Kikoo c'est moi.
Et en plus je ne viens pas les mains vides, vu que je vous ramène la suite du Cycle! Hohoho!
Silver ==> Merci pour le commentaire! A ta demande, je posterai bientôt la fin de Monarque.
Raphael ==> Non non, aucune marmotte maléfique n'a pris le contrôle de mon esprit J'espère que la suite continuera à te plaire, et merci pour le commentaire ^^
Astrid ==> Merci pour le commentaire ^^ En espérant que la suite te plaise tout autant
PdD ==> Le problème des sauces allégée, c'est qu'on reste sur notre faim et qu'on en reprendrait bien un peu
Ne t'en fais pas pour Taenry, on en apprendra plus sur lui au fil des chapitres. Encore une fois, je suis content que tu apprécies Sorël. C'est vraiment un personnage qui m'est important.
Quant aux scènes de leçon, bien sûr qu'il y en aura, ce serait comique sinon pour un livre qui y est dédié :p
Bref, encore merci pour ton commentaire, et moi j'attends avec impatience le prochain :p ::
En attendant, voici la suite et fin du chapitre 22. A la prochaine et bonne lecture!__________________________
Chapitre 22 : Tempête (Deuxième partie.)
Sorël s'inclina encore une fois pour remercier, puis referma la porte de l'atelier de forge doucement. Sa rage ne l'avait pas quitté, mais à présent elle battait à froid. L'Altérant était très vite redevenu maître de lui même, canalisant sa colère en énergie créative. S'il ne pouvait pas rompre le serment de son jeune élève, alors il ferait tout son possible pour en faire le meilleur, afin qu'il survécusse le plus longtemps possible. Il était frustré d'en être réduit à cela.
Il avait filé droit vers Bronze, dans le dessein de lui commander deux épées d'entraînement. L'Altérant et la statue vivante n'étaient pas spécialement proches, mais Bronze avait été heureux de transformer la demande en exercice pratique pour ses trois élèves.
C'est donc avec ses deux épées emballées sous le bras que Sorël faillit se cogner à Lowyn de la maison d'Hott. Le jeune homme se tenait bien droit, les bras croisés sur sa poitrine dans un halo d'arrogance presque palpable, sa robe noire flottant fièrement et légèrement dans la petite brise qui balayait le terrain d'entraînement. Ses lèvres étaient tordues en un rictus de mépris, qui s'accentua d'autant plus qu'il parcourait des yeux le pourpre du vêtement de Sorël. Ses yeux bruns brillaient d'un éclat de cruauté et de malveillance, doublés d'une redoutable intelligence perverse.
-Alors, commença-t-il d'une voix lente, s'exprimant comme s'il s'adressait à une personne sénile, comme ça c'est vous qui enseignez la prestidigitation à ce rat de Samyël?
-Hôte toi de mon chemin, vermine, répondit Sorël d'une voix aussi froide et doucereuse qu'une dague bien effilée.
Cela n'impressionna nullement le Rhéteur. Ils s'affrontèrent du regard pendant quelques instants ; la tension était si forte qu'on aurait pu la trancher au couteau.
-Ce ne doit pas être facile, reprit Lowyn, provocateur, d'enseigner à un idiot sans pouvoir. Au moins, il pourra toujours nous distraire un peu, au dîner.
-J'espère que tu n'as pas trop souffert, répliqua Sorël en tapotant sa lèvre inférieure, lorsque "l'idiot" t'as décimé d'un seul coup de poing.
Le jeune Hott eut un rictus de haine pure à l'évocation de cet épisode.
-Retirez ce que vous avez dit, tout de suite.
-Sinon quoi, cloporte? Tu attaquerais un Maître?
-Vous, un Maître?, railla Lowyn. Laissez moi rire. Vous n'êtes qu'un magicien de pacotille qui s'enorgueillie de faire un peu de fumée. Vous ne connaissez même pas la véritable définition du mot magie.
