Content de voir que Triangle te plaise toujours autant!
Je pense diviser l'histoire en trois parties, mais rien n'est encore définitif au niveau de l'organisation. Quoi qu'il en soit, on est encore assez loin de la fin. Pour "Chroniques d'Hyrule", il s'agit en effet d'un clin d'oeil à ta fiction, que je me suis promis de lire! C'était aussi en quelque sorte un hommage à ma plus fidèle lectrice
Pour Feena, et bien... Je crois que le chapitre suivant te fera plaisir ; p
Bonne lecture! Ci-joint la liste des personnages principaux, ainsi que la traditionnelle suite de Monarque, _____________________________
Triangle de Pouvoir.
PERSONNAGES PRINCIPAUX.
-Noblesse-
Famille d’Hyrule (Royale, l’Aigle écarlate coiffé de la Triforce)-Salomon, roi d'Hyrule, 78 ans
-Ishtar (née Parel), sa reine, 35 ans
-Zelda, princesse, leur fille, 14 ans
-Nohansen, prince, leur fils, 8 ans
-Lord Link (Le Loup de sable sur champ sinople), prince héritier par mariage, Gouverneur du Sud, 28 ans
Famille Dodongo (Le Rubis couronné d'or)-Lord Darunia (veuf), sire des Chaînes du Péril, 56 ans
-Ser Sedrik, son fils, 17 ans
-Ser Goro, son fils, 21 ans
-Ser Allister, son fils, 27 ans
-Lord Darmani, son frère, 49 ans
Famille Zora (Le Saphir émaillé d‘or)-Lady Ruto (veuve), dame de Château-L'hylia, 34 ans
-Lars, son fils, 9 ans
-Ser Mikau, cousin, 26 ans
-Lady Lulu, sa femme, 22 ans
Famille Mojo (L’Emeraude ceinturée d‘or)-Lord Dumor dit le Lutin, sire de la citadelle de Boisperdu, 39 ans.
-Lady Saria, sa fille, 11 ans.
-Ser Mido, son fils, 18 ans
Famille Dragmir (l’Ambre ceinte d‘argent)-Lord Dorf, sire de la Vallée Gerudo, 35 ans
-Nabooru, sa concubine, 26 ans
-Koume et Kotake, ses sœurs, jumelles, 22 ans.
-Petite chevalerie et petites gens-
-Maître Baelon, haut chambellan royal, 54 ans
-Ser Talon, maître d’arme royal, anobli, 46 ans
-Malon, sa fille, courtisane de Ser Sanks, 16 ans
-Maître Ingo, palefrenier royal, cousin de Talon, 42 ans
-Marine, tenancière de l'auberge "Au Poisson-Rêve", 23 ans
-Balder, propriétaire du "Barda de Balder", 15 ans
-Feryl, capitaine de la Garde Royale, 37 ans
-Tingle Tingle, bouffon royal, 35 ans
-Ser Locke Sanks, dit le Chien, serviteur de Link et chevalier du royaume, 29 ans
-Colin, lieutenant de Link, 27 ans
-Japas, officier de Link, 28 ans
-Linebeck, contrebandier terminien, 35 ans
-Tael, premier matelot de Linebeck, 17 ans
-Keeta, capitaine des armées d’Ikana, 46 ans
-Peter Juste-Peter, tenancier de la Putain de la Reine, 29 ans
-Taya, esclave de Linebeck, 16 ans
-Factions-
Le Sheikah (l’Ombre éplorée)-Tarquin Qu'un-Oeil, maître, 56 ans
Le Temple (la Lumière temporelle)-Rauru l’Intemporel, Grand Prêtre des Trois et Gardien du Temple, 62 ans
-Le Père Reynald, prêtre, 45 ans
Le Consortium Aedeptus. (l’Esprit des arcanes)-Exelo, archi-maître, 168 ans
-Agahnim le Sombre, maître, Premier Conseiller du Royaume, 42 ans
-Kaepora, ex-maître, 67 ans
-Vaati le Beau, maître, 21 ans
-Xanto le Facétieux, maître, âge inconnu
-Sahasralah, maître, 98 ans
-Médolie, apprentie, 14 ans
-Laruto, ex-maîtresse, enchanteresse de la famille Zora, 56 ans
-Fado le Faiseur de Vents, mage, conseiller de la famille Mojo, 32 ans
-Scaf, apprenti, ami de Médolie, 13 ans
-Madura, mage, prophète doué du Don des Langues, 67 ans
-Les Clans-
Logre (Les Doubles Haches Croisées Cramoisies)-Feena Hurlebataille, chef, 46 ans
Têtes-Jaunes-Fehnir, chef, 39 ans
_________________________________
DEUXIEME PARTIE
XI
-Feena-
La cérémonie se déroulait dans la Grande Salle, qu’on avait spécialement apprêtée pour l’occasion. Un long tapis rouge luxueux la parcourait de bout en bout jusqu’au pied des quelques marches de l’estrade sur laquelle on avait placé le haut Trône d’Or, symbole de la puissance du royaume et de son souverain. Sur les côtés, non loin du trône, on avait installé de longs bancs ou seigneurs et dames avaient loisir de pouvoir s’assoir pour plus de confort. Les suivants, courtisans, valets, laquais, servantes, marmitons, palefreniers, écuyers et hommes d’armes avaient été relégués au fond de la salle, près de la massive double porte, et faisaient un raffut du diable en bavassant à qui mieux mieux.
Les places sur les bancs n’avaient pas été spécialement attribuées, découvrit Feena Hurlebataille, contrairement à cet ennuyeux et interminable banquet de l’avant-veille. Elle s’était donc arrangée pour se trouver une place à côté de la putain personnelle du Chien, la fameuse Malon. Celle-ci s’était raidie à son approche, mais lui avait quand même rendue un petit sourire crispé. Son autre voisin était l’étrange homme-enfant serviteur de Lord Dumor. Il la salua d’un hochement de tête, et elle le lui retourna machinalement. Il s’était vêtu d’une robe d’érudit dans les tons vert forêt mais qui faisait sur lui l’effet d’une robe de chambre ridicule, tant il flottait dans le vêtement. Feena remarqua que Malon faisait de son mieux pour éviter de le regarder, et trouva cela curieux.
-Vous semblez rendre ma voisine nerveuse, glissa-t-elle discrètement au magicien en se penchant vers lui.
Fado le Faiseur de Vents inclina légèrement la tête sur le côté, comme s’il écoutait quelque mystérieux son de lui seul audible, et son sourire s’élargit quelque peu.
-Il y a beaucoup de gens que je rends nerveux.
-Pourquoi cela?
-Je suis aveugle, je ressemble à un enfant, et je suis mystérieux. L’homme craint ce qu’il ne connait pas.
-Cette chance que j’ai, alors, d’être une femme, ironisa la guerrière.
-Voilà un trait d’esprit habilement décoché, dame. Mais j’ai peur de ne pas encore avoir eu le plaisir de faire votre connaissance?
