Auteur Sujet: La Tour du Rouge : [Random | Très court] Sans titre #1  (Lu 97316 fois)

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La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
« Réponse #105 le: samedi 18 avril 2009, 18:09:52 »
PdC, vil coquin, je ne m'attendais pas du tout à ce commentaire, en cela il m'a fait encore plus plaisir que d'habitude =D Je te remercie², pour le commentaire et pour mon anniversaire ^^ Au risque de te decevoir, Le Cycle et Argoth vont rester de côté un petit moment encore. Je vais pas reprendre ici notre discutions sur ma source d'inspiration, nous savons tout d'eux mon point de vue ^^ Je dirais juste que je suis content que ça te plaise tout de même, et que tu ais constaté mon progrès dans l'oretograf (je m'en rends compte moi même)! Quant à ta dernière remarque sur la monochromie des sentiments etc, je dirai juste que j'en ai conscience et que... c'est fait exprès! Je ne dirai rien de plus, mais attends toi à du changement de ce côté là!
Sur ce, n'hésite pas à revenir souvent =p

Merci pour le commentaire raphael!

Avant de passer à la suite, une petite surprise de notre cher Yorrick! (Encore merci!) Une nouvelle version de la carte Continentale, actualisée et remise au gout du jour. Je dois dire que le résultat est de toute beauté et que je n'en reviens toujours pas. Je vous laisse juger  :)
http://img509.imageshack.us/img509/7326/cartegmscopie.jpg

Enfin, je tenais à m'excuser d'avoir manqué le rendez vous de la semaine dernière. Comme je partais le lundi matin à 5h du mat pour l'Espagne, les préparatifs m'ont pas mal occupé et ça m'est totalement sorti de la tête! Désolé!

Sans transition, Monarque. A la semaine prochaine!


_____________________


II /  Ashenvâle


[align=center]1.[/align]


 Il faisait froid dans ce foutu village. Un froid à vous les ratatiner façon raisins secs. L’hiver fait toujours cet effet là dans les royaumes centraux. On a poussé nos canassons, fraîchement dérobés dans la ferme située 30 kilomètres plus à l’ouest, jusqu’à une auberge encore ouverte. Il suffisait d’envoyer Bière les parquer à l’écurie pour économiser quelques pièces de cuivre d’entretient. On est entré précipitamment car la neige recommençait à tomber.
Comme dans toutes les auberges de tous les petits villages du monde, les quelques habitués nous ont lancé des regards mauvais. On aime rarement l’étranger qui surgit en pleine nuit, avec plein de copains et armés pour partir à la guerre. Et surtout, nous formions une petite troupe singulière. Je me suis empressé de détendre tout de suite l’atmosphère en lançant un bonsoir amical. Pour prouver nos intentions pacifiques, on a déposé nos armes sur la table la plus proche. J’ai eu peur sur le moment qu’elle se brise sous le poids, mais non elle a tenu bon.
J’ai été commander assez à manger pour nous tous pendant que les hommes collaient deux grandes tables ensembles pour qu’il y ait assez de place. J’ai regagné ma petite troupe, pas mécontent de dormir au chaud ce soir.
Tempête du Chaos au grand complet, dans une petite auberge de province. Ca m’a rappelé des souvenirs. Tapinois, Bière, Ciguë, Ken, Araignée, Rose, Zed, Manchot (qui n’était plus si manchot que ça, avec son nouvel appareil gobelin) et le dernier arrivé, mon nouveau chouchou, Teknogure. Un ingénieur gobelin. Une perle de stupidité, d’ingéniosité mécanique, un ravissement des sens permanent. Mesurant quatre-vingt centimètres, pesant ses 25 kilos tout mouillé, il avait une trogne encore plus vilaine que Tapinois, avec son nez long et crochu, ses petits crocs jaunes et crasseux, ses poils de nez trop longs, ses oreilles pointues à moitié mangées et ses grosses lunettes sur ses yeux rouges.
Quand on l’a rencontré, à la fin de l’automne sur les routes du Mel-Kure, il se faisait dévaliser par une bande de malandrins des environs. Après une bataille courte et propre (Bière avait besoin d’exercice), il nous a proposé ses services. Comme ça faisait un moment qu’on avait recruté personne, et qu’il me faisait rire avec ses zozotements et sa voix stridente, je l’ai pris. Je ne le regrette pas. Il est aussi bon artificier que courageux. Pour peu qu’on lui fournisse les matériaux, il peut vous bidouiller un nombre impressionnant de machins et de trucs, de la bombe incendiaire aux feux d’artifices, en passant par des arquebuses. Il en avait d’ailleurs fabriquée une pour Ken. Un fusil de précision, avec un canon long et une lunette de visée, baptisée Fulgurator X-3. Le bridé se débrouille plutôt bien avec, il nous chasse des trucs quand on est sur les routes. Malheureusement, comme les balles coûtent chères et sont rares, il faut l’utiliser avec parcimonie. Et aussi, lorsqu’on tue des gens, on prend bien soin de leur faucher tout ce qu’ils ont de métallique : armes, bijoux, boucles de ceinture, de botte, de baudrier. On fond le tout et Tekno re-fabrique des munitions.
En sus de cet engin de mort et de destruction (j’ai vu les trous que ça laisse sur les cadavres), il avait également combiné son savoir-faire avec Ciguë, pour nous produire des petites grenades à gaz divers. Très pratiques.
Bref, une acquisition très bon marché, car la seule chose qu’il demande c’est un peu de protection et d’amour. C’est un vrai parano. Il croit que l’univers tout entier veut le tuer, et qu’un assassin se cache dans chaque ombre.
« Bon, on fait quoi maintenant?, a fait Araignée en piochant dans son lard fumé.
-Ca a l’air sympathique ici, a répondu Ken.
-De toute façon, on a plus rien à faire tant qu’on aura pas reçu de nouveaux ordres. Alors autant se reposer ici et prendre du bon temps.
-J’ai repéré une maison close, vers Kurtzïg. Ca fait pas loin à cheval. »
Hop, la décision était prise. L’aubergiste est venu nous voir avec un air maussade. Il a demandé si on voulait autre chose.
« Ca ira pour l’instant, mon brave, je lui ai dit. Nous aimerions louer ton établissement pour quelques jours. »
Il est resté sans bouger un instant. Il savait pas trop quoi répondre. Les trois pièces d’argent que j’ai faites rouler vers lui et qu’il a attrapées avec une dextérité à faire saliver un acrobate lui ont donné quelques idées.
« C’est parfait, monseigneur. Mes chambres sont à votre disposition. »
On a longtemps mangé et bu ce soir là. On venait de finir notre dernière mission. Mettre à sac une ferme, dans laquelle un riche paysan fomentait des plans contre le seigneur du coin avec des copains à lui. On a déboulé en pleine nuit, les avons surpris en plein milieu d’une petite sauterie. Hop, un coup d’épée par-ci, un éclair par-là. On a ligoté la femme et les enfants et on les a laissés dans la cambrousse environnante. J’ai mis le feu à la baraque après qu’on ait sorti les corps dehors, puis on a fauché les chevaux et on s’est barré en vitesse. Pour atterrir ici, à Ashenvâl.

Il y avait 4 chambres dans cette auberge, Au Poney Dormant. Si vous trouvez le nom ridicule, vous avez bon goût. La répartition a été assez simple à faire. Moi et Rose dans la plus grande et la plus propre ; Tapinois avec Teknogure et Ciguë ; Bière avec Ken et Araignée et les deux frères ensembles. Je me suis déshabillé avec toute l’habilité d’un homme d’expérience et je me suis glissé dans les couvertures de l’unique lit deux places. Rose m’a rejoint peu après, en sous vêtements et s’est blottie dans mes bras. Notre relation avait un peu évolué depuis le Wellmarch.
Je n’étais pas amoureux, elle non plus. Disons qu’on aimait bien se réchauffer l’un contre l’autre. Je vous rassure, nous ne comptions pas faire l’amour.


[align=center]2.[/align]


Ashenvâl de jour... Bah c’est comme Ashenvâl de nuit. Mort. Les paysans vaquent tranquillement à leurs occupations, loin des tourments de la politique et des guerres. Ils plantent leurs patates en espérant que la récolte sera bonne cette année. Certain, plus aventureux, vont jusqu’à planter des choux. De vrais casse-cous.
Réellement déprimant comme bled. Mais bon, on était là pour se reposer en attendant la suite, on aurait été bien avec un village en pleine guerre civile.
Je me suis levé tôt le matin suivant. Le petit-déjeuner n’était même pas encore servi. Je suis sorti dehors, me suis adossé au mur blanc de l’auberge et j’ai regardé le village, tout en tripotant mon ombre dans ma poche. J’avais pris la décision de m’en occuper ces jours-ci. Quant au coffre et à la cassette... Le premier se trouve en sécurité dans une grotte à deux kilomètres au nord de Ferdbürg, un grosse ville de l’Ouest. La cassette se trouve toujours en notre possession.
Le capitaine ne m’a toujours pas reparlé ni de l’un ni de l’autre. Je crois qu’il ne sait pas qu’on a fini par récupérer le coffre, mais pour la cassette... Tout ceci était bien intriguant, mais ça m’allait parfaitement. Tapinois est venu me rejoindre un peu après.
« Ca me rappelle le bon vieux temps. Tu te souviens, dans cette auberge sur la route de Mereïne, quand on fuyait les royalistes, avec Lumdog et Gratos?
-Tu commences à parler comme un vieux, il m’a rétorqué.
-T’as raison. Mais bon, certaines périodes de ma vie me manquent.
-Comme à nous tous.
-Ha ouais? Du genre?
-Du genre avant que je te rencontre. 
-Tu me touches.
-Je t’en prie. »
Les bouseux qui passaient devant nous nous regardaient avec des yeux plus ronds que les pommes de terre qu’ils trimballaient. J’essayais de me montrer poli. Puisqu’on allait vivre quelques temps, autant vivre en bonne intelligence. Mais au bout du quatrième bonhomme je commençais à perdre patience. J’ai réalisé tout à coup que Tapinois n’était pas sanglé de son arsenal de couteaux. Ca le changeait beaucoup. Il paraissait presque abordable maintenant.
On a fini par rentrer quand on a senti le bonne odeur du petit déjeuner. Porc salé et  gruau de céréale, avec une bonne pinte de mousseuse du coin. Pas mauvaise d’ailleurs. Les autres se sont réveillés à intervalles irréguliers.
« Quartier libre les enfants, ai-je annoncé. Mais soyez sages. N’allez pas forcer sur la bonne brune locale, ni embêter votre voisin. Promis? »
J’ai reçu des morceaux de pain dans la tête en guise de réponse. L’aubergiste nous regardait avec une mine songeuse. Quelque chose semblait le tracasser. Mouais. Pas mes affaires.
Enfin, ce que je croyais.

[align=center]
3. [/align]



J’ai passé cette journée là à planifier ma rencontre avec l’ombre, que je prévoyais pour le lendemain. C’est le genre de rituel qui demande du temps, de la concentration, un cadre tranquille et deux / trois bonhommes pour vous assurez de pas être dérangé. Et j’avais tout ça sous la main.
J’ai réveillé Rose et Bière aux aurores pour qu’ils m’assistent. Rose en tant qu’assistante directe, Bière en tant que bloqueur de porte. Je me suis empiffré de porc salé, de bière, d’oeufs et de beurre au petit déjeuner pour m’assurez assez de force pour l’opération. J’ai posé la sphère au milieu de la pièce et me suis assis en tailleur devant.
« C’est beau, a commenté Rose qui s’était placé à ma droite. »
En effet, c’était assez jolie. Imaginez une balle de lumière, dans laquelle virevolte une ombre plus noire que le noir. Bière s’est contenté d’un grognement et est allé prendre ses fonction devant la porte, son bon vieux hachoir entre les mains.  
Pour me donner un peu d’ardeur à la tâche, j’ai peloté Rose un moment, qui riait doucement sous mes caresses. Un jeu à nous.
« Après, elle m’a dit. »
De quoi vous motiver un homme. J’ai retroussé mes manches, mis la boule au creux de mon giron. Ouvrir la sphère et dire « Coucou! Tu veux bien devenir ma copine? » aurait été d’une débilité crasse. Je n’avais aucune expérience de ce genre de créature. Il fallait tenter une approche plus subtile. J’ai posé ma main sur la sphère et j’ai tenté de projeter mon esprit pour capter une pensée, un sentiment, un mot. A ma grande surprise, je n’ai senti qu’une peur panique. L’ombre était totalement paniquée, car elle était dans l’incapacité de remplir sa mission.
« Hé! Doucement, calme toi... » ai-je dit mentalement.
La créature a mis un certain moment avant de se rendre compte que je lui parlais. Elle s’est soudain arrêté de bouger dans tous les sens et s’est calmée.
« Voilà, c’est bien. Ne t’en fais pas, tout va bien. Tu n’as plus à t’inquiéter de ce que te feras ton maître.
-Qui êtes vous? »

La voix était indubitablement féminine et... putain, sensuelle! Ca m’a choqué.
« Je m’appelle Monarque. Et toi, comment t’appelles-tu? »
Un temps.
« Rashk’Zerig Kirdörhan. »
A tes souhaits.
« Que me veux-tu, Monarque?
-J’ai tué ton maître. (Mensonge honteux, mais judicieux. Elle s’est tout de suite apaisée un peu plus. J’ai même ressenti de la ... reconnaissance?) Je souhaiterais que l’on s’associe, toi et moi.
-S’associer? Tu veux dire m’asservir à ton tour pour me plier à tes moindres volontés. »

C’est qu’elle avait de la suite dans les idées, voyez-vous.
« On ne peut rien te cacher. Mais je pense être une bonne option.
-Quelles sont les alternatives?
-Et bien, tu peux rester dans cette petite baballe le restant de l’éternité. Je garantis les frais de logement. »

Elle a ri. Me demandez pas comment, mais c’est vraiment l’impression que j’ai eu. On est jamais trop sûr avec ces conversations mentales.
« Tu as de bons arguments, Monarque.
-J’en ai même trois énormes pour mes compagnes à deux pattes. »

Je n’ai pas la moindre idée du pourquoi j’ai sorti cette blague plus que douteuse à une ombre. N’empêche qu’elle a ri à nouveau. Je crois que je lui plaisais bien, à l’instant.
« A quoi m’emploierais-tu, Monarque?
-Ho, des choses et d’autres. Espionnage, reconnaissance, protection rapprochée, assassinat...
-Vaste programme.
-N’est-ce pas?
-Oui. Tu dis que mon maître est mort?
-Oui.
-Tu mens. Je sens encore le lien qui nous unit. Il est certes très faible, mais il est toujours là.
-Hmm. Bon, admettons que j’ai légèrement menti? »

Silence durant quelques instants interminables. J’ai même cru que le contact avait été coupé.
« J’accepte, Monarque. Mais à quelques conditions.
-Lesquelles?
-Je veux que l’on pactise. »

Aïe. Pourquoi les créatures surnaturelles veulent-elles toujours d’un foutu Pacte?
« Très bien. Autre chose?
-Nous verrons cela. Tu peux me faire sortir.
-Qu’est-ce qui me dit que tu n’essaieras pas de me tuer? »

Elle a souri mentalement.
« Je t’ai donné mon nom. Tu as déjà tous pouvoirs sur moi, si tu le désires. »
Hein, son nom? Elle voulait parlé de son baragouin guttural de tout à l’heure?
« Oui, certes. »
J’ai rompu le lien mental et repris contact avec le monde extérieur. La pièce était tellement éclairée qu’il ne pouvait être que l’après midi. Rose s’était assoupie sur le lit. Tu parles d’une assistante. Dans ce genre de confrontation, le temps s’écoule toujours différemment. Soit il nous paraît beaucoup plus rapide, soit beaucoup plus lent. J’ai profité de cette pause pour me dégourdir les jambes et faire craquer ce qui avait besoin de l’être. J’ai frotté mes yeux et baillé. J’ai ensuite fermé les rideaux pour ne pas que Liz (c’est comme ça que j’appelle mon ombre) ne souffre pas. Enfin, je n’en savais rien, mais je supposais qu’une ombre avait besoin d’obscurité pour se sentir bien.
Respirant un bon coup, quelques sortilèges sous le coude au cas où elle me jouerait un tour, j’ai ouvert la sphère. Elle en est sortie lentement, rampant sur le sol comme... bah l’ombre qu’elle est. Je me suis assis dos contre le lit, et j’ai tendue la main. Elle est venue s’y blottir en boule.
« J’ai l’impression que cela fait une éternité que j’étais là dedans.
-Ho, guère plus d’une seconde en réalité. »

