@D_Y En fait, c'est une façon de composer assez typique de la poésie moderne qui apparait vers le XIXème, notamment avec Rimbaud (Je te conseille le très long mais très bon
Alchimie du Verbe qui explique ça très bien et doit facilement faire partie du top 5 des meilleurs poèmes jamais écrits en français, très facile à trouver sur le net).
On a donc pas mal de vers libre, et un jeu sur l'oralité qui est de plus en plus présente, avec la fin de cette idée d'une liaison forcément évidente entre métrique stricte et poésie.
Le Poids du Monde est pas un très bon exemple puisque c'est un poème un peu brut, que je n'ai pas spécialement retravaillé, il a en plus des parties un peu en prose et, surtout, j'ai utilisé de la ponctuation alors que je n'en utilise généralement pas. En France, Apollinaire est le premier poète à ma connaissance qui retire la ponctuation dans
Alcools parce qu'elle est vue comme un carcan qui enserre encore le vers, ne le laisse pas jouer librement, être lu et créé par le lecteur, et cette absence de ponctuation sera beaucoup reprise par la tradition surréaliste et aujourd'hui encore, la poésie très contemporaine (hors formes alternatives types textes de chansons et tout), un peu " savante ", disons, n'a souvent pas de ponctuation.
Du coup, dans la perspective du vers libre, c'est la mise en forme même du poème, sa disposition visuelle, les interactions entre les différentes pauses induites par la cassure des vers et ce genre de choses qui vont faire sa " métrique ".
Il y a un peu de jeu là-dessus dans mon dernier poème mais il reste assez simple sur ce plan. Dans ma poésie j'essaie de faire une grande place à l'oralité en général, je n'écris pas un poème sans le lire à haute voix. Tout se veut concentré dans le choc, le clic-clac des mots, la pause induite par le "blanc", l'espace du poème. Avec un fort jeu de rappel d'un vers à l'autre, pas mal d'images un peu fortuites (grosse influence du Surréalisme bien sûr). Bien sûr, la métrique " classique " (vers comptés, rimes) peut parfois rentrer en jeu, mais ça va être ponctuel, ça va justement servir un effet de décalage, ou à appuyer à un moment précis quelque chose, il n'y a plus de cadres rigides. Ceci dit il y a encore des rimes, mais elles vont être dans les vers, ou bien sans structure particulière, juste comme une sorte de tonalité répétée au fil du poème, ça dépend. Je te renvoie encore une fois par exemple au poème de Rimbaud ou bien à des poèmes de Eluard (
Ma Morte Vivante ou bien
L'Aventure ), Aragon (
Poème à Cracher dans les Ruines).
Je vais revenir à mon dernier poème avec un vrai travail sur la structure, qui date du début du mois,
Ressac
" [...] Ressac
Casse !
La force
Des choses
Comme on dit
La force
De devenir
Tout me tombe
Des mains [...]"
Là par exemple, tu as beaucoup de vers très courts avec de cassures sèches et des renvois de sonorités : Ressac / Casse, la répétition en -t et -d avec "
Des choses", "
dit", "
devenir", "
Tout me
tombe
des mains ". Ajoutés à ces cassures visuelles nettes, ça renforce le coté un peu saccadé, presque déclamé, psalmodié du poème, avec une tension qui se retrouve dans le sujet, et lui donne du poids. Le rythme haché c'est la mer qui tangue et qui tape, c'est les mains qui tremblent, c'est la saccade intérieur que le poème veut exprimer.
" [...]Mer pleine de
Roulis
Pis même !
Ressac dans ce
Bric-à-brac
De mes yeux
Verts
Comme la mer
Souquez sec
Alors !
Tangue tournoie
Puisqu'il faut
Ressac
Claque
Tout en vrac !
Encore."Là, de même, l'image de la mer qui est convoquée à deux niveaux avec la répétition de la sonorité du -M qui est plutôt lisse mais qui est contrebalancé par le coté aussi râpeux de l'allitération en -r, avec la reprise du mot ressac qui traduit lui-même cette image : la douceur du son en -s et la dureté un peu brutale de la fin du mot. Le poème exprime la vie et la relation amoureuse comme un soubresaut permanent, une douceur contrebalancée, rendue par l'image de la mer, sa dangerosité, une certaine forme de douceur et de mouvement permanent aussi qui se traduisent par cet emploi de sonorités. Mais ces sonorités elles-mêmes contribuent à construire l'image, la nourrissent et le poème joue toujours en permanence dans un rapport entre son plan formel et le fond de son propos. En résumé, on ne peut pas vraiment écrire un poème autrement que de la manière dont il est écrit, parce que même sans alexandrins et sans rimes riches, cette expression formelle particulière se veut l'expression directe d'une façon de voir, dire, sentir le monde.
Bon, désolé pour ce pavé un peu trop sérieux, je m'emballe quand on parle de ça
A préciser que mon dernier poème est justement moins représentatif de cet aspect formel, et "parle" un peu plus facilement. J'ai aussi pu écrire dans des poèmes un peu plus vieux des choses plus classiques avec vers comptés et tout ça ! En espérant que c'était pas trop long ! Pour finir vite fait, d'ailleurs, j'ai eu une grosse période l'année dernière avec des poèmes très centrés sur cet aspect sonore, ils sont dans la galerie, il y a par exemple
Un Coup,
A Silentibus Locis,
Des Papillons,
Crispa Maria...