Plop ami(e)s lecteurs(trices) ^^ Voilà donc comme annoncé un peu plus haut, je reprends le Cycle là où je l'y avais laissé Que les fans du Chevalier-Lézard se rassurent, je n'abandonne pas son écriture, loin de là, mais j'ai besoin de continuer le Cycle en ce moment Votre cadeau de noël sera sûrement la troisième partie d'Argoth, soyez patients
Nehëmah ==> Tu m'excuseras auprès de ce brave Jacques donc
Je laisse tes doutes en suspend quant à ce défilé et ce qu'il s'y trouve derrière, pour laisser le mystère entier ^^
Effectivement, habile procédé que la tache d'encre Cette fois je peux répondre, ce n'est que pour laisser le suspens au lecteur, car la vérité quant aux origines d'Argoth sera révélée dans... Le Cycle! Quoi que, pas pour tout de suite, mais ça y sera ^^
Pour l'affaire Nymérius, je partage entièrement ton avis. Je ne me suis pas cassé la tête pour ce personnage, car il n'est que de second plan et sert juste à faire avancer l'intrigue. L'archétype du vieux sage/magicien me paraissait judicieux pour ce genre de personnage ^^
Effectivement, Argoth semble exempt de défauts... Mais n'est-ce pas l'une des caractéristiques des Chevaliers de jadis? Huk huk ^^ Droiture, justice, art de l'épée et de la stratégie, et une poèsie à fleur de peau pour ces dames... Enfin, je vois difficilement Argoth faire des courbettes, mais sur le principe... Voyons donc comme il évoluera, certains mystères seront levés au cours de l'histoire...
Bref, encore merci pour ce commentaire
Place maintenant au texte, et bon retour sur le Continent, sortez couverts, l'hiver est rude... __________
Le Cycle du Rouge
Livre III : Arendia.Chapitre 15 : Le Général Kalenz.
Le frère en robe blanche se déplaçait aussi vite que la décence le permettait dans ce haut sanctuaire. Ses pas résonnaient doucement dans les grands couloirs du palais pontifical de l’Arch’Mark. A chaque fois qu’il arrivait au niveau d’une statue, d’une peinture ou d’une icône représentant le Seigneur, le prêtre s’agenouillait un moment, et récitait une prière, les mains jointes.
Le palais était peut être le lieu le plus beau du Continent. Erigé sur une haute colline, il surplombait l’ensemble du compté de sa bienveillante présence. L’architecture se développait autour d’un immense bâtiment principal, qui abritait les salles du culte, les bibliothèques et les appartements du Pontife. Le reste des édifices, qui s’agençaient avec merveille entre eux recelait les quartiers des moines, les réfectoires, les scriptoriums, les salles de lectures, le Saint Cimetière, les casernes de l’Armée Sainte. Les résidants et les voyageurs pouvaient rechercher la paix et la sérénité en se promenant au milieu des magnifiques jardins qui agrémentaient les chemins menant aux différentes structures. L’ensemble était ceint d’une impressionnante muraille reflétant la puissance du Seigneur et permettant de contrer toute attaque d’infidèles.
Les murs étaient construits en pierre blanche et souvent décorés de fresques à la gloire du Dieu suprême. Les hautes colonnades dorées à l’or fin s’élevaient dans les hauteurs pour soutenir les élégantes arches qui délivraient le passage entre les différentes salles. Les hauts plafonds en voûtes étaient peints de différentes scènes de culte, tout comme les riches vitraux colorés qui laissaient entrer la lumière divine à flot. Nul ne pouvait rester insensible face à la beauté mystique du palais.
Le frère arriva finalement face à la grande et lourde porte en bois massif qui marquait les appartements du Pontife. Il salua les deux gardes, qui le reconnurent et le firent entrer. Un prêtre en robe noire vint vers lui.
-Bonjours, frère. Vous désirez vous entretenir avec sa Grâce ?
-Oui, mon père. J’ai un message pour lui.
-Dites, je me ferais une joie de le lui transmettre.
-Merci mon père. Le Commandeur est arrivé.
Eratius mit pied à terre, rapidement imité par ses valeureux soldats. Une cohorte de moines vint récupérer les chevaux pour les mener aux écuries. Les hommes franchirent la grande herse relevée du palais et pénétrèrent dans les premiers jardins. Le Commandeur fit signe à ses compagnons de rejoindre les casernes pour se restaurer et se reposer après le long voyage. Quant à lui, il continua son chemin et pénétra dans le bâtiment principal. L’écho de ses pas et les cliquetis de son armure se répercutèrent dans la haute et vaste salle qui abritait une statue en bronze immense du Seigneur. Eratius s’arrêta à ses pieds, mit un genou en terre, dégaina sa formidable épée et en posa la pointe sur le sol, puis son front sur la garde, en une posture de prière.
Il pria un long moment, avec ferveur et piété, sous les regards bienveillants des moines et des prêtres. Puis, lorsqu’il se releva, un homme chétif qui semblait flotter dans sa robe vint le chercher pour le conduire chez le Pontife.
Eratius était toujours heureux lorsqu’il devait faire son rapport à Arabéus. Il était toujours fier d’énumérer le nombre d’infidèles, de magiciens, de sorcières et autres possédés qu’il avait envoyé rejoindre leurs sombres maîtres via le bûcher. Nulle pitié pour cette engeance. Seules les flammes divines de la justice pouvait en débarrasser le monde. La joie que lui procurait les cris d’agonies, les suppliques qui se transformaient bien vite en malédictions effroyables le comblait littéralement. Il ne vivait que pour ces moments de satisfaction, du devoir accompli. Il savait que depuis son Saint Royaume le Seigneur le regardait avec bienveillance, l’encourageant dans son entreprise honorable.