Elle a ri encore. Décidément, une vraie boute-en-train.
On a pactisé. Comme condition à l’utilisation de ses pouvoirs, je ne peux lui ordonner de tuer quelqu’un. Elle peut par contre le faire de son propre gré, à condition que l’individu ou la chose en question présente une attitude hostile envers moi. Je peux l’envoyer fureter dans un rayon de 1 kilomètre seulement, mais grâce à notre nouveau lien nous pouvons communiquer mentalement. Fort pratique. Après, il y a aussi les modalités courantes et habituelles d’un pacte : Relation exclusive de la créature envers son maître, à comprendre qu’elle ne peut communiquer qu’avec moi même, et bien sûr le lien de sang. Si je me fais tuer, elle meurt. Si elle meurt pour X raison, j’agonise, mais ai une chance de survie. C’est pas très équitable, mais c’est comme ainsi. Et comme les deux partis sont heureux comme ça... Enfin est venue la question a trois piècettes.
« Quelle forme veux-tu que j’adopte? »

Je me suis demandé ce qu’elle entendait par là.
« A quoi veux-tu que je ressemble? Je peux prendre n’importe quelle apparence. Mais réfléchit bien, elle sera irréversible. »
J’étais un peu pris au dépourvu. Et là, j’ai dis la seule connerie de mon existence que je ne regrette pas. La première chose qui m’est passée à l’esprit, aidée par le son exquis de sa voix.
« Une putain de Terysford. »
(Pour la petite anecdote, Terysford est une ville du Lancaster, où j’avais eu l’immense plaisir de devoir enlever et liquider une putain qui en savait un peu trop sur les plans du prince local. La fourbe avait usé de ses charmes sur moi pour que je consente à la laisser partir. Gentleman, je m’y étais résigné mais à grand peine.)  
Et, effectivement... Elle a d’abord commencé par descendre de ma main, toujours tendue, pour retourner par terre, au centre de la pièce. Puis, lentement, elle a pris forme. Elle s’est allongée vers le haut, pour arriver à ma taille exacte. Les jambes, longues, sublimes, se sont dessinées, puis les bras, menus mais athlétiques, ensuite se fut au tour du cou et des épaules, graciles et délicates. La taille, fine juste ce qu’il faut. Une poitrine à vouloir vivre dedans, couverte par une tunique au décolleté affriolant. Et enfin le visage. Une cristallisation de mes fantasmes, je crois. Un nez divin, aquilin et volontaire, des lèvres légèrement pulpeuses et sensuelles, des cheveux suffisamment longs pour lui caresser les reins comme une cascade tumultueuse. Et des yeux. Des yeux vermeilles, démoniquement attirants et aguicheurs. Bien sûr, Liz reste une ombre, et en tant que telle possède une peau sombre, à mi chemin entre l’ébène et le violet sombre. Une peau à la texture veloutée. Je ne sais trop comment, mais, effectivement, Liz peut se matérialiser au sens littéraire du terme. Avoir une consistance propre.
Pour ne rien cacher, devant cette apparition mon petit soldat s’est mis au garde à vous. Je vivais éveillé le fantasme et le rêve de tous les sorciers pervers d’un certain âge : Posséder un démon familier ayant l’apparence de la plus belle jeune femme qu’on ait jamais vu. Elle a senti mon trouble, car elle a ri de sa voix terriblement sensuelle et s’est approchée de moi, avec son déhanché à vous faire tourner la tête. J’ai tenté de me relever. Elle m’a repoussé et je suis tombé à la renverse sur le lit. J’étais totalement hypnotisé et en proie à des sentiments confus. Elle s’est pressée contre moi, et j’ai senti ses atouts sur ma poitrine avec un délice non dissimulé. Dieux! Que c’était bon! Nos désirs respectifs l’un de l’autre se mêlaient dans une union mentale intense. Ses mains se sont glissées sous ma ceinture et j’ai poussé un soupir lorsqu’elle... Enfin vous m’avez compris. Ne pouvant lutter contre mes pulsions, je l’ai embrassée, pendant que mes propres mains découvraient son corps avec une certaine liesse.
Je serais bien allé jusqu’au bout de mes idées si il n’y avait pas eu Rose à quelques centimètres de moi et Bière derrière la porte.

« Alors?, m’a demandé Tapinois. »
C’était le dernier à me poser la question, pendant que j’engloutissais ce qu’il me semblait des tonnes de porc salé, de bouillie de céréale, de légumes et de tubercules. Je lui ai indiqué du pouce mon ombre sur le mur derrière moi. Il l’a regardée, et a sursauté légèrement lorsqu’elle lui a fait « coucou » de la main, alors que moi je portais ma fourchette à ma bouche déjà trop pleine. Liz a rigolé, mais j’ai été le seul à l’entendre.
« Bien, bien, a fait Tapinois . »
Légèrement nerveux, il a commencé à jouer avec la pointe d’un de ses couteaux. Il aime pas trop tout ce qui touche à la magie.
« Qu’est-ce que vous avez foutu de votre journée?, j’ai demandé en me rinçant la gorge à la bière.
-J’ai profité du paysage. On a un beau point de vue sur la plaine depuis une petite colline, à environ 500 mètres au sud. »
Je l’imaginais bien, petit, gros et laid, à philosopher en haut d’une colline. J’ai ricané.
« Et les autres?
-Tu ne le leur a pas demandé directement?
-Trop occupé à récupérer des forces.
-Hmm... Bière a été recruté par une vieille fermière pour pas mal de trucs physiques. Elle lui a promis une partie de sa réserve de houblon en échange. J’ai vu Araignée batifoler avec une jeune demoiselle dans les champs. La fille du chef du village je crois. Ken et la petite chiure verte font des essais pour un nouveau type de balle. Ils ont trouvé une ancienne forge abandonnée je ne sais où. Ils y ont récupéré pas mal de ferraille à recycler. Zed passe son temps à dormir, et Manchot s’est entraîné. »
Soudain, j’ai réalisé.
« Hey! Quand est-ce que Bière est partie de devant ma porte?
-Vers midi je dirai.
-Je lui demanderai encore des trucs, tiens... Et Ciguë?
-Vue la fumée orange qui s’échappe de l’herboristerie depuis ce matin, j’en déduis qu’il s’est trouvé un petit camarade de jeu. »
Hmm. J’espérais qu’il nous concoctait un petit truc sympa.  

Ils sont tous rentrés à des heures différentes, Bière le premier, Araignée le dernier. Bien sûr, ça ne plaisait pas trop à l’aubergiste, qui ronchonnait que son établissement n’était pas un moulin. Mais on s’en cognait pas mal. On paye, il se tait. C’est comme ça que ça marche en tout cas dans pas mal de royaumes.
Vu le sourire de benêt qu’Araignée m’a adressé, j’en ai conclu qu’il avait lui même conclu son affaire. Je lui ai fait une tape dans le dos.
« Bonne nuit Chef.
-Bonne nuit gamin. »
Ken et Tekno semblaient s’entendre comme larrons en foire à présent. Ils n’arrêtaient pas de parler, notamment d’un certain Fulgurator X-4, une sorte de version améliorée du modèle existant.
« On pourrait tenter un alliage p-p-plus lé-lé-léger pour gagner en vi-vitezze!
-Ouais, a répondu Ken avec un petit hochement de tête. »
Les bras croisés, tirant une gueule sérieuse comme une tombe, il semblait en pleine réflexion. Je les ai laissés à leurs affaires, et suis sorti pour mener les miennes à terme. J’ai pris à gauche, pour remonter la rue pavée qui sortait du village par le nord. En chemin, Liz s’est matérialisée sur moi. Ses cuisses enserraient ma taille, ses bras étaient passés autours de mon cou et ses mains jouaient avec ma chevelure. Je l’ai embrassée.
« Où en étions nous, maître? » elle m’a fait avec sa voix si... Hmm.
Je l’ai portée (elle ne pèse rien) jusqu’à un grand arbre, et je me suis couché dessus. On s’est fait des mamours passionnées pendant quelques minutes. Puis elle s’est glissée lascivement vers mon entrejambe. J’ai laissé faire avec délice.
Croyez moi si vous voulez, mais faire l’amour à une ombre qui ressemble à la fille de vos rêves... C’est la chose la plus dingue et la plus géniale qui me soit arrivée. Une explosion des sens, un plaisir rarement égalé. Et puis, comparé à Liz, j’étais un petit garçon naïf. Je ne sais pas où elle a appris tout ce qu’elle me fait, mais je loue tous les jours son professeur.
Cette nuit là, je n’ai pas dormi. Une nuit qui restera gravée à jamais dans ma mémoire. A l’aube, quand elle s’est allongée sur mon corps emperlé de sueur et éreinté, quand elle m’a fait son sourire malicieux, j’ai songé que si j’avais pu, je serais tombé amoureux.

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La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
« Réponse #106 le: dimanche 19 avril 2009, 18:30:27 »
Super, déjà la suite de Monarque !
Un autre bon moment à lire. Ca se savoure comme du bon chocolat. J'aime bien tes nouveaux personnages : Teknogure et Liz qui je le présent vont nous donner d'autre bon moment de lecture.
En tout cas un grand moment et bravo à toi GMS.

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« Réponse #107 le: samedi 25 avril 2009, 22:20:27 »

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La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
« Réponse #108 le: mercredi 29 avril 2009, 15:29:31 »
J'adore tous ces récits. J'ai tout récemment lu tes chef-d'œuvres.

Commençons par le début, L'histoire de Samyël est tout simplement magnifique. Un jeune homme voulant sauver des vies et vengé tout ses proches. Il ne peut faire que de l'Altération et ne semble pas pouvoir faire autre chose, son lien avec la bête est évident. Il ne pourra pas s'en défaire et il lui donnera à mon avis, un pouvoir essentiel pour sa quête. La psychologie de ce personnage me plaît énormément

J'ai adoré Henri et le courage qu'il a eu pour se sacrifier à la place de Rirjk. Il était un personnage qui a su donner le comportement adéquat à Samyël pour ce qu'il va enduré.

J'adore Rirjk qui malgré son apparente culpabilité à quand même fait face à son destin. J'espère qu'on saura un jour ce qu'il lui est arrivé.

J'était triste de la mort de Zackary, j'aurai voulu qu'il survive un peu plus longtemps. Mais je ne t'en veux pas, c'est tout de même mieux ainsi.

Maintenant, parlons d'Argoth. J'adore ce personnage, le but qu'il s'est fixé est tout simplement prodigieux. Il est très rusé et sait rester humble en toute circonstances et le courage qu'il a de faire confiance à quelqu'un qu'il ne connaît pas démontre un talent incroyable pour repérer quelqu'un de confiance.

Et pour finir, J'adore Monarque qui est très intéressant et a de vrais amis. Il fera de grandes choses pour moi. Ce personnage est tout splendide.

Je te souhaite une bonne continuation dans tes récits.

J'espère voir très prochainement l'histoire de Samyël qui reste mon préféré de tous.

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« Réponse #109 le: lundi 04 mai 2009, 20:18:32 »
Hey! Ca fait toujours plaisir de voir de nouvelles têtes dans le coin, merci Silver ^^ Cependant, au risque de te décevoir le Cycle du Rouge ne devrait pas reparaître avant un petit moment. Enfin, je sais pas. Si je me motive pour finir le chapitre 20, le petit moment pourrait se transformer en très vite... ^^

Sur ce, comme promis, la suite de Monarque! Bonne rentrée à ceux qui, comme moi hélas, ont repris les cours ce matin.


______________
[align=center]
5.[/align]



Le lendemain, maître Tael nous a tous conviés chez lui, pendant que les hommes du village étaient partis faire une bonne vieille battue. Moi j’avais la mort dans l’âme. Manchot encore plus, après que je lui ai eu raconté nos aventures nocturnes.
Je trônais comme un prince sur le lit de Tael et, assez ironiquement, Hélène s’occupait de mon corps meurtri. Elle semblait avoir totalement oublié ce que j’avais pu faire à son John de mari dans une autre vie lointaine, maintenant que j’avais sauvé ses petites miches rebondies. J’ai grimacé quand elle a frôlé mes plaies pectorales en mettant les bandages.
« Putain, mais fais un peu attention, femme, ai-je crié. 
-Ce serait plus simple pour nous deux si tu arrêtais de gigoter comme une femme, abruti. »
Certaines personnes sont des orateurs nés, qui savent précisément où frapper pour toucher leur auditoire. Etrangement, je l’appréciais, Hélène. Elle avait du piquant.
Maître Tael se tenait un peu en retrait, sur son siège. Il fumait sa pipe avec la tête du type qui a le problème de la guerre dans le monde sur les épaules, avec celui des miséreux et de la peste noire.  
Tapinois et les autres avaient toujours un peu des gueules de déterrés. Les effets de la drogue prenaient leur temps pour se dissiper. De toute façon, avec la quantité qu’ils en avaient ingurgitée... Le petit gros, surtout, s’en voulait de s’être fait avoir. Le bon air de la campagne, ça vous change un homme, aussi petit, gros et laid soit-il.
« Bon, Tael. Il va falloir raconter maintenant. Pourquoi Zed est devenu le gros truc tout moche qu’il est maintenant? »
Voulant se donner un air mystique, la pomme de terre a tiré une longue bouffée sur sa pipe. Il a discrètement lancé une oeillade vers Araignée, qui avait sa fille Jill sur les genoux.
« Il a contracté la fièvre du changeforme. »
Coup d’oeil a Ciguë. Non, inconnu au bataillon.
« Elle fait quoi, cette fièvre?
-Comme son nom l’indique, ceux qui l’attrapent se transforment en monstres.
-Des espèces de loups-garous?
-En quelque sorte. Mais chez eux, la transformation est irréversible et permanente.
-C’est moche... Désolé pour ton frère, Manchot. »
Ils lui ont tous fait une tape sur l’épaule. Il avait l’air mortifié.
« C’est quel genre de monstre, a demandé Bière.
-Cela dépend des individus. J’en ai vu trois en tout. L’un ressemblait à un ours géant, un autre avait subit une transformation osseuse qui lui donnait un air d’araignée humaine.
-Et le troisième?
-Vous l’avez vu comme moi. »
Ho. Autant pour moi. Hélène a fini de me bander. Elle s’est assise sur le bord du lit, pour écouter la conversation. Hé mais! Pourquoi sa main frôlait mon bras?
« Ca s’attrape comment cette saloperie?
-Nous n’en avons pas la moindre idée. Les gens des environs qui l’ont attrapée menaient des vies très diverses, et n’avaient rien fait de spécial les jours avant leur contamination... »
Il m’a jeté un regard, du genre qu’on aime pas trop recevoir. De ceux qui vous disent « Attention : dans deux secondes je vais te demander d’aller à l’autre bout du monde pour tuer un dragon ».
« Cependant nous en connaissons la cause.
-Chouette.
-Un sorcier du nord est arrivé dans le compté, il y a environ deux ans.
-Laissez moi deviner, il était petit, chauve, malingre et asthmatique.
-Presque. Grand, filiforme. Un aspect de spectre. Il a gagné les faveurs des gens du coin (notez qu’il excluait Ashenvâl, tanière des gens de bien) en rendant divers services par-ci par-là. Soigner des bêtes, des blessures courantes ce genre de chose. Il a fini par rentrer dans les bonnes grâces d’Abbendas. Notre bon seigneur lui a alors légué un petit domaine pour son usage personnel. L’ancien donjon de Kerdanac. Une espèce de ruine obscène, mais qui possède toujours sa tour centrale, en plus ou moins bon état. Depuis lors, il s’est enfermé là dedans et on l’a jamais revu. Par contre, c’est à peu près à la même période que les premiers cas de fièvre se sont manifestés. Certains villages ont été totalement ravagés, mais malgré nos nombreuses requêtes, Abendas n’en a jamais eu cure. Alors, on a engagé un tueur de sorcier. »
J’ai tiqué. Il y a peu de choses dans cet univers qui m’inspire une terreur assez forte pour me faire parcourir trente kilomètres à la course, dans une alternance de forêt et de marécage. Les tueurs de sorciers en font partie. Ils n’usurpent pas leur nom.
« Un brave homme, très gentil. Il est partie pour Kerdanac, mais on l’a jamais revu. »
Ouf, je dormirai plus tranquille à présent.
« Cependant, la fièvre disparut. Jusqu’à hier...
-Et ce qui vous trouble tous, c’est que, pas de bol, ça coïncide tout pile avec notre présence sur les lieux.
-Et bien... Disons que certaines personnes jasent. 
-Ouais. Bien sûr. Je suis assez débile pour inoculer cette saleté à un des mes propres hommes, pour qu’il essaie de me bouffer ensuite! Heu, désolé Manch’. »
Tael s’est raclé la gorge. Foutus paysans.
« Vous inquiétez pas, on sera parti avant ce soir. »
Hélène s’est tournée vers moi, m’a fait un regard à tuer un mort.
« Pas question! Tu as besoin de repos.
-Silence, femme. Je ne t’ai rien demandée.
-Je m’en cogne, petit salopard de merde! Si tu fais mine de bouger je te les coupes et te les fais bouffer. »
Moi, comme toutes les personnes présentes dans la pièce, l’avons regardée avec de grands yeux ébahis. J’ai senti ma gorge se dessécher.  
« Bon, je suppose qu’on peut bien attendre un jour de plus... »
Tapinois et Ken ont ricané comme les foutus fumiers qu’ils sont.
« Messire Monarque. »
Le ton de Tael m’a rappelé à des réalités plus sombres.
« Hmm?
-Je voudrais vous demander quelque chose.
-Tant que vous avez de quoi nous payer. »
Il a paru soulagé. Il devait croire que ça allait plus difficile que ça à demander à un convalescent.
« J’ai déjà envoyé des missives aux autres villages, leur expliquant la situation. S’ils acceptent, vous recevrez cent pièces d’or à votre départ, et cent de plus lorsque vous nous ramènerez la tête du sorcier. 
-Qu... Deux... Deux cents galettes?, s’est récrié Ken.
-Ca fait combien chacun ça?
-A peu près vingt deux. »
Un silence calculateur s’est installé. Ca faisait un sacré paquet.
« D’où sortez vous ça, l’ancêtre? »
Il m’a fait un sourire énigmatique.
« C’est notre assurance spéciale « urgence. » »
Ma solde annuelle est d’environ une pièce d’or et cinquante écus d’argent.
« Vous savez faire affaires, maître Tael. 
-Pour sûr.
-Nous nous mettrons en route pour votre Ker-machin dans deux jours, après avoir touché le premier versement. Bon, trois jours, ai-je rectifié quand Hélène m’a de nouveau regardé. Pendant ce temps là, on va chercher Zed.

