout de champ, ferme, champ… Héhé.). Il est venu nous accueillir avec des cris de joie dans son baragouin local en écartant grand les bras, comme si on était de la famille.
   On s’est regardé. C’était assez peu commun comme situation. Après tout, quand on voit un groupe d’envahisseurs en approche, normalement on ferme la porte, on y cloue quelques planches pour la forme, et on sort l’arc de pépé ou l’arbalète de tonton. On fonce pas droit sur douze types armés montés sur des destriers. Surtout quand onze de ces types ont une sale gueule et un air patibulaire tatoué sur la face.
   Mais il faut croire que le Lancaster influe même sur ce genre d’évidences. Le fermier m’a attrapé la cheville et m’a fait de grands signes pour qu’on le suive à l’intérieur. On comprenait rien à son baratin, puisqu’il parlait Lancastrien, cependant son message était assez clair. J’ai donné l’ordre à mes hommes de démonter, et j’ai posté deux sentinelles à l’extérieur, tandis que le reste me suivait à l’intérieur du bâtiment, sous les regards placides des bovidés.
   La bâtisse était petite, basse de plafond, chiche à la limite du vétuste. Une table et quatre vestiges de chaise occupaient le centre de la pièce principale, avec un fauteuil en ruine et un placard à vêtement. Deux portes dans le mur du fond s’ouvraient sur un garde manger désert et une chambre minuscule accueillant un lit tout aussi minuscule. On se sentait un peu à l’étroit, tous là dedans. Mais ça ne semblait pas gêner le fermier qui sortit de je ne sais où assez de choppes et de récipients pour nous servir à tous un genre de liqueur incolore.
   Vous avez peut-être remarqué que je ne porte pas les boissons du monde paysan dans le cœur. Et bien cette rancœur sauvage n’est pas totalement infondée. En règle générale, goûter une mixture issue d’un brassage occulte dans la cave humide d’un cul-terreux, c’est s’aventurer dans le bizarre, voire dans le mortel. Le truc qu’on nous avait servi était tellement violent que j’ai cru un moment, pendant que je tendais ma choppe à moitié défoncée, que l’alcool allait ronger mon gobelet comme cette saloperie chimique que les alchimistes de Fëdburg adorent produire. Sans mentir, on avait la tête qui tournait rien qu’à regarder la vapeur s’échapper de la surface.
   Le problème du mercenariat, c’est que personne ne veut passer pour une lopette auprès des copains. Parce que si ça devait arriver, si vous n’arriviez pas à prouver que vous avez la plus grosse, votre vie pourrait devenir pénible. Et boire cul sec un truc louche et fort, ça fait partie des attributs virils primaires. Honnêtement, personne n’était vraiment partant pour avaler ce machin. Ca se zieutait en coin pendant que le vieux finissait de servir tout le monde en babillant comme une vieille chèvre. Le drame est intervenu quand, sa besogne achevée, il a levé son verre et après avoir pontifié sur un point obscur dans sa langue de sauvage, il a avalé le contenu de son gobelet d’un trait.
   Alors bon, comme on est pas des lopettes, on a fait pareil.
   Je pense, sincèrement, que j’étais ivre mort avant même que le rebord de ma choppe touche mes lèvres. Imaginez qu’on vous force à avaler un sillon de lave, et vous aurez à peu près l’image de ce qui s’est passé dans mon gosier quand j’ai avalé. Ce truc était tellement fort et tellement dégueulasse qu’au final ça n’avait pas de goût (Ou bien peut-être que c’était à cause de la fonte instantanée de mes papilles et de ma langue.). J’ai eu l’impression qu’un matois s’était faufilé derrière moi pour m’asséner un coup de masse d’arme sur l’arrière du crâne. J’ai lâché mon gobelet, qui a tinté sur le sol avec un son qui m’a semblé lointain et distordu. Je suis resté prostré sur ma chaise, les yeux rivés sur le plafond sale et lézardé. J’avais la sensation de flotter à quelques centimètres de mon corps.
   A ma gauche, Gratos louchait tellement fort en fronçant les sourcils sur l’ouverture fumante de son gobelet que son visage avait viré au cramoisi et que des veines palpitaient à ses tempes sur son crâne chauve. A ma droite, Tapinois avait une main posée sur le ventre, et il regardait devant lui d’un air rêveur. En face de moi, Stein s’est effondré contre le plateau de la table. Derrière, Guilbert est tombé raide mort. (Littéralement. Son cœur qui a lâché, ou un truc comme ça.)
   Bref, en un mot comme en cent, on était fumé. Saouls. Complètement faits. Ivres morts. En toute franchise, de cet épisode j’en garde peu de souvenir. J’ai un trou de mémoire. Je pense qu’à l’heure actuelle mon corps n’a pas encore totalement éliminé l’alcool de mon sang.
   Ce qui suit sera donc le récit des événements qui se déroulèrent ensuite, tels que je pus les reconstituer grâce aux témoignages des deux personnes qui y survécurent, à savoir Gratos et Tapinois.
   J’aurais quand même du commencer à avoir des doutes quand un truc chaud et liquide m’a éclaboussé le visage, et qu’après avoir porté la main à ma figure, il s’avéra que c’était du sang. Plus précisément le sang de mes hommes, que le vieux était en train d’égorger les uns à la suite des autres. Mon cerveau était trop imbibé pour comprendre ce qui se passait. En tout cas j’ai du trouver ça drôle, d’une façon ou d’une autre, car je me suis mis à rire. Gratos aussi riait, jusqu’à ce que le fermier essaie de lui planter son surin dans la gorge. Et ça Gratos, il aime pas trop, qu‘on essaye de lui planter des trucs dans son anatomie. Il a attrapé le poignet du vieux et l’a brisé sans un effort. Il l’a pas lâché, pendant qu’il cherchait à dégainer son épée de l’autre main, en vain, et que sa proie hurlait de douleur, augmentant d’autant mon hystérie.
   J’ai basculé de ma chaise et je me suis vautré au sol, roulant de rire. Gratos a renoncé à dégainer sa lame, alors il a arraché la moitié de la gueule du vieux à coups de dent. Ca ne devait pas être franchement jolie à voir. En tout cas, peut-être était-ce le goût métallique du sang dans sa bouche, mais il a un peu dessaoulé, juste assez pour comprendre que les trois quart d’entre nous gisaient morts dans leur sang, et que le chef tapait des pieds et des poings par terre comme un gosse en s’étouffant de rire, et que le second contemplait des poneys invisibles sans bouger le moindre poil de barbe.
   Gratos a compris qu’on était tombé dans une embuscade seulement quand on a dépassé les deux sentinelles avachies contre le mur extérieur, une flèche dans le torse chacune. Des tireurs embusqués se sont mis à nous canarder, planqués derrière nos canassons. Gratos m’a tiré à l’intérieur pour échapper au déluge mortel. Il a juré un peu, puis il s’est mis à rire avec moi et il a oublié ce qu’il était en train de faire. Tapinois, lui, a surgi derrière les plaisantins, et il les a plantés proprement, avant de revenir vers nous avec un sourire de gamin.
   D’une façon ou d’une autre, on a sauté sur trois chevaux, et on s’est tiré au galops. (J’ai vomi.)
   Ce qui nous ramène dans cette fameuse auberge.