Il franchit à son tour la grande porte en bois, après avoir été salué par ses deux soldats en factions devant les appartements, une des tâches les plus prestigieuses auxquelles pouvait aspirer un soldat Arch’Markien. L’homme en robe noire l’accueillit, et lui fit passer l’antichambre luxueusement décorée. Eratius se baissa pour passer sous une porte un peu basse puis se retrouva dans un grand bureau, très sombre à cause des rideaux tirés devant les fenêtres. Arabéus aimait se plonger dans l’obscurité silencieuse pour mieux méditer. Le feu vigoureux qui flambait dans la grande cheminé arrivait à peine à éclairer un coin de la pièce. Le reste restait insondable.
-Bonjours, mon fils, fit soudain une voix.
Eratius s’agenouilla avec humilité. Il mesurait fort bien l’immense honneur qu’il avait de pouvoir s’adresser au Pontife en personne.
-Bonjours mon Père.
-Quelles nouvelles m’apportes-tu, mon fils ?
-De très bonnes nouvelles, votre Grâce. Je peux affirmer que l’île de Solanéa est définitivement purgée du mal qui la rongeait.
-Fort bien, le Seigneur en soit remercié. Ferdinand D’Alembord t’a-t-il posé des problèmes ?
-Aucun, mon père. Il s’est montré très… coopératif.
-Oui, c’est un homme intelligent… Le Seigneur m’est apparu hier dans mon sommeil. Il m’a fait part des projets qu’il a pour toi, son fils le plus loyal…
Le cœur d’Eratius se réchauffa d’une infinie joie. Le Seigneur l’aimait ! Il l’appelait son fils le plus loyal ! Qu’est-ce qu’un homme pouvait vouloir de plus que cela ?
-Il veut que tu conquières Arendia pour chasser une bonne fois pour toute le mal qui gangrène le Continent.
Le commandeur se releva, et se tapa la poitrine à l’aide de son poing. Le bruit métallique du choc résonna un moment.
-Si telle est Sa volonté, alors ainsi il en sera fait. Je me mets en route dans l’heure.
-Non, mon fils. Le temps ne presse pas. Il est venu pour toi le moment d’accomplir ton Passage. Le Seigneur veut t’accompagner personnellement dans cette épreuve. Soit fier, mon fils.
Eratius retomba sur les genoux, le visage ruisselant de larmes de joie. Enfin ! Enfin ! Après tant d’années, tant d’effort… Il était enfin venu l’heure de sa consécration !
***
Samyël ouvrit péniblement les yeux. Les rafales de vent et de neiges vinrent lui cingler le visage. Le monde était blanc et gris. Au-dessus de lui, ce n’était que fureur immaculée et aveugle. Le ciel et la terre étaient connectés.
Le jeune garçon se leva sur son séant avec encore plus de difficultés. Sa couverture était rigide, glacée. Pourtant, il ne ressentait pas le froid. Tout semblait aller au ralentit. Samyël n’avait plus qu’une envie : dormir, dormir, pour l’éternité. Cependant, au fond de lui, une petite voix presque inaudible lui disait de lutter. Il fallait qu’il se relève, qu’il récupère ses affaires et se mette en route. S’il attendait de trop, il mourrait probablement dans la tempête.
Avec toute la volonté qu’il pouvait déployer, le jeune homme se mit debout. Le feu de camps n’était plus qu’un lointain souvenir, complètement recouvert de neige. Il resserra les pans de son épais manteau pour essayer de conserver un maximum de la maigre chaleur qui l’habitait encore. Il regarda autour de lui.
A sa gauche, le fleuve Nyr était complètement gelé, sa surface transformée en une glace épaisse et praticable. Il se dirigeait toujours vers le Nord, vers Arendia, presque en ligne droite. Tout autour, le bois s’étendait dans la plaine sur plusieurs kilomètres.
Samyël récupéra son sac, fourra difficilement sa couverture dedans, puis passa son arc en bandoulière et sa lame à la ceinture. Puis il se remit en route vers le nord. Ceci dit, il lui semblait oublier quelque chose. Il se souvint de quoi lorsqu’il passa devant le corps gelé et bleui de Zackary, dans le visage à moitié enseveli sous la neige avait été proprement déchiqueté. Le pantalon du vieil homme était encore sur ses talons. Samyël se demanda vaguement s’il y avait des loups dans le coin. Il n’en avait encore jamais vu de ses yeux. Cela devait être beau.
Avancer dans le blizzard était une tâche qui révélait du quasi surhumain. La haute couche de neige ralentissait vos pas, et le vent glacial s’infiltrait dans chaque ouverture pour vous emprisonner le cœur dans un carcan de glace. A chaque fois qu’il trébuchait et s’affalait sur le sol mou, Samyël s’étonnait de trouver assez de force en lui pour se relever et continuer. Zackary lui avait dit la veille qu’ils ne se trouvaient plus qu’à une journée de marche de Fort-Argent, le fief du Général Kalenz. C’était le seul itinéraire possible pour Arendia.
Arendia…
Bientôt la cité royale s’étendrait à l’horizon, au terme d’un voyage de plus de six mois à travers le vaste Continent. L’hiver avait surpris les voyageurs bien plus tôt qu’ils ne le croyaient, ralentissant leur progression et allongeant la durée de leur entreprise. Oui… Bientôt, très bientôt…
-Tu crois qu’il est mort ?