-Je suis Feena Hurlebataille, meneuse de la tribu de Logre, des clans des plaines.
-Ha! Oui, je vois… La fameuse Feena. Bien. Bien.
L’étrange petit homme hochait la tête en marmonnant, souriant, comme s’il songeait à quelque chose.
-Je suis Fado, certains précisent le Faiseur de Vents. Ce qui est sot, au demeurant. Je ne fais pas le vent, je l’écoute. J’ai l’honneur de servir Lord Dumor.
-Vous écoutez le vent? Qu’a-t-il donc à dire de si intéressant? Moi il ne fait que me hurler dessus en me fouettant le visage.
Fado ne répondit pas, son éternel sourire enraciné sur ses traits. Alors qu’elle allait se détourner, pensant qu’ils n’avaient plus rien à se dire, il demanda :
-Puis-je toucher votre visage?
Feena saisit la main menue du magicien par le poignet et la posa doucement sur sa face. Les doigts fins et gracieux de l’homme-enfant glissèrent sur sa peau comme une caresse, découvrant le nez droit et fier, les lèvres farouches et pleines, les pommettes hautes, le front dégagé, les yeux étroits ; puis filèrent doucement, tout doucement, le long de la cicatrice qui courait en travers du visage de Feena. Pour finir, il effleura légèrement quelques boucles de cheveux roux cendré, puis hocha la tête d’un air satisfait.
-Vous êtes, assurément, une très belle femme. Hélas trop… « expérimentée » , pour moi, si vous me permettez. Autrement, j’aurais peut être tenté ma chance, qui sait?
-Galante façon de me dire vieille.
-Le temps est une chose immuable. Il ne tient qu’à nous de le choisir comme un fardeau, ou d’en faire abstraction.
Fado haussa légèrement les épaules.
-Regardez Sa Majesté. Elle semble s’en tirait à merveille.
Etrange chose que de se faire commander de
voir par un aveugle, mais force était de reconnaître que malgré ses quatre vingt printemps, Salomon d’Hyrule gardait belle prestance. Il n’était d’ailleurs pas encore là, et le trône demeurait vide. Songeuse, Feena se détourna de son voisin. Elle n’avait jamais vraiment pensé à la vieillesse, au temps qui passait. Elle n’avait jamais vécu que pour les armes et le combat, pour son fils du temps où il vivait encore. Mais ici, dans ce château, à tourner en rond sans rien faire telle une lionne en cage, elle se surprenait à réfléchir à certaines choses qui ne l’avaient jusqu’alors jamais effleurée. Elle avait quarante six ans mais se sentait aussi vigoureuse et forte qu’à ses vingt. Les hommes continuaient inlassablement à la dévorer des yeux et à la vouloir dans leur lit. Mais qu’est-ce qu’elle en avait à faire, elle, de leur lit? Elle n’en voulait qu’un, de lit…
Fatalement, ses yeux remontèrent jusqu’au visage ravagé du Chien, qui se tenait presque en vis-à-vis d’elle, de l’autre côté de la salle. Il ne la regardait pas, absorbé qu’il était par la conversation qu’il tenait avec l’enchanteresse des Zora. Avec amertume, Feena contempla la main de Laruto délicatement posée sur l’avant-bras droit du Chien. L’avant bras de sa foutue main blessée! En proie à une étrange frustration, elle serra le poing. Que lui importait, au fond, où il fourrait sa queue, ce cabot là? Il n’était que le meurtrier de son compagnon, celui de son fils, et le chien-chien de Link. Un sous-homme.
Et puis qu’il était laid, avec ses affreuses cicatrices qui l’éborgnaient et lui donnaient l’air d’un monstre de foire. Et que dire de sa main tordue, difforme, hideuse? Quelle femme saine d’esprit aurait voulu d’une telle créature?
Mais… Malgré tout, il était…
chevaleresque, dans un sens. Jamais condescendant, toujours poli, discipliné, rigoureux, humble, chaste, et fort. Plus fort que les dizaines et les dizaines de guerriers qui avaient trouvé la mort sous son épée, à la bataille. Feena se rappela les mots durs qu’il avait eus pour elle et ses semblables, cette fameuse nuit avant d’atteindre la Cité où, ivre, elle avait essayé de le tirer de force dans son lit. Elle le haïssait, depuis lors.
Puisses-tu crever comme un chien, sale bâtard. Pour se changer les idées, elle contempla le profil de Malon.
Elle est encore jeune, mais elle fera une femme d’une splendeur époustouflante. Elle s’était vêtue sobrement d’une robe bien coupée dans des tons rougeoyants, qui mettait en valeur sa chevelure brune constellée de reflets cuivrés, ainsi que sa taille fine et ses petits seins ronds. Son maquillage était léger et discret, juste ce qu’il fallait pour rehausser ses traits chaleureux mais tristes.
Hurlebataille lui effleura le bras pour attirer son attention :
-Tes nuits sont-elles tranquilles, petite?, murmura-t-elle.
La courtisane sursauta vivement, surprise de ce contact. Elle tourna la tête vers Feena et lui accorda un petit sourire mi-honteux, mi-gêné. Cependant, elle n’osait pas regarder la guerrière en face.
-Très, madame. Mes nuits sont des plus paisibles. Merci de vous en inquiétez.
-S’il te fait quoi que ce soit, viens me trouver et je le tuerais aussitôt.
Ces paroles parurent épouvanter la jeune femme.
-Madame! Je vous en prie! Il est… comme vous me l’aviez dit. Bon.
Le rouge monta aux joues de Malon et elle détourna légèrement la tête. Feena trouva cela tout à fait charmant. Prise d’une impulsion, elle lui frôla la cuisse d’une caresse langoureuse, à laquelle la courtisane frissonna, mais sans que la guerrière ne fût à même de savoir si c’était de surprise, de plaisir, de dégoût ou d’autre chose.
-Madame, qu’est-ce que…?
Feena jeta un regard autour d’elle et constata que personne ne leur accordait la moindre espèce d’attention. Malon l’observait avec ses grands yeux verts brillants, lumineux, doux, abasourdis. Sa bouche s’ouvrit sur une question mais Hurlebataille la coupa aussi sec en se penchant vivement en avant et en déposant un baiser appuyé sur les lèvres de sa voisine. Celle-ci se raidit instantanément, les mains crispées sur un pli de sa robe, mais à la fin, elle rendit le baiser. L’instant ne dura qu’une seconde ou deux. Feena s’écarta, et fut parcourue par un frisson de plaisir. Malon s’était comme pétrifiée, et en quelques instants son visage tourna du blême au rouge vif lorsqu’elle réalisa ce qui venait de se passer. Elle regarda désespérément autour d’elle, mais aucune des personnes présentes ne se souciait d’elles. Elle baissa vivement la tête, se cachant derrière le rideau de ses cheveux.