L'insulte arracha un sourire malsain à l'Altérant. Sa rage brûlait de nouveau pleinement en lui, exacerbée par la discussion. Il posa la main sur le mur de pierre noir, à sa gauche et susurra quelques mots de pouvoir. Une main de roc jaillit du sol, juste devant le Rhéteur, et s'enfonça rudement dans son abdomen. Surpris, Lowyn se courba en deux sous l'impact, et cracha un peu de sang. Il était si peu habitué à la douleur qu'il crut mourir. Il resta un moment à genoux, les bras croisés sur son ventre en gémissant.
-Le grand Lowyn Hott serait-il déjà face contre sol, gémissant pitoyablement, terrassé par "un magicien de pacotille"? Voilà qui est curieux.
Blessé dans sa fierté, le jeune Hott leva des yeux pleins de haine vers la figure de Sorël qui le toisait d'un regard empli de mépris et de dégoût. Sa beauté surnaturelle éclaboussait l'orgueil de Lowyn. Il serra le poing de rage. Sorël passa à côté de lui, s'éloignant vers les dépendances.
-Comment osez vous?, cracha-t-il.
Il se releva péniblement, son corps parcouru de spasmes de haine. Cependant, il mordit à nouveau et durement la poussière lorsque Sorël le frappa violement au visage avec sa botte. Lowyn poussa des gémissement aigus, son beau visage blafard baigné dans le sang qui jaillissait de son arcade sourcilière ouverte. Sa haine fondit comme neige au soleil sous l’effet conjugué de la peur et de la souffrance, souffrance d’autant plus grande que personne n’avait jamais levé la main sur lui. Il eut des haut-le-cœur en goûtant son propre sang dans sa bouche et faillit vomir. Cependant sa fierté l’en empêcha.
A travers ses larmes, il vit la silhouette sombre et brouillée du maître Altérant juste à côté de lui. Terrible, il se tenait droit dans toute son arrogante beauté, ses longs cheveux soyeux voletant dans la brise légère. Il ne disait rien, se contentant de le toiser, mais ses yeux parlaient pour lui. Le jeune Hott y lut de la haine, de la fureur, du mépris et de la folie.
Alors il comprit qu’il allait mourir ce jour là.
***
Kalenz s’affaissa dans son siège, broyant du noir en observant la dizaine de jeunes gens qui se tenait devant lui, dans leurs cottes de mailles trop grandes, avec leurs casques trop grands, leurs bottes trop grandes et leurs armes qui paraissaient dans leurs mains démesurées. Des volontaires, probablement des fermiers des environs qui avaient pris les armes familiales pour s’engager. Le général songea avec ironie qu’une dizaine d’années plus tôt, il les aurait renvoyés chez eux avec des tapes dans le dos et un verre de chocolat. A présent, ils étaient ses soldats, parce qu’il en avait terriblement besoin.
-C’est un honneur pour nous de servir l’Arch’Land, seigneur-général, dirent-ils à l’unisson en posant un genou par terre.
Kalenz faillit éclater en sanglot, mais il parvint à se reprendre.
-Je comprends, s’entendit-il répondre, et je suis honoré que vous vous joignez à moi. Je sais que vous servirez avec bravoure et hardiesse. A présent, voyez avec le capitaine Dribeck, il va vous expliquer…
Lorsqu’il fut à nouveau seul dans la Grande Salle, Kalenz, dernier descendant des Dix Chevaliers Servants du Roi Aegir, posa la tête dans le creux de sa paume et passa de nombreuses heures à maudire tout ce qu’il connaissait au monde, jusqu’à sa propre mère et son propre père.
« Cinq ans. »
***
S’il y avait bien une chose que Murad Murazim avait appris en trente années de piraterie, c’est qu’il fallait éviter comme la peste tout ce qui arborait sur ses voiles immaculées une croix rouge et sur sa proue un gus en train de lire un livre.
-La Sainte Expédition!, glapit la vigie du haut du mât, avec une voix déformée par la peur.