J’ai été assigné à résidence, en l’occurrence celle de maître Tael par mon infirmière. Les autres sont partis vaquer à leurs occupations respectives. Hélène changeait mon bandage toutes les deux heures, bien que ma blessure ne saignât déjà plus et que la douleur fût partie. Seule mon épaule me tiraillait encore un peu, mais je respectais bien mon rôle de vétéran endurci et ne le montrait pas. Je soupçonnais cette femme de prendre un certain plaisir à cette ouvrage.
Mes soupçons n’en furent plus lorsque, la nuit tombée, Tael et sa fille couchés, elle m’attacha les poignets aux pieds du lit et qu’elle me fit l’amour, contre ma volonté.


[align=center]
6.[/align]



«  Tu tires une tête bizarre ce matin, m’a dit Tapinois.
-Tu veux dire que... je te ressemble un peu?
-Non. Je veux dire que... Ouais, c’est exactement ça. Tu tires la tête du type qui s’est fait violé par une femme d’environ quarante ans, dans les environs d’un mètre soixante, ronde mais pas vilaine du tout, rousse et dont tu as tué le mari. J’irai même jusqu’à dire que tu y as pris du plaisir, aux grognements gutturaux que tu produisais, et étant donné que la seconde fois tu n’étais plus attaché et que tu menais la danse. 
-Et toi tu as la tête du sale pervers qui s’est tripoté, caché dans le parterre sous la fenêtre en regardant faire. »
Il a ricané, j’ai ricané. Nous avons ricané. Liz aussi a ricané. La diablesse avait participé aux ébats, sans qu’Hélène ne le sache bien sûr, ni même Tapinois. Dieux! Quelle nuit. Je ne savais pas que tuer des hommes mariés rendait aussi heureux et comblé.  
« Quelles nouvelles?
-Aucune. Sauf qu’on semble de nouveau dans les bonnes grâces de la populace. Ils ont enterré les corps ce matin. Par contre, ils ont eu beau chercher, ils n’ont pas retrouvé la colonne vertébrale de Lang. »
On s’est regardé. On a ri. Sacré Ciguë.

J’ai passé le reste de la journée à noircir ces pages.


[align=center]7. [/align]


« On dirait que le clébard a trouvé quelque chose, a crié Ken. »
« Il a trouvé des traces de pas », m’a traduit Liz.
Je déteste chasser un truc méchant, dans une forêt, en pleine nuit, quand il neige et que ça a l’air de vouloir neiger plus. J’ai juré pour la Xième fois cette nuit là et j’ai rejoint Ken, quelques mètres plus loin. Effectivement, de belles traces. Le bridé était accroupi devant, son fulgurator à la main pendant que Teknogure avait toutes les peines du monde à ne pas se faire tracter par le chien. Une petite chiure nerveuse dont on nous avait assuré qu’elle avait le meilleur flaire à des kilomètres à la ronde. (Et le plus gros prix aussi.)
« Foutus radins de paysans pingres de mes deux, ai-je encore juré.
-Pardon chef?
-T’occupes. C’est Zed? »
Il a paru hésiter.
« J’en suis pas sûr à cent pourcents, parce que je l’ai pas vu de mes propres yeux... Mais je crois. Elles ne ressemblent à rien de ce que j’ai déjà vu. Mais leurs tailles...
-Ouais. Combien? »
Il m’a regardé. Il était nerveux et tendu.
« Moins de quelques minutes. »
J’ai relevé les yeux à mon tour. Putain de neige. Tout à coup, je me suis senti étouffé, suffoquant. J’ai cru voir des yeux rouges se faufiler entre deux troncs. J’ai resserré un peu plus les pans de mon manteau sur moi. J’aurais bien aimé avoir mon étendard. Ken s’est relevé lentement. Il s’est assuré pour la je-ne-sais-combien de fois qu’il avait bien mis des cartouches dans son fusil, et que la culasse n’était pas gelée.
« Tek. Reste bien près de nous. »
Comme si il fallait vraiment le lui dire. Il était au bord de la crise de nerf. Il serrait son pistolet si fort que j’ai cru qu’il allait le broyer.
Soudain, j’ai cru sentir une odeur familière. Mais pas moyen d’en être sûr, avec cette neige. Liz ne m’avançait pas plus. La poudreuse brouillait ses sens. Je sentais son souffle ectoplasmique dans mon cou, qui m’apaisait. Pour une fois, j’aurais adoré avoir le capitaine et ses deux milles hommes avec moi, pour me donner une tasse de chocolat et me dire que tout allait bien se passer.
« Zed, foutu salopard. Qu’est-ce qui t’est passé derrière la tête?... »
Comme pour me répondre, un cri déchirant a déchiré la nuit... Je me suis crispé sur la garde de mon épée. Mon autre main s’est mise à serrer convulsivement le parchemin d’entrave du quatrième niveau que je m’étais appliqué proprement à fabriquer ce matin. Ken a sursauté. Le chien a hurlé. J’ai cru que Tek allait s’évanouir.
« T’as reconnu le timbre de la voix?
-Non, difficile à dire. C’était plutôt loin.
-Ouais. J’espère que c’est pas un des nôtres. »
Mais qui ça pouvait bien être d’autre? Allons, Monarque. Affronte la réalité.
« Chef? Vous avez entendu? 
-Restez sur vos gardes. Je crois qu’il... »
Ken m’a foutu un coup de crosse pour m’écarter. Dans la seconde suivante, un hurlement de damné a précédé une détonation assourdissante. Le fulgurator a frappé. La bête a glapi et s’est effondrée dans la neige, abattue en plein vol. Ken a rechargé aussi vite qu’il le pouvait. J’ai toujours apprécié son professionnalisme. Le chien s’est mis à aboyer. Il tirait si fort sur sa laisse que Teknogure l’a lâché. Il a foncé droit sur le machin, qui n’était pas Zed. Probablement un cousin. Le cousin s’est soudain relevé en un éclair et a gobé le clébard comme un biscuit apéritif. Il ressemblait vaguement à un lapin humanoïde géant. Il avait deux longues oreilles de chaque côté de son crâne pointu, de petits yeux rouges et méchants et deux longues dents pointues à l’avant de la mâchoire. Il était couvert de poils, était quatre fois plus musclé que Bière et franchement pas content d’avoir un trou de dix-huit centimètres dans le torse. Mais ça ne semblait pas le gêner plus que ça.
« Ho merde, a juré Ken. »
Il l’a remis en joue, et ses bras tremblaient. Le coup est parti, mais Lapinou a bondi sur le côté, puis bondi sur Ken. Il s’est mangé un bon coup de crosse des familles. Il a tenté de mordre, mais Ken a eu le réflexe de lui mettre son arme dans la gueule pour le maintenir à distance. J’en ai profité pour lui passer mon épée en travers du corps, en essayant de sectionner sa colonne vertébrale proéminente. Je n’ai pas réussi, mais il l’a quand même senti. Dans un élan de rage, il s’est retourné et m’a balancé contre un arbre comme si je n’eus rien pesé. Mon crâne a frappé le tronc et j’ai été assommé quelques secondes. Quand je suis revenu à moi, Ken gisait au sol dans un marre de sang, et Lapinox me toisait de toute sa répugnance. Il a fait un truc qui ressemblait à un rire. Ou une quinte de toux.
Il s’est penché vers moi, canines en avant. J’ai embrassé la mort de près. Mais soudain, une série de détonations a brisé le charme de notre rencontre. Le côté droit de son visage a éclaté, et des petits fragment d’os ont volé. Il s’est redressé en hurlant de rage et de douleur, se tenant la tête comme un humain. Il a dardé son dernier oeil valide sur Teknogure, qui le tenait toujours en joue et continuait d’appuyer sur la gâchette sans se rendre compte que c’était en vain. Il s’est évanoui quand Zed bis lui a couru après. J’étais encore trop faible pour lui venir en aide. J’ai cru que c’était la fin pour lui.
Mais une cartouche perforante a fusé dans l’air enneigé. Elle a touché sa cible avec une parfaite précision. Le cou du lapin-garou s’est presque détaché du tronc et s’est mis à pendre de façon grotesque et écoeurante sur le côté de son corps. Mais la saloperie vivait encore. Ne sachant plus trop où donner de la tête, elle s’est mise à tituber vers Ken, qui rampait désespérément à l’écart en rechargeant son arme de façon frénétique.
« Hé, chéri!, j’ai hurlé en me relevant. »
Bingo, ça a marché. Pendant qu’il faisait un effort pour pivoter vers moi, j’ai pris une bombe à peste dans ma poche et je l’ai lancé. Je n’avais pas le temps de regarder ce qui était écrit sur le côté, j’ai pris la première qui m’est venue. Je l’ai guidée magiquement pour qu’elle rentre dans le corps de la bête par le trou laissé par le premier tir de Fulgurator. Il y a eu une très légère explosion, qui a soulevé la cage thoracique du lapin tout en projetant un peu de chaire et de sang. Un gaz verdâtre et volatil s’est échappé. Et le monstre s’est mis à fondre, littéralement. S’il avait pu il aurait hurlé. J’ai contemplé le spectacle écoeurant quelques secondes puis je me suis précipité vers Ken.
« Hé! Ca va? Il t’a touché? »
Il a grimacé de douleur. Son torse pissait le sang. La neige fondait en fumant autour de lui.
« Ce con... Il a rouvert ma plaie.
-Laquelle?, l’ai-je pressé.
-La grosse. La dernière. »
J’ai juré. J’ai déchiré sa chemise. J’ai vomi sur le côté.
« A ce point Chef?
-Une égratignure.
-Je vous aimais bien Chef.
-Dis pas de connerie. Je vais m’occuper de ça. Le premier qui crie est une fillette. »
J’ai plus ou moins mis les pans de peau bout à bout puis sans perdre de temps ni prévenir j’ai invoqué une flamme et j’ai cautérisé à la rude. Ce fichu bridé n’a pas hurlé. Il s’est contenté de serrer les poings à se faire saigner, à révulser les yeux, à baver de l’écume, et bouger ses jambes comme s’il était possédé.
« Vous... êtes une... fillette, Chef, il m’a dit avant de sombrer. »
« Monarque? », m’a appelé Liz. Sa voix sublime était altérée par la peur et la nervosité.
« T’en fais pas chérie, je vais bien. Tu peux aller voir ce que font les autres? »
Je l’ai attendue quelques minutes, tout en tirant le corps Tekno vers celui de Ken.
« Ce foutu gobloche m’a sauvé la vie! », ai-je soudain réalisé.
Hormis sa syncope il n’avait rien. Le monstre n’était plus qu’un petit tas liquide et fumant, ainsi qu’horriblement puant. Liz s’est matérialisée à côté de moi. Malgré ma panique, j’ai remarqué qu’elle portait un manteau de fourrure bien chaud. J’ai pensé que c’était étrange, puisqu'après tout, une ombre ne ressent pas la température?
« Je les ai perdus. »
Pas bon du tout! Je me suis mordu la lèvre en tentant de calmer le tremblement de mes mains. Un hurlement familier a retenti, plus au sud. Loin. On s’était tous dispersé, pensant n’avoir qu’un seul de ces machins à traquer. Maintenant on faisait des proies faciles. Pour ce que j’en savais il pouvait aussi bien y avoir toute une meute.
Je me suis appliqué à tracer un cercle de protection autour de mes compagnons pendant que l’ombre de mes nuits couvraient mes arrières. Puis j’ai récupéré mon épée et j’ai couru à travers bois.

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La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
« Réponse #110 le: lundi 04 mai 2009, 23:27:56 »
Tout simplement, Magnifique! :niais:

Je ne t'en veux pas de laisser le Cycle Rouge de côté, il faut te laisser le temps pour sentir l'inspiration.

Revenons à Monarque, j'adore le développement que tu lui donnes.

L'histoire est palpitante. On sent l'aspect critique de la situation.

Je n'ai qu'une chose à dire, Bravo. Je suis déjà impatient de voir la suite.

Bonne continuation.

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La Tour du Rouge : Les Carnets du Mercenaire 7 à 10.
« Réponse #111 le: dimanche 10 mai 2009, 16:58:41 »
Plop, plop,  c'est moi, fidèle au rendez-vous ^^

Merci pour le commentaire Silver! J'espère que la suite continuera à te plaire.

Sur ce, bonne lecture, et à la semaine prochaine!


_____



[align=center]8. [/align]


Un silence de mort régnait sur la clairière. La neige tombait lentement en spirales lumineuses. On se serait cru dans un rêve, de ceux dans lesquels tout vous parait irréel. Le sang, écarlate, tranchait nettement avec la blancheur de la poudreuse, qu'il faisait fondre en se déployant.
Sans un mot, nous contemplions les corps enlacés de Manchot et son frère, Zed.