-Non, regarde, il respire.
-Il a l’air mal en point.
-Tu m’étonnes, il doit être complètement gelé. Ramenons-le au chariot. On l’emmène.
-A vos ordres, sergent !
-Hey ! Garçon ! Tu m’entends ? Ca va ?
Samyël parvint approximativement à hocher la tête. Cela ressemblait plus à un tremblement plutôt qu’à autre chose. Où était-il ? Il était allongé, et pourtant il sentait que son corps se déplaçait. Le sol était dur sous lui, il tanguait un peu. Un bateau ? Non, il n’entendait pas les bruits de la mer. Le temps s’était calmé, le blizzard était passé. Le ciel était uniformément blanc.
-Comment tu t’appelles ?
-Sssaammyalll.
Sa bouche et sa langue étaient littéralement pétrifiées par le froid. Il ne pouvait quasiment plus parler.
-Sanyal ? Tiens, c’est original comme nom ça ! Vous avez entendu Sergent ?
-Oui, j’ai entendu Tom…
-Alors, Sanyal, qu’est-ce que tu faisais tout seul sur cette route en pleine tempête ?
Samyël secoua la tête.
-Ho, excuse moi ! Attend un moment, j’ai exactement ce qu’il te faut !
Le dénommé Tom lui ouvrit la bouche, et un liquide chaud vint remplir sa gorge. Cela le réchauffait instantanément, et lorsque le breuvage dévala son œsophage, il laissa une traînée de chaleur qui fit tousser Samyël.
-Hahaha, comme je le dis toujours, un p’tit coup de gnole ça vous requinque un homme en deux secondes ! Z’en voulez Sergent ?
L’alcool avait contribué à faire repartir le cerveau de Samyël à plein régime. Une foule d’information l’assaillit : Il se trouvait dans un chariot, avec deux inconnus en armes, Zackary était mort et il ne savait pas où il était !
La panique commença à s’emparer de lui, mais il se ressaisit vite.
-Qui êtes vous ?, commença-t-il par demander.
Le sergent, qui menait l’attelage depuis le siège du conducteur, lui répondit sans se retourner.
-Nous sommes des soldats du Fort D’argent. Nous rentrons de mission.
-Fort Argent ? C’est là bas que vous vous rendez ?
-C’est ce que j’ai dit, oui.
La Providence existait-elle ?
-C’est parfait, c’est là que je me rends également.
-Qu’est-ce que tu faisais seul en pleine nature par temps de tempête ?, redemanda Tom.
-Je me rends à Arendia, avec Zackary.
-Qui est Zackary ? Il n’y avait que toi, sur la route…
-Je sais, je crois qu’il… Je crois qu’il est mort.
A présent, la scène lui revenait en mémoire, et avec tous les détails sanglants. Peut être était-ce parce qu’à ce moment là il était complètement groggy, mais étrangement Samyël n’en éprouva pas beaucoup de peine.
-Il a été dévoré par des loups.
-Ho… Je suis désolé…
Un silence pesant s’installa entre les trois hommes. Ils suivaient le cours du Nyr à une allure rapide et régulière. Le chariot était tiré par deux puissants chevaux d’attelage robuste et endurant.
-D’ où… D’où tu viens ?, demanda timidement Tom pour briser ce silence qui le rendait mal à l’aise.
-De Solanéa.
-Je ne connais… Ca se situe où ?
-C’est une petite île, tout au Sud du Continent.
-Tout au Sud ? Mais c’est à des Kilomètres, même des centaines de kilomètres !
-Oui, je sais.
Les jambes de Samyël s’en rappelaient très très bien…
-Ba ça alors…
-On m’a dit que Fort Argent est la dernière défense d’Arendia, c’est vrai ?
La mine des deux soldats s’assombrit soudainement. Ca avait l’air d’être un sujet très sensible.
-Malheureusement oui, répondit quand même Tom sur un ton lugubre.
-Ces chiens de fanatiques… On leur ferra payer tout ça, un jour !
-Et… Vous combattez même par ce temps ?
-Non, non, bien sûr que non ! A cette période de l’année, les armées prennent du repos, ce qu’on appelle les quartiers d’Hiver, car le sol et le temps ne permettent pas de combattre correctement. C’est une règle immuable de la guerre, qu’on respecte depuis le commencement du monde !
-Mais les camps du Commandeur ne sont pas très loin du fort. Nous devons rester vigilants, ils prévoient certainement une attaque dès le début du printemps. Quoi que, j’ai l’impression qu’ils se sont relâchés ces derniers temps.
-Après tout ce temps, peut être qu’ils renoncent !
-Cela m’étonnerait, Arabéus n’aura de cesse tant que le monde ne lui appartiendra pas.
Les deux militaires crachèrent sur le sol à l’unisson.
-Mais ils pourront essayer autant de fois qu’ils voudront, l’unique passage pour Arendia restera définitivement clos. A ce propos… (Le sergent tourna la tête et scruta attentivement Samyël, soudainement soupçonneux) Pourquoi te rends-tu là bas ?
Le jeune homme réfléchit à toute allure. Il ne savait pas trop quoi répondre. Les ultimes avertissements de Rirjk défilèrent devant ces yeux, mais ces deux hommes ne faisaient-ils pas partis de la dernière armée libre du Continent ? Ne devait-il pas leur faire confiance ?
-Je vais à la Citadelle. Pour devenir Mage.