« Modifié: vendredi 02 septembre 2011, 18:55:48 par Great Magician Samyël »

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La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
« Réponse #207 le: dimanche 07 août 2011, 19:42:24 »
Bon ben quelque part, j'ai fait ma fan-gril, je me suis jetée sur cet écrit. Je n'avais pas lu Monarque ni rien d'autre s'y rapportant, donc je découvre cette version 2.0 comme si c'était la première !

Bon premières remarques qui vont être purement de chieuse, vu que j'ai cru déceler quelques petites fautes (mais très peu) et pour une fois, j'ai noté au fur et à mesure !
(Cliquez pour afficher/cacher)


Maintenant, passons à la lecture proprement dite. J'aime beaucoup le style carnet, non seulement pour la première personne, que tu manies très bien, mais aussi pour la manière qu'à le narrateur d'apostropher son lecteur.
Et même si l'histoire n'est pas très avancée, il y a plein de petites graines déci-delà qui donnent envie d'en savoir plus sur l'univers. L'importance des noms, les pouvoirs des magiciens, le contexte géo-politique, et tout un tas de petites choses que l'ont devine en filigrane.

Après cette critique n'est pas vraiment constructive, disons que je n'apporte pas vraiment grand chose à ce niveau, parce qu'au final, je dis surtout que j'aime beaucoup ce récit, et que je suis curieuse de savoir la suite^^ (peut-être vais-je craquer et lire le 1.0 ?)


"Je ne connaîtrai pas la peur car la peur tue l'esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. J'affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi."

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La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
« Réponse #208 le: jeudi 18 août 2011, 04:46:49 »
Même chose :(

________________

7.