[align=center]9.[/align]



Il fallait reconnaître que l'endroit n'était guère accueillant. La tour s'élevait dans l'air lourd du soir, et sa cime enveloppée de brume transparaissait diffusément sur la lune pleine, jaunâtre et énorme. Exactement comme dans les histoires de fantômes et de magie noire. Des pans de murs plus anciens se tenaient encore plus ou moins debout, laissant imaginer l'ancienne configuration des lieux. Seul le jardin était encore reconnaissable, mais la mauvaise herbe avait tout envahi. Un fossé relativement profond avait été creusé beaucoup plus récemment autour du donjon, une passerelle en bois rudimentaire jetée par dessus. Originellement desservie par des couloirs internes, la porte qu'on avait ajoutée à sa base ainsi que les morceaux de maçonnerie plus récents donnaient une allure pittoresque à l'édifice.
"Ca a exactement la gueule que je m'étais imaginé, a commenté Araignée, lugubre."
L'ambiance était plutôt mauvaise. On avait encore la mort de nos camarades à l'esprit. On comptait faire payer ce salaud. Cependant, nous progressions en effectif réduit. En effet, j'avais laissé au village Ken, Bière et Rose, tous blessés lors de cette terrible nuit. Teknogure avait pour mission de veiller sur eux.
"Qu'est-ce qu'on fait?, a demandé Tapinois.
-Je dois m'assurer de quelque chose, ne bougez pas."
Je suis sorti du couvert des arbres, et me suis avancé prudemment vers la tour. Plus je l'observais, pour j'avais le bide qui se serrait. J'ai progressé furtivement d'une ruine à l'autre, pour rester à découvert le moins longtemps possible. Lorsque j'ai été assez près, j'ai testé les défenses de la tour. A ma grande surprise, les protections, car il y en avait bien, n'étaient nullement destinées à repousser d'éventuels visiteurs ou voleurs. Les runes courant le long des moellons étaient les composantes d'une variante d'un charme de protection contre le mal. Nous pouvions passez sans problème. J'ai fait signe à mes compagnons de me rejoindre, puis une fois regroupés nous nous sommes élancés vers la porte.
"Vous croyez qu'il sait qu'on est là?
-Sinon tu crois que tu serais encore là pour parler?"
Tapinois a crocheté la serrure en deux coups de dague. On s'est glissé à l'intérieur aussi silencieusement que possible, puis j'ai refermé la porte et mis la barre en place. Nous étions dans une espèce de grand hall, réaménagé à cet effet. Un tapis rouge plus ou moins bien entretenu courait du seuil jusqu'au fond, puis continuait sur les marches d'un grand escaliers en colimaçon qui bien sûr desservait toute la tour. Le mobilier se résumait à un porte-manteaux, auquel pendait une cape de pluie.
"Marrant. Je me faisais une idée un peu plus sombre de l'antre d'un mage noir, a commenté Araignée.
-J'avoue, a ajouté Tapinois."
L'instant suivant, j'étais au sol, bouche ouverte, corps affreusement contracté, aphone et en proie à une névralgie poignante. Sentiment affreux de ne pouvoir rien faire contre la mort en marche. Une ombre a sauté depuis l'escalier vers nous. Son sabre fin à deux mains a fendu l'air en faisait un bruit de vent. J'ai regardé la lame sans vraiment comprendre. Heureusement pour moi, Tapinois a bondi tout aussi rapidement. Ses dagues ont dévié l'arme. La silhouette est sortie de mon champ de vision restreint, et tandis que j'agonisais par terre, des bruits diffus de bataille rangée me parvenaient. Il fallait pas être super futé pour en déduire ce qu'il était advenu du tueur de sorcier.
"Attendez, a soudain fait une voix d'outre-tombe. Vous n'êtes pas comme eux.
-Qu'est-ce que tu baves, salopard, a répondu Araignée.
-Non, attendez. Je vous en prie. C'est une méprise. Nous n'avons aucune raison de nous battre."
A peine l'inconnu avait-il prononcé ces mots que je recouvrai le contrôle de mon corps. Comme toujours dans ces cas là, le monde a tourné, tangué, disparu, reparu, une douleur effroyable a embrasé chaque nerf, chaque microfibre de chaire. Mon cerveau a fondu, s'est remodelé. J'ai sombré dans l'inconscience par intermittence durant quelques secondes. Puis tout est redevenu normal. Ciguë m'a relevé, en me palpant pour m'ausculter. Je lui ai fait signe que ça allait.  
J'ai relevé la tête pour regarder notre chasseur de sorcier, peu assuré quant à ma joie de le savoir toujours en vie, pour me rendre compte qu'il était déjà mort.
"Je suis désolé de cette méprise, fit-il en replaçant son sabre à lame fine dans son dos. Comprenez, messires, les visiteurs se font rares ces temps-ci, et avec les changeformes qui rôdent au dehors, il ne coûte rien d'être prudent."
Je n'écoutais pas ce qu'il disait. Toute mon attention était focalisé sur son oeil unique et le dernier lambeau de peau qui couvrait son crâne poli, de la tempe droite à la pommette droite. Tout aussi unique, une touffe de cheveux gras blonds délavés sortait de la capuche noire pour pendre pitoyablement sur le côté. De l'autre, sur le front et jusqu'à l'oeil, la trace incrustée d'une paire de griffes dessinait deux longues lignes parallèles. Vêtu d'un ample manteau de cuir noir à capuchon qui masquait en grande partie sa silhouette décharnée, il portait également des mitaines de cuir et des bottes à moitié pourrie de même matière. Ses doigts de pieds squelettiques en ressortaient sur le devant.
Fascinant.
"Ho, mais quel hôte déplorable je fais, continuait-il (et sa voix éthérée prenait l'accent véridique de la gêne), je ne me suis guère présentée, alors même que je vous ai injustement agressés. Encore une fois vous m'en voyez désolé, messires. Je suis Jill "au long manteau". Je suis un chasseur de sorcier renommé, comptant dans son tableau des proies prestigieuses, qui m'ont valu reconnaissance et renom à travers le monde. Voyez vous, mon père lui même était un chasseur, il m'a appris le métier, qu'il tenait lui même de son père qui lui même le tenait de son père. En réalité je pourrai remonter comme cela sur au moins sept génération, car la chasse coule dans notre sang. Un sang à l'origine d'ailleurs bien intéressante, car en effet, Bertold le hardi, mon 18e bisaïeul, qui était paysan dans le Lancaster, rencontra un jour une femme fort jolie dont il s'éprit. Lui faisant la cour avec toute l'habilité qu'on nous connaît dans la famille, il l'épousa tôt, mais eut la désagréable surprise de découvrir que sa chère et tendre était en réalité une sorcière qui conjurait des démons la nuit. Éploré, il résolut de la tuer, puis une fois sa tâche achevée troqua sa fourche contre le sabre, puis fonda la glorieuse famille Belmont, chasseurs de père en fils. Tout ça pour dire que je suis désolé de vous avoir attaqués tantôt, ce fut une regrettable erreur de jugement, si vous saviez comme je m'en veux! Vous n'êtes pas blessés au moins? Aucun d'entre vous, messires? Ha! Je suis soulagé. Oui, très bien.
-Mais... T'es mort, le coupa Araignée qui, à l'instar de nous tous, regardait Jill avec des yeux ronds et la mâchoire décrochée"
Il y eut un silence gêné.
"Certes."
Son baratin m'avait embrouillé, aussi ai-je mis un peu de temps avant de trier les informations qu'il venait de nous donner. Un Belmont? Quelle chance. Tout ce qu'il avait dit concernant sa famille était vraie, ils étaient sans conteste les meilleurs, surtout dans la traque aux nécromants. Branche assez antipathique de notre vaste famille, à nous magiciens. Ensuite, une révélation m'a frappée. (Métaphoriquement parlant.)
"Tu as parlé des changeformes.
-Oui, tout à fait.
-Tu veux dire que... Enfin que..."
Il a attendu patiemment que je daigne poursuivre. Je commençais à flairer un soupçon de paranoïa dans l'air, doublé d'une mascarade hilarante.
"Je veux dire?
-Et bien que... Qu'ils... ne viennent pas d'ici? De Kerdanac?
-Ho! Grands dieux, non!"
Il a fait le signe qui repousse le mal. La chose était assez amusante, puisqu'il était lui même, certainement, issu de quelques monstrueuses manipulations occultes, et donc forcément démoniaques.
"Pour tout dire, moi même ai été envoyé en ces lieux, de mon vivant, pour procéder à la mise à mort de maître Cyfrien. Un peu comme ce soir, c'était une lugubre nuit, propice aux ténèbres. La lune était énorme et putride dans le ciel déchiré de brumes funestes, des bruits malfaisants se répercutaient sous les branchages des arbres. Alors que je chevauchais, ces abominations m'ont tendu une embuscade au sortir des fourrées. J'ai tenté de lutter pour ma survie, mais me voyant bien malgré moi impuissant à les occire, j'ai jeté mon destrier dans un grand galop, qui me porta bon an mal an jusqu'ici. J'ai appelé à l'aide, frappé comme un dément à la porte. Mais hélas, maître Cyfrien est arrivé trop tard pour me sauver de la meute hurlante. Il a certes réussi à repousser les vilains, mais c'en était fait de moi."
Vous situez le personnage? Un discours pour me pondre un simple "non". Malgré sa condition... spéciale, il m'était assez sympathique. Il incarnait un personnage plutôt original.
"Mais... Peut-être me montrè-je un peu hardi de vous demander cela à brûle pourpoint. Cependant, puis-je savoir ce qui vous amène en cette demeure, messires?"
J'ai jeté un regard à Tapinois, qui a lui même zieuté Araignée, qui lui a miré Ciguë, qui a bouclé la boucle en me fixant. La belle affaire.
"Et bien, pour ne rien cacher, on s'était mis martel en tête de venir faire la fête à ton maître, mais il semblerait qu'on nous ait enduit en erreur.
-Ho, je vois. J'en suis fort aise. Voyez vous, je ne suis guère surpris. Vous n'êtes pas les premiers à venir dans ce but. Hélas, vos prédécesseurs se sont montrés beaucoup moins compréhensifs que vous."
Il a gloussé et ses os se sont entrechoqués.
"Souhaitez-vous que je vous mène au maître?
-Ouais. On en serait ravi, même."
-Parfait! Veuillez me suivre, messires. Son étude est située au dernier étage. Faites attentions, les escaliers sont parfois un peu traîtres."
Il a pris la tête de notre petite procession, sans cesser de babiller une seconde, sur le quotidien ici à Kerdanac, la difficulté de trouver des aliments frais etc etc. Lorsque j'ai trouvé une occasion j'ai posé une question qui me dérangeait depuis un moment.
"Jill, c'est ton vrai prénom? Pour une famille aussi illustre que la tienne, ça fait un peu campagnard...
-Ah ah! Un fin observateur, n'est-ce pas? Et bien vous avez tout à fait raison, cher monsieur. Je tiens d'ailleurs à vous féliciter, vous êtes le premier à m'en faire la réflexion. Jill n'est qu'un pseudonyme, une commodité confortable. Ma véritable dénomination est Gil'Haed Perigniac Belmont. Avouez que c'est plutôt long, bien que non dénué d'un certain caractère épique.
-J'avoue.
-Ha, si vous saviez, monsieur! Ce nom est plus qu'un nom. C'est un symbole, un hymne à la bravoure, à la droiture. Car figurez vous que Gil'Haed était un héros des Premiers Temps. Son Cycle a été le premier à parcourir le monde, alors même qu'il inscrivait ses exploits à la stèle de l'Histoire. On le connaît sous de nombreux titres, tels le Tuedragons, Mangeorks, Feryn et j'en passe. Il sillonnait les contrées à la recherche d'exploits à accomplir. A force, il aurait pu devenir roi s'il l'avait souhaité, mais c'était un homme simple, au fond, un véritable héro, il préféra se retirer à l'écart du monde, une fois le crépuscule tombé sur la rivière de sa vie, et seule sa légende perdura. Quant à Perigniac...
-C'est encore long?, a demandé Tapinois avec un air mauvais, tandis qu'Araignée baillait à s'en décrocher la mâchoire.
-Ho, non. Plus trop. Voilà, c'est ici."
Nous nous arrêtâmes devant une porte banale, qui marquait la fin de l'ascension. Gil'Haed frappa avec la discrétion d'un maître de maison accompli.
"C'est ouvert, entre.", répondit une voix étouffée.
Le revenant ouvrit puis s'écarta pour nous laisser pénétrer le domaine du sorcier, le fameux Cyfrien. Qui était penché sur une collection impressionnante d'alambics, de tubes, de tuyaux, de cornues et de toutes ces choses dont se servent les alchimistes, herboristes et autres pseudo-médecins. La pièce, relativement vaste, en était littéralement bourrée. On se demandait comment un homme saint d'esprit pouvait continuer à alimenter une bougie au milieu de pareil rassemblement hautement inflammablo-explosif.
"Maître, nous avons des invités, a déclaré Gil'Haed avec une voix aussi enjouée que sa condition de mort-vivant le lui permettait, sans s'apercevoir que ces fameux invités avaient tous les mains sur leurs armes, prêts à faire un carton à la moindre entourloupe.
-Ho?"
La silhouette intégralement noire se releva, et ce que je prenais pour un homme debout affublé d'une capuche serrée n'était autre que la moitié d'un dos, qui se dressa vers des cimes rarement atteintes par l'humanité. Sans blagues, ce type est réellement grand. Au moins 2m15. Il s'est retourné vers nous sans l'effet de théâtre auquel je m'attendais. On avait peut être été mené en bateau, mais il avait bel et bien la tête du sorcier des ombres sacrifiant chaque soir une vingtaine de vierges préalablement violées à des entités sombres avec lesquelles il déjeunait chaque semaine en mangeant des nourrissons. Pour l'apéritif.
Pourtant, à bien regarder... Outre sa taille, il présentait de nombreux signes distinctifs. Son corps, longiligne et effroyablement maigre, était entièrement caché par un amas de tissus noir rigide, qui se dressait étrangement aux épaules, et qui semblait littéralement flotter dans les airs à hauteur des chevilles, lui conférant une aura sombre. Il portait des babouches dont seules les pointes transparaissaient, toutes aussi noires que ses cheveux, masse longue et pendante qui brouillait les limites de sa tête et de son corps. Le peu qu'on distinguait de son visage était un masque de tissu noir couvrant sa bouche, se terminant en pointe sur sa poitrine. Son nez était long, extrêmement pointu et fin. Enfin, ses yeux verdâtres pâles cernés de noir (J'ai tout d'abord songé à du khôl, mais en réalité ce n'est que des cernes profondes.), renvoyant une image intense de mélancolie doublée d'une peine et d'une douleur inimaginables.
J'ai frissonné en le regardant. Certes, il avait une sacrée dégaine, qui faisait froid dans le dos, mais on éprouvait de la compassion en regardant ces yeux. Un silence embarrassé s'est installé. Même le bavard Gil'Haed ne savait que dire.
"Je suis enchanté, finit par dire Cyfrien en s'inclinant légèrement."
Il avait l'air réellement gêné. Il ne fallait pas être une flèche pour comprendre qu'il n'était pas à l'aise avec les relations sociales. C'est souvent le cas des sorciers ermites. Après tout c'est pour cela qu'ils se cloîtrent dans leurs tours. Cependant il était détendu et n'avait pas l'air de se sentir menacé le moins du monde. J'ai discrètement fait signe à ma fine équipe de se détendre.
"Nous de même, ai-je répondu en lui rendant son salut. Je suis Monarque. Voici Tapinois, Ciguë, Araignée."
L'avant dernier n'était pas du tout à l'affaire. Je le voyais jeter de grands regards dans les coins, en tripotant sa machette pour s'empêcher de toucher à tout. Pour lui, une telle étude est pareil à un antre de dragon.  
"Que... Que puis-je pour vous?, a demandé le sorcier.
-On voudrait comprendre, mon gars. (Il ne s'est pas offusqué de cette appellation, du moins n'en a-t-il rien montré.) Poser quelques questions.
-Je vous en prie... Mais... Peut-être serions nous plus à l'aise au salon, pour discuter. Jill, peut être pourrais-tu faire chauffer un peu de thé?
-Avec plaisir, maître."
Gil'Haed s'est engouffré dans l'escalier d'un pas gaillard, chantonnant. Franchement, j'avais déjà rencontré plus sinistre comme revenant.
"Je vous en prie... Le salon est à l'étage du dessous..., a dit le sorcier, semblant nous indiquer l'escalier."
Son masque le rendait difficilement audible. Sa voix se résumait à un murmure soupirant. Je l'ai observé de dos durant la descente. Assez troublant, on aurait dit qu'il flottait sur l'air plus qu'il ne marchait. J'ai tenté de faire une estimation sur l'étendu de ses pouvoirs, mais sans arriver à rien de concluant. Il devait cependant avoir un certain niveau, pour avoir réussi à disperser toute une meute de ces horreurs mutantes. Il a poussé une porte ouvrant sur une pièce confortable, et chaude grâce à l'âtre qui brûlait quiètement en crépitant. Six fauteuils vieux mais moelleux entouraient une table basse d'un style un peu vieillot. Cyfrien nous a indiqué de nous asseoir en faisant de même. "Etrange", me suis-je dit. Je n'avais toujours pas vu ses mains, ni ses bras s'agiter. Vraiment perturbant. Tapinois affichait la tête patibulaire du type qui préférait tailler dans du sorcier plutôt qu'une bavette avec ce même sorcier. Araignée se prélassait dans son fauteuil en y allant de son éternel petit commentaire tandis que le vieux muet paraissait franchement déçu d'avoir quitté si vite la salle de jeu du mage.
"Donc... Monsieur Monarque... Vous disiez vouloir me poser... quelques question?..."
Sa voix, en plus d'être faible, était traînante et donnait l'impression sérieuse que parler lui était une épreuve épouvantable.
"Ouais. A propos d'un certain type de créature mutante avec des dents comme ça.
-Ha..."
J'ai attendu en vain qu'il développe un peu.
"Vous voyez ce dont je parle?
-Oui. Les changeformes...
-Les changeformes en effet.
-Et... Que puis-je faire pour vous?
-J'aimerais comprendre. Voyez-vous, maître Tael, de la petite mais sympathique bourgade d'Ashenvâl, nous a offert une petite fortune pour vous tuer, sous prétexte que vous étiez la cause de cette épidémie. Mais votre serviteur, Jill, nous a affirmé que vous n'y étiez pour rien.
-Ha. Je vois..."
Il s'est redressé un peu plus dans son siège, droit comme un I. Il n'avait pas l'air autrement plus nerveux d'avoir en face des typés payés pour lui faire la peau.
"C'est fâcheux."
Au même moment, Gil'Haed est entré avec un plateau sur lequel reposaient cinq tasses et une théière bleue marine. Il les a posé sur la table basse et s'est installé à son tour. Je suis sûr que s'il avait encore des lèvres, ce garçon sourirait à tout bout de champ.
"Je... Vous l'affirme moi même, je n'ai rien à voir là-dedans. Pour preuve... Ces créatures m'assiègent régulièrement.
-Une idée du pourquoi? Ou du comment sont-elles arrivées dans les environs?
-Non... J'ai étudié un ou deux spécimens...
-Vous en avez capturés?!
-Non... Jill a réussi à en tuer deux. J'ai étudié les corps."
Ce même Jill m'a tendu une tasse fumante sentant bon la menthe.
"J'ai noté un organisme extrêmement résistant à tout facteur létal. Outils tranchants, contondants, perforant, poisons, acides, feu... Leur vitesse de régénération est également impressionnante. Leur système interne continue de fonctionner après le décès, et un individu bien conservé peut revenir à la vie au bout de quarante huit heures. Cependant, si la tête est coupée et ou le coeur détruit, la mort est irréversible. Je n'ai hélas, pas trouvé l'agent pathogène, si tant est qu'il en existe un. L'infection se transmet de façon inconnue. Voilà tout ce que je peux vous dire."
Après ce compte-rendu, qui pour lui devait tenir lieu de discours, il s'est retiré dans un silence profond qui nous a permis de réfléchir. L'histoire se compliquait. Si ce n'était pas lui, qui?...
"Et lui?, ai-je fait en montrant Gil'Haed pour changer de sujet.
-Moi?
-Ouais. C'est vous l'auteur? La Nécromancie n'est guère tolérée, 'savez."
Cyfrien a secoué la tête en regardant son serviteur.
"Ce n'est pas mon fait... Résurrection spontanée."
J'ai failli m'étouffer avec mon thé (délicieux d'ailleurs.). J'ai regardé le sorcier avec des yeux ronds.
"Sérieusement?
-Et bien... Oui.
-Mais... Pourquoi? La Chronique ne dénombre que 4 précédents, et tous avaient soit de super-pouvoirs soit des motifs obsessionnels démentiels."
Cyfrien a porté un regard brillant sur moi. En parlant de la Chronique, je venais de révéler mon appartenance à la caste des barbus à chapeaux pointus.
"Je l'ignore. J'ai émis l'hypothèse d'un influx de mana par les canaux frontaux périphériques, si on admet que l'origine des changeformes est magique et non biologique. Le cortex proto-génétique de Gil'Haed aurait pu absorber des résidus substantiels de magie brute, qui combinés à mes propres sortilèges et la magie volée à ses victimes antérieures auraient provoqué une injonction de mana, ancrant son esprit dans son corps. Une sorte d'auto-régénération de l'âme..."
J'ai hoché la tête, pensif. J'aime parler à des gens qui s'y connaissent.
"Cela me paraît un peu tiré par les cheveux tout de même. Gil'Haed n'ayant pas été de son vivant mage lui même."
Mis à part moi et mon nouveau copain, tout le monde dans la pièce se dévisageaient avec des grands yeux perdus. Ciguë un peu moins. Je le soupçonnais de saisir quelques notions. J'allais continuer le débat, passionnant au demeurant, lorsque que le premier coup sourd a retenti. Le bruit était trop caractéristique pour être autre chose qu'une porte qu'on enfonce. Moi, Tapinois et les autres nous sommes relevés d'un bond, prêts à tailler dans le vif. Cyfrien et Belmont gardaient leur calme.
"Ce n'est rien, messires, fit le second. Ce sont les changeformes. Vous avez du les attirer avec votre odeur. Ils seront partis bientôt."
Boom, boom. Les coups se répétaient. Sans vraiment savoir pourquoi, j'eus un mauvais pressentiment. Comme nos hôtes ne s'affolaient pas, nous les imitâmes. Un hurlement de triomphe perça la nuit.
De triomphe?
Cyfrien avait entendu la même chose que moi. Fronçant l'un de ses fins sourcils, il se leva et vint se poster devant la fenêtre. Il se pencha pour mieux voir. Rien ne trahit un quelconque changement chez lui.
"Monsieur Monarque... (Sa voix était hésitante, comme si la question qu'il allait poser le peinait par avance.) Avez-vous remis la barre en place?... Dans le hall..."
Pris au dépourvu, j'ai balbutié un "heu..." avant d'envoyer Liz me chercher l'information.
"Oui."
Dans la seconde, Perigniac s'envolait littéralement vers la porte et dévalait l'escalier dans un tourbillon de cape.
"C'est fâcheux, fit Cyfrien de sa petite voix.
-Qu'est-ce qu'il y a?, ai-je demandé en me relevant, nerveux.
-La barre était le garde fou du complexe de sortilèges... En la rabaissant, vous avez... sans le vouloir, détruit toutes mes défenses. La tour est perdue."
J'ai accouru à la fenêtre pour voir à quoi on avait à faire. Ma gorge s'est desséchée en une seconde. Une marée de ces choses prenaient le repaire d'assaut! Et nous avions eu toutes les peines du monde à en envoyer 3 ad patres  dans la forêt!
"Y a-t-il une autre issu?, voulut savoir Tapinois qui malgré tout gardait la tête sur les épaules.
-Hélas... Peut être y en a-t-il une dans les catacombes... Mais je ne les ai jamais explorés... Ce pourrait tout aussi bien un piège mortel.
-Tant pis, ai-je dit. On s'en contentera."
Nous avons rejoint Jill dans le hall. Grâce à sa rapidité de réaction, la porte tenait toujours. Mais pour combien de temps? Cyfrien a soulevé un tapis miteux, révélant une trappe en bois massif avec un gros anneau en fer forgé. Au même moment, la porte explosait dans une pluie d'échardes. Une marée puante de crocs, de yeux rouges, de griffes, de peau albinos et d'oreilles pointues s'est engouffrée en hurlant comme un choeur de damnée dans la tour. Sans perdre de temps, j'ai projeté une balle de feu dans le tas. Deux individus se sont embrasés comme des torches, mais à part les arrêter quelques secondes ce n'eut aucun effet notable.
"Chiasse, ai-je juré.
-Il faudrait m'aider avec cette trappe, a dit le sorcier. je n'y arriverai pas seul."
Sa voix ne trahissait aucune peur. Araignée et moi avons accouru à son secours. La vague de changeformes s'est brisée sur trois gros rochers. Jill en a décapité trois d'un coup de son sabre long. Tapinois a engagé un corps à corps furieux, faisant danser ses dagues comme des éclairs d'argent. Ciguë quant à lui, tranchait dans la masse, sans faire de tâches. Image assez cocasse, me suis-je dit en tirant ce fichu anneau. Un grand échalas maigre comme un clou et couvert d'un seul pagne, contre une armée de monstres avec des pattes comme des poutres.
"Aller, encore un petit effort, a éructé Araignée en bandant ses muscles de plus belle."
Sous nos assauts conjoints, la trappe a fini par s'ouvrir en poussant un soupir. Un vent vicié nous a sauté au visage, en même temps que nous avisions un escalier étroit, glauque et noir comme une tombe. (ce que c'était au demeurant.) Sans perdre de temps, je me suis engouffré dedans. Araignée sur les talons j'ai couru jusqu'à déboucher sur une salle plus vaste, même si je n'y voyais rien. Les cris des mutants se sont arrêtés lorsque la trappe fut refermée par Jill. Mon coeur battait trop vite pour qu'il n'éclate pas.
"Il doit y avoir des torches, par là..., murmura Cyfrien."
Sa voix était tellement proche, et je ne l'avais tellement pas entendu s'approcher que j'ai sursauté malgré moi. Une petite flamme a éclairé sa lugubre bobine.
"Tout le monde est là?, ai-je demandé."
On me dit que oui.
"Des blessés?"
On me dit que non. L'oeil de Gil'Haed brilla lorsqu'il alluma sa propre torche. On discernait un peu mieux les environs à présent. On ne pouvait pas à proprement parler de catacombes, mais plutôt d'un petit caveau familial. Une vingtaine de cadavres embaumés gisaient dans des alcôves le long d'un couloir assez large. L'air était à peine respirable. Nous n'eûmes guère à attendre longtemps avant que des griffes plus tranchantes que des épées n'attaquent le bois de la trappe. Heureusement pour nous, ces choses n'étaient pas assez futées pour saisir la fonction du gros truc rond en métal.
"Qu'est-ce qu'on fait?, a demandé Araignée en tripotant son épée.
-On prie pour que ce tunnel ne finisse pas en cul de sac."
Jill en arrière garde, nous nous sommes enfoncé dans le tunnel, la peur au ventre. Il semblait que ce tombeau deviendrait le nôtre. A l'avant, Cyfrien a poussé un juron tellement étouffé que je ne suis toujours pas sûr de l'avoir entendu. Notre crainte se confirmait : nous étions piégés comme des rats. Le tunnel finissait sur un salle semi circulaire, ne comportant aucune alcôve, ni rien du tout en fait. Mis à part un petit autel de pierre édifié contre le mur du fond. Une monstrueuse idole y trônait. Il faisait trop sombre pour que j'en perçoive les détails.
Les mutants ont rejoints les souterrains en poussant des hurlements victorieux. Leur charge à travers le tunnel a fait trembler les fondations de la tour. Je me suis alors demandé si... Le premier a fait irruption dans notre dernière demeure. Il ressemblait à un cervidé croisé avec un gobelin. Tapinois lui a lancé une dague de jet dans le crâne, mais ça n'eut guère d'effet. Jurant, le petit homme a roulé sur le côté pour éviter un coup de griffes. Gil'Haed s'est porté à son secours en décapitant proprement le monstre. Juste après, le gros de la meute a rappliqué et ça a dégénéré en un foutoir monumental. Notre seul réconfort était que la pièce était bien trop petite pour accueillir plus d'une dizaine de mutants en sus de nous. J'ai tiré mon épée le dernier pour ma survie. Le corps à corps était confus, de par la proximité des corps, les gesticulations incessantes des monstres et les cris, ainsi que la trop mauvaise lumière. Pour maximiser mes chances, je me suis reculé jusqu'à toucher un mur du dos. Je n'avais aucune possibilité de recours magique, car il m'était périlleux de me déconcentrer ne serait-ce qu'une seule seconde. Je m'épuisais déjà rien que pour repousser deux tronches de canard cannibales. Tapinois avait été piégé au centre de la mêlée, mais pour lui c'était un plus. Dans cet enfer, sa petite taille lui donnait un avantage considérable. Il donnait l'impression de se fondre dans les ombres et de jaillir d'elles à la vitesse de l'éclair - ce qui était peut être le cas, pour ce que j'en sais. Plus réaliste, Araignée se servait d'un corps comme d'un bouclier pour repousser ses assaillants et multiplier les estocades, souvent mortelles. Ciguë tomba le premier. Malgré son habilité à la machette, il était bien trop grand et trop faiblard pour lutter efficacement. Un des mutants lui sauta sur le dos et mordit dans son cou. Muet, Ciguë ne cria pas, mais son expression fut assez éloquente. Une marée d'animaux humanoïdes le fit ployer. Un rayon de pures ténèbres fusa depuis le mur opposé au mien. Vrombissant, il traversa la masse des corps en y laissant des trous parfaitement nets et non sanguinolents gros comme des rochers. Les monstres touchés ne se relevaient pas, ou titubaient, hagards, à la recherche d'une jambe ou d'un bras, voir des deux. Ayant rempli son office, le Rayon Chaotique d'Ulfuras, car tel était le nom de ce faisceau d'anti-matière, disparu dans les limbes. Effrayé par ce revirement soudain, les changeformes poussèrent des couinements inquiets. Rasséréné, je plantai ma lame dans le coeur d'un adversaire. J'aperçus Cyfrien, acculé contre un mur. Jill lui faisait un rempart de son sabre, pendant qu'il incantait. Une sphère invisible apparut devant lui, brouillant tout ce qu'elle reflétait. Un second rayon, beaucoup plus destructeur que le premier en jaillit, ajoutant d'autant à la panique ambiante. Mais si ce régime se montrait proprement efficace, la marée mutante ne semblait pas vouloir finir. De plus en plus de poussière, remarquai-je, tombait du plafond. Mon idée me revint en tête. Elle était peut être notre seule chance de survie, mais pouvait, au contraire, accélérer notre trépas. Décidant de jouer le tout pour le tout, je fis exploser les fondations de la tour.
Le monde sombra dans la folie.