Les yeux de ses compagnons s’agrandirent de stupeur, et des sourires immenses leur fendirent la bouche. Tom le prit par les mains, tremblant de joie.
-C’est vrai ? C’est vrai ?
-Ou.. Oui, pourquoi vous mentirais-je ?, répondit Samyël, surpris par leur réaction.
-Vous avez entendu ça Sergent ? Il reste de l’espoir ! De l’espoir !
Les paroles de Tom hantaient Samyël. Il ne se les expliquait pas. Qu’avait-il voulu dire par « il reste de l’espoir » ? Pour masquer son trouble et se calmer les idées, il but une longue rasade de cet alcool fort. Il commençait à l’apprécier. L’élixir le réchauffait, et le rendait étrangement euphorique. C’était une drôle de sensation.
-Nous y voilà… Dhaz’Dorath, Fort d’Argent…
Samyël releva la tête, et sa bouche s’agrandit de stupeur lorsqu’il aperçut le paysage qui s’offrait à lui.
La citadelle était comme un magnifique bijou d’argent étincelant qui se nichait dans un défilé étroit dont les parois rocheuses s’élevaient très haut. De part et d’autre de la route principale qui menait au pont-levis s’alignaient d’impressionnant arbres à l’écorce d’un blanc immaculé. Le fort était construit en pierre de couleur gris-clair, et alliait excellemment esthétisme et efficacité, en une perle de génie architecturale. Des meurtrières étroites fleurissaient un peu partout sur la muraille et les tours élégamment crénelées étaient surmontées d’oriflamme portant le blason de Kalenz, un arbre d’Argent sur fond rouge. Samyël pouvait distinguer des centaines de soldats sur le chemin de ronde, prêts à donner l’alerte à la moindre menace. Le jeune homme distingua également plusieurs machines de guerre dont il n’aurait su dire les noms. Des espèces d’arcs géants braqués sur la route. Il n’était pas bien difficile de s’imaginer les ravages que de telles armes pouvaient provoquer dans les rangs ennemis. Vu comme ça, il paraissait impossible de s’emparer du château. Et pourtant, Arabéus et son commandeur s’y échinaient depuis plusieurs années.
-C’est vraiment… impressionnant…, souffla Samyël, admiratif.
Remplis de fierté, les deux soldats sourirent d’un air entendu. Puis Tom brandit un drapeau rouge et l’agita au dessus de lui après s’être mis debout.
Le signal fut bien reçu, et le pont-levis commença doucement à s’abaisser dans un bruit infernal de chaîne.
Depuis le chemin de ronde, Samyël pu enfin avoir une vue plus globale du Continent, et de tout le chemin qu’il avait parcouru en six mois en compagnie du vieux Zackary –les Dieux aient pitié de son âme. Cette terre était d’une beauté saisissante, surtout couverte de son blanc manteau de neige. L’hiver était la période préférée de Samyël. Le temps de la pureté immaculée venue du ciel. Quand tout était calme, serein, spirituel. Mais d’un autre côté, cela lui rappelait la triste fin de son grand père, survenue à cette période de l’année… Déjà sept ans depuis le terrible événement. Samyël avait plus ou moins déjà fait son deuil. La tristesse et le chagrin ne lui apportaient rien, il avait appris à ne plus les éprouver. Ceci dit, quand il avait appris la capture de Rirjk, il n’avait pas été capable de retenir ces deux sentiments. Mais un nouveau s’était formé à ce moment là, la rage. Rage de vivre, rage d’exister, rage de vaincre. Devenir le meilleur. Il s’était rendu compte au cours des six derniers mois que dans ce monde seule la force avait une quelconque importance. Les faibles servaient d’esclaves ou d’exutoires aux forts, et pas l’inverse. Il n’y avait que l’argent pour rivaliser avec la force.
Lors du voyage, Samyël avait également assisté à quelques bûchers. Il avait vu des gens de sa race brûler vif en hurlant de douleur pour le seul crime d’exister en tant que magiciens. Les ecclésiastiques et les soldats fanatisés ne pardonnaient rien. Le mal devait être purger par le feu et la violence. Seule une justice expéditive pouvait préserver le peuple des « démons » qui hantaient le Continent. Ces images restaient gravées dans l’esprit du jeune magicien, et un nom venait souvent s’y transposait, un nom qu’il hurlait toutes les nuits dans ses plus sombres cauchemars, Eratius.
Devant ces sombres spectacles, Samyël avait pris une décision. Il ne pouvait supporter de vivre dans un tel monde. Il devait le changer. Mais la tâche était ardue. Il lui fallait une armée, de l’or, des terres. Il devait devenir quelqu’un. Une personne crainte et respectée, connue de tous, un héros qui délivrait le peuple oppressé. La magie l’y aiderait. Les mages de la Citadelle comprendraient sûrement également. Ils l’aideraient sans aucun doute. Puis il tuerait Eratius et son Pontife dément, et le monde serait sauvé. Grâce à lui.
Cette idée était vraiment séduisante.
Mais son esprit vif et intelligent, savait que ce n’était encore une fois rien d’autre que des rêves de gamins. Si c’était si facile, pourquoi personne ne l’avait-il déjà fait ? Non, l’évidence s’imposait. Il ne pouvait rien faire. Cette triste fatalité lui arracha un sourire ironique.
-Jeune homme ? Jeune homme ?
Une voix un peu timide le tira de ses pensées. Il se tourna vers le soldat qui lui faisait signe d’approcher depuis le pas de la porte qui menait aux escaliers. Il se dandinait d’un pied sur l’autre, visiblement gêné.