-Vous êtes très belle, Malon, murmura la guerrière en se passant la langue sur les lèvres.
Son cœur battait plus vite, une certaine excitation s’emparait d’elle. Elle sentit ses tétons se durcirent sous le cuir de son armure d’apparat, tandis qu’une vague violente de désir s’emparait d’elle. Elle en frissonna de plus bel. Ce baiser, parti d’une impulsion, d’un jeu, l’avait totalement électrisée. Il y avait longtemps qu’elle n’avait pas connu l’étreinte d’un homme, et elle prit soudain conscience qu’elle n’en voulait plus. Les hommes étaient brutaux, avides, puaient et grognaient. Non, elle voulait connaître quelque chose de différent. Elle voulait connaître la douceur, la passion, les parfums capiteux et les douces caresses. Elle voulait connaître
une femme. De fait, c’était Malon qu’elle voulait connaître, et tout de suite! Un instant elle fut tentée de se jeter sur elle, de lui arracher ses vêtements et de découvrir chaque petit morceau de peau parfumée caché sous cette robe rouge, mais elle se rappela qu’elle n’était plus dans les plaines, mais dans la Citadelle des hyliens. Elle se réfréna à grand peine. Mais elle ne pouvait se défaire du goût de miel qui s’attardait sur ses lèvres, ni de la chaleur dans son ventre. Le Chien n’en voulait pas? Alors elle serait sienne.
Elle surprit le regard gêné et brillant que lui jeta Malon du coin de l’œil. Feena chercha prudemment sa main, et leurs doigts s’entrecroisèrent, comme des amants qui se retrouveraient soudain après une longue séparation. Leurs yeux se noyèrent les uns dans les autres, la fière guerrière des plaines et la délicate courtisane effarouchée.
Feena ne se posa aucune question sur la soudaineté de la chose, sur sa violence. Elle voulait juste faire courir ses doigts dans la chevelure brune ; baiser ses mains, son ventre, ses lèvres, ses yeux ; caresser ses épaules, ses cuisses. Pour elle, cela n’avait rien de contrenature.
Ma mère a prise pour compagne Rutela Sangeplaine lorsqu’elle s’est lassée de mon père. Elle se rappelait parfaitement de leur bonheur, à toutes les deux.
Je suis libre de choisir qui je veux. Elles se lâchèrent, à contrecœur, et se levèrent lorsque la double porte de la salle du Trône s’ouvrit et qu’une poignée de trompettes d’or vrilla l’air d’un vacarme annonciateur de la royauté. Salomon, engoncé dans ses royales parures et son grand manteau de fourrure rouge, vert et bleu frappé de l’aigle aux trois Triangles d’Or, pénétra son fief d’un pas conquérant. Tandis qu’il remontait le tapis en direction de son Trône, ses sujets s’agenouillaient sur son passage, la tête humblement baissée vers le sol. Le suivaient Ser Talon, traînant la patte et les bras chargés d’un coussin de pure soie écarlate où reposait une belle épée au manche incrusté de pierreries et au fourreau d’ébène laqué chatoyant, ainsi qu’Agahnim le Sombre, Premier Conseiller du royaume, vêtu de ses robes de magicien. Le roi prit place sur le Trône, et darda son sévère regard bleu sur l’assemblée.
-Relevez vous, ordonna-t-il d’une voix profonde. Nous sommes réunis aujourd’hui pour célébrer un grand événement. Depuis de nombreuses, trop nombreuses années, les plaines de notre royaume sont le théâtre de violents et sanglants affrontements, entre nos braves et les clans sauvages.
Parle pour toi, vieux barbon pensa Feena.
On est pas braves, nous, peut être? -Mais tout ceci appartient au passé, à présent, par la Grâce des Trois.
Un sourire de satisfaction horripilant secoua la lippe du roi.
-Par leur Grâce, répéta-t-il, et la bravoure d’un homme. D’un guerrier valeureux, qui s’est dressé contre la barbarie, et qui a donné de sa personne pour la paix du royaume et de ses habitants.
-Ben voyons, murmura Feena en serrant le poing.
Et tous les types qui sont morts pour lui, ils comptent pas? Elle détourna le regard, en proie à une espèce de rage diffuse.
Tout ce qu’il a fait, le blondinet, c’est agiter son épée derrière ses hommes, et recevoir l’allégeance des clans. Et c’est lui qui va récolter toute la gloire et l’honneur. C’est à pleurer. Ses yeux se posèrent sur la face ravagée du Chien, de l’autre côté de la salle.
Et lui, il compte pas? Elle le voyait encore mener la charge au Pont-de-la-Reine face aux Têtes-Jaunes de Fehnir ; elle le voyait encore abattre en deux coups son fils et son compagnon, aux Champs Cramoisis ; elle le voyait encore perdre sa main sous l’attaque d’Angvar Marteau-de-Ruine et continuer vaillamment la lutte.
C’est devant lui qu’on aurait du plier le genoux. C’est lui qui nous a vaincus. Mais le Chien restait stoïque, pire, se réjouissait des récompenses que recevait Link en s’arrogeant ses exploits.
Un vrai chien. Fidèle jusqu’à la mort. -Un véritable Héros, mes amis, pérorait Salomon sur son trône. Un Héros, dont la venue fut annoncée par les Déesses Elles-Mêmes! Qu’il entre!
Le monarque tendit le doigt vers la monumentales porte, d’un geste théâtral. Les battants s’ouvrirent sur ce qui était certainement le couple le plus beau et le plus gracieux de tout le royaume. Link avançait la tête haute, un sourire de triomphe arrogant déformant sa sale tête de prétentieux, ses longs cheveux blonds flottant autour de lui comme des lames dorées. Il portait la longue tunique immaculée de Veille et des sandales de jonc tressé. A son bras était suspendue la jeune princesse Zelda, belle à en mourir dans sa robe décolletée mauve et blanche, ainsi qu’avec sa coiffe délicatement bouclée rehaussée d’un mince tiare d’argent serti d’un saphir brillant.
Des acclamations assourdissantes accueillirent le « Héros » et sa promise, tandis qu’ils remontaient d’un pas altier le long tapis de soie rouge. Feena s’en abstint, elle, et fut surprise de constater qu’elle n’était pas la seule. A deux rangées d’elle, Ser Allister Dodongo gardait figure impassible et les mains sur les genoux, tandis que de l’autre côté de la pièce, Saria Mojo semblait ruminer quelque pensée obscure, et son Lutin de père était en pleine conversation avec Dorf Dragmir, ces derniers ne prêtaient attention à rien d’autre. Link restait sourd aux vivats, ignorait les mains qui se tendaient vers lui pour le saluer. Ses yeux étaient braqués sur le trône.
Comme s’il lui appartenait déjà. Salomon descendit deux marches avec un sourire.
-A genou, messire, ordonna-t-il.
Tandis que Link s’exécutait, la princesse s’effaça et rejoignit son frère sur le banc le plus proche du trône.
La reine n’est pas là constata Feena avec étonnement.
-Link! Fils de Link, votre roi s’apprête à vous honorer du titre de Lord. Savez-vous pourquoi?
-Oui, Votre Majesté.
-Dites le nous, dans ce cas.
Le « Héros » redressa la tête.
-J’ai défait le clan des Faces-Rouges et il a juré allégeance à la Couronne. J’ai défait le clan des Ventres-Bleus et il a juré allégeance à la Couronne. J’ai défait le clan de Logre, et il a juré allégeance à la Couronne…
Et la liste continua ainsi fastidieusement. A chaque nouvel exploit évoqué, la foule applaudissait jusqu’à en donner la migraine à Feena. Elle s’abstint, encore une fois. Était-il vraiment convenable d’applaudir à sa propre défaite? Elle n’était déjà pas bien fière de faire partie des chefs ayant ployé le genou devant l’ennemi de toujours. Mais ce n’était pas non plus comme si on lui avait vraiment laissé le choix. Pour se changer les idées, elle jeta un regard à Malon. La jeune courtisane était totalement hypnotisée par Link, et applaudissait à tout rompre, elle.
Elle est belle aussi, quand elle sourit songea la guerrière.
-… enfin, j’ai défait le clan Janken et il a juré allégeance à la Couronne. Je rapporte ainsi le serment de tous les chefs, de leur allégeance inconditionnelle et impérissable à la famille royale d’Hyrule, ainsi qu’un modeste trésor de guerre, en gage de bonne foi.
Modeste mon œil. Tu nous as tout pris, blondinet. -Bien, acquiesça Salomon. Cela me paraît être des exploits fort vaillants et tout à fait méritants. Qu’en pense le peuple d‘Hyrule?
-Méritants!, scanda la foule jusqu’à en faire vibrer la voûte.
-Dans ce cas, tout est dit.
Le monarque tira d’un geste empathique sa longue rapière consacrée, et en posa la lame sur l’épaule droite de Link.
-Link, fils de Link. Jurez-vous de ne jamais dégainer cette épée que je vous confie que pour défendre votre roi et vos frères contre l’ennemi, pour défendre la veuve et l’orphelin et lutter contre l’oppression?
-Je le jure.
L’épée se déplaça sur le sommet de son crâne.
-Jurez-vous de ne jamais mentir, de vous préserver du mal et de bannir le vice de votre cœur?
-Je le jure.
La lame glissa vers l’épaule gauche.
-Jurez vous de vous soumettre aux Lois sacrées des Trois, aux lois de votre roi, et de les faire respecter et appliquer, envers et contre tout, et cela à jamais?
-Je le jure.
Salomon rengaina son épée.
-Alors relevez, Lord Link, Vainqueur des Clans, Gouverneur du Sud, Sage du Royaume et futur Prince d’Hyrule.
Quand Link se releva, tout auréolé de gloire et d’honneur, se gavant jusqu’à éclater de la liesse du public, Feena Hurlebataille, chef du clan de Logre, ne put s’empêcher de cracher au sol. Fort heureusement, personne ne remarqua son geste d’humeur.
Tu l’as finalement eue, ton heure de gloire, blondinet. Un jour, ce royaume que tu as mis tant d’ardeur à « défendre » sera tien. Et j’espère que je serais morte lorsque ce jour funeste arrivera. -Ser Talon, l’épée je vous prie, commanda Salomon après avoir réclamé le silence.
Le vieil estropié clopina jusqu’à son roi et ce dernier s’empara de l’épée d’apparat et la dégaina. La lame d’or pur scintilla sous les rayons du soleil qui filtraient par les vitraux. Après l’avoir observée quelques instants, Salomon la tendit, garde en avant, à son nouveau Lord.
-Voici pour vous. Puisse votre bras ne jamais trembler et votre main rester sûre.
Salomon claqua des doigts, et un écuyer en livrée ostentatoire s’approcha, peinant sous le poids d’un plastron de plate en fer blanc, incrusté d’émeraudes sombres. Un loup avait été finement ciselé dans le métal. Deux autres écuyers s’approchèrent et aidèrent le premier à le sangler sur Link.
-Et voici un cadeau de votre roi.
Link s’inclina aussi bas que le lui permettait son égo, et entre l’épée d’or et les gemmes de son armure, il scintillait littéralement. Il se recula de quelques pas, en bouclant le fourreau de sa nouvelle épée autour de la taille.
-Bien, reprit Salomon. A présent, il est temps de festoyer, et de lever nos verres à la santé de Lord Link!
Comme la plupart des gens commençaient déjà à se lever pour se diriger vers la sortie, dans un tapage de conversations cacophonique, Feryl, le capitaine de la garde, s’avança et martela le marbre du sol du bout de sa hallebarde pour ramener le silence et l’attention.
-Avant cela, cependant, il me reste une dernière chose à faire, déclara Salomon.
Un murmure parcourut l’assemblée. Ce n’était pas prévu!
Tiens donc songea Feena.
Qu’est-ce que cela, encore? -Messire Chien, appela le monarque. Veuillez approcher.
Le silence se fit dans la salle, et l’intéressé tourna vaguement la tête de droite et de gauche, pour vérifier s’il avait bien entendu. Mais oui, indubitablement, c’était à lui que souriait Salomon d’un air encourageant, et comme dame Laruto le pressa gentiment, il se leva et se fraya un chemin à travers les banc jusqu’au pied des marches du trône. Feena remarqua la rage qui déformait les traits de Link comme il dardait des yeux mauvais sur son Chien. Ce dernier se recroquevilla presque de peur sous l’effet de ce regard.
-V… Votre Majesté?
-A genoux, messire Chien.
Une nouvelle vague de murmures secoua le public, mais Feena ne comprenait pas ce qui était en train de se passer.
-Majesté, répondit le Chien, mal à l’aise. Je suis très honoré de votre attention mais je…
-A genoux! C’est un ordre de votre roi.
Le Chien se résigna et mis un genou en terre. Lorsque Salomon tira à nouveau sa rapière et la posa sur l‘épaule droite de l‘estropié, Hurlebataille commença à saisir le sens de tout cela.
-Vous que l’on nomme Chien. Votre roi s’apprête à vous adouber. Savez-vous pourquoi?
-Non, Votre Majesté, répondit le Chien avec une grimace de désespoir. Je ne mérite pas de…
-Ce n’est pas à vous d’en décider! Qu’en pense le peuple d’Hyrule?
Il y eut un léger moment de flottement, puis une voix forte et profonde s’éleva -celle de Dorf, crut reconnaître Feena-, qui fut instantanément suivie.
-Méritant!
Le visage de Link était livide de colère, ses poings se crispaient convulsivement. La plupart des personnes présentes observaient la scène d’un air intrigué, certaines hochaient vaguement la tête. Feena aperçut le vieillard borgne, caché dans un coin derrière un pilier, qui avait sur les lèvres le sourire d’un homme s’assurant que son plan se déroulait sans accroc.
-Vous que l’on nomme Chien. Jurez de ne jamais dégainer votre épée que pour défendre votre roi et vos frères contre l’ennemi, pour défendre la veuve et l’orphelin et pour lutter contre l’oppression.
-Votre Majesté, vraiment je…
-Jurez!, coupa Salomon d’un ton sans appel.
Le Chien jeta un regard paniqué à Link, qui se tenait à deux pas de lui. Il sembla se ratatiner sur lui-même, comme s’il avait peur de prendre des coups.
C’est d’un pathétique. -Je…, déglutit-il. Je le jure.
Salomon plaça son épée sur son crâne.
-Jurez de ne jamais mentir, de vous préserver du mal et de bannir le vice de votre cœur.
-Majesté, je vous en conjure je…, supplia le Chien.
-Jurez!
-Je le jure!
-Jurez, continua Salomon, implacable, en faisant glisser sa lame sur l’épaule gauche, de vous soumettre aux Lois sacrées des Trois, et aux lois de votre roi, et de les faire respecter et appliquer, envers et contre tout, et cela à jamais.
-Par pi…
-JUREZ!
-Je le jure, je le jure!
-Alors relevez, Ser Locke Sanks.
Bien que situé à quelques centimètres de la scène, Salomon ne semblait pas voir le drame qui se jouait devant lui. Pendant que deux écuyer apposaient des éperons d’or sur les bottes du Chien, Link le foudroyait d’un regard tellement empli de haine et de rage, que même Feena Hurlebataille, chef du clan de Logre, n’osa le croiser.
__________________________
[align=center]17.[/align]Bordel de merde! Deux mois pour remettre la main sur du parchemin, et ce n'est que pour me rendre compte que la moitié du carnet a disparu! Envolé!
Volé? Je ne pense pas. Oublié? Ca c'est presque certain, et c'est qui me met le plus en rogne. J'ai du les égarer durant le chaos de notre fuite précipitée de Mysances, l'ancienne demeure du roi Cygne.
Paix à son âme, d'ailleurs. Ce n'est pas moi qui ai trouvé le corps, enchaîné dans une de ses propres cellules, mais de ce qu'on m'a rapporté, ce n'était guère jolie. Notre ennemi a pris grand plaisir à le torturer à coup de magie noire.
Si je m'écoutais, je tuerais le premier de mes compagnons à ma portée. J'ai vraiment la rage! Tout ce temps perdu... Je n'ai absolument pas le temps de tout reprendre à zéro et de réécrire le premier mois de tourmente qui a suivi notre première débandade. Vous allez devoir vous en passer. Pour faire bref, voici grosso modo où la situation en est :
On est dans la merde et jusqu'au cou!
L'ennemi nous coupe tout passage vers le Sud pour tenter de rejoindre Château-Abbendal ou Blanchecouronne, qui sont aux dernières nouvelles que nous avons eues (et ça commence à remonter), les derniers royaumes à encore livrer batailles. Je prie tous les jours les Dieux d'en Haut et d'en Bas d'avoir soufflé à l'oreille de Tapinois l'idée de prendre la tangente avec le reste de Tempête. Je prie surtout pour qu'Hélène s'en soit sortie vivante et qu'elle ait su atteindre Château-Abbendal saine et sauve. Sa présence me manque. Je me sentais plus en sécurité avec elle, enfin, façon de parler. J'espère qu'elle me survivra longtemps, parce que c'est vraiment une femme bien. Moi, je n'espère même plus survivre à cette guerre. De toute façon, je ne crois plus en nos chances de victoire, et je suis bien trop vieux pour encore croire aux miracles. Je continue la lutte car ma seule autre option est le suicide : De mon plein gré ou non (Comprenez, essayer bêtement de m'enfuir seul.).
Cela dit en toute honnêteté, je suis le premier surpris de voir ce que notre petit groupuscule a réussi à faire.
Souvenez vous : Nous n'étions plus que 43 hommes et 1 femme annihilés et meurtris. Grâce à la nouvelle poigne de fer de Kerrighton (Pardonnez le jeu de mot), nous avons survécu. Mieux : nous avons donner du fil à retordre à l'ennemi, et nous continuons toujours, du moins le faisait-on jusqu'à encore récemment. Nous nous sommes cachés quelques temps dans les montagnes, pour reprendre nos esprits et des forces. Puis nous avons commencé à lancer des raids d'harcèlement sur les forces les plus faibles. Nous ne prenions aucun risque : chacun avait ordre de se retirer sitôt qu'il se sentait en danger.
Vous me direz, et à juste titre, que lancer des raids pour saper le moral de morts-vivants (Nous ne pouvions guère espérer plus, notre nombre limitait grandement notre efficacité létale.) n'a en soi pas grand intérêt. Je suis tout à fait d'accord. Il faut croire que les hommes ont besoin de se donner des objectifs, aussi dangereux et futiles soient-ils pour ne pas sombrer dans le désespoir. Cependant, nous avons rapidement découvert que notre ami le nécromancien n'était pas seul. Il avait avec lui une pléthore de capitaines, ou je ne sais quoi, pour l'épauler et le seconder dans la mobilisation de cette armée morte. C'était principalement des jeunes gens à qui on avait guère laisser le choix. Probablement des fils de fermier enlevés durant la nuit, et asservis par magie noire. Cette même magie noire leur avait conféré le don de commander à quelques dizaines de morts-vivants, ainsi que d'autres pouvoirs magiques mineurs. Nous avons vite constater que la mort d'un de ces capitaines provoquait l'immédiate désagrégation des troupes sous son commandement. A partir de là, nos raids ont pris une toute autre importance, et nous avions trouvé un but utile et à la hauteur de nos moyens.
Si l'ennemi a mis du temps à réagir face à la nouvelle (et sûrement seule) menace que nous constituions (Sûrement parce qu'il était occupé ailleurs.), il l'a fait bien. Les capitaines se sont vus accordés de nouveaux pouvoirs, qui me donnent bien du mal et des sueurs froides.
Et surtout, nous avons fait la connaissance d'Anthrax et Maléficion.
Si les jeunes asservis sont les capitaines, ces deux là sont les généraux. Nous avons rencontré Anthrax en premier. Durant un raid qui était si semblable à tous les autres que ne je faisais pas particulièrement plus attention, il a surgi devant moi, en me menaçant de son visage rongé par les furoncles. Il était aussi effrayant que moche, et surtout très puissant. Beaucoup moins que le nécromant, mais en magie noire, il connaît son affaire. Seule des trésors d'ingéniosité et le soutient de Liz me permirent d'en réchapper vivant. A partir de cette nuit là, nous fûmes traqués sans relâche par ce couple infernal (même si nous ne devions apprendre l'existence de Maléficion que bien plus tard seulement.). Beaucoup des nôtres périrent sous la magie androphage d'Anthrax et les malédictions horribles de Maléficion. Heureusement, je parvins à en sauver plus. Entre temps, nous avions rallié un nombre assez important de survivants, des rescapés de Mysance, Castel-Nocturne et des forts les plus occidentaux. Nous étions assez nombreux pour infliger de lourds tribus dans les rangs des jeteurs de sorts adversaires et multiplier les raids en y payant le prix, mais nous avons beau faire, il semble que leurs réserves soient inépuisables. De plus, harcelés par les généraux, nous perdions énormément de temps et de force. Nous n'eûmes pas d'autres choix que d'accepter une bataille frontale. La Plaine de Mysance en fut le théâtre. Le conflit fut terrible, abjecte, brutal et sanglant, mais ne fera jamais l'objet de geste et les actes de bravoure qui y furent accomplis ne resteront jamais dans les mémoires.
Au plein coeur de la bataille, le sergent Kerrighton se retrouva confronté au plus grand combat de son existence. Seul contre le sorcier Maléficion, il dut lutter pour sa vie. J'ai personnellement assisté à ce duel, car j'essayais en toute hâte de le rejoindre pour protéger notre chef. Les hommes qui avaient combattu à ses côtés gisaient à ses pieds, leurs corps maléficiés de façon grotesque et atroce. Kerrighton se démena avec une vaillance et une bravoure qui auraient manqué à plus d'un homme. En plein coeur de la tourmente, il transperça le sorcier de son épée. Il ne put cependant empêcher la dernière malédiction de son adversaire de l'atteindre. Son bras droit se mit à pourrir à grand vitesse en causant d'impensables douleurs. Des pattes et des mandibules d'insectes se mirent à percer sa peau, comme si des bestioles grosses comme des doigts venaient d'éclore dans sa chaire et tentaient de sortir. Je dus amputer le membre maudit pour éviter que le maléfice ne se propageât à tout son corps. Anthrax se matérialisa peu après à côté du corps de son compère. Par je ne sais quelle science démoniaque, il ingurgita la dépouille et la fusionna à son être. Grâce à ce phénomène, il acquis les pouvoirs du défunt Maléficion, faisant de lui un être d'une puissance phénoménale, mais ne rivalisant pas encore avec celle de son maître. Alors que je croyais ma fin proche, et quoi que j'aurais défendu ma vie chèrement, notre adversaire ne put voire venir dans son dos le Rayon Chaotique d'Ulfuras de Spektrum, qui le priva d'une bonne partie de sa personne. Il disparut dans un hurlement de douleur et de rage, et à l'heure qu'il est doit toujours souffrir de cette blessure, bien qu'il n'en mourra pas.
Privés de leurs généraux, les capitaines n'opposèrent plus une très farouche résistance, et nous en vînmes à bout. La victoire laissa derrière deux tiers d'entre nous, partis pour un monde meilleur. L'exploit nous octroya cependant une semaine de tranquillité relative au sein des murs de Mysance. Les morts avaient laissé derrière eux après avoir moissonné toutes les âmes de la cité tout ce dont ils n'avaient pas besoin, à savoir tout : vivres, équipements, eau...
Pendant le temps que nous passâmes à Mysance, qui correspond plus ou moins au début du deuxième mois après notre première débandade, Spektrum et moi même façonnèrent un bras artificiel en fondant les cloches de bronze d'un temple. Grâce à un rituel compliqué et éprouvant, nous l'attachâmes à l'épaule de Kerrighton en remplacement à celui qu'il avait perdu. Vous vous doutez bien que ce n'est pas qu'un vulgaire bout de métal inerte, mais bel et bien un véritable membre, connecté aux nerfs, rendu mobile par la magie. L'Histoire se rappellera sans doute du sergent comme de Kerrighton Bras- de-Bronze. Si du moins il survit assez longtemps.
Je dois réexpliquer certains détails que j'ai narré dans les carnets perdus. Le premier c'est que Spektrum n'est pas mort et qu'il a réussi à nous rejoindre, accompagné par l'inattendu Capuchard. La nuit où Spektr avait disparu, il s'était retrouvé pris au piège par des morts-vivants et avait dû fuir à travers bois. Le lien qui unissait Spektrum et Capuchard avait forcé ce dernier à quitter Château-Abbendal pour secourir son maître. Ils nous rejoignirent quelques temps après dans les montagnes.
Le second détail, que vous avez peut être remarqué en parcourant les dernières lignes, est que Kerrighton n'est plus le même homme. Enfin, disons qu'il en est devenu un, d'homme. Il n'a plus rien du jeune con qui se défonce à la drogue pour endiguer sa terreur, ni du pleutre qui hurle à ses soldats de fuir pour leur vie. Il s'est largement endurci et est devenu un bon chef, respecté et dévoué. Sa bravoure n'est plus à prouver, et son bras droit en est la preuve vivante. C'est surtout grâce à lui que nous sommes encore en vie.
Le point suivant, c'est qu'Hélène n'est plus avec nous. Je me suis servi abjectement du prétexte d'un message urgent à faire parvenir à Augustin Abbendas (Ce qui était vrai au demeurant) l'informant de notre survie et de la vraie nature du problème. Bien sûr, elle n'a pas accepté, bien au contraire, alors j'ai du la contraindre magiquement. J'en suis encore malade, et je suis sûr qu'elle m'étripera sur place à la première occasion, mais je ne pouvais décemment pas laisser ma Dame exposée à un tel danger, avec de si faibles chances de survie, même si par la suite j'ai amèrement regretté l'absence de ses épées si rassurantes. Au moins la nuit Liz me console-t-elle...
Une semaine s'était écoulée depuis notre victoire, lorsque les premiers cas de gangrène et de peste explosèrent. Nous dûmes quitter précipitamment le confort de Mysance, non sans avoir mis le feu à la cité auparavant. Dans la panique, je laissai certainement une partie de mes carnets, ainsi que mon matériel d'écriture et mes réserves d'encre.
Nous reprîmes nos actions commando.
Cependant, nous fûmes victime d'une surprise bien amère... Sûrement lassé de nous, le nécromant nous tendit une embuscade. Peu (pas?) préparés que nous étions, nous fûmes balayés. Spektrum et moi même tentâmes de joindre nos forces pour lui tenir tête, mais nous étions épuisés, fatigués et affaiblis : nous ne tînmes pas longtemps, juste le temps de laisser à quelques uns des autres la possibilité de fuir. Nous deux ne survécûmes que grâce à l'intervention miracle de Capuchard. Il ne fit pas déshonneur à sa famille et aspira la magie du nécromancien quelques poignées de secondes qui nous furent salutaires. Lui n'en réchappa pas. Immunisé à la nécromancie par son statut de ressuscité spontané, il eut la chance de ne pas passer à l'ennemi, mais pas celle de survivre. Ses hurlements dans notre dos, alors que nous courrions à travers bois, me hantent encore.
L'altercation nous laissa, une fois de plus, brisés et déchiquetés. Nous ne sommes plus qu'une vingtaine : Moi, bien sûr, Spektrum, Lohengrin, Taureau, Kerrighton, Selinus Fallcor, Matthew et quelques soldats. Depuis lors, nous ne faisons que survivre en fuyant et en nous cachant. Nous n'avons plus les effectifs pour continuer la lutte. Notre seule chance est de parvenir à franchir la ligne de front sud, pour rejoindre Abbendal. Même si je redoute que le royaume d'Augustin ne soit déjà tombé.
Hier, en traversant les ruines d'un village, j'ai retrouvé de l'encre et du parchemin pour poursuivre mes carnets. Je ne sais pas combien de temps encore je vais pouvoir relater nos "exploits", avant de mourir à mon tour.
Je suis tellement fatigué.
[align=center]18. [/align]Sélinus me regarde avec morgue tandis que ma plume parcours inlassablement le parchemin. Il ne comprend pas pourquoi je me donne toute cette peine, et à vrai dire, moi même je ne sais plus vraiment. La force de l'habitude, certainement.
Le jeune prince me hèle.
"Pourquoi t'acharnes-tu, Monarque? Personne ne lira jamais ce que tu écris. Tu gâches le peu d'énergie qu'il te reste.
-Tu as sans doute raison (Il y a bien longtemps que le protocole de communication qui devrait exister entre gens de différentes classes sociales n'a plus cours parmi nous.). Mais au moins, comme ça je ne passe pas mon temps à me lamenter sur ce qui est ou aurait dû être."
Cette remarque lui arrache un sourire. L'humeur dicte l'acte dit-on. Varions. Puisque ma mort n'est plus qu'une question de temps, je vais poursuivre en écrivant au présent. Ainsi, vous, lecteurs anonymes, pourrez suivre les derniers jours de Monarque avec plus d'intensité.
Sélinus retombe dans le silence, en me laissant écrire tranquillement. Les autres me considèrent avec autant de circonspection, si ce n'est plus. Et bien, si cela leur paraît incongru, moi ça me fait du bien, et qu'ils aillent pourrir ailleurs. Au bout d'un moment (Je gage que le crissement de la plume sur le parchemin l'irrite.) le prince de feu Gaëlice m'interpelle à nouveau.
"Monarque. Maintenant, tu peux nous le dire. Qui es-tu?
-Qui je suis?, réponds-je sans même relever les yeux. Je suis Monarque, pauvre bige qui tente de survivre. Rien de plus.
-Un pauvre bige hein? Je dirais plutôt un sale matois. Si comme tu le prétends tu n'es qu'un petit magicien qui gagne sa vie dans le mercenariat, je te trouve bien aux faits de la magie. Et surtout, comment un simple magicien aurait pu tenir tête au nécromancien, dont la puissance nous fouaille les entrailles rien que par sa présence?"
Bon. Il est agaçant à la fin, même si le compliment sous-jacent me flatte. Je finis par croiser son regard.
"Demande au chef, dis-je, il en sait probablement quelque chose."
Je dois avoir fait mouche, car Kerrighton baisse les yeux, comme s'il avait honte de quelque chose. Suivant mon conseil, Sélinus l'appelle.
"Tu te trompes, Monarque, fait-il. Je ne sais pas grand chose de toi. Tout ce que je sais... Tout ce que je sais c'est ce que le capitaine t'a fait..."
Sa voix s'éteint, presque dans un murmure. Il ne semble pas fier. Sa réaction me surprend. Me serais-je vraiment trompé sur toute la ligne, en ce qui le concerne?
Cependant, évoquer toute cette affaire fait remonter des vieux souvenirs... Cela me paraît une éternité.
"Et qu'est-ce qu'il a fait, votre capitaine?"
Kerrighton secoue la tête et se détourne. Il n'a pas l'air chaud pour en parler, comme si c'eût été de son fait (et au demeurant, peut être était-il impliqué à la base.). Spektrum, qui d'après moi en sait plus qu'il ne veut bien le faire croire, ou du moins qui en devine pas mal, vient à mon secours.
"Le passé appartient au passé. Il n'est pas nécessaire de pleurer les temps jadis..."
Sa réponse ne satisfait pas le jeune prince, qui insiste.
"Mais enfin, allez vous parler à la fin? Il t'a torturé, quelque chose comme ça?"
Ces paroles m'arrachent un sourire aigre-amer. Torturer... Oui, en quelque sorte. Mais c'est la pire des tortures. Je me souviens dans les moindres détails du moment où ma vie a basculé, de l'instant où j'ai tout perdu. C'était un jour d'été, et il faisait chaud... Je me rends compte que les autres suivent notre conversation avec intérêt. Un cercle s'est formé autour de nous.
"Si c'est de la torture, intervient Lohengrin de sa voix mélodique, alors c'est la pire d'entre toutes."
Tous les regards convergent vers lui. Lohengrin (Je l'avais déjà dit dans mes carnets qui sont perdus...) est le dernier chevalier d'Aethor. Son véritable nom est Perceval, fils de feu Volvo le Pieux, qui fut mon ami et mon plus brave chevalier, du temps où mon fessier reposait encore sur le trône d'Aethor. Il n'a que 17 ans, mais il a déjà l'allure et la prestance d'un véritable Chevalier. Il a des cheveux mi-longs châtains, des yeux verts et la belle gueule qui va avec. Même s'il est encore jeune, il nous ridiculise tous à l'épée et son courage semble sans faille. Il exécute aveuglément chacun de mes ordres, conformément à la dernière volonté de son père. J'ai toujours cru que Volvo était mort durant la chute d'Aethor, mais visiblement je me trompais. Bien entendu, il fait partie du club très fermé des gens qui connaissent la véritable histoire.
Lohengrin ne se démonte pas. Il est de nature calme et assez taciturne. Je sais que c'est pour détourner l'attention de moi qu'il est intervenu. Sa loyauté est de celles que seule la mort peut détruire.
"Vous ne faites qu'exacerber ma curiosité, mais vous tournez autour du pot" s'agace Sélinus. "Allez vous me le dire à la fin!
-Bon. Très bien, dis-je en soupirant. Je vais vous dire ce que le capitaine m'a fait, mais en échange vous devez faire le serment de ne jamais révéler ce que vous allez entendre à quiconque."
Ils prêtèrent serment, tous sauf ceux qui savaient déjà, où qui s'en doutaient, c'est à dire Spektrum, Lohengrin et Kerrighton.
"Allez, crache maintenant" me presse Sélinus.
Je prends mon temps pour ménager mon effet. Après tout, ce n'est pas une mince révélation, et je n'ai jamais été à l'aise pour parler de mon passé. Tant pis, je lâche le morceau, sans effet théâtral pour une fois.
"Le capitaine m'a volé mon nom."
Ma réponse, malgré tout ce qu'elle implique de cruauté, de perfidie, d'abjection, de sournoiserie et de fourberie n'a pas l'heur de leur plaire. Ils me regardent avec des moues dubitatives, l'air de se dire "Allons bon, on m'avait caché qu'il restait de la gnôle."
"Il t'a... "volé ton nom"?" répète Sélinus.
"Je dois avoir l'air de me payer vos têtes" dis-je "mais c'est parce que vous ne connaissez rien au Pouvoir des Noms."
Spektrum acquiesce en silence. Lohengrin reste stoïque et Kerrighton soupire discrètement.
"En effet" reconnaît le prince. "Eclaire-nous."
Comment expliquer un principe aussi subtil à de totales néophytes?
"Bon. Il faut savoir qu'un nom, ce n'est pas qu'un bête assemblage de sonorités. Un nom, c'est vous, ce que vous êtes réellement. C'est à la fois votre essence et votre être. Les noms renferment de grands pouvoirs."
Comme je me tais, ils acquiescent pour me signaler qu'ils comprennent jusque là.
"La vérité, c'est que posséder le nom d'une personne... vous octroie tout pouvoir sur elle."
Voilà c'est dit. Le grand secret de Monarque est éventé. La mascarade démasquée. Je suis le chien du capitaine, car il m'a Asservi en me volant mon nom. Vous ne pouvez pas vous imaginer quel effet ça fait, de se voir arracher son être d'un seul coup, ravir tout ce qui fait de vous un individu libre.
Vous perdez connaissances quelques secondes. L'instant suivant, en ouvrant les yeux vous savez que vous n'êtes plus rien qu'un pantin. Une marionnette attendant le bon vouloir de son maître. Mais le plus douloureux, c'est de voir en face de vous votre tortionnaire, un garçonnet d'une quinzaine d'années, les yeux écarquillés de stupeur en sentant le pouvoir nouveau qui l'envahit, qui le dépasse, qui l'effraie. Il se rend compte, du haut de ses quinze misérables années, qu'il vient de tuer son premier homme, et que maintenant celui-ci lui doit une obéissance absolue, atemporelle et sans appel. Il tremble, il secoue la tête. Vous, vous n'êtes plus qu'une boule de rage, de haine pure, un concentré de fureur, mais en même temps vous vous sentez tomber au fond d'un gouffre infini, un désespoir plus grand qu'un océan vous balaie alors que vous réalisez que tout ce que vous avez accompli jusque là, toute votre vie avant cette instant précis n'est plus rien que poussière, cendre et vent. Votre existence vient d'être pulvérisée en un éclair, et vous ne pouvez rien y faire.
Vous avez le pouvoir de démembrer votre bourreau, d'annihiler sa volonté et son esprit, de l'envoyer par delà les plans de l'existence jusqu'aux enfers. Mais ne pouvez pas le faire, car il vous tient. Il a tout pouvoir sur vous, et le toucher contre son gré vous signifierait des douleurs que vous ne pouvez imaginer. Si vous essayiez de le tuer, votre corps imploserait et votre esprit de déchirerait dans l'éther.
Alors il comprend finalement ce qu'il a fait, ce que ça implique, et les possibilités que ça lui offre. La peur reflue de son visage, et à la place un sourire sardonique, méprisant et tellement arrogant. Vous n'oubliez jamais ce sourire.
Il vous appelle, et vous sentez dans sa voix le pouvoir qui vous broie, qui vous force, vous contraint. Vous avez beau résister, chaque parcelle de votre volonté se retrouve disloquée et vous vous résignez. Vous vous agenouillez devant lui et l'appelez Maître, conformément à son ordre. Votre dignité vient de s'envoler. Vous la regarder partir par la fenêtre et vous ne pouvez même pas serrer les poings de rage ni hurler votre horreur et votre haine, car il ne veut pas que vous montriez le moindre signe de mécontentement.
Vous n'êtes plus rien, et le savoir vous fait peur. Pour une fois vous maudissez vos pouvoirs, qui vous ont permis de survivre à cette épreuve. Vous auriez préféré mourir sur le champ.
Je dois afficher une mine épouvantable en me remémorant le jour où ma précédente vie a cessé. Le jour où je suis mort pour renaître en Monarque. Car mes compagnons restent silencieux. Ils ont l'air de comprendre que je blague pas, et commencent à comprendre ce que ça implique.
"Mais... Si les noms ont un tel pouvoir", s'exclame Sélinus "pourquoi est-ce la première fois que j'entends parler de pareille affaire?
-Le nom que l'ont reçoit à la naissance" explique Spektrum avec son habituelle voix lente et sombre "n'est pas nécessairement notre véritable nom...
-Comment peut-on le savoir?
-N'importe quel magicien est capable de ressentir la magie d'un nom vrai.
-Alors... Est-ce que je suis vraiment Sélinus?"
La voix du prince est tendue, presque effrayée. Spektrum et moi échangeons un regard.
"Tu ne poses pas la bonne question. Quoiqu'il adviendra, tu es et tu resteras Sélinus, prince de Gaëlice. Mais pour te répondre, non, ton vrai nom n'est pas Sélinus. Aucun d'entre nous n'arbore son véritable nom."
Devant l'apparente déception de certains, j'ajoute (et Spektrum acquiesce).
"Honnêtement, ne pas connaître son vrai nom est plus un bien qu'un mal. Au moins vous êtes protégé...
-Comment faut-il faire pour le découvrir?
-Je ne connais que deux façons. La magie, ou une parfaite connaissance de soi même. La deuxième méthode est la plus complexe, et je n'ai de ma vie connu qu'une seule personne l'ayant fait. Quoiqu'il en soit, si un jour vous découvrez votre véritable identité, soyez sûrs de la garder pour vous, et uniquement pour vous. Ne l'écrivez nul part, ne la révélez à personne, pas même à la personne qui vous est la plus proche. On ne peut se permettre aucune légèreté dans cette affaire.
-Comment fait-on pour voler un nom?"
Je m'arrête un moment de parler, pensif. A la vérité, je ne sais pas. Je n'ai pas gardé de souvenirs du moment précis et je n'ai jamais étudié dans cette voie.
"Je ne sais pas" fais-je " je sais que c'est possible, j'en suis la preuve vivante, mais je ne connais pas le moyen."
Un silence pensif s'installe sur notre petit groupe. Mais Sélinus ne semble pas avoir oublié sa première idée.
"Maintenant que tu nous as dit tout cela, réponds moi. Qui es-tu? Je sais que tu es au moins un baron, ou quelque chose comme ça, pour que Perceval te suive partout en te donnant du Majesté."
Ha. Est-ce donc si évident? Mais bon, je me résous finalement. A quoi bon leur cacher une vérité qui de toute façon mourra bientôt, une fois que nous aurons été décimés, ce qui ne devrait plus trop tarder. Je fais signe à Lohengrin.
"Monarque fut le roi d'Aethor. L'homme qui provoqua à lui seul la chute du Conclave et qui domina le monde pendant cinq ans."