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« Réponse #112 le: lundi 11 mai 2009, 18:47:01 »
Magnifique, j'adore tout simplement!

Bonne continuation!

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« Réponse #113 le: dimanche 31 mai 2009, 17:24:19 »

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« Réponse #114 le: dimanche 31 mai 2009, 19:42:41 »
Magnifique, Superbe, Sensationnel! Je suis au septième ciel!

J'adore tous le développement de l'aventure, l'aspect critique de la situation. La révélation de ce qu'était le lieu où la tour se trouvait pour ces changes-formes.

enfin pour résumer, j'adore tout.

Vivement qu'on soit demain, j'ai hâte de voir ta surprise.

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« Réponse #115 le: lundi 01 juin 2009, 14:51:01 »

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« Réponse #116 le: lundi 01 juin 2009, 16:26:09 »
Merci beaucoup, j'adore le chapitre. Je te remercie infiniment pour ce chapitre grandiose et le retour de Samyël.

Cela faisait longtemps, ce mystère omniprésent qui réside sur ce qu'est devenu Samyël. Sa mémoire, ses déductions, l'aura de mystère qui entoure notre Samyël sont tellement d'éléments qu'on ne peut s'empêcher d'apprécier ce personnage qui ne cesse de nous étonner. J'espère qu'ils vont enfin savoir ce qui est arrivé à Samyël.

Je suis extrêmement intrigué par le personnage qui se cache sous cette partie de nom qu'est Ekt.

Vivement la suite, je suis en totale adoration du Cycle Rouge. J'ai aussi hâte de voir les prochaines aventures d'Argoth qui manque depuis le temps.

Bonne continuation.

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« Réponse #117 le: mardi 09 juin 2009, 19:25:42 »
Ha! Oui... Argoth nous manque à tous. Aux dernières nouvelles ils se battaient toujours contre quelques Fëoriens belliqueux ^^ J'espère un retour rapide... Mais wait and see. Quoi qu'il en soit, merci Silver d'être toujours au rendez-vous! =)

Suite (mais non fin) du chapitre 20 du Cycle!



______________


Chapitre 20 : L'Archimage (Deuxième partie.)