-Le général va te recevoir. Suis moi.
Samyël obtempéra. Le militaire se retournait assez fréquemment vers le jeune homme, et lançait de rapides regards sur la chevelure vermeille. Samyël ne s’en formalisa pas. Certes cela l’avait déstabilisé initialement lors de ses premiers jours sur le Continent, où tout le monde se taisait à son passage, et fixait intensément ses cheveux rouges, contrairement à Solanéa où chaque habitant le connaissait. Mais il avait apprit à ne plus y faire attention. Cependant, quand les gens insistaient vraiment, cela avait tendance à l’agacer. Samyël avait également appris que les différences rendaient les gens nerveux ou gênés, voir violents.
Ils traversèrent la cour enneigée puis pénétrèrent dans le donjon.
Une fois arrivés devant les portes de la Salle du Trône, les deux gardes en factions devant celles-ci confisquèrent les armes de Samyël en lui promettant de les lui rendre une fois l’entretient fini. Le jeune garçon comprit parfaitement qu’en temps de guerre, on ne pouvait pas laisser n’importe qui s’approcher du général juste car il prétendait vouloir devenir magicien. Puis les soldats saisirent chacun un des battants et tirèrent afin d’ouvrir un passage dans lequel Samyël s’engouffra.
La Salle était assez vaste, quoi qu’assez vide. Les murs de pierre étaient recouverts de tableaux, de blasons, d’armes finement travaillées, d’étendards et bien d’autres. Un tapis de soie rouge menait jusqu’au pied d’un grand siège sur lequel était assis le général Kalenz en personne.
Le général ne ressemblait pas du tout à l’image que s’en faisait le jeune homme. Il se l’était imaginé grands, forts, avec des bras et des cuisses comme des poteaux, un cou de taureau, le crâne rasé et un regard furieux. Un guerrier, en fait.
Or Kalenz n’était rien de ceci. De taille moyenne, il était élancé mais athlétique. Il avait des traits aristocratiques fins, qui lui conféraient une beauté surprenante, mais qui respiraient la douceur mêlée à une autorité sans appel, quoique juste. Ses yeux verts en amande fixaient son jeune invité avec un mélange de gêne et de surprise. Ses cheveux mi longs plaqués en arrière ainsi que sa fine moustache de gentilhomme étaient roux. Une couleur que Samyël n’avait encore jamais vu chez un être humain, il en avait seulement entendu parlé au travers des récits de son Grand Père. Car la rousseur était une caractéristique propre à la lignée des Hÿalenz, dont été issu le général, le dernier descendant des dix chevaliers originels qui avaient lutté au côté du roi Aegir.
Etrangement, Samyël se sentit diminué face à cet homme, qui n’avait pourtant rien d’inquiétant. Il émanait de lui une étrange aura de force sereine, d’autorité tranquille qui forçait le respect. Arrivé suffisamment près, Samyël détourna le regard et s’agenouilla.
-Général Kalenz, c’est un ho…
-Qui es-tu ?
-Pa… Pardon ? (Samyël se sentit idiot, il bafouillait ridiculement, et son cœur cognait fort dans sa poitrine.)
-J’ai dit, qui es-tu ?
-Je m’appelle Samyël.
-Je le sais. Ma question est, qui es-tu ?
Le jeune garçon regarda son interlocuteur sans comprendre. Se moquait-il de lui ?
-Sire, je vous l’ai dit, je m’appelle Samyël.
-Oui, oui je sais tout cela. Mais un nom n’est rien d’autre qu’un nom. La chose qui m’intéresse est de savoir qui tu es. Pas qui tu prétends être.
La confusion de l’adolescent s’accentua.
-Je… Je crains de ne pas vous suivre, sire.
-Je crains de ne pas me suivre moi même… Cette guerre nous rend tous fous. Enchanté de te rencontrer, jeune Samyël. Ta venue est providentielle. Tout n’est peut être pas perdu.
-Que voulez-vous dire ?
-Quand j’étais jeune, un peu moins que ton âge, voir des garçons sillonnaient les routes pour se rendre à la Citadelle dans le but d’entreprendre des études de magie était monnaie courante. Maintenant, cela doit bien faire trente années que je n’avais plus vu quelqu’un comme toi. Au rythme ou vont les choses, la magie risque de disparaître purement et simplement. Ainsi, te voir debout face à moi, le regard déterminé et me dire avec résolution que tu t’apprêtes à devenir mage me redonne de l’espoir. Oui, tout n’est pas perdu.
Le général se leva de son siège, et avança de quelques pas. Tapotant l’épaule de Samyël, il lui fit comprendre qu’il pouvait se relever.
-Quoi qu’il en soit, pour toi, et ce sera la première fois depuis de longues années, j’ouvrirais la porte qui garde la route jusqu’à Arendia. Tu n’auras plus qu’à suivre le Nyr et tu arriveras à la capitale.
-Merci, général.
-Cessons ces règles de protocoles futiles, appelle moi simplement Kalenz. Tu ne t’en rends peut être pas compte, mais le simple fait que tu puisses contrôler les Arts, certes pour le moment de bien maigre façon, fait de toi mon égal sur le plan politique et sociale. Peut être même plus.
Samyël fut abasourdi par cette information. Jusqu’à présent il ne s’était jamais interrogé sur cet aspect de son apprentissage. D’ailleurs cela lui semblait tout bonnement surréaliste. Parce qu’il savait faire apparaître un globe lumineux dans sa main cela faisait de lui un grand de la société ?