Murad eut envie de lui planter son sabre en travers de la gorge. Il détestait qu’on énonce des évidences. Le terrible trois mâts
Justice n’était pour le moment qu’une sombre et massive silhouette à l’horizon mais propulsé par ses centaines de rameurs, il se déplaçait à une vitesse inimaginable pour un navire de cette taille. De mémoire de pirate, personne n’avait survécu à une rencontre avec le
Justice. Après tout, c’était le vaisseau personnel du Commandeur. Non seulement il était lourdement armé, mais en plus de cela il pouvait accueillir un nombre impressionnant d’hommes d’armes et d’équipage. Une confrontation directe ou un abordage revenait à peu près au même : l’annihilation pure et simple.
Murad frappa le bastingage avec rage. Le capitaine Murazim ne s’avouait jamais vaincu. Il se retourna vivement vers son équipage médusé.
-Monsieur Gallow, tribord toute. Où est passé ce bon à rien de faiseur de vents?, hurla-t-il pour réveiller ses hommes.
Tout à coup, le pont du
Rouge de Salibli fut le théâtre d’une agitation frénétique. Les deux grandes voiles carrées du galion furent levées, arborant fièrement le crâne vermeil de Murad, tandis qu’une vingtaine d’hommes s’affairèrent à charger les imposantes balistes placées le long du bastingage. Des hommes remontèrent des calles avec des réserves de projectiles, ainsi que les armes légères d’abordages, sabres, dagues, de même que de longs pieux en bois pour repousser les attaquants.
-Capitaine, fit une voix hautaine derrière Murad.
Celui-ci se retourna et toisa l’homme d’âge mûr, aux traits aristocratiques vêtu plutôt richement pour un pirate. Icabod était un magicien de province, habile dans la manipulation des vents, qui avait préféré embrasser une carrière de forban plutôt que de finir sur un bûcher. Les deux hommes se détestaient, mais ils avaient trop besoin l’un de l’autre.
-Je veux un vent d’est, le plus fort possible.
-D’est?, s’étonna Icabod. Mais cela nous entraînera vers la grande mer.
-Tout à fait. Avec un vent arrière nous irons plus vite qu’eux, car leur navire est trop lourd. Et avec tous les hommes qu’ils trimballent, ils seront à cours de vivres avant nous. Ils ne pourront pas nous talonner bien longtemps. Ce genre de vaisseau n’est pas fait pour de longues expéditions sans ravitaillement régulier.
-Cela me semble une stratégie bien périlleuse, capitaine.
-Ouais, et ben écoute moi bien, c’est ça ou se retrouver tous par le fond. C’est toi qui choisis.
Icabod pinça les lèvres mais ravala sa réplique.
-J’espère que vous savez ce que vous faites. Vous allez nous entraîner dans des mers sur lesquelles personne n’a jamais voguées.
-Et alors? Qu’est-ce que ça peut faire? La mer c’est la mer. Qu’est-ce que tu crains? Les monstres marins? Le vieux Barbu?
Murad ricana.
-A votre guise, siffla Icabod.
Vert de rage, ce dernier se dirigea d’un pas énergique vers sa cabine où il s’enferma. Quelques minutes plus tard, alors que le
Justice se rapprochait inexorablement, à tel point qu’on pouvait à présent voir des silhouettes s’affairer sur le pont, un vent digne d’une tempête balaya le Rouge depuis la poupe, gonflant ses voiles à les faire presque craquer. Le galion fit un bond en avant, projetant une grande partie de l’équipage à la renverse. Murad observa avec satisfaction les grandes gerbes d’écume que son navire laissait derrière lui, attestant de la vitesse à laquelle ils évoluaient à présent.
Cependant, il fut pris d’un étrange pressentiment lorsqu’il regarda les côtes diminuer puis disparaître à l’horizon.
***
Dhaltarion III, roi de l’agonisante Arch’Land, écoutait avec attention le rapport de son fidèle archimage à propos des progrès du garçon, le fameux Samyël. Il hochait de temps à autres la tête, sa main droite fourrageant lascivement dans sa barbe. Markus d’Esboni, le grand intendant de la famille royale, et Filibert d’Aranis, général en Chef des fantomatiques armées Arckendéennes, étaient présents eux aussi, mais ni l’un ni l’autre ne fit un commentaire.