   Le patelin où nous débarquâmes fièrement sur nos canassons était clairement le plus gros que j’avais pu voir dans le Lancaster. On pouvait décemment le qualifier de village. Voire de petite ville. Un vestige édifiant d’une époque révolue. Les rues étaient bien dessinées, les bâtisses plutôt bien entretenues s’élevaient droitement et les villageois vaquaient paisiblement à leurs occupations, en faisant semblant que tout allait bien. (Mais rien ne va bien dans le Lancaster.)
   Je me suis salement vautré en voulant descendre de ma monture. Je me suis écrasé au sol dans un éclat de rire rapidement coupé par l’impact qui souleva un nuage de poussière. Gratos et Tapinois me relevèrent et me traînèrent par les bras jusqu’à l’auberge locale. Nous eûmes droit aux habituels regards torves et aux mines suspicieuses, mais personne ne fit aucun commentaire. Si je me souviens bien, il y avait trois hommes d’armes, ceux avec qui nous n’allions pas tarder à causer métallurgie. Mes compagnons me posèrent sur une chaise à peu près stable et commandèrent trois choppes de la gnôle du coin, en payant d’avance (Ca rassure toujours.).
   Lorsque nous eûmes été servis, nous trinquâmes en entrechoquant bruyamment nos verres.
   -Aux paysans!, éructai-je.
   -Aux bouseux!, renchérit Gratos
   -Aux vivants!, conclut Tapinois.
   Nous bûmes cul sec. Je m’étouffai presque en avalant. On devait faire trop de bruit, ou bien étaient-ce nos vêtements maculés de sang frais qui leur mirent la puce à l’oreille, mais toujours était-il que les hommes d’armes s’approchèrent de nous, les mains sur les pommeaux de leurs armes. Ils nous toisèrent quelques instants. Un grand mince avec une petite moustache, un nerveux avec trois doigts à une main et un costaud avec une trogne à fendre un rocher.
   Le moustachu m’apostropha en Lancastrien. Comme je louchais sur ses vêtements en m’exclamant :
   -Quoi qu’est-ce?
   Il poussa un juron et se tourna vers le costaud pour lui dire quelque chose.
   -Mon ami demande s’il y a problème, déclara ce dernier avec sa voix de stentor, dans un Féraldien dégoulinant d‘accent.
   -Un problème?, fis-je en regardant, incrédule, mes camarades. Vous avez un problème, vous?
   -Sûrement pas, répondit Gratos en s’adossant à sa chaise avec nonchalance. Mais si vous, vous avez un problème, moi je vous le règle. Satisfait ou satisfait. Parole de Gratos.
   La déclaration a jeté un froid de quelques secondes. Mais le grand costaud s’est remis à traduire les paroles de son copain.
   -Le nabot, pas l’air du genre causant.
   Tapinois s’est raidi sous l’insulte. Il m’a jeté un regard. J’ai cligné des yeux. L’instant d’après une gerbe de sang s’élevait dans les airs et l’interprète basculait en arrière, proprement ouvert en deux comme un cochon à l’abattoir. Il n’a pas poussé un cri, il s’est contenté de sombrer, ses yeux grands ouverts fixant ses tripes qui commençaient à se répandre. Au moment où il a touché le sol avec fracas, la panique s’est emparée de la salle commune.
   Il y eut un concert de jurons, de cliquetis métalliques, de raclements d’acier. Et on s’est retrouvé dans la situation que je vous décrivais au début de ces carnets.
   Ca n’a pas duré bien longtemps. Quelques secondes tout au plus. 
   Gratos a enfoncé son tranchoir dans la gorge du moustachu, et moi j’ai profité que Tapinois ait sectionné les tendons du genoux de mon bonhomme pour lui offrir un second sourire (Parce que le premier n’était franchement pas très avenant.). Je suis resté debout, contemplant mon œuvre, vacillant un peu sur moi-même, puis j’ai vomi une seconde fois. Croyez le ou non, ça m’a suffit pour dessaouler. Tout à coup je retrouvais ma lucidité, et c’était comme de sortir la tête de l’eau après être restée longtemps en apnée.
   Sauf que pour ce que ça m’a apporté, j’aurais peut-être préféré rester ivre. Au moins je me serais amusé.
   Le tenancier a sorti une arbalète de sous son comptoir, chargée, et m’a mis en joue. J’ai eu la présence d’esprit de me déporter sur ma droite, m’épargnant une agonie inutilement douloureuse. Je lui ai renvoyé la politesse en levant le poing et en invoquant un éclair de magie qui a fulguré à travers la pièce dans un crépitement d’énergie blanche. Le type l’a pris de plein fouet. Ses habits ont pris feu, puis ses cheveux et il s’est mis à fondre sur place en poussant des hurlements de porc. L’attitude des autres bouseux est passé de la haine farouche à la peur primale. Hé! Faut les comprendre. Chez eux, les sorciers ont une certaine réputation qu‘ils mettent du cœur à entretenir.
   Toujours était-il que ma réaction n’était peut-être pas la meilleure, puisque le bâtiment a commencé à cramer lorsque la torche vivante a renversé une bouteille de gnôle et y a bouté le feu en marchant dessus.
   -Faut s’tirer d’ici, a hurlé Gratos en joignant le geste à la parole.
   On l’a suivi au dehors, avec Tapinois, une main devant la bouche pour se protéger de la fumée. Une cloche d’alerte s’est mise à carillonner quelques part. Dans la rue, des hommes sortaient des bâtiments voisins avec des mines énervées et des armes dans les mains. J’ai rapidement évalué la situation, regardant à droite à gauche, et j’en ai conclu que nous étions un peu dans la mouise. De plus en plus de villageois affluaient, certains avec des seaux d’eau, pour voir ce qui se trimait.
   Ni une ni deux, nous avons fièrement enfourché nos montures après un bond héroïque et les avons lancées au grand galop, jouant des bottes et des épées pour nous frayer un passage dans la masse agglutinée. Certains essayaient de nous saisir les mollets au passage pour nous projeter à bas, d’autres nous jetaient des projectiles avec plus ou moins de réussite. Mais tous ont arrêté subitement, en poussant des cris de peur ou en se prosternant au sol, en se plaquant contre les murs, nous libérant une voie aussi inattendue que providentielle. J’ai songé un instant que mon charisme naturelle et ma prestance légendaire faisaient enfin leur effet, mais j’ai vite déchanté lorsque, me retournant sur ma selle, j’ai aperçu six cavaliers lourdement équipés d’armures effrayantes en plaques noires, armés d’estramaçons démesurés et montés sur des destriers de bataille d’un noir d’encre aux yeux injectés de sang. Eux-mêmes portaient des heaumes qui masquaient leurs traits.
   Quoiqu’il en soit leurs parures fonctionnaient bien, car moi aussi j’ai failli me faire dessus en les voyant. Sincèrement, ces types foutaient la chair de poule, et ce n’était pas uniquement à cause de leurs épées gigantesques. Ils avaient comme une aura maléfique, d’outre-monde. Ils nous ont pris en chasse, et par les dieux, on aurait dit la Chasse Infernale en chair et en os. Leurs montures avalaient les mètres qui nous séparaient plus rapidement qu’un mercenaire ne tire son coup après une longue campagne. Les rues défilaient à une allure folle, les bâtiments réduits à des formes floues à la périphérie de ma vision.
   Soudain la sortie de la ville était devant nous, et la plaine morne s’offrait à notre vue. Morne, et désespérément vide. Sans une grotte, sans un bosquet où se cacher. Nos canassons, déjà fatigués de notre première chevauchée de la matinée, commençaient à perdre de la vitesse alors que nous pénétrions la lande en dépassant un garde éberlué. Les cavaliers de l’enfer gagnaient de plus en plus de terrain, et je pouvais presque entendre leurs souffles lourds sous leurs casques. D’une main peu assurée, j’ai rengainé ma lame et j’ai saisi mon arbalète, accrochée à ma selle. En me servant de mes cuisses pour diriger ma monture, j’ai remonté le mécanisme et glissé un carreau.
   Juste à temps, car je perçus du coin de l’œil une silhouette noire s’approchant de moi dangereusement. Sans réfléchir, je me suis retourné sur ma selle et j’ai tiré sans même viser. Le trait a touché mon adversaire en pleine poitrine. Sans effet. La pointe métallique a rebondi sur le lourd plastron noir avec un « clic » ridicule. J’ai tiré brutalement sur mes rennes pour faire faire une embardée à ma monture et éviter un coup de tranchoir qui m’aurait proprement ouvert en deux. Un bref coup d’œil m’apprit que Gratos était déjà aux prises avec un autre cavalier, ferraillant furieusement en essayant de garder la maîtrise de son cheval d’une main nerveuse - Il n’a jamais été un grand cavalier.
   J’ai paré un coup d’épée avec mon arbalète et ai repoussé mon opposant, manquant de peu de basculer de ma selle. J’ai dégainé ma lame à nouveau, mais un autre cavalier noir s’approchait sur le flanc opposé. Ils ont levé leurs armes, prêts à raccourcir mon anatomie d’une bonne tranche. J’ai fermé les yeux et me suis concentré très fort. Le temps a paru s’allonger, s’étirer, ralentir. Je percevais le fracas des sabots, le tintement des lames qui s’entrechoquent et les jurons de Gratos, mais comme si tout cela était loin, derrière un voile.
   Je me suis focalisé sur mon esprit, essayant de le visualiser comme une sphère. Une belle sphère, bien ronde, bien polie, brillante. Une sphère qui grossissait, grossissait, et qui soudain explosait avec fracas et violence. J’ai eu un moment d’absence, comme toujours après un sort d’Onde Mentale, qui consiste grossièrement à propulser son esprit autour de soi en une vague d’énergie. Curieusement, cela n’eut guère d’effet sur mes adversaires. Mais heureusement, cela en eut sur leurs montures, qui se sont effondrées en hennissant.
   Comme la mienne.
   J’ai salué le sol poussiéreux en rebondissant dessus durement et en effectuant quelques roulades douloureuses. Je n’avais hélas pas le temps de m’attarder sur mes côtes en miette, car les guerriers noirs se sont relevés presque aussitôt et se sont approchés de moi. Je me suis remis debout aussi, les jambes flageolantes en m’aidant de mon épée.
   Bon, soyons d’accord sur une chose. Je n’ai jamais été un grand bretteur. A la vérité, je n’avais jamais touché une épée de ma vie avec l’intention de m’en servir réellement avant de devenir mercenaire. Et même après cinq ans, je ne vaux toujours pas grand-chose. Ca me coûte à le dire mais j’ai par contre quelques talents à mettre mes opposants momentanément hors combat en usant de techniques fourbes histoire de prendre rapidement la tange… Histoire d’effectuer un rapide repli stratégique.
   Alors quand j’ai vu les deux biges s’approcher dans leurs grosses armures, avec leurs gros fendoirs, j’ai réfléchi à la façon la plus simple et rapide de prendre la fuite. Gratos ayant entre temps été mis hors jeu -il gisait au sol plus loin, mort ou assommé, je ne savais dire- je ne pouvais attendre aucune aide de ce côté-là. Quant a Tapinois, il avait disparu du secteur, avec deux autres cavaliers. Alors j’ai commencé par reculer doucement, mon épée pointée devant moi par une main tremblante et peu ferme. Comme cela n’avait pas trop l’air de les dissuader, j’ai changé de tactique.
   -Je suis sûr qu’il y a un moyen de s’entendre, non?
   Puis je me suis rappelé qu’on était dans le Lancaster et qu’ils ne devaient probablement rien pané à ce que je racontais. Comme pour me le confirmer, celui de droite a levé son estramaçon et m’a frappé. J’ai tenté de dévier avec ma propre lame mais la violence du coup a failli me l’arracher de la main, et mon épaule a protesté douloureusement lorsqu’une onde de douleur s’y est propagée. J’ai préféré me jeter par terre pour éviter le coup suivant.
   Là vous me diriez sûrement que j’aurais pu utiliser la magie. Et je vous répondrais que oui, j’aurais pu. Mais quand on a vaporisé son esprit dans l’éther durant une demi seconde comme je l’avais fait tantôt, on est pas forcément très lucide. Cependant je me suis relevé en crachant de la poussière, et j’ai héroïquement fait volte-face pour m’élancer à la course vers mon canasson qui s’était relevé sur des pattes plus vacillantes qu’un ivrogne. Comme j’entendais les pas de mes ennemis derrière moi, j’ai égorgé leurs propres montures au passage, puis j’ai sauté gracieusement en travers de ma selle, fouettant sauvagement l’arrière train de mon cheval du plat de ma lame. Il a rué, m’éjectant presque, puis est reparti au galop.
   Je m’enfonçais un peu plus profondément dans le Lancaster, laissant derrière moi Gratos et Tapinois aux mains de ces effrayants guerriers noirs.



8.


   Après ce qui me parut une éternité -quelques dizaines de minutes tout au plus-, je suis arrivé en vue d’un genre de colline rocheuse dont un des flancs était percé d’une grotte miraculeuse. J’étais épuisé. Non seulement l’alcool faisait encore à moitié son effet, mais j’avais mal partout, souffrant de multiples bleus, entailles et peut-être fractures suite à mes chutes, mes combats et mes fuites aussi braves qu’haletantes.
   Je me suis effondré dans le fond de l’abris, mon épée dans la main au cas où. Ma monture me jetait un regard interrogatif depuis l’entrée, sa queue fouettant mollement l’air derrière elle. Quand elle a compris qu’il n’y avait rien à attendre de moi en l’état, elle est partie chercher sa pitance ailleurs.
   J’ai lutté contre le sommeil qui m’envahissait insidieusement pendant au moins une bonne heure. Je n’étais pas certain que les cavaliers noirs aient abandonné la poursuite, et même dans ce cas il pouvait y avoir des bandes de maraudeurs ou des groupes armés dans la région. La grotte elle-même pouvait servir de refuge occasionnel à des chasseurs ou des hors-la-loi ; et il y avait fort à parier qu’ils n’auraient pas forcément été très contents de devoir partager.
   Malgré toute ma bonne volonté, mes paupières se sont fermées et j’ai sombré dans le monde des rêves. Quand je me suis réveillé, avec un sentiment d’urgence, il faisait encore jour. Du moins est-ce ce que j’ai d’abord pensé en ouvrant un œil. Une lumière orangée et crépitante m’agressait la rétine.
   … Crépitante?
   J’ai rouvert les yeux d’un seul coup, me redressant en faisant jaillir ma lame du fourreau. Le morceau d’acier terne se stabilisa au dessus d’un feu de camp, et à sa pointe se trouvait un jeune garçon aux yeux écarquillés et louchant sur l’arme qui le menaçait. Il déglutit bruyamment mais un grand sourire étira ses lèvres, malgré son évidente nervosité.
   -Pardonnez, chef, fit-il avec une voix nonchalante, comme si l’on était des vieux amis qui s’étaient dit au revoir la veille seulement. J’ne voulais pas vous faire peur.
   Les flammes éclairaient un visage jeune, très jeune, sale mais pourtant assez beau, grâce à d’intenses yeux bleus et une tignasse de cheveux blonds clairs crasseux. Quelques poils de barbe ridicules se dressaient fièrement sur le menton et le milieu des joues. Le garçon me rendit mon regard farouchement, comme s’il voulait m’impressionner, me montrer quelque chose -ou bien se prouver quelque chose à lui-même.
   Je l’ai scruté un long moment, les yeux plissés. En vérité, je tendais l’oreille pour essayer d’entendre les sons caractéristiques d’une autre présence. Mais il semblait bien que nous n’étions que tous les deux dans cette grotte. Comme mon bras commençait à trembloter à force de tenir mon arme, je l’ai abaissé, mais sans rengainer.
   -T’es qui?, ai-je fait d’un ton mauvais. (Je suis rarement de bonne humeur au réveil, et mon esprit retrouvant sa lucidité, les détails de ma précédente aventure me revenaient douloureusement en mémoire.)
   -John. John Keyes, chef.
   -Pourquoi tu n’arrêtes pas de m’appeler chef? Je ne te connais même pas.
   -C’est vrai, chef. Mais ça ne tardera pas, vous verrez.
   -Et pourquoi cela?
   -Et bien, parce que je viens avec vous!
   -Hein?   
   -Ouais! Mon paternel, il a dit que vous êtes un de ces guerriers libres de l’Ouest.
   -Guerriers libres? Qu’est-ce que tu me chantes?
   -Bin… Vous savez, ces types qu’on paye pour aller se battre à notre place.
   -Ha. Des mercenaires, je vois. On peut effectivement dire que j’en suis un. A mon grand regret.
   -Ouais! Je veux en devenir un moi aussi! C’est pour ça que je pars avec vous! Je suis à vos ordres, chef!
   Je l’ai regardé en haussant un sourcil. A voir ses yeux brillant comme des joyaux, il avait l’air sérieux. Bon sang, il était sérieux. Tellement sérieux que j’ai éclaté de rire. Non mais franchement. Pas que je voulais briser ses rêves, mais il y a des limites. Il était épais comme du parchemin, habillé de guenilles et ses compétences devaient se résumer à cirer des bottes et traire la vache de papa.
   -Chef?, m’a-t-il fait avec un air anxieux.
   -tu sais, la vie de « guerrier libre », c’est pas de tout repos. C’est dur, tu souffres, tu te fais mal, tu es blessé, tu vois tes amis mourir sous tes yeux, tu passes ton temps à courir les routes pour un salaire de misère et où que tu ailles tu es accueilli comme un cherche-merde notoire qu’il vaut mieux chasser à grands coups de fourche dans le bide.
   -Je sais tout ça, m’a répondu John en balayant mes arguments d’un geste de la main.
   -Alors pourquoi est-ce que tu veux en devenir un?
   -Honnêtement, chef…
   Il s’est penché un peu vers moi, avec un air de conspirateur.
   -Je me suis toujours dis que j’étais fait pour quelque chose d’autre. Quelque chose de grand! Enfin, je veux dire, je ne me vois pas passer toute ma vie chez mon père, à raccommoder des bottes troués histoire de gagner juste assez pour aller me saouler à la taverne ou trousser la seule putain du village. Non! Je veux voyager, je veux découvrir le monde. L’aventure quoi! Et quand je vous ai vu tout à l’heure à l’auberge, chef… C’était incroyable. Comment vous les avez zigouillés, pouf! Comme ça! Et quand vous avez fait un éclair magique! Terrible! Quand j’ai vu ça, je me suis dit « John. Ca c’est ta chance. La chance que t’as attendu toute ta putain de vie. Alors fonce! Avec des mecs comme ça, tu pourras aller loin. ». Alors quand vous vous êtes enfuis, je vous ai suivis. Il m’a fallu du temps pour trouver cette grotte, mais c’est fait maintenant. Je suis là! Alors je viens avec vous.
   Je suis resté sans voix un moment. S’il y a bien une chose que John sait faire, c’est parler. Ca, personne ne pourra le nier. Après son discours débité d’une traite avec aisance et emphase, la seule chose qui me venait à l’esprit était « Bah oui. Après tout, il a bien raison. »
   Et donc, d’une façon où d’une autre, John a rejoint Tempête du Chaos à ce moment là.
   Une chose m’a alors frappé.
   -Tu parles diablement bien le Féraldien.
   -Ma mère était Féraldienne. Mon père l’a enlevée quand il raidait la frontière pour Gros Tyronne.
   -Je vois…
   -C’est elle qui m’a appris, même si ça faisait pas trop plaisir à mon paternel, au point qu’il la battait quand il nous surprenait.
   -Triste histoire… Bon et à part suivre des inconnus sur des kilomètres, tu sais faire quoi d’autre? Je veux dire, quoi d’autre d’utile. A la profession. Enfin tu vois ce que je veux dire.
   Il a levé les yeux vers le plafond de la grotte, en se grattant l’arrière du crâne.
   -Et bien… Honnêtement, pas grand-chose. Mais j’apprends vite! Parole!
   -T’as déjà tenu une arme comme celle-ci?
   -Non.
   -Tu sais te servir d’un arc?
   -Non.
   -Tendre une arbalète?
   -Non.
   -Monter à cheval?
   -Non.
   -Raconter des bonnes histoires?
   -Ca oui!   
   -Bon, c’est déjà un début…
   J’ai soupiré et je me suis rallongé, un bras sur les yeux.
   -Et là… On fait quoi chef?
   -Là? On pionce. J’aviserai demain. Monte la garde en attendant.
   -La garde?
   Nouveau soupir.
   -Tu te plante à l’entrée et tu surveilles ce qui se passe. Si tu vois des types s’approcher tu me réveilles.
   -Ha, d’accord. Je vois. Alors je monte la garde, chef.
   -Parfait.
   -Et pour nos compagnons, quel est le plan?
   -De quoi tu parles?
   -Vous savez? Le grand chauve et le petit homme barbu.
   -Oublie les. Ils doivent être morts à l’heure qu’il est.
   -Ca m’étonnerait, chef.
   -Et pourquoi ça?
   -La Milice n’a pas pour ordre de tuer. Seulement de ramener les prisonniers au donjon pour être interrogés.
   J’ai écarté mon bras et je me suis redressé sur un coude.
   -Qu’est-ce que tu me chantes? La Milice? Le donjon?
   -La Milice. Les types en armures noires que vous avez combattu -entre nous, chef, vous avez bien du courage. La plupart du temps les hommes condamnés se contentent de rester plantés là en appelant leur mère pendant qu’ils se font emmenés. Et bien ces types là, on les appelle la Milice Bruëghen, parce qu’ils sont à la solde de dame Van Bruëghen, et quand ils sont envoyés sur la piste de quelqu’un, ils l’amènent au donjon pour que la dame le torture et l’interroge. Je le sais parce qu’elle a emmené mon père une fois, parce qu’elle le soupçonnait d’être un espion. Alors je me disais que nos compagnons, ils sont sûrement dans le donjon à l’heure qu’il est.
   J’ai digéré toutes ces informations en restant silencieux un moment.
   -D’ailleurs c’est curieux, chef.
   -Quoi?
   Il a hésité un instant.
   -Bah… Aucun Milicien ne reste au village. Alors je trouvais ça étrange que six d’entre eux soient arrivés si vite. Ca voudrait dire…
   -Oui? Ca voudrait dire que quoi?
   -Et bien ça voudrait dire que dame Bruëghen savait que vous arriviez, et qu’elle vous veut.
   
   

    9.


   
   -C’est un sacré machin quand même, ai-je fait en déglutissant.
   Je me suis redressé sur ma selle, nerveux en contemplant le château Bruëghen, un horrible édifice décrépi sis sur une colline escarpée, à une vingtaine de kilomètres du village de John. Vous savez, c’était typiquement le genre de forteresse maléfique, froide et carrément pas avenante qu’on imagine bien lorsque les vieux nous racontent les histoires des preux chevaliers allant sauver les princesses en détresse dans les cellules puantes de l’antre du sorcier démoniaque.
   Et bien plus je le regardais, plus je me disais que mes princesses à moi n’avaient sûrement pas besoin du preux chevalier, après tout.
   -Vous avez un plan chef?, a murmuré John, installé derrière moi sur la selle.
   -Heu… ai-je brillamment répondu.
   Le truc c’est qu’on attaque pas un fort avec un demi guerrier et un chiard haut comme trois pommes même pas armé.
   -Je vais y réfléchir.
   Il n’y avait pas beaucoup d’agitation sur la route, à part un Milicien qui partait parfois sur une monture noire vers le village, ou en revenant. Aucun signe de mes acolytes, en tous les cas.
   -Et cette… heu… Dame Bruëghen… C’est un genre de sorcière?
   -Hein? Heu… J’en sais rien. Ya pas mal de rumeurs qui courent, vous voyez le genre, mais bon, personne ne l’a vue depuis des années. Elle reste cloîtrée dans son donjon sans jamais sortir, utilisant la Milice pour effectuer ses basses œuvres.
   -Je vois, je vois…
   Mais en réalité je ne voyais pas grand-chose. Ou plutôt si! Quelque chose se formait lentement dans mon esprit. Un truc qu’on pourrait qualifier de mission furtive. Du style on s’infiltre de nuit, on se glisse dans les oubliettes, on récupère les copains et on fout le feu aux écuries pour faire diversions pendant qu’on file discrètement par la poterne  est.
   Ouais. Un sacré bon plan. Un peu classique certes, mais comme disait ma grand-mère, c’est dans les vieux pots qu’on fait pousser les meilleurs champignons. Ou quelque chose comme ça.


10.


   John a dégluti en me regardant extirper ma lame du serviteur que je venais de tuer pour libérer le passage.
   -T’avais jamais vu un cadavre d’aussi près, gamin?, ai-je murmuré en essuyant l’acier sur la livret du valet.
   -U… Une fois. Ma mère, quand mon père l’a…
   -Je veux pas le savoir. Ca me regarde pas. Bon, t’as pigé comment ça marche?
   Il a acquiescé en tripotant nerveusement le manche de mon arbalète qu’il tenait serrée contre sa poitrine. Pendant ce temps là, je tirais le cadavre derrière un des buissons rabougris qui tapissait la cour intérieure. J’étais complètement en nage après l’escalade des murailles et la descente qui suivit logiquement. Et pourtant je n’étais qu’au début de mes peines. J’ai tiré John près de moi et l’ai forcé à s’accroupir pendant que j’observais les environs.
   Il n’y avait personne, hormis le type que j’avais trucidé bien sûr. Tout était calme comme une tombe, bien trop calme pour que je me sente bien. Ce qui peut paraître paradoxal lorsque l’on est en pleine mission d’infiltration, mais croyez en mon expérience, une place forte déserte, ça pue.
   L’épée fermement en main, je me suis élancé en longeant le mur, ordonnant d’un signe de main à John de me suivre. Après de longues secondes de marche rapide et silencieuse, nous sommes arrivés devant une lourde trappe en bois massif, ouverte sur un raide escalier en pierre à moitié défoncé s’enfonçant dans les entrailles de la terre. Il n’y avait aucune lumière, mais je sentais l’odeur des torches fraîchement éteintes.
   -Je vais jeter un coup d’œil, ai-je fait à John. Toi, tu restes là, et tu montes la garde. Si quelqu’un s’approche, tu le tues. S’ils sont plusieurs, t’en tues un et tu rappliques fissa en bas. Compris?
   -Compris chef!
   Je me suis servi de la noirceur de la nuit pour faire semblant de ne pas voir qu’il tremblait comme une feuille. Puis je me suis prudemment engagé dans les escaliers. Certaines marches étaient à moitié défoncées, d’autre rendues glissantes par l’humidité, me forçant à tester chaque degré du bout de ma botte. Ce fut une descente relativement éprouvante et stressante, surtout dans un noir d’encre comme celui-ci : je n’osais allumer une lueur magique de peur d’alerter quelqu’un. Au fur et à mesure de ma progression, l’atmosphère se faisait plus lourde et moite, et s’empuantissait horriblement.
   Ce qu’on peut légitiment attendre lorsqu’on pénètre dans des oubliettes. Parce que c’est bien ce que c’était : une fois arrivé en bas des marches, je faisais face à un couloir relativement long, flanqué de part et d’autre de cellules fermées par des barreaux menaçants tout rouillés. Ici quelques torches étaient restées allumées et dispensaient une lumière chiche, à peine suffisante pour percer les ténèbres profondes du lieu. Une main sur le nez pour me protéger des effluves nauséabondes, je me suis mis à arpenter la zone, passant devant chaque cellule pour en scruter les profondeurs à la recherche de Tapinois et Gratos.
   J’ai trouvé ce dernier au fond du couloir.
   Il était adossé au mur du fond, assis, les bras ballants, complètement nu. Son œil unique me fixait sans me voir et son visage était vide d’expression. Une vision des plus dérangeantes.
   -Gratos? L’ai-je appelé à voix basse.
   Sans réponse. Il n’a même pas réagi.
   -Bon sang, mais qu’est-ce qu’ils t’ont fait?
   En le voyant comme ça, je me suis souvenu de ce qu’avait dit John sur la torture. Mais le corps de Gratos ne portait aucune trace visible de sévisse récent. Sa cellule n’était même pas verrouillée. La porte a pivoté sur ses gonds pourris en grinçant atrocement. Le cœur battant, je me suis figé quelques instants, l’oreille tendue, pensant que mon raffut aurait alerté quelqu’un. Mais personne ne faisait mine de descendre les escaliers au bout du couloir, et John ne s’était pas manifesté.
   Je me suis approché de Gratos. Le sortir de là n’allait pas être une mince affaire. C’est que le bonhomme est plutôt large, et puis je n’aime pas spécialement me frotter à des hommes nus. J’étais perdu dans mes pensés lorsqu’un murmure a attiré mon attention.
   -Monarque…
   -Hein? Gratos?
   Je me suis penché sur lui, collant presque mon oreille contre ses lèvres pour mieux l’entendre. Je me suis rendu compte que son souffle était presque inexistant.
   -Monarque… Cette femme… un démon…
   -De quoi tu parles? Bruëghen, c’est ça? Qu’est-ce que tu veux dire? Putain, Gratos, c’est pas le moment de raconter des salades. Faut sortir de là. Tapinois est dans le secteur?
   -Partir, Monarque… Faut que tu te tires, chef… Pas bon, ici…
   Je l’ai observé un moment, circonspect. Malgré ce qu’il me disait, son visage n’avait toujours aucune expression, et son regard était toujours aussi fixe. Sa voix maladive était loin du Gratos habituel, gueuleur et colérique, que je connaissais. Quelque chose ne tournait franchement pas rond.
   -Bon, reste là, je vais jeter un œil, histoire de voir si je trouve pas le barbu.
   -Votre petit ami poilu n’est hélas pas parmi nous.
   Je me suis vivement retourné, une main sur la poignée de mon épée, pour faire face à une femme d’une beauté époustouflante. Plutôt grande, une peau d’albâtre, des cheveux noirs comme la nuit descendant jusqu’à ses fesses rebondies, des yeux d’un vert hypnotique, une taille de guêpe et des seins splendidement galbés à peine cachés par sa robe écarlate diablement échancrée, couverte de fourrures aux manches et aux rebords.
   Avouez que cela a de quoi surprendre, surtout dans un lieu qui sent le cadavre et l’excrément, dans une putain de forteresse en ruine qui plus est. Je me suis même demandé un instant si je n’étais pas victime d’une hallucination. Mais quand ses lèvres rouges et pleines ont esquissé un sourire pervers j’ai compris que ce n’était hélas pas une illusion.
   Ce sourire, d’ailleurs, m’a foutu une trouille pas possible. Je ne saurais pas expliquer pourquoi. Après tout, je suis un homme, j’avais une épée, et elle était juste là, menue dans sa beauté insolente, me fixant de ses prunelles scintillantes. Instinctivement, j’ai reculé d’un pas.
   -C’est bien dommage ça, ai-je répondu avec une confiance fanfaronne que j’étais bien loin d’éprouver. Je suis sûr que vous l’auriez adoré. Il est tellement mignon.
   J’ai sursauté comme un lâche lorsque Gratos m’a choppé la cheville.
   -La lutte… est futile, chef… a-t-il dit en levant lentement la tête.
   Je me suis contrôlé pour ne pas lui trancher la face avec mon épée, tellement la scène me terrorisait. La femme a poussé un petit rire, un son juste divin qui donnait envie de se jeter à ses pieds, de les embrasser, de devenir sien et de tout faire pour la rendre heur…
   Non. J’ai vivement secoué la tête pour dissiper l’insidieux sortilège de séduction qu’elle était en train de me jeter.
   -Vous devriez écouter le conseil de votre ami, mon cher Monarque, a-t-elle déclarée en effectuant deux pas vers moi. Il n’est pas besoin de rendre les choses compliquées, hmm?
   -N’approchez pas!, ai-je rétorqué en pointant ma lame vers elle, malgré les tremblement de mon bras qui trahissaient ma nervosité.
   A ce stade, il me paraissait évident que j’avais devant moi la fameuse Dame Bruëghen -ce qui était assez pénible parce que j’avais imaginé une vieille noble aigrie complètement folle, et je me trouvais devant une sculpture vivante. Ma terreur s’était d’autant intensifier que son sort avait été jeté avec une telle maîtrise et une telle subtilité…
   -Voilà ce qu’on va faire. Je vais récupérer mon pote, et vous allez nous laisser partir bien gentiment. Si vous faites ça, je jure sur mon honneur que je ne vous tuerais pas.
   Cette fois, elle a carrément éclaté de rire. En d’autres circonstances j’aurais bien sorti cette maxime de mon paternel qui dit « Femme qui rit, à moitié dans ton lit », mais curieusement je ne trouvais pas la situation bien appropriée.
   -Vous êtes plus drôle que je ne l’avais imaginé, mon tendre.
   -Tendre? Qui est tendre ici?
   -Mais vous, bien sûr…
   Son souffle a léché mon oreille lorsqu’elle a prononcé cette phrase. J’ai cligné des yeux, et elle n’était plus là. Ou plutôt, elle était derrière moi. Comme ça. Pouf. Je pouvais sentir ses excroissances mammaires contre le cuir de mon manteau. Avant que je n’ai eu le temps de réagir, elle m’a frappé dans le creux des reins avec une force qui faisait passer la plupart des mes connaissances musclées pour des petites filles. La douleur a fulguré dans tout mon corps, se propageant depuis ma colonne vertébrale.
   Ma vision a blanchi et je me suis évanoui.
« Modifié: vendredi 02 septembre 2011, 18:57:12 par Great Magician Samyël »

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La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
« Réponse #209 le: vendredi 02 septembre 2011, 18:58:50 »
J'ai remis en ligne les parties 1 à 10 des Carnets du Mercenaire. J'ai pas encore regardé tout le topic mais il me semble que ce sont les seuls post qui ont été vidés de leur substance, pour d'obscures raisons. :(

Je sais pas quand je pourrais réparer le premier post, puisque je vais devoir changer mon système de renvoie via des liens et me convertir aux ancres.