-Ceci dit, le temps reste encore indécis, une tempête risque d’éclater avant la nuit. Reste ici ce soir prend un peu de repos. Le voyage a dû t’épuiser.
-Cela fait à peu près trente ans que je tiens ce fort contre les hommes d’Arabéus. Crois moi, il ne tombera pas de sitôt. Tant que je serais vivant en tout cas.
-Kalenz, il y a quelque chose que je ne comprends pas.
-Oui ?
-Et bien… Comment dire… Le Continent est vaste… Et… Comment se fait-il que le défilé d’Argent soit le seul endroit où les armées du Pontife puissent passer pour atteindre Arendia ?
-Car ils ont peur.
-Peur ? Peur de quoi ?
-De vieilles légendes mentionnent l’existence d’anciennes reliques magiques disséminées aux points stratégiques de la Plaine de L’Arch’Land, que les magiciens de la Citadelle pourraient réactiver pour couper court à toute tentative d’invasion.
-Et c’est vrai ?
-Bien sûr que non. Mais les gens croient ce qu’ils ont envi de croire. Et malgré toutes leurs belles paroles, ce qu’Arabéus et ses hommes redoutent le plus c’est bien évidemment la magie. C’est en partie pour cela qu’ils veulent l’éradiquer. Par conséquent, leur dernière possibilité est de passer par le Fort Argent, tenu non pas par des créatures et des boules de feu, mais par des hommes mortels équipés de fer et d’acier.
-Je vois…
Cela paraissait vraiment étrange à Samyël. Il trouvait cette histoire bancale et tirée par les cheveux. Ceci dit, les faits étaient là. Alors qu’ils avaient tout le loisir d’encercler la capitale de tous côtés, les Arch’Markiens préféraient envoyer leurs troupes s’écraser contre les hautes murailles du Fort.
-Sais-tu te servir de ton épée ?, demanda soudainement le général, tirant Samyël de ses pensées.
-Un peu, Zackary m’a enseigné les bases.
Pour souligner son propos, Samyël fit coulisser la lame hors du fourreau.
« -Vois-tu, l’art de l’épée est l’équivalent physique de la magie. C’est une manière d’être, une manière de vivre. Elle demande autant d’efforts et de concentration que l’étude magique. Cela requiert un corps fort et un esprit vif mais paisible. Dix centimètres d’acier peuvent tuer plus vite qu’un éclair ou une sphère de flammes. Maîtrise ton épée, fait tienne sa force et sa volonté, et tu seras un bon combattant. Lorsque tu te bats, tu ne dois penser à rien d’autre qu’à ton adversaire, focalise toute ton attention sur lui, observe le, analyse le, anticipe le, et bat le. Ce sont les préceptes de l’escrime. »
-Que dirais-tu de participer à quelques duels amicaux ? Avec ce froid, il faut se maintenir en forme, et l’exercice réchauffe.
-Oui, pourquoi pas. Je suis curieux de voir ce que je vaux à l’épée.
-Bien, dans ce cas suis moi.
Kalenz guida Samyël au travers des longs couloirs du Fort jusqu’à une petite cour centrale qui servait de terrain d’entraînement. Plusieurs soldats étaient à pied d’œuvre et s’affronter avec des armes émoussées. Lorsqu’ils s’aperçurent de la présence de leur général, ils s’arrêtèrent et le saluèrent en se tapant le poing sur le cœur.
-Messieurs, que diriez-vous de vous mesurer à notre invité ?
Les hommes regardèrent Samyël avec surprise, puis éclatèrent de rire.
-Bien, c’est réglé, dit Kalenz avec un sourire malicieux. L’équipement d’entraînement est par là.
« -Le physique ne fait pas tout. Un colosse de deux mètres avec des bras comme des poteaux et ne se reposant que sur sa force n’a aucune chance contre un adversaire agile. Un bon escrimeur allie force, vitesse et technique. Si tu doutes de tes muscles, sert toi de ta tête et de tes jambes. Bouge toujours, ne laisse aucune faille dans ta défense. La moindre petite brèche peut se révéler fatale. Dans le même ordre d’idée, ne laisse pas à ton adversaire l’occasion de t’attaquer. Lance assaut sur assaut, enchaîne les bottes et les feintes, sois agressif. Souviens toi toujours que lors d’un combat, tu mets ta vie en jeu. Alors défend la de toutes forces. »
Samyël posa sa main sur la garde de son épée. Il mit une jambe en avant et positionna son corps en biais. Une posture classique. Le soldat qu’il avait en face de lui, croyant avoir à faire à un gosse n’ayant jamais touché une lame de sa vie, fonça sans se soucier de rien. Sereinement, Samyël attendit le bon moment, se décala un peu puis déferra sa lame aussi vite qu’il le put, la positionnant sous le cou de son adversaire.
Le public resta sans voix. Kalenz sourit. Le soldat, médusé, recula un peu, puis s’effondra sur les fesses, regardant le jeune garçon avec des yeux ronds.
-Finalement, l’entraînement du vieux ne devait pas être si mauvais que ça, dit simplement Samyël en rengainant son arme.