Lorsque Nemerle eut fini, le roi se leva de son siège et alla à la fenêtre.
-Je vois, je vois…, fit-il sans cesser de tripoter sa barbe.
Il observa un moment son fils, le prince Arthurus, qui s’entraînait à l’épée avec les gardes, dans la cour. Il n’avait que quatorze ans, mais c’était déjà un homme. Grand, il avait des muscles fins, nerveux et puissants, qu’il accompagnait d’une sveltesse de coureur, faisant de lui l’un des meilleurs épéiste de la ville. Ses traits qui avaient jadis été naïfs et délicats étaient dorénavant durs, virils et marqués, quoique non dénués d’une certaine beauté fruste. Une moue colérique ne quittait jamais son visage, et lorsqu’on pouvait apercevoir ses yeux bleus sous sa tignasse de cheveux blonds, on y voyait un orage perpétuel, prêt à totalement éclater. Malgré son aspect de brute, c’était quelqu’un de bon et loyal, et en dépit du fait qu’il haïssait son père, celui-ci en était fier. Dhaltation était heureux que son fils ait hérité du caractère de sa mère plutôt que du sien. Chaque fois qu’il croisait son enfant et que leurs regards se croisaient, il avait l’impression d’être devant un miroir lui renvoyant à la figure sa propre lâcheté. Le roi savait que le prince l’accusait silencieusement de l’état actuel des choses.
Les épaules du monarque commencèrent à frémir, indiquant qu’il allait pleurer.
Les trois autres hommes se détournèrent respectueusement. Ils savaient que leur roi était un homme faible et fragile, mais à la différence d’Arthurus, ils ne le détestaient pas pour autant. C’était leur roi, leur ami et ils l’aimaient comme il était. Tous, de toute manière, se sentaient coupables de la condition du roi. C’est eux qui l’avaient élevé. C’est eux qui l’avaient trop protégé, durant une époque de paix. Nemerle avait été un professeur trop laxiste. Markus un tuteur trop gentil. Filibert un ami trop prévenant. Ils avaient vu grandir un enfant trop frêle pour porter le poids d’une couronne, trop naïf et gentil pour faire un bon politicien, et surtout trop peureux pour faire un grand roi. C’était donc leur faute. Ils avaient façonnés un monarque inapte à affronter une crise de cette ampleur. Ils n’avaient pu que contempler, impuissants, l’accumulation des erreurs, dictées par la peur et les maladresses. Ils avaient été les artisans de leur propre défaite.
Et surtout, ils n’avaient pas eu le cran de faire la seule chose qui les aurait sauvé. Ils n’avaient pas eu le courage d’assassiner Dhaltarion pour mettre à sa place, non pas son fils, trop jeune, mais son demi-frère, Carolis. Un homme mauvais, cruel, traître et perfide, mais capable d’affronter les responsabilités de la fonction royale.
Mais il était trop tard maintenant, et le triumvirat officieux d’Arendia avait honte d’avoir ne serait-ce qu’évoqué cette possibilité.
***
Lowyn de la maison d’Hott essaya de se relever, pleurant et gémissant sous la douleur. Mais le pied de Sorël se posa avec violence sur son torse frêle, le clouant au sol. Il poussa un couinement suraigu.
-Tu me fais pitié. Tu n’as aucune élégance. Tu es laid. Tu n’es qu’un sodomite.
Le Maître lui cracha au visage en y mettant tout son cœur.
-Ne t’en fais pas, mon petit, continua-t-il sur le même ton froid et doucereux. Je ne vais pas te tuer…
Un sourire mauvais mais gracieux étira les lèvres carmins de l’altérant.
-… Samyël le fera.
C’en fut trop pour Lowyn. Il poussa un long et pathétique hurlement haut perché, abandonnant toute dignité. Il ne songea pas même un instant à se servir de sa magie.
-Sorël. Ecarte toi de mon élève.