***


-Suivez moi, je vous prie.
-Excusez moi... J'attends l'Archi-Mage.
-Je le sais, je vais vous mener à lui.
-Ha!
Samyël se leva d'un bond du banc et suivit l'étrange vieil homme au bâton de chêne sorti de nul part. Ils marchèrent jusqu'à la porte Ouest. Le jeune homme se pencha un peu sur le côté, croyant pouvoir admirer un sort d'ouverture de haut niveau (après tout, c'était les appartements de l'Archi-Mage!); mais fut déçu lorsque son guide sortit une clé de fer absolument banale et la fit tourner dans la serrure.
L'homme écarta le battant et pénétra dans la pièce, suivi par Samyël. C'était une simple office, un petit bureau confortable. Des tapisseries représentant des scènes de forêts ou des panoramas éblouissants pendaient aux murs, conférant à la salle une atmosphère agréable. Un feu vigoureux brûlait dans l'âtre élégant; quelques petites bibliothèques bien fournies s'alignaient de ci de là, s'agençant de manière à ne cacher aucune partie des tapisseries. Un meuble ancien en bois doré servait de bureau à proprement parlé. Dessus reposaient une bouteille d'encre noire, une fine plume d'oie, des parchemins roulés ainsi qu'un autre à demi vierge aplani face au siège à haut dossier, probablement une affaire en cours de l'Archi-Mage. Dans le coin opposé de la pièce, un escalier en colimaçon étroit montait à l'étage, certainement vers les quartiers privés du maître des lieux. Enfin, une fenêtre trouait le mur face à la porte, incrustée dans les tapisseries. Au travers l'on pouvait voir un lac dont l'eau bleue s'irisait sous l'effet du soleil. A l'horizon, l'on devinait les silhouettes ombragées et brumeuses d'arbres en fleur. La lucarne et son panorama s'harmonisait parfaitement avec les ornements muraux, de telle sorte que l'on pouvait croire qu'ils avaient été brodés comme une extension au paysage derrière le verre. La pièce dégageait une impression de sérénité et de bien être intense, et Samyël trouva que cela cadrait bien avec l'idée qu'il se faisait du bureau d'un illustre personnage.
Cependant, il fut choqué lorsque l'homme fit le tour du plan de travail, déposa son bâton contre une bibliothèque, s'arrêta un moment pour admirer le lac en se frottant le menton distraitement, puis tira le siège et y prit place, comme si c'eut été la chose la plus naturelle du monde. Il sortit d'un tiroir une petite paire de lorgnon qu'il cala sur son nez fin. Il fronça les sourcils en s'emparant de la note semi rédigée et la relut rapidement.
-Excusez moi...
Le vieil homme écarta le parchemin, retira ses lunettes qu'il déposa sur le bureau, puis croisa les mains sur l'espace ainsi libéré.
-Oui?, répondit-il.
-Êtes vous l'Archi-Mage?
-Je suis Nemerle, quarante troisième Archi-Mage de la Citadelle, en effet.
Aussitôt, Samyël posa un genoux en terre, tête baissée, le poing droit appuyé sur le sol.
-Monseigneur, je suis navré, je ne savais.
-Voyons, voyons...
Nemerle se cala un peu plus profondément dans son siège, un coude sur le bras du meuble soutenant son menton. Un sourire amusé étira ses lèvres minces et il posa un regard pétillant de malice sur le jeune homme.
-Relève toi, jeune Samyël. Réservons cet ennuyeux et pompeux protocole pour la cour et ses illustres chevaliers, veux-tu?
-Bien sûr, bredouilla Samyël en s'exécutant.
Leurs regards se croisèrent, et face à la gentillesse de celui de l'Archi-Mage, l'apprenti magicien sentit sa tension disparaître comme sous l'effet d'un enchantement.
-Ne reste pas debout comme cela, tu vas être rapidement fatigué. Prend donc un siège.
Le jeune homme acquiesça, et tourna la tête pour en repérer un. Il ne put réprimer un sursaut de surprise lorsqu'une chaise presque identique à celle de son interlocuteur jaillit du sol, juste derrière lui. Il s'y assit, et fut agréablement surpris de découvrir son confort.
-Jeune Samyël, nous devons parler, tu le sais.
Hochement de tête.
-Je ne t'ennuierai pas avec le sempiternel baratin d'usage, je crois que tes maîtres t'ont suffisamment rabâché les règles de base de l'enseignement et de la pratique de la magie, ses dangers et la prudence qu'il est nécessaire d'avoir à ce sujet.
Nouveau hochement de tête.
-Bien. Connais tu les différents rangs qui existent au sein de notre communauté?
Samyël réfléchit un moment, puis répondit:
-Oui.
-Cite les moi, je te prie.
-Un pratiquant possédant la maîtrise d'un Art est un magicien. Celui qui possède deux maîtrises est un enchanteur. Celui qui en possède trois est un Mage. Celui qui les maîtrise tous est Archi-Mage.
Nemerle pouffa de rire devant cette dernière affirmation.
-Oui, oui, c'est ce qu'on dit, en effet... Mais tu apprendras que la vérité est quelque peu différente, haha... Tu sais donc qu'un homme, ou une femme, normale ne peut étudier que trois des Arts, selon ses affinités naturelles avec ceux-ci.
-Oui.
-C'est pourquoi la première partie de notre travail, ici, est de découvrir tes propres affinités, afin d'adapter nos enseignements à tes capacités.
-Oui.
-Tu as déjà, contrairement à la majorité des jeunes gens arrivant ici, étudié la magie. Connais-tu tes propres affinités?
-J'ai des facilités avec l'Altération.
-Qu'en est-il des autres?
Samyël marqua un temps d'hésitation.
-Il n'en est rien.
-Comment cela?
-Ils me sont... interdits.
-Peux-tu expliciter?
-Et bien... Je ne sais pas trop. Je suis incapable du moindre sort issu d'une autre école que l'Altération.
Nemerle fronça fugitivement les sourcils, mais cela n'échappa pas au jeune homme. Il sentit aussitôt que cela ne devait pas être normal.
-Nous devrons analyser cela plus avant... Altération, dis-tu?
-C'est cela, oui.
-Le Maître Sörel n'est pas présent actuellement, il devrait rentrer sous peu. C'est lui qui forme les Altérants. Il sera content, il y a bien longtemps qu'il n'a pas enseigné son Art. Surtout que... (l'Archi-Mage détailla son interlocuteur avec un regard énigmatique, mais ne poursuivit pas.) En attendant son retour, les Maîtres te testeront pour voir de quoi il retourne.
Samyël acquiesça, se demandant à quoi pouvaient bien ressembler ce Sörel et les autres professeurs.
-Ta cellule a été préparée, Taenry t'y mènera. On t'y a déposé quelques vêtements, tu es libre de les porter ou non, s'ils ne te plaisent pas. Tu peux t'adresser à un des serviteurs pour laver les tiens, si besoin est. Tu trouveras également une robe à ta taille, de couleur pourpre. Il est d'usage, mais surtout de coutume, de la porter lorsque tu étudies. Tu verras que les autres étudiants en portent de similaires mais de couleurs différentes, selon leurs propres affinités. Si tu désires t'entretenir avec moi à nouveau, présente toi à la porte, frappe deux coups, puis patiente un peu, je ne serai pas très long. As-tu des questions?
-Oui.
-Je t'écoute.
-Combien y a-t-il d'élèves, en plus de moi, actuellement?
-Hum... Une trentaine, à peu près, je dirais.
-Si peu...
-Hélas. C'est une bien triste époque en vérité, jeune Samyël. De mon temps, des centaines de jeunes gens impétueux et pleins de rêves parcouraient ces couloirs dans des brouhahas de conversation. Maintenant, tout est silencieux...
Nemerle s'abîma quelques instants dans la contemplation mentale de souvenirs teintés de mélancolie.
-Mais, il faut garder espoir, je suis certain qu'un jour tout sera de nouveau comme avant.
Samyël n'osa pas répondre. "Cinq années..."
-Tu doutes des talents du Général ; tu as tort.
Le jeune homme releva vivement la tête, surpris.
-Comment...?
-Cela fait près de trente ans que Kalenz tient son fort. Jamais il n'a faibli. Je suis confiant. S'il dit cinq ans, alors il tiendra cinq ans. Je sais ce que tu penses. C'est peu. Trop peu. Mais j'ai bien peur que ce soit le maximum que nous puissions avoir. Alors, mettons ce précieux temps à profit.
Nemerle se releva et vint se positionner face à la fenêtre.
-Sais-tu, jeune Samyël, ce que tu incarnes, pour beaucoup de gens?
-De... De l'espoir, je crois.
-De l'espoir, parfaitement. Beaucoup sont convaincus que tu es celui qui nous sauvera tous, notre bon roi également.    
-Mais! C'est impossible! Comment...
-Tu as raisons, ce sont des imbéciles heureux.
L'Archi-Mage tourna la tête et vrilla son regard dans celui-ci de son élève.
-Il faut être clair tout de suite, pour éviter que cela ne parasite tes études, Samyël. N'ait surtout pas la prétention de croire que tu sauveras l'Arch'Land d'une mort certaine. Tu ne peux rien faire contre cela, ce royaume agonise, et c'est son Destin de sombrer dans le feu dévorant de l'Arch'Mark. Ce n'est pas un drame en soi. L'Histoire Continentale a toujours été écrite dans le sang des soldats et les flammes de la guerre, ainsi que dans les runes des magiciens. Et il en restera de même pour de longues années encore. C'est dans notre nature. Le souvenir du roi Aegir s'estompe dans la mémoire des hommes, ce n'est déjà plus qu'une légende que l'on raconte aux enfants. Cependant son oeuvre a perduré de très longues années, et le Continent a connu son âge d'or sous les couleurs de l'Arch'Land, pendant plus d'un demi millénaire. C'est déjà colossal. Tu dois comprendre, jeune Samyël, que le monde tel que tu le connais est voué à disparaître. Mais ce n'est qu'une évolution, cela était probablement écrit et destiné à être ainsi...
Nemerle marqua un temps d'arrêt, pour ménager son effet.
-Tout comme il est probable qu'il soit écrit que l'Arch'Land est destiné à vaincre.
Samyël releva la tête à l'entente de ces mots.
-Que voulez-vous dire?
-Ha...
Nemerle regagna son siège dans un soupir de fatalisme.
-Probablement rien, je ne suis plus qu'un vieil homme fatigué...
-Non, non, je vous en prie, continuez.
-D'un point de vu purement tactique et militaire nous sommes fichus. Nous n'avons plus d'alliés, le commerce extérieur nous est impossible... Cependant (il se releva et regagna la fenêtre), on dit toujours qu'il faut tirer des enseignements du passé. Alors dans ce cas, qui nous dit qu'un nouvel Aegir n'apparaîtra pas? Un héros jailli de nul part...
L'Archi-Mage se laissa aller à une contemplation évasive.
-Vous sous-entendez que je pourrais être cela?
-Non, du tout. Je te dis juste que, jusqu'à ce que le sort en soit définitivement jeté, il est permis de garder un peu d'espoir, un vain et fol espoir. Cela ne changera rien, mais tu verras, la vie en sera quelque peu plus simple à appréhender positivement.
-Mais vous, y croyez vous vraiment?
Un silence.
-J'aimerais te répondre d'un "oui" vigoureux, gaillard et vibrant d'ardeur...
-Ha...
Déçu, Samyël rabaissa la tête.
-Mais moi, je suis vieux, j'ai perdu mes rêves. Toi tu es encore jeune... Alors (Nemerle lui adressa un clin d'oeil complice accompagné d'un sourire) il faudra que tu aies de l'espoir pour nous deux. Ne devient pas comme nous, jeune Samyël.
-Vous êtes la seconde personne à me dire cela.
-Ho?
-Mon maître Rirjk m'avait donné le même conseil dans sa lettre d'adieu.
-Tien donc, l'impétueux et indomptable fils du grand Nord se serait finalement assagi?
-Pardon?
-Hoho... Ce n'est rien, ce n'est rien...
L'Archi-mage retourna s'asseoir, un sourire sur les lèvres. Un silence méditatif s'installa entre les deux.
-Dites...
-Hmm?
-Vous avez l'air d'en savoir beaucoup sur moi. Plus que moi même peut être...
-J'en doute.
-...C'est pourquoi je me demandais si vous ne connaîtriez pas mes parents?
-Non. J'ai bien peur que plus personne ne le sache désormais.
-Oui...
Le jeune homme leva les yeux, pensifs. L'identité de ses géniteurs n'avait jamais été un problème pour lui. Il était simplement curieux.
-Bien, il est temps de nous quitter, à présent.
Ils se levèrent. Samyël pointa le lac du doigt, derrière le vitrage.
-Comment s'appelle-t-il?
-Lac Nul Part.
-C'est un nom étrange.
-Ce n'est pas sa véritable dénomination, je le crains. J'ai cherché ce lac durant de nombreuses années de voyage à travers les dépendances, sans jamais le trouver. La réalité de ce plan est différente de celle de l'extérieur. Notre perception en est altérée. Ce qui nous apparaît comme étant derrière une simple fenêtre peut se trouver en réalité à des lieux et des lieux; et l'inverse n'est pas forcément véritable. Les Mages de jadis possédaient des pouvoirs absolument épatants... Ho, j'oubliais presque...
Nemerle retomba sur son siège, et enfila ses lorgnons. Il récupéra le parchemin à moitié griffonné, trempa la plume dans l'encre et jeta rapidement quelques mots sur le papier. Il se relut de façon brève, roula la lettre et la scella à l'aide d'un petit ruban rouge. Il la tendit ensuite à Samyël par dessus le bureau.
-Donne cela au maître Blanc-Barbe en sortant.
Le jeune homme acquiesça et s'en saisit.
-Bonne chance, jeune Samyël.
-Merci.
Sans rien ajouter, il se retourna, ouvrit la porte et sortit.  
Sitôt dehors, il se rendit compte à quel point l'atmosphère du bureau avait quelque chose de bienfaisant, de revigorant. Samyël se promit alors que plus tard, si le destin le lui permettait, il en aurait un pareil. Relevant les yeux, il aperçut la petite silhouette trapue de Taenry, assis sur le banc du cloître. Le petit homme fumait une pipe faite d'un étrange bois noir très lisse et brillant. De petits ronds de fumée parfaits s'en échappaient à intervalle régulier, embaumant l'air d'une agréable odeur de feuille à fumer. Le maître ne remarqua pas le jeune homme, perdu dans quelque pensée. Il avait l'air tellement songeur que Samyël se sentit gêné de l'interrompre.
Il se demanda s'il devait se racler la gorge, ou faire un pas bruyant pour attirer son attention. Cependant, ce fut Taenry lui même qui lui donna la réponse en l'appelant, sans se retourner.
-Viens donc t'asseoir.
Samyël hocha la tête et s'exécuta. La quiétude silencieuse du cloître les entoura comme un châle. La Citadelle aurait pu être déserte, vide ou abandonnée qu'elle n'aurait pas été plus bruyante. Le jeune homme jeta un coup d'oeil à son voisin. Il vit alors que ce qu'il avait pris pour du bois était en réalité une espèce de minerai uniforme, noir.
-C'est de l'ébène, fit le vieillard en soufflant un nouveau rond de fumée.  
Samyël leva un sourcil, mais ne fit pas de commentaire, il commençait à s'habituer à ce que ses interlocuteurs puissent, par il ne savait quel moyen, lire ses pensées.
-Ca a un rapport avec le port?
-Ca avait.
-Plus maintenant?
Taenry mit un petit temps avant de répondre.
-Un peu après la Guerre Draconique, on a découvert d'importants gisements de cette pierre dans les falaises côtières du Sud. Ca a attiré les prospecteurs de tous les horizons, et pour faciliter son acheminement le long des côtes, on a construit le port, puis on a baptisé le cap du nom de la pierre... Mais aujourd'hui, il n'y en a guère plus, les mines ont d'ailleurs été condamnées.
Samyël hocha la tête ; il avait toujours aimé l'Histoire.
-Cependant...
Blanc'Barbe tira un bouffée avant de continuer.
-Cet ébène là vient des Khaz'Khoradan.
-Qu'est-ce que c'est?
-Les monts de l'Infini, si tu préfères. C'est ce qui rend cette pipe si authentique. Le minerai pur et finement travaillé qui la compose parvient à capter toutes les fragrances de la fumée et sublime la saveur de la feuille.
Samyël remarqua qu'une pointe de fierté, ainsi qu'une flamme de vigueur étaient apparues dans la voix du vieil homme alors qu'il parlait de sa pipe.
-Ca confère le caractère de la montagne à la douceur et l'élégance des feuilles brunes. Et pas n'importe quelles feuilles brunes! Des feuilles du comté de Bouc, rien que cela.
-Qu'ont-elles de spécial?
-Il y a bien longtemps, dans le pays de Bouc, dans la forêt du même nom, se trouvait une confrérie secrète de vieillards un peu dérangés, Ils prétendaient communier avec la nature, les animaux, et toutes sortes de fadaises de ce bord là.
-Des druides?
-Non, ceux-là n'avaient aucun pouvoir véritable. Ce n'était que des illuminés. Cependant ces illuminés avaient deux qualités. Premièrement, ils appréciaient fumer. Deuxièmement, ils étaient de fins connaisseurs et aimaient la qualité. Hélas pour eux, et heureusement pour nous, -héhé- à cette époque, on ne trouvait dans les commerces communs que des feuilles de qualité moindre. Du Château-Tobil, de la Cendre-Terre, pas mal de vieille Mandracor et, avec de la chance, quelques feuilles de Précyle. Mais vraiment avec beaucoup de chance, et quelques pièces d'or. C'était encore une époque obscure et barbare, l'art de la pipe était réservé à quelques initiés. C'est pourquoi, devant pareille aberration, nos olibrius de la forêt de Bouc se sont mis en tête de fabriquer leurs propres feuilles. A force de temps, de recherches, de travail acharné, ils parvinrent à faire pousser une nouvelle variété de feuille à fumer, une variété qui alliait la fraîcheur de l'humus, la force séculaire des vieux arbres, la quiétude des sous bois, l'ombre bienfaisante de la canopée et la force de la terre humide et pleine de vie. C'a été une véritable révolution. Tu te doutes bien que cette variété se fit rapidement un nom à travers tout le Continent. Certains amateurs faisaient des lieux et des lieux pour acheter ces feuilles. Leurs géniaux créateurs les nommèrent très sobrement Feuilles de Bouc, mais dans le milieu on les connaît plus sous le nom de Vieille Boucantine. Les fameux "druides" devinrent vite riches, ils achetèrent des terres et firent construire un château, Château-Bouc, à la lisière de leur forêt. Ils restèrent longtemps une des plus grandes forces économiques du sud du Continent, rivalisant presque avec les domaines viticoles de la famille Cadeço, au nord du Hauts Pays. Qui plus est, non contents de produire les meilleures feuilles à fumer, ils taillèrent dans le bois du chêne ayant ombragé la première récolte de Boucantine très exactement vingt-et-une pipes, qu'ils numérotèrent soigneusement. Ces pipes sont devenues légendaires. Tout le monde est d'accord pour dire que ce sont tout simplement les meilleures dans la catégorie bois. Elles se sont vendues des fortunes dignes de rois, et certains ont même tué pour en avoir une. C'était vraiment une belle époque...
Taenry leva les yeux au ciel, en tirant une nouvelle bouffée. Il réfléchit un instant, tandis que Samyël attendait patiemment la suite du récit.
-Hélas, le comté de Bouc a été ravagé durant la Guerre Draconique. Face aux armées du dragon, les druides se sont retirés dans leur forêt et ont disparu à jamais, emportant avec eux le secret de leur feuille. La Vieille Boucantine est probablement l'une des denrées les plus recherchées au monde à l'heure actuelle. Elle est restée dans les mémoires, et même l'Histoire n'a pas su délogé son arôme exceptionnelle de l'esprit des authentiques fumeurs. Et pour ajouter au drame, à ce jour, seules quatre des légendaires pipes de Bouc sont encore entre les mains des Hommes, la trois, la sept, la dix neuf et la quinze, les autres ont été détruites ou bien perdues... (Une lance d'amertume perça dans la voix du petit homme) Foutue guerre...
-Mais... La guerre draconique remonte à plus de cinq cent ans... C'est étrange qu'il reste encore ne serait-ce qu'une seule feuille, et quand bien même, depuis ce temps elle aurait perdu sa saveur, j'imagine.
Taenry lui jeta un regard brillant, et un large sourire fendit sa barbe blanche.
-Ton ignorance te fait dire des âneries. C'est justement à cela qu'on reconnaît une bonne feuille d'une mauvaise. La Boucantine, qui plus est, vieillit comme le vin, elle se bonifie avec les années, et cela grâce à la technique secrète de séchage élaborée par les maîtres herbiers de la forêt de Bouc. C'est une feuille unique, et j'ai bien peur que plus jamais l'on atteindra une telle perfection...
-Dois-je en déduire que vous êtes richissime, puisque vous en possédez, ou bien êtes-vous un assassin?, fit Samyël avec une pointe d'humour.
Blanc'Barbe partit d'un grand rire.
-Rien de cela, jeune homme. J'ai la chance d'avoir pu en acquérir une liasse dans ma jeunesse. J'en fume une par cycle de lune.
Samyël leva un sourcil interrogateur, mais se contenta de formuler dans sa tête la question qui lui vint. Comme il s'y attendait, Taenry lui répondit de lui même.
-Les cycles temporels de ce plan d'existence ne sont pas les mêmes que ceux du Continent. Cependant, il est vrai que je dois probablement être l'un des derniers chanceux à pouvoir en fumer... Il ne me manque qu'une des pipes de Bouc pour goûter à la perfection...
Alors qu'il prononçait ces mots, il se laissa aller à un soupir rêveur.
-Château-Bouc existe toujours, reprit-il après un temps. C'est une ruine à demi mangée par la forêt à présent, mais l'essentiel y est toujours, le donjon, les trois tours et quelques pans de sa muraille. Les branches et les racines du bois sont devenues des éléments essentiels de sa composition. Le chevalier qui devint maître du comté de Bouc après la Guerre ne le fit pas reconstruire. Il le laissa tel quel en hommage aux Druides. Au cas où ils reviendraient, disait-il. Les années ont passé, les champs ont poussé, le seigneur fit construire un autre château, à quelques lieux de là, mais jamais les druides ne revinrent. Beaucoup d'aventuriers et d'amateurs ont fouillé les restes de Château-Bouc à la recherche de caches de feuilles, ou du secret de leur culture. Ils ont également longuement arpenté la forêt à la recherche des herbiers, en vain. Cependant... La légende dit que les vieillards n'ont pas disparu, qu'ils sont toujours là, entre leurs arbres. Ils continuent de produire la Boucantine avec amour, dans quelques prairies secrètes. Et la fragrance douceâtre qui émane de leurs pipes emplie l'atmosphère de la forêt. On dit même que, parfois, lorsqu'un voyageur s'égare dans les bois, ils le guident vers la lisière grâce à la fumée. Et le chanceux trouverait, au pied du dernier arbre, une liasse de feuilles brunes...
-C'est une belle histoire, commenta doucement Samyël.
-Si seulement elle pouvait être vraie...
-Vous en savez vraiment beaucoup, quoique, ce doit être normale pour un amateur.
-Absolument.
Ils observèrent un temps de silence, se laissant pénétrer par l'odeur de la Boucantine. Finalement, Taenry enleva l'embout de la pipe de sa bouche, l'essuya dans un ourlet de sa robe grise et la tendit à Samyël.
-Tient, essaie, lui dit-il avec un pétillement dans les yeux.
Se rendant bien compte, après ce cours magistral, de l'honneur qui lui était fait, Samyël ne put décliner l'offre. Il essaya d'imiter le petit homme dans sa manière de faire mais celui-ci secoua la tête.
-Chacun à une approche différente de l'art de fumer. Trouve ta propre voie.
Le jeune homme hocha la tête. Contrairement au vieil homme qui tenait le tube entre deux doigts, il enserra la tête de sa pleine paume. Déjà lorsqu'il glissa l'embout entre ses lèvres, le goût minéral de l'ébène lui remplit la bouche. Des montagnes brumeuses, fières, solides et belles défilèrent dans son esprit. Puis il aspira doucement, timidement. La fumée lui emplit la bouche comme une chaude caresse. Le bruissement des feuilles raisonna dans son crâne, la saveur de l'humus et de la rosée du matin envahit sa langue et son palais. Le jeune homme ferma les yeux et se laissa envahir par ces nouvelles sensations. Son plaisir était palpable. Après quelques secondes, et à regret, il relâcha la fumée en ouvrant la bouche. Les minces volutes blanches et odorantes s'étirèrent dans les airs, puis disparurent.
Samyël rendit la pipe à son propriétaire, toujours subjugué par l'expérience.
-C'est... magique, fit-il avec un sourire.  
Blanc'Barbe hocha la tête en lui rendant son sourire. Etrangement, par cette mimique et ce qu'ils venaient de partager, Samyël sut qu'un lien s'était créé entre eux. Comme pour le confirmer, Taenry récupéra les deux choppes qui traînaient à côté de lui, ainsi qu'une outre pleine. Il remplit les godets avec le contenu de l'outre, un liquide ambré et mousseux, exaltant un arôme délicat mais ferme, et en tendit un au jeune homme.      
-A la Boucantine, fit-il en levant son verre.
-A ta réussite, répliqua Taenry en choquant légèrement leurs deux choppes.
Ils burent une longue lampée. Samyël apprécia le goût de la liqueur, légère et douce.
-C'est très bon, observa-t-il.
Le petit homme lui décocha un clin d'oeil.
-Brassage artisanale.
-Ca n'en est que meilleur.
Ils rirent un peu, puis le silence revint. Etrangement, ces silences, souvent pesants et gênants dans les conversations, prenaient tout leur sens lorsque Samyël échangeait avec le vieil homme. Il les trouvait normaux, cohérents, presque logiques. D'une certaine façon cela lui rappelait son grand-père.
-Ho!, fit-il alors qu'il se rappelait sa mission. J'ai ceci pour vous.
Il lui donna le parchemin scellé d'un ruban rouge, que Taenry prit sans poser de question. Il examina rapidement le papier puis l'enfouit dans une de ses poches avec un hochement de tête entendu.  
-Comment est le maître Sorël? demanda Samyël en prenant une autre gorgée.
Blanc'Barbe prit un moment avant de répondre.
-Je ne saurais trop te le dire. Cela dépend grandement du moment. Il est d'humeur... changeante.
-Savez vous à quel moment il sera là?
-Hmm... Dans quatre jours tout au plus. Certainement moins.
Soudain, le vieillard se releva d'un bond.
-Bien!
Il vida le contenu de sa pipe sur le sol en tapotant son poignet avec, puis la coinça dans sa ceinture. Il saisit son bâton et se tourna vers Samyël.
-Assez bavasser. Je vais te mener à ta cellule. Suis moi.
Samyël s'exécuta, mais il ne sut que faire de sa choppe encore à demi pleine. Taenry lui montra l'exemple. Il en prit une dernière rasade puis jeta le reste sur le tertre.
-Ces sacrées vieilles branches ne disent jamais non à un p'tit coup pour la route, expliqua-t-il avec un sourire énigmatique.
Samyël fit de même, quelque peu étonné d'une telle pratique, puis voulu la rendre à son propriétaire. Mais celui-ci refusa.
-Garde la. Sache qu'il est très indécent de refuser un verre qu'on te propose, aussi assure toi d'avoir toujours une choppe sous la main afin que cela ne se produise jamais.
Le jeune homme resta un moment le bras tendu. Ha bon? Ho... Pourquoi pas après tout? Suivant l'exemple de son aîné il coinça  le récipient dans sa ceinture.  

La pièce était petite, à la limite de l'exigu. Quatre murs, pas de fenêtre, une paillasse propre, un pot, une minuscule table de chevet et une bougie. Voilà ce qui composait la cellule de Samyël.
"C'est donc ici que je vais passer ces prochaines années...?", se dit-il alors qu'il la parcourait des yeux.
La pièce était vraiment petite, à peine pouvait-on y faire deux pas en largeur comme en longueur. Mais d'un autre côté, après la rudesse du sol et des pierres, ainsi que la froideur des nuits à la belle étoile, c'était un luxueux palais. Il entendit dans son dos les pas de Taenry qui redescendait l'escalier. Samyël haussa les épaules. Il déposa le carnet noir sur la table et se laissa choir sur la paillasse. C'était plutôt  confortable en fait. Se relevant sur un coude, il avisa le vêtement sombre délicatement plié posé sur sa couchette. Il tendit la main et s'en empara. Pour mieux voir, il alluma la bougie avec le briquet à amadou qui traînait à côté. L'étoffe était de couleur pourpre. C'était la fameuse robe dont lui avait parlée Nemerle. Agréable au toucher, elle n'en demeurait pas moins simple et dénuée d'ornements. Cependant, il s'en dégageait une certaine richesse, une certaine noblesse. Samyël eut soudain honte de ses propres vêtements, depuis trop longtemps non lavés, déchirés... Il les enleva avec empressement et passa la soutane. Le contact sur sa peau lui était comme une caresse ; il se sentit tout de suite différent. Un véritable mage, pensa-t-il avec un sourire. La robe possédait une capuche et ses manches étaient longues et profondes. Comme il trouvait le vêtement trop ample, le jeune homme récupéra son ancienne ceinture et la boucla par dessus, ce qui lui fit comme une tunique longue.
Il aurait aimé avoir sous la main un miroir pour s'admirer ou un broc d'eau. Il se surprit à tenir quelques poses comme un vrai mage. Il rit de lui même puis entendant son estomac grogner de mécontentement il se demanda si le dîner était pour bientôt. D'un côté il avait hâte, de l'autre il redoutait l'instant. Car il allait enfin rencontrer des apprentis comme lui, mais il redoutait son savoir trop maigre.
-Hum..., commença-t-il, un peu gêné.
Il se racla la gorge et sortit dans le couloir afin de s'assurer qu'il n'y avait personne.
-Quelle... Quelle heure est-il?, demanda-t-il finalement, en se disant qu'il devait vraiment avoir l'air idiot.
-Huit heure moins le quart et quarante trois secondes.
Samyël sursauta en entendant la voix éthérée, qui semblait jaillir de nul part et partout à la fois. A vrai dire, il n'avait jamais vraiment pensé qu'on lui répondrait. Il attendit quelques instants, histoire de voir si l'étrange voix allait parler de nouveau, mais rien.
-Quelle heure est-il?, demanda-t-il une seconde fois.
-Sept heure, quarante sept minutes et deux secondes.
-Merci!
Bien sûr, on ne lui répondit pas. Le garçon se dit que vraiment, la magie c'était quelque chose! Il profita du temps qu'il lui restait pour s'allonger sur sa paillasse et se reposa un peu.

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« Réponse #118 le: mercredi 10 juin 2009, 13:09:04 »
Après plus d'un an, j'ai finalement fini de lire le Cycle du Rouge.

J'ai du déjà le dire mais j'apprécie fortement Samyël car il est très humain, il des côtés sombres, très sombre même comme le prouve la présence du Jakuta dans l'esprit de ton héros. Mais il est aussi humain à cause de ses passions amoureuses ou autres.
J'ai franchement hâte de voir ce que le petit magicien va devenir. Je suis particulièrement impatient de voir les pouvoirs de Samyël se développer et surtout le voir donner aux fanatiques anti-magicien la bonne leçon qu'ils méritent.

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« Réponse #119 le: dimanche 26 juillet 2009, 23:43:00 »
Mais qui voilà? Un magicien qui surgit hors de la nuit, ho ho :note:Et de son épée, il signe d'un C qui signifie 'Cycle'!  \o/

Raphaël, merci de suivre avec assiduité les errements de cette Tour du Rouge ^^


Sur ce, voici la suite et fin du 20e chapitre du Cycle. J'espère que vous le trouverez à votre goût.

Quant à moi, je vous souhaite de bonnes vacances, et je vous retrouve à la rentrée, pour de nouvelles aventures Continentales et Monarquales!

Enjoy


_______


Chapitre 20 : L'Archimage (Troisième partie.)

Les éclats de voix en provenance du rez-de-chaussée tirèrent Samyël du sommeil dans lequel il s'était réfugié. Il bâilla un long moment. Il réalisa alors qu'il était encore transis de fatigue, après cet épuisant voyage et ses diverses aventures. Au final, il était bien heureux d'avoir enfin trouvé un endroit où se poser, et retrouver un rythme de vie décent. S'asseyant sur sa couchette, il se frotta le visage avec les mains pour se réveiller, puis sorti dans le couloir. On avait allumé des torches, avec la tombée de la nuit. Se disant qu'il devait être en retard pour le dîner, Samyël pressa l'allure et descendit l'escalier en colimaçon qui menait au rez-de-chaussée. Une main posée sur le mur à sa droite, il posa les pieds sur le sol du réfectoire. Un sourire tordit ses traits à la vue de la trentaine de jeunes garçons d'âges variés, mangeant en bavardant gaiement. Les Serviteurs de la Rune s'affairaient entre les longues tables, occupés à s'assurer que personne ne manquait de rien, ou ne désirait rien de plus. Samyël remarqua que même si ils semblaient tous plus ou moins rassemblés, les étudiants étaient placés par école d'appartenance. Les robes grises des invocateurs en herbe ne se mêlaient pas aux robes rouges des apprentis telluristes et ainsi de suite. Il les observa un instant, afin de s'imprégner de l'ambiance.
Un des élèves finit par le repérer. Il se pencha vers son voisin et lui murmura quelque chose à l'oreille sans le quitter des yeux. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre à travers les rangs. Un silence glacial se répandit dans la pièce. Plus rien ne bougea, pas même les Serviteurs qui attendaient patiemment. Une soixantaine d'yeux étaient braqués sur Samyël, le jaugeant, l'étudiant, le détaillant, le méprisant. La gorge de Samyël se dessécha. Il ne s'était pas attendu à pareil accueil ni à un pareil revirement. Il s'était imaginé naïvement arriver parmi eux, qu'ils l'accueilleraient avec joie, qu'ils riraient ensemble. Mais là, il se faisait l'effet d'un étranger déplacé et non invité. Il s'avança maladroitement dans la salle, cherchant vainement un soutient parmi la masse. Il n'y avait pas non plus de maître présent. Indécis sur la conduite à suivre, Samyël décida d'essayer de briser la glace.
-Enchanté, fit-il en s'inclinant poliment. Je m'appelle Samyël. Je viens d'arriver...
La suite de son discours mourut sur ses lèvres lorsqu'il s'aperçut que ses mots n'avaient aucun effet sur ses vis-à-vis. Il ne put s'empêcher de les comparer mentalement à un troupeau de chèvres aux yeux vides. Il frissonna. Gêné de rester debout, il s'approcha de la table. Il chercha des yeux le "clan" des robes pourpres, et suffoqua presque en réalisant qu'il était le seul de sa tribu. Quelques ricanements fusèrent lorsqu'il s'assit gauchement, un peu à l'écart. Mortifié, le pauvre garçon gardait la tête baissé, se faisant un rideau protecteur de ses cheveux. Un Serviteur posa en quelques secondes une écuelle remplit de viande et de fruit, un gobelet de vin capiteux, des couverts d'argent et une serviette élégante et finement pliée en carré. Il balbutia un vague "merci" et s'empara de sa fourchette. Au moins, la nourriture était bonne.
Les conversations reprirent, feutrées, incisives. Ils étaient clair qu'il était le centre de l'attention générale. Des rires étouffés lui parvinrent, qui le blessèrent. Qu'avait-il fait pour mériter cela? Ce n'était pas du tout ce qu'il avait prévu! Il serra le poing plus fort sur son couvert, la colère montant lentement en lui. Il essaya tant bien que mal de les ignorer. Finalement, trois étudiants se levèrent et se dirigèrent vers lui. Deux grands costauds en robe rouge et un dernier, plus fin en robe noire. Ce dernier s'assit sur la table, les pieds sur le banc à gauche de Samyël. Les deux autres se placèrent respectivement à sa droite et devant lui. Ils affichaient des mines arrogantes et cruelles.
-Alors, comme ça, c'est toi, Samyël?, fit le plus fin.
Son ton hautain dégoulinant d'autosuffisance donna la nausée à Samyël. Il prit son parti de ne pas répondre. Il désirait autant que possible éviter tout contact dans un premier temps. Le type à sa droite se leva soudainement, envoya son écuelle voler à travers la pièce et l'empoigna par les cheveux. Il le força à relever la tête à regarder le jeune homme en robe noire.
-Maître Hott t'as posé une question, p'tite tête. Alors tu réponds.
Le Hott en question avait dans les vingt ans. Son sourire de triomphe s'encastrait parfaitement bien dans ses traits fins et aristocratiques encadrés par une coupe châtaine au carré. Des bagues en or et des boucles d'oreilles du même acabit ornaient ses doigts. Il s'était poudré le visage pour le rendre plus pâle et avait accentué le rouge de ses lèvres, lui conférant une allure assez efféminée. Il posa le coude sur son genou replié, et le menton sur son poing.
-Je suis Lowyn de la prestigieuse maison d'Hott. En tant que roturier, tu dois l'obéissance à ma famille, comme le veut la loi.
Les ricanements des autres élèves attisèrent un peu plus le brasier de colère qui s'enflammait en Samyël. Il détestait déjà ce Lowyn, et tous les autres. Lowyn prit délicatement le menton de Samyël entre deux de ses doigts fins et le força à le regarder, tandis que l'autre brute le maintenait par la force.
-Je t'écoute.
-Va mourir.
le ton glacial, détaché et effrayant de Samyël ramena le silence sur l'assemblée. Lowyn fut tellement surpris qu'il se recula un peu malgré lui. Il se reprit presque aussitôt en riant.
-Ludberg, il va falloir apprendre la politesse à ce chien errant.
Le larbin s'acquitta de son devoir avec zèle. il fracassa plusieurs fois le visage de Samyël contre la lourde table de chêne, jusqu'à ce que son nez saignât et qu'il s'étourdît.
-On a beaucoup entendu parler de toi par ici, mon cher Samyël. En ce moment, ils n'ont que ton nom à la bouche. "Samyël par ci, Samyël par là..." Soi disant, tu vas nous sauver!
Lowyn se tourna vers le reste des étudiants en mimant la surprise, et les autres rirent.
-Permet nous d'en douter. Quel est le sort le plus puissant que tu connaisses?
Samyël le foudroya du regard, écumant de rage. Il serra convulsivement le poing, mais ne répondit pas, humilié. Il savait que sa magie était de loin inférieure à la leur. Lowyn éclata d'un rire aigu et agaçant.  
-Regardez moi ça! Si c'est pas mignon! Le petit bouseux sort de sa cambrousse les lèvres en coeur "pour nous sauver"!
Cette remarque déclancha l'hilarité générale. Personne ne remarqua les tremblements de Samyël.
-Regardez le! Notre grand héros surgit de nul part, arborant, ô Dieux, la glorieuse livrée de pourpre!
Les rires doublèrent d'intensité.
-Mais qu'est-ce que tu crois, mon petit?, continuait Lowyn en ricanant. Tu n'es pas un héros. Tu n'es même pas un magicien. Peuh! Un Altérant. C'est bien la dernière chose dont nous avions besoin ici. Regarde. (Il força Samyël à regarder le noir de sa robe.) Ca, gamin, c'est la couleur de l'élite. Seuls les meilleurs sont autorisés à la porter. Tout ce que le pourpre de ta soutane te permet, morveux, c'est de me m'obéir. Tu n'es rien. Non. Tu es moins que rien.
Sans crier gare, Samyël bondit, dans un silence de tombeau, et son poing se fracassa comme une massue sur le visage délicat de Lowyn qui partit en arrière en glapissant de terreur. Sans perdre de temps, Samyël pulvérisa Ludberg d'un coup de crâne rageur. Le garçon, terrassé, chut au sol comme une pierre. Aussitôt, le troisième larron jaillit par dessus la table en criant, pendant que les autres élèves se levaient précipitamment en proférant des paroles véhémentes. Souple et fort de son entraînement, Samyël pivota sur un pied et cueillit son assaillant d'un coup de genou dans l'abdomen qui le fit basculer en avant. Il se recroquevilla sur le sol en gémissant et crachant.
Ivre de fureur, Samyël se mit en tête de le frapper jusqu'à la mort. Mais alors qu'il s'apprêtait à délivrer son premier uppercut, son bras partit violement en arrière et se tordit douloureusement. Il grogna et se sentit plaqué contre la table par une force invisible. Des mains le tirèrent en arrière et le jetèrent au sol.
-Tu vas regretter ton geste, chien!, fit Lowyn d'une voix froide  en tamponnant fébrilement le sang qui s'écoulait de sa lèvre tuméfiée. Tuez le!
Une tempête de pieds et de bottes le balaya. Des avalanches de coup pleuvaient, apportant leur lot de douleur. Samyël se recroquevilla pour se protéger, mais le sort continuait de lui retirer le contrôle de ses bras. Il cracha plusieurs fois du sang, cherchant son souffle en gémissant. Il ne comprenait plus ce qui lui arrivait. On finit par le remettre à genoux. Hagard il avait du mal à rester concentré. Il ne ressentait plus que les plaintes de son corps meurtri.
-Regardez moi ces cheveux!, faisait la voix de Lowyn par dessus la cohue. Ils m'écoeurent, coupez les!
Samyël sentit qu'on lui agrippait les cheveux à nouveau, qu'on les tirait en arrière . Il voulut se débattre mais ce fut vain. Dans le même temps, on lui passa un noeud coulant autour du cou, et c'est à ce moment qu'il prit peur. On lâcha ses cheveux, mais la corde se resserra contre sa trachée, l'étouffant. Son corps fut tracté vers le plafond, ses pieds quittèrent le sol. Il chercha tant bien que mal à retrouver de l'air, mais celle-ci quittait insidieusement ses poumons. Il mourrait en éructant. Et il les voyait, qui riaient, se gaussaient de lui. Dans un ultime geste de rébellion, il propulsa ses pieds en y mettant toute sa rage et ses dernières forces. Il ravagea le visage d'un étudiant plus jeune que les autres qui s'était un peu trop approché. Le garçon chuta au sol dans un silence surréaliste et ne bougea plus. Etrangement, cela ne fit qu'accroître l'hilarité des autres. Privé de tout recours, Samyël se balança au bout de sa corde en tressautant, tandis que sa conscience glissait peu à peu vers les ténèbres. Quelques étudiants lui jetèrent des gobelets de vin, en parodiant l'extrême-onction.
Il ne bougea plus.
-Il est... mort?, finit par demander quelqu'un.
-Et il ne nous manquera pas!, scanda Lowyn.
Cependant, sa joie prit soudainement fin lorsqu'une hache de jet fendit l'air et coupa avec une précision mortelle la corde de chanvre, faisant choir le corps de Samyël sur le sol.
-J'espère pour vous qu'il n'est pas mort, bande de chiens galleux et puants que vous êtes.
Les étudiants se tournèrent comme un seul homme vers l'entrée du réfectoire. La petite silhouette trapue de Taenry se découpait dans l'encadrement de la porte. La pipe aux lèvres, il foudroyait l'assemblée de ses yeux furieux. Sa barbe lui donnait un aspect monstrueux. Il avait dans la main gauche une autre arme de jet, et quelques autres passée à la ceinture. Sa main droite portait son bâton.
Lowyn lui répondit avec une arrogance assurée que ses complices étaient loin de partager. Après tout, Taenry n'était pas que le portier. Il était avant tout l'extension de la volonté de l'archimage.
-Cela ne te regarde pas, portier. Retourne donc à...
-Silence, vermine juvénile!, brailla Taenry, si fort que Lowyn perdit un peu de sa superbe.
-Pour qui te prends-tu, vieillard? Ce que nous faisons ne te concer...
-J'ai dit silence! Puteborgne de bâtard de péon noble!
Pour illustrer son propos poétique, Taenry fit montre une nouvelle fois de son habilité. La hache frôla l'oreille de Lowyn de si près qu'une de ses boucles et quelques cheveux tombèrent au col. Le jeune héritier de la maison d'Hott pâlit encore plus et déglutit.
-Et maintenant, dans vos piaules, et plus vite que ça!, gronda le vieil homme avec un regard mauvais.
Les étudiants s'exécutèrent sans se le faire redire.
-Ramassez moi ce tas de viande de Kelly. Si il ne passe pas la nuit vous aurez des problèmes avec l'Archimage.
Lowyn fut le dernier à gravir les escaliers. Auparavant, il lança un coup d'oeil à Samyël, puis un regard venimeux à Taenry et jura :
-Tu me le paieras, vieillard.
Il déguerpit quand une troisième hache fusa vers lui.
Le petit homme attendit quelques secondes puis se précipita vers le corps inanimé de Samyël.
-Dieux! Quelle barbarie. Il y a quelques années ç'aurait été impensable! Mais regardez moi ce qu'ils lui ont fait!
Samyël gisait dans une mare de vin, de sang et de bave que les Serviteurs s'attelaient déjà à éponger. Taenry les congédia d'un geste et s'accroupit à côté du corps. Les yeux révulsés et la langue pendante, il faisait peine à voir. Taenry prit son poux, et constata avec soulagement qu'il vivait encore, quoique faiblement.
La corde magique disparut dès que le sort fut levé. La trachée contractée de Samyël se dilata et se dernier reprit violemment conscience en crachant et toussant, cherchant de l'air avidement. Il regarde autours de lui d'un air halluciné.
-C'est fini, lui dit Taenry. Tu n'as plus rien à craindre.
Le jeune homme frotta ses chaire s meurtries par le chanvre en grimaçant.
-Qu'est-ce que je leur ai fait?, croassa-t-il, la gorge sèche.
-Rien strictement rien. Tiens bois ça, répondit le petit homme en lui tendant une outre de vin.
Samyël but jusqu'à s'étrangler puis jeta la liqueur au loin d'un geste rageur.
-C'est pas de ta faute, gamin, reprit Blancbarbe. Tu sais, toutes ces histoires d'espoir sur toi, d'une espèce de héros ou je ne sais trop quoi, c'est malsain. Je ne te dénigre pas, je dis juste que c'est monté à la tête de certains. Des pires, je le crains...
Samyël ne répondit pas, encore choqué par la tournure des événements.
-Lowyn de la maison d'Hott fait parti des pires. C'est un fou vaniteux, arrogant et cruel, sans vertus morales. Mais c'est hélas un fou dangereux. Comme tu l'as vu, il porte la robe noire. C'est un rhéteur runique, et pas des moindres. Ce doit être le gamin avec le plus fort potentiel que cette vieille Citadelle ait connu en plus de deux cents ans, et je sais de quoi je parle. Si tu veux un conseil, reste loin de lui. Plusieurs élèves sont déjà morts par sa faute.
-Et vous ne faites rien contre ça?, s'indigna Samyël.
Taenry leva les mains en signe d'impuissance.
-Hélas. Il est pas protégé par une lettre de cachet du roi d'Arendia. Nous sommes impuissants à la renvoyer.
-Si vous ne pouvez pas faire cela, pour l'Archimage ne le punit pas au moins?
Taenry baissa les yeux. Soudain, il paraissait indécis.
-Et bien, c'est parce que... C'est parce que...
-C'est parce que l'Archimage est faible, voilà tout, répondit pour lui Nemerle, qui se tenait subitement derrière le petit homme, en appuie sur son bâton.
Taenry ne se retourna pas, mais se mit à fourrager dans sa barbe.
-Faible?, demanda Samyël incrédule. L'Archimage n'est pas censé être le plus fort des magiciens?
-Et bien... Hmm... Je dois dire que non, pas forcément.  Cela a souvent été le cas, je te le concède, mais la fonction de l'Archimage est avant tout d'organiser la vie au sein de la Citadelle, et de conseiller le Roi. La vérité, Samyël, c'est que je suis incapable de jeter le moindre sort. Ma magie s'est éteinte il y a de nombreuses années.
-Comment est-ce possible?!
-C'est une longue histoire. En attendant, ce que maître Blancbarbe t'a dit est vrai. N'approche plus de Lowyn. Tous les autres élèves sont avec lui. Et puisqu'il t'a pris en grippe, considère que tu n'as pas d'ami. Je suis désolé.
Samyël baissa la tête, des désillusions plein celle-ci. Il avait l'impression que tout allait de travers. Il se maudit d'avoir souhaité devenir mage, maudit tous ceux qui avaient placé en lui des espoirs futiles.
-Tout à l'heure, ils ont insulté le pourpre de ma robe. Pourquoi?
-L'Alteration a perdu ses lettres de noblesse lorsque Mac Kenick Le Bouffon a découvert le moyen de produire des illusions en utilisant cet Art. Il a d'ailleurs ensuite créé la sous-école de l'illusion, ce qui a en quelque sorte démocratisé l'altération, car la rendant accessible aux plus faibles. Et tu nous connais, nous, mages. Vaniteux et trop fiers. Mais ne te méprend pas. La véritable altération, telle que tu l'apprendras ici même, égale n'importe quelle autre école. Bien, à présent, va te reposer, il est tard. Les maîtres te testeront demain.
Samyël acquiesça et se releva lentement, en lissant les plis de sa robe. Se dirigeant vers les cellules, il serraient les poings et murmura :
-Faible ou pas, ça ne m'empêchera pas de te tuer, Lowyn de la maison d'Hott.
Nemerle et Taenry firent mine de ne pas avoir entendu.