« -Samyël, surtout, ne tire aucun orgueil de ton épée. Sois toujours humble. Car il y aura toujours un homme pour te dépasser et te vaincre. Si cela arrive un jour, n’en tire aucune rage, ne te blâme pas ou que sais-je encore. Prend plutôt cela comme une leçon et tire en des conclusions. C’est ainsi que tu progresseras toujours plus dans l’art de l’épée. Un bon guerrier fait davantage confiance à sa lame qu’à son habilité. En maniant longuement la même arme, le combattant tisse avec elle des liens forts qui l’aident à se battre. Changer d’épée comme de chemise n’est jamais bon. Un escrimeur peut avoir une épée forgée par le plus grand maître forgeron du monde, il n’aura aucune chance face à une lame de moindre qualité si elle est maniée par une personne la manipulant depuis de longues années. Considère ton arme non comme un outil, mais comme une entité, comme une amie. Une compagne qui t’épaule et qui t’aide. On dit que si les liens sont vraiment forts, l’esprit de l’épée apparaît à son possesseur. Met en pratique tout ce que je t’ai appris, entraîne toi régulièrement et tu deviendras un redoutable combattant. »
Transpirant abondamment, Samyël massa son épaule meurtrie. Il tomba à genoux, déclarant sa défaite. Kalenz sourit, rengaina sa lame puis aida le jeune homme à se relever.
-Ta technique est intéressante, mais tu as encore de gros progrès à faire.
Samyël acquiesça. Après s’être fait rosser proprement, le doute n’était pas permis. Il ferma un moment les yeux, et repassa mentalement le combat qui venait de se dérouler. Non, vraiment, la différence de niveau était beaucoup trop importante.
-Est-ce que le Commandeur est fort ?
Réalisant la stupidité de sa question alors même qu’elle franchissait sa bouche, Samyël grimaça en se traitant d’idiot. Kalenz le regarda, pensif, puis perdit son regard dans le ciel.
-Oui, il est fort. Pour l’avoir vu de près, je mettrais ma main à couper que je n’aurais aucune chance contre lui en combat singulier.
Cette nouvelle dépita Samyël. Il serra le poing de rage. Eratius était très fort à l’épée ? Aucune importance, il comblerait le manque de force par sa magie. Etrangement, Samyël se mit à souhaiter de rencontrer le Commandeur en personne. Peut être pour mieux lui passer sa lame au travers du corps…
Un rictus dément tordit ses traits.
Nul ne le vit, mis à part le général Kalenz. Une boule se forma dans sa gorge, et il sentit une sueur brûlante descendre subitement le long de sa colonne vertébrale. Un étrange pressentiment le saisit alors qu’il contemplait le visage du jeune homme.
« Est-il vraiment celui que l’on attendait ? », ne pu-t-il s’empêcher de penser.
Mal à l’aise, il déclara soudainement d’un ton faussement enjoué.
-Aller, assez combattu pour aujourd’hui. Le repas doit être prêt, tu dînes à ma table ce soir. Je te présenterais à Marron, notre mage.
Samyël releva la tête. Son sourire fou avait disparu, il arborait à nouveau le visage expressif et heureux d’un adolescent normal –outre cette teinte de cheveux bizarre.
-Je ne savais pas qu’il y avait un magicien ici !
Kalenz avait-il rêvé ? Sûrement. Pourtant… Pourtant il était sûr d’avoir vu un tout autre visage quelques instants plutôt.
-Et comment aurions nous pu tenir si longtemps sans un soutient magique ?
Allons bon. Ce n’était sans doute rien. La lumière était mauvaise, cela avait dû fausser son jugement. Il devenait vieux, tout simplement…
Marron était un homme avoisinant la quarantaine, mais qui était perpétuellement agitée d’une bonne humeur contagieuse. Il remontait sans cesse ses lorgnons le long de son nez, et tenait toujours un livre, comme si c’eût été un besoin vital. Plutôt ventripotent, il se vêtait souvent d’une ample robe auburn, ne démentant pas ainsi la tradition voulant qu’une personne de magie porte une robe.
Samyël le rencontra brièvement lors de la soirée. Le mage fit un rapide détour par la salle à manger pour saluer leur hôte, puis il repartit presque aussitôt à ses livres, comme si il était sur le point de découvrir quelque chose de capital.
-Ne t’en fais pas, dit le Général avec un sourire, il est toujours comme ça. Tu auras sûrement l’occasion de le voir un peu plus tard.
Samyël acquiesça distraitement en hochant la tête. Il savourait le repas exquis, servi dans des assiettes dorées. Cela le changeait de la viande séchée, du fromage et des fruits secs qu’il avait mangé durant tout le voyage. La viande juteuse fondait littéralement dans sa bouche ; les légumes cuits à la perfection croquaient sous ses dents… Il se régala plus que de raison.
-Parle moi un peu de toi, continua Kalenz en buvant un peu de vin.
-Que voulez vous savoir ?, répondit le jeune homme en relevant vaguement les yeux.
-Je ne sais pas… Tu as de la famille ?
-Je n’ai jamais connu mes parents. Mon grand-père m’a recueilli très tôt après ma naissance et il m’a élevé seul. Eratius l’a assassiné, il y a sept ans.
-Ainsi donc il était magicien ?
-Non, pas vraiment. Il s’est sacrifié pour sauver la vie de mon maître.
-Une noble fin. Ce devait être un grand homme.
-Oui, un très grand homme. Plus grand que je ne puis l’imaginer.
-Et ton maître ? Parle moi de lui.
-Rirjk ? C’était quelqu’un de bien aussi. C’était un bon maître, il m’a élevé à la mort de mon grand père.
-Rirjk ? Tu as dit Rirjk ?
-Oui, en effet, c’est ce que j’ai dit. Il y a un problème ?
-Non, non, aucun, pardonne-moi. J’ai cru me souvenir de quelque chose, mais ce n’est pas possible. C’est lui qui t’a envoyé vers la Citadelle ?
-En quelque sorte. Du moins c’est ce qu’il me conseillait de faire dans sa lettre.
-Dans sa lettre ?
-Les Arch’Markiens l’ont enlevé il y a six mois. Il semblait s’y attendre, il m’avait écrit une lettre au cas où cela se produirait. Je ne sais pas s’il est encore en vie, quelque part…
-C’est peu probable, je sais ce que ces foutus fanatiques infligent aux gens de magie…
-Je le pense également…
Sur l’arbre auquel Henry était pendu, une deuxième silhouette apparut dans l’esprit de Samyël. La silhouette de Rirjk, se balançant doucement au bout d’une corde.
-Ton grand père avait également les cheveux rouges comme toi ?, fit Kalenz, désireux de changer de sujet.
-Non, il était brun. Personne ne sait d’où ils me viennent. Sûrement de ma mère.
-Je vois, je vois…
Le général porta sa coupe à ses lèvres, et but une gorgée de liqueur.
-Tu sais gamin, dans le fond, je t’admire. Tu es plus courageux que moi.
Samyël releva la tête cette fois-ci. Kalenz le regardait fixement, une étrange lueur dans le regard.
-Que voulez-vous dire ?
-Tu te diriges vers une vie vouée aux études de la magie. Dans un monde devenu complètement fou et qui ne désire que son éradication. Dans quelques années, tu seras l’un des ennemis publics numéro un. Tu seras traqué, chassé, sûrement assassiné. Mais sachant tout cela, tu continues bravement ta route. Oui, je t’admire.
Une boule se forma dans la gorge de Samyël. Il n’avait jamais envisagé les choses sous cet angle. Son esprit était encore enchaîné par les grives de l’enfance. Il baissa les yeux vers son assiette. Il n’avait plus faim tout à coup. Il commença à s’imaginer que derrière chaque colonnade, chaque porte, à chaque détour d’un couloir, il y avait un homme, attendant le bon moment pour lui planter une dague entre les omoplates. Une sueur âcre glissa le long de son dos. Son futur lui parut soudainement beaucoup plus incertain.
-J’ai pris une décision, là, dans l’instant. ‘Sûrement aidé par cet excellent vin. Je te fais une promesse. Je tiendrais ce fort pour cinq ans encore, au moins. En échange, tu dois me promettre quelque chose.
-Quoi donc ?
-Lorsque tes pouvoirs auront suffisamment grandi, tu prendras part à la guerre.
Le général semblait très sérieux. Ses yeux légèrement rouges à cause de l’alcool ne cillaient pas. Il attendait une réponse. Samyël réfléchit juste un moment aux conséquences qu’aurait cette promesse. Mais après tout, dans le fond, après la mort d’Henry, pourquoi avait-il continué l’apprentissage des Arts ? Pour finir illusionniste de rue, comme le vieux Zackary ? Pour mourir pendu au bout d’une corde ou brûlé vif en place publique sous les hués d’un peuple aveuglé ? Non. Il voulait se battre. Il voulait prendre sa revanche. C’était clair comme de l’eau de roche. Nulle hésitation ne pouvait ralentir sa parole.
-Je vous le promets, général.
-Général, puis-je vous parler ?
Kalenz abaissa le bras, signalant aux sentinelles d’activer les systèmes d’ouverture de la Porte de la Lune. Après quelques instants, les lourds battants commencèrent doucement à s’ouvrir.
-Bien sûr, mon cher Marron, je vous en pris.
Le temps était radieux, le ciel d’une bleuté immaculée. Seul le froid mordant et le paysage enneigé signalaient la présence de l’hiver.
-Il y a quelque chose qui me trouble à propos de maître Samyël.
Le magicien se plaça à côté de Kalenz, et tous deux, depuis les créneaux, regardèrent la petite silhouette rougeâtre qui entamait le voyage final jusqu’à Arendia.
-Je vous écoute.
-Mon général, c’est assez difficile à expliquer. J’ai pu m’entretenir avec lui. Je ne doute nullement de ses intentions et de ses dires. Seulement, j’ai eu l’occasion de tester son pouvoir, et il m’est apparu que ce garçon ne possède aucune once de magie en lui.
Kalenz fronça les sourcils mais ne quitta pas Samyël des yeux.
-C’est faux, il a fait apparaître une sphère de lumière dans sa paume hier au dîner.
-Je le sais, et c’est justement cela la source de mon trouble.
Un silence méditatif s’installa entre les deux hommes. En contre-bas, la porte de la Lune se refermait aussi doucement qu’elle ne s’était ouverte. Quelques années seraient sûrement nécessaires avant que ses battants ne bougent de nouveau.
-Êtes vous sûr de ce que vous avancez ?
-Sûr, mon général, autant qu’un magicien peut l’être.
Sans trop savoir pourquoi, Kalenz revit dans son esprit le visage illuminé d’un sourire dément de Samyël, la veille sur le terrain d’entraînement. Il chassa cette idée d’un revers de la main.
-Mais sera-t-il apte à apprendre vos Arts ?
-Il semblerait que oui, au vue de ce qu’il est déjà capable de faire.
-Dans ce cas oubliez vos troubles. Nous en avons moins besoin que de sang neuf dans les rangs des vôtres.
Marron acquiesça en se caressant le menton.
-A vos ordres mon général.
En silence, les deux hommes rentèrent à l’intérieur, chacun ruminant ses pensées, partagées en espoirs et incertitudes.