L’ordre sec claqua comme un coup de tonnerre sur le champ d’entrainement. Alors même que le maître Bronze et ses élèves sortaient de la forge pour voir de quoi il retournait, Darius Quint, le petit rhéteur, se matérialisa littéralement à quelques mètres de Sorël. Comme de coutume, il paraissait serein, cachant ses mains dans les grandes manches de sa robe, mais derrière ses lunettes bleues, ses yeux se paraient d’une froide colère. C’était lui qui avait parlé.
-Darius, darius, darius…, fit Sorël sans même le regarder, ses yeux toujours rivés sur sa proie. Toujours à gâcher le plaisir des autres, à ce que je vois.
-Je n’ai que faire des plaisirs d’un fou pervers tel que toi, Lyzandre.
A l’évocation de son prénom, l’altérant tourna la tête vers son rival. Ils s’affrontèrent du regard une longue minute ; la tension était tellement palpable, la tempête tellement proche d’exploser, que Bronze intima à ses élèves de rentrer dans la forge. Il en fit de même. Il ne souhaitait pas être mêlé à ce qui allait arriver.
-Tu devrais mieux les dresser, tes chiens, déclara Sorël avec morgue. Ils aboient un peu trop fort.
-Cela me regarde. En attendant, écarte toi.
-Sinon quoi, Darius?
Il y eut un silence, qu’un vent un peu plus fort s’empressa de briser, déplaçant de petites masses de poussière sur la scène. Lowyn n’en menait pas large. Il était au bord de l’évanouissement, des suites de la perte de sang.
-Sinon je vais devoir t’écarter moi-même.
Les deux maîtres se toisèrent, et la haine qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre exsudait par tous les pores de leur peau.
-Tu veux régler ça tout de suite et maintenant, asticot?, ricana Sorël. Allons, ne me fait pas rire. Nous savons très bien qui de nous deux détruirait l’autre. Vous me lassez, tous les deux. J’allais partir, de toute façon.
Il fit mine de se retourner, mais il se ravisa, mimant quelqu’un qui se rappelle soudain de quelque chose. Tout en regardant Darius dans les yeux, il leva la jambe et abattit son pied avec force sur le torse de Lowyn. L’impact brisa quatre côtes.
Tandis que le jeune homme hurlait de douleur en crachant du sang, le maître Altérant s’en retourna chez lui, sifflotant un petit air gai. Darius Quint, lui, ne parvint pas à contrôler les tremblements de terreur de son corps.
***
Le vent avait échappé au contrôle d’Icabod, se transformant en une véritable tempête, déchaînant la mer alentour dont les vagues immenses et hurlantes s’abattait avec frénésie sur les ponts des deux navires pris dans la tourmente. Des traits de balistes franchissaient les airs déchaînés, tentant tant bien que mal de toucher leur cible.
Contrairement à ses estimations, le
Justice n’avait à aucun moment perdu sa prodigieuse vitesse. Il avait pourchassé impitoyablement le
Rouge de salibli par delà les mers connues et ouvert le feu malgré la tempête. Fou de rage, Murad Murazim avait ordonné de couler par le fond le navire de ces fous fanatisés. Les voiles étaient affaissées, tristement lacérées par les vents violents. Les gouvernails ne répondaient plus aux ordres désespérés des navigateurs et les lames de fond menaçaient de les faire chavirer à tout moment. Plusieurs hommes étaient déjà tombés par-dessus bord. Mais les deux capitaines n’en avaient cure. Ils voulaient du sang.
Une secousse effroyable ébranla le
Rouge lorsque l’épieu de bronze fixé à la proue du
Justice le perfora avec violence. Les pirates dégainèrent leurs armes, sans grande conviction toutefois. Des dizaines d’hommes en armes et armures sautèrent sur le pont arrière, et les combats éclatèrent un peu partout. Mis à part Icabod, terré dans sa cabine, personne ne se souciait du fait qu’ils se trouvaient au milieu d’une mer inconnue, à des miles et des miles de la côte.
Les soldats restés sur le Justice se mirent à tirer des flèches depuis le bastingage, sans grand résultat car les vents trop violents déviaient les traits.
Murad tira au clair le cimeterre qui avait fait sa renommée. Réunissant quelques hommes autour de lui, il mit ses fabuleux talents d’escrimeurs à l’épreuve pour tenter de repousser l’envahisseur. Le pont mouillé était glissant, les cordages renversés s’emmêlaient autour des chevilles et des paquets d’eau frappaient les hommes à intervalles réguliers, rendant difficile toute manœuvre. Murad voyait des hommes fauchés par les vagues, emportés par les eaux hurlantes vers une mort douloureuse. Le pirate jura tout en se battant. Il ne voulait pas mourir ici, pas comme ça. Loin de tout. Ces pensées lui donnèrent une force nouvelle, attisant sa rage, et il redoubla d’efforts. Ses poumons le brûlaient, il avait la gorge desséchée à cause du sel et ses yeux le piquaient, mais il progressa, péniblement, mètre par mètre.
Soudain, il fut sur le pont du
Justice, une dizaine d’hommes à ses côtés. Il cligna des yeux, et un éclair illumina la scène. La suite ne fut qu’un corps à corps furieux, et Murad n’était pas certain de ne pas avoir tué un de ses hommes dans la tourmente. Il se retrouva au bout d’un moment à croiser le fer avec un homme couvert d’un casque orné d’ailles d’aigle. Ce n’était pas le Commandeur, juste un Légat. De rage et de dépit, il le décapita d’une botte audacieuse.
C’est à ce moment là que le
Rouge de Salibli s’écrasa sur le pont du
Justice.
***
Le silence se fit lorsque l’étranger poussa la porte de l’auberge du Relais. Ce n’était pas que les étrangers étaient rares , puisque c’était précisément une auberge de voyageurs, mais c’était plutôt son aspect qui donnait matière à suspicion. L’homme n’était pas bien grand, à vrai dire il avait la taille d’un adolescent, mais l’armure noire polie qu’il portait lui donnait une carrure de bœuf. On ne voyait pas son visage, caché par un rideau de cheveux d’un blanc sale et il transportait une drôle d’épée à la ceinture, dont la lame était couverte d’inscriptions dansantes.
Il resta un moment sur le seuil. L’aubergiste hésita à lui dire d’entrer. Il pressentait des ennuis. Les soldats n’étaient pas rares, si près de l’Arch’Mark, mais l’étranger avait plus l’air d’un de ces mercenaires du nord, des soudards ivrognes. L’homme finit pas traverser la salle, et s’installa à une des tables du fond, le dos au mur. Les poils des clients se hérissaient à son passage, mais personne ne pipa mot. L’aubergiste remarqua qu’il semblait fixer l’autre étranger arrivé un peu plus tôt, un type d’âge mûr à la mine jovial, victime d’un peu d’embonpoint. L’homme en question dégustait son repas sans faire attention au reste de la salle.
Cependant, lorsque l’aubergiste lui apporta une nouvelle pinte de bière, il constata que l’épais voyageur suait à grosses gouttes. Pourtant la soirée était fraîche.
***
La scène avait quelque chose d’irréel. Murad Murazim, capitaine corsaire du
Rouge de Salibli, regardait avec un détachement né de la fatigue son propre galion exploser sous le choc de l’impact avec le pont du Justice. Des planches de bois volèrent à côté du pirate, des échardes mouillées plurent sur lui, un cordage projeté avec force le frappa de plein fouet. Des hommes et des morceaux d’hommes chutaient autours de lui, comme dans une mauvaise histoire de monstre.
De monstre…
La réalité frappa Murad. Il se rendit compte que son bateau, son galion, était tombé
du ciel. Lentement, comme dans un rêve, il tourna la tête, juste à temps pour voir une masse titanesque, plus noire que le noir, s’enfoncer à nouveau dans les flots déchaînés, là où s’était trouvé son navire. Une salve d’éclairs illumina brièvement la chose, révélant une texture écailleuse. Murazim vomit.
En chancelant, il se traîna jusqu’au bastingage, choqué par ce qui se passait. Les hommes, qu’ils furent pirates ou Arch’Markiens, couraient dans tous les sens, ou bien restaient prostrés par terre, les mains sur leurs blessures, ou au chevet d’un camarade. Le pont du
Justice émit un craquement terrible, prêt à se rompre sous le poids du
Rouge.
Murad se pencha en avant. Une ombre d’une taille inimaginable rôdait sous le bateau. Le capitaine n’eut même pas le temps d’implorer ses dieux qu’un pieu gigantesque et écailleux perfora le Justice, le propulsant dans les airs avec une force défiant la physique. Tout fut projeté dans un maelström d’hommes, de cris, d’eaux, de bois, d’acier. Une baliste frappa Murad dans le dos, l’envoyant un peu plus loin. D’en haut, le pirate avait une vue d’ensemble. Les vagues déchaînées cachaient dans leurs replis les circonvolutions d’une chose monstrueuse. La terreur s’empara impitoyablement de Murad lorsqu’il amorça sa descente.
Mû par un réflexe élémentaire, il parvint à adopter une position de plongeon, ce qui lui évita de mourir sous l’impact de l’eau. Beaucoup n’eurent pas cette chance. Les eaux noires et glacées happèrent le pirate comme des bras avides. Murazim se mit à ruer, en proie à une panique animale. Il sentait des choses qui crevaient la surface pour s’enfoncer dans l’eau, derniers vestiges de deux des plus beaux navires jamais construits. Le pirate entendit soudain un son horrible, couvrant la tempête et les « plouf » sonores. Il crut tout d’abord à un chant de baleine, mais c’était plus grave, plus sinistre, plus monstrueux.
Soudain, le calme se fit. Murad s’enfonçait toujours plus profond, mais les eaux étaient calmes, et les bruits s’étaient tus. Il se demanda si il était en train de mourir déjà, car ses poumons le brûlaient atrocement. Il ouvrit les yeux. L’eau salée attaqua sa cornée, mais il n’en avait cure. Il ne voyait rien. Il n’y avait que les ténèbres liquides. C’était une vision terrifiante.
Un faisceau de lumière rouge, brûlante, diabolique, creva l’obscurité, dévoilant le macabre spectacle. Des dizaines et des dizaines de corps gonflés aux yeux exorbités dérivaient funestement, plusieurs à quelques centimètres à peine de Murad. Paniqué, ce dernier voulut s’éloigner, mais il n’avait plus de forces. Il vit des silhouettes massives et sombres évoluer à la périphérie de la lumière. Il sut que ce n’était pas des requins.
Tout à coup, le faisceau se braqua sur lui, l’aveuglant. Lorsqu’il put rouvrir les yeux, il vit un œil horrible, malfaisant, démoniaque, immense, titanesque qui le regardait depuis les abysses. Le corps d’Icabod passa devant Murad, un sourire narquois déformant ses traits morts. Il semblait se moquer de Murad qui n’avait pas écouté ses mises en garde.
L’une des silhouettes passa près de lui, lui arrachant le bras gauche. Lorsqu’il hurla de douleur, de terreur et d’épuisement mental, Murad avala une stèle funéraire liquide.
Et tandis que Levyathan refermait les yeux, le chant de ses fils emplit de nouveau les profondeurs ténébreuses de l’océan.
***
Finalement, tout se passait bien. L’étranger en armure se contentait de rester dans son coin. Il ne buvait même pas. Cependant, ce n’était pas le cas du gros homme. Il ne s’arrêtait plus, et suait de plus en plus. L’aubergiste se demanda ce qu’il devait faire. Au bout de la quatrième pinte, il avait demandé d’être réglé d’avance, et jusque là l’homme payait. C’était bon pour les affaires mais devait-il l’envoyer dans sa chambre?
Son dilemme prit fin lorsque, passablement ébréché, le gros homme se leva en titubant, le visage rougeaud et en colère. Il braqua un doigt sur l’étranger en armure et hurla d’une voix aiguë.
-Tu ne me tueras pas, monstre!
Il joignit les mains et commença à hurler des paroles mystiques, les yeux fermés. Son visage ruisselait littéralement. Cependant, l’homme en armes ne resta pas passif. En un éclair, il se remit debout, et l’instant suivant il plantait sa lame dans le ventre de son adversaire.
Ce dernier glapit de douleur, et un sang clair éclaboussa le sol de l’auberge. Les autres clients et l’aubergiste, médusés, ne purent que regarder ce qui suivit. Saisissant le sorcier à la gorge, le mercenaire le souleva sans effort et le plaqua contre le mur, renversant chaises et tables, et planta frénétiquement son épée dans chaque centimètres carré de chair. Il fut bientôt couvert de sang, et des éclaboussures vermeilles maculaient le bois des murs et du sol, laissant des sillons écarlates qui coulaient lascivement. Le sorcier ne bougeait plus depuis longtemps lorsque le guerrier s’arrêta. Il le laissa cloué par son épée. Il ne fit plus rien, se contentant de rester devant, la tête baissée.
-Par les dieux…, bafouilla l’aubergiste, trop horrifié pour dire autre chose.
Alors l’étranger rejeta la tête en arrière et poussa un terrifiant hurlement de dépit. Puis il saisit l’aubergiste à la gorge, le soulevant, et ce dernier hoqueta de peur lorsqu’il fit face à deux brasiers démoniaques fendus d’une fine pupille rouge.
-Il connaissait le prix!, cria la chose d’une voix déformée, rauque, rappelant le frottement de la pierre contre la pierre.
Des arcs d’énergie violets commencèrent à crépiter sur son corps. L’aubergiste crut sa fin arrivée, lorsque soudain la porte de son établissement s’ouvrit à la volée, et qu’une dizaine de guerriers de la Sainte Expédition entrèrent, avec, à leur tête, le Commandeur en personne. Celui-ci tendit le bras, et un faisceau de lumière blanche et pure jaillit de ses doigts et frappa la créature, l’immobilisant instantanément.
-Par le Seigneur!, dit Eratius d’une voix forte en croisant les doigts comme pour une prière. Nous arrivons à temps. Cela ne fait que trop longtemps que nous traquions cette engeance. Regardez-la! C’est l’enfant d’un mage!
Les clients poussèrent des exclamations de stupeur et de dégoût, pendant qu’un soldat dégageait l’aubergiste de la poigne de la créature. Eratius s’approcha avec une mine de dégoût du sorcier cloué au mur.
-Regardez bien ce visage là. C’est lui qui a invoqué ce démon dans notre monde. Mais la créature s’est retournée contre le créateur.
Il secoua la tête.
-A présent, c’est terminé. Grâce aux pouvoirs que le Seigneur m’a confié, ce monstre ne pourra plus faire de mal. Emmenez cette chose, je vais tenter de la purifier par le feu de la justice. Quand à cet homme… (Il retira d’un geste rapide l’épée plantée.) Brûlez le.
-Je…, intervint l’aubergiste en se massant le cou. Je vous en prie, seigneur Commandeur. Brûlez le devant mon auberge, ainsi le Seigneur m’accordera sa bénédiction.
-Entendu. Le Seigneur récompense toujours ses enfants fidèles et aimants.
Eratius fit mine de sortir, mais il s’arrêta sur le pas de la porte. Il se retourna vers l’assemblée, puis il leva la main.
-Que le Seigneur vous bénisse.
Puis il sortit. Il rejoignit ses hommes dans le bosquet situé non loin de l’auberge du Relais. La créature était toujours paralysée. Un sourire satisfait éclaira le visage du Commandeur.
« Il connaissait le prix! »
La plainte était à peine un murmure dans l’esprit surpuissant d’Eratius, alors que ses hommes serrèrent les dents de douleur.
-Oui, il le connaissait. Tu as raison, justice doit être faite.
Eratius leva l’épée devant son visage. L’œil démoniaque qui ornait sa garde lui rendit son regard. Cinq runes se mirent côte à côte et formèrent un nom : Haz’Rael, l’Honnie.
-Continue à bien me servir, et je te donnerai ce que tu désires tant.
Avec une lueur de folie dans les yeux, le Commandeur glissa l’épée dans la ceinture